vendredi 29 mars 2024

Compte rendu, opéra. Lyon, Opéra, le 16 mars 2016. Halévy : La Juive. Olivier Py

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Jean-François Lattarico
Jean-François Lattarico
Professeur de littérature et civilisation italiennes à l’Université Lyon 3 Jean Moulin. Spécialiste de littérature, de rhétorique et de l’opéra des 17 e et 18 e siècles. Il a publié de Busenello l’édition de ses livrets, Delle ore ociose/Les fruits de l’oisiveté (Paris, Garnier, 2016), et plus récemment un ouvrage sur les animaux à l’opéra (Le chant des bêtes. Essai sur l’animalité à l’opéra, Paris, Garnier, 2019), ainsi qu’une épopée héroïco-comique, La Pangolinéide ou les métamorphoses de Covid (Paris, Van Dieren Editeur, 2020. Il prépare actuellement un ouvrage sur l’opéra vénitien.

ju3Compte rendu, opéra. Lyon, Opéra, le 16 mars 2016. Halévy : La Juive. Olivier Py. Par notre envoyé spécial à Lyon, Jean-François Lattarico… Retour très attendu de la Juive à l’opéra de Lyon après 180 ans d’absence. Production phare de la saison lyonnaise, la Juive réunissait l’œil avisé d’Olivier Py et la direction nerveuse de Daniele Rustioni, futur directeur musical de l’opéra des Gaules. Le genre typiquement français du Grand Opéra revient en odeur de sainteté, malgré les contraintes du genre (durée quasi wagnérienne, nombreux et coûteux effets de masse, rôles écrasants, scénographie spectaculaire intégrée à la dramaturgie, etc.). Py l’avait abordé à Strasbourg (Les Huguenots de Meyerbeer), et la double conscience politique et religieuse qui anime sa conception du théâtre, y compris musical, ne pouvait qu’être inspirée par le chef-d’œuvre de Halévy. Certes la poésie de la Juive n’est pas du meilleur Scribe, même si le livret, dramatique à souhait, est terriblement efficace (mais on rappellera que l’air le plus célèbre de la partition, « Rachel quand du seigneur », fut écrit par Adolphe Nourrit, créateur du rôle). Sur scène Pierre-André Weitz a mis en place un ingénieux dispositif unique, noir, comme à l’accoutumée, avec des reflets à la Soulage, en mouvement constant, des arbres calcinés en fond de scène, encadrés par de grands panneaux latéraux en forme de bibliothèques qui serviront de mur de prière à Éléazar au cours de l’opéra et constituent en même temps un clin d’œil au mémorial berlinois de la Shoah. On pourrait trouver que ce dispositif minimaliste ne rende guère justice au faste intrinsèque du genre, amputé de plus d’une heure de musique, dépouillé de son inévitable ballet (et chose plus regrettable, de la célèbre cabalette de Rachel « Dieu m’éclaire »), mais il y a dans l’œuvre une importante dimension intimiste (et intimistes sont la plupart des numéros de l’opéra) qui justifie ce parti-pris tout en préservant en même temps l’émerveillement que doit susciter le genre du Grand Opéra en multipliant constamment les points de vue, les angles visuels, comme si ces décors en mouvement dessinaient le déroulé architectural de l’action.

Il en résulte une grande lisibilité de l’action, moins spectaculaire cependant que dans les grandes fresques historiques d’un Meyerbeer. Car c’est bien le sujet qui constitue la force et l’originalité de l’œuvre, centrée sur une sombre histoire de famille sur fond de conflit

religieux. La transposition ne trahit pas l’œuvre même si Eudoxie, grimée en Marilyn nymphomane, semble tout droit sortir d’un film américain des années Cinquante. La transposition est d’ailleurs justifiée par l’éloge des plaisirs qu’elle tresse au début du troisième acte (« Que le plaisir y règne désormais »). Si la volonté de rendre un opéra extrêmement codifié audible à nos oreilles en lui trouvant une résonance contemporaine justifie la référence à la xénophobie résurgente de nos sociétés, on peut regretter que celle-ci soit aussi nettement appuyée (voir les panneaux «La France aux Français », « Les étrangers dehors », etc. brandis par les habitants de la ville), substituant à la polysémie propre à toute œuvre d’art les clés pour livrer au public une interprétation univoque.

La distribution est dans l’ensemble homogène et sur bien des points exemplaire. Au Neil Shicoff de la production parisienne de Pierre Audi que nous avions vue en 2007, succède Nikolai Schucoff, au timbre époustouflant de clarté, de diction, capable en même temps des plus bouleversants pianissimi (comme dans le début de son grand air) et faisant montre d’une ampleur vocale assez impressionnante. L’autre grand ténor de la distribution, Enea Scala dans le rôle de Léopold, lui vole presque la vedette tant sa facilité dans l’aigu et le suraigu est confondante. Le Brogni de Roberto Scandiuzzi sait allier la noblesse et le pathos que son rôle exige à travers un ambitus aux abîmes caverneux, tout comme le prévôt Ruggiero que campe superbement Vincent Le Texier, malgré un léger tremblement dans la voix. Même le rôle épisodique d’Albert est fort bien tenu par le britannique Charles Rice.

Si la soprano espagnole Sabina Puértolas offre une palette fort riche au rôle d’Eudoxie, la déception vient de celui de Rachel, tenu par Rachel Harnisch. Certes, la voix est bien posée, les graves alternent avec un art consommé du chant pianissimo, le style est impeccable, mais la voix manque de souffle, au point qu’elle est souvent couverte dans les ensembles ou simplement par l’orchestre quand elle chante seule, et le déséquilibre avec les autres interprètes est presque constant.

Mention spéciale pour les chœurs d’une puissance et d’une précision proprement extraordinaires. Si la direction de Daniele Rustioni révèle la fougue nécessaire qu’exige ce répertoire, on regrettera pour le coup une nervosité trop uniforme qui escamote les nuances présentes dans une partition paradoxalement riche en formes closes intimistes. Grâce à Serge Dorny, ce chef-d’œuvre entre durablement au répertoire. La reprise est déjà annoncée à Strasbourg la saison prochaine. Une raison suffisante pour retourner voir ce drame qui s’achève en tragédie. Par notre envoyé spécial à Lyon, Jean-François Lattarico

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