mardi 19 mars 2024

Compte rendu, ballet. Caen, le 4 juin 2014, Manège de la Guérinière. Rameau, maître à danser. Les Arts Florissants. William Christie, direction

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RAMEAU, MAÎTRE A DANSER : le spectacle événement des Arts Florissants. A Caen, William Christie poursuit un travail captivant sur la forme théâtrale : a contrario de tout ce qu’on avait pu espérer, imaginer, cogiter, le fondateur des Arts Florissants, dans une santé rayonnante ce 4 juin, sait surprendre où on ne l’attendait pas : son nouveau spectacle « Rameau, maître à danser » nous étonne ; les deux actes de ballets (Daphnis et Eglé puis La naissance d’Osiris datant du début des années 1750) ainsi ressuscités trouvent dans l’écrin improbable du Manège de l’académie équestre de la Guérinière (lieu inconnu des caennais jusqu’à il y a 2 mois encore), un dispositif surprenant qui permet en réalité de mesurer une approche concertée, audacieuse, expérimentale entre le mot, la note, le corps. Pour réussir cette alliance prometteuse, la production s’appuie sur la complicité, la jeunesse, la subtilité.

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Esprit de famille

Christie_william_maxpeopleworld700428C’est peu dire que Bill veille à l’accompagnement, la transmission, le perfectionnement des équipes d’artistes qu’il sait regrouper autour de lui ; c’est une famille qui se retrouve et nous gratifie d’une entente complice, si rare ailleurs. Les chanteurs sont des voix partenaires, désormais familières au chef (et aux spectateurs qui les suivent pas à pas depuis leurs débuts) : on y retrouve les anciens lauréats du Jardin des Voix, l’académie vocale fondée à Caen avec le concours du Théâtre de Caen et son directeur Patrick Foll : Sean Clayton, Elodie Fonnard, Reinoud von Mechelen…  Chacun y approfondit encore son sens de l’espace, ses aptitudes dramatiques en un jeu qui doit être concerté, et compris collectivement (en réalité les préceptes approchés lors du Jardin des Voix et ici concrètement appliqués).
S’y illustrent aussi les 8 danseurs réunis par la chorégraphe Françoise Denieau, comme les costumes superbes d’Alain Blanchot (lequel avait déjà signé auparavant ceux de Venus and Adonis de John Blow, la saison dernière au Théâtre de Caen)… Pas de doute en soignant d’infimes détails, les producteurs ont relevé le pari de ce nouveau spectacle. Pour la mise en scène, une ancienne chanteuse des Arts Florissants, Sophie Daneman poursuit ses débuts comme scénographe : le résultat est aussi convaincant que pour Le Jardin de Monsieur Rameau, créé en une tournée mondiale, amorcée là encore à Caen. L’ex soprano sait faire respirer les corps, les mettre en situation, avec cette once de poésie, de fragilité et de délicatesse qui éclaire d’un autre regard le déroulement du spectacle. En sachant réunir dramatiquement les deux épisodes dansés, Sophie Daneman réussit déjà le défi de la continuité : mais son souci  de la justesse s’accorde idéalement au travail du Maestro sur l’articulation, la pulsion, la tension et la détente qui alternent du début à la fin avec une élégance délectable.

Laboratoire théâtral

La proximité avec la scène tout d’abord, fonctionne remarquablement avec une disposition où les deux parties du public se font face, enserrant le plateau.  Les spectateurs ont le sentiment d’être à la place du Roi Louis XV et de la Cour invitée à Fontainebleau pour y assister en petit comité, aux nouveaux ballets de monsieur Rameau, chacun célébrant un événement dynastique. Quand l’équipe des comédiens arrivent sur scène, l’esprit des tréteaux, la connivence d’une troupe apprêtée pour l’occasion se réalisent idéalement.
Autre point remarquable pour tous les spectateurs : debout, fédérateur des énergies combinées, William Christie, pour piloter le jeu des danseurs et des chanteurs,  fait face à la scène, prodiguant avec cette élégance expressive dont il est le seul à maîtriser la fascinante chorégraphie, une direction souple et nerveuse, racée et coulante : du très grand art qui porte les musiciens vers l’excellence. Chacun de ses gestes millimétrés, chacune des nuances indiquées vers les musiciens, chaque attaque et chaque articulation pour les chanteurs, s’offre ainsi aux spectateurs. Le travail sur l’expressivité s’en trouve plus éclatant : c’est la leçon d’un très grand maître qui nous est ainsi révélée, visage de face, en attitudes et gestuelles généreuses, expressives, communicatives.

 

 

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Le fondateur des Arts Florissants renoue ici avec ses meilleures réussites musicales, affirmant par devant tous, dont ses très nombreux élèves et émules, sa totale maîtrise chez Rameau. Dès le commencement, l’on ne saurait demeurer insensible à la poésie languissante de la musique, sa tendresse, sa délicatesse jamais mièvre qui avant l’ère romantique, sait dévoiler la richesse du sentiment, ici les mystères de l’amour. Avant Béatrice et Bénédicte, Rameau (et Collé, son librettiste) s’intéressent aux liens ténus qui séparent l’amitié de l’amour : ainsi Daphnis et Eglé ne tardent-ils pas à tomber dans les bras l’un de l’autre. Heureuse destinée de deux  bergers amis qui deviennent amants sous l’arc tendu d’un Cupidon facétieux très en voix (Magali Léger). Le ton est donné : ivresse, extase, ravissement, en particulier dans la musette finale qui fait basculer l’action pastorale dans l’enivrement collectif.

le mot, la note, le corps…  : musique et danse fusionnées

La seconde partie (La Naissance d’Osiris) est plus enchanteresse encore grâce à l’interaction très aboutie entre le chant et la danse : la première scène fait paraître les danseurs en un tableau nocturne, véritable hymne à la fragilité, finesse et délicatesse à jamais inscrites dans une production sertie de joyaux lyriques que l’on retrouve encore dans le solo de la jeune danseuse qui précède le final.
Absent mais sollicité déjà dans le premier ballet, Jupiter soi-même paraît en un superbe aigle noir sous les traits du noble et altier Pierre Bessière.
Rapport troublant entre le chant et la danse, les danseurs semblent prendre l’avantage, confinant déjà au ballet d’action que développera Noverre en fin de siècle. Déjà en 1754, Rameau enchaîne les tableaux avec une grâce inégalée ; certes les airs de bergère et le jeu piquant et drôlatique entre les acteurs font indiscutablement pensé à l’opéra italien : Paris se remet à peine de la Querelle des Bouffons. Rameau prolonge en cela l’esprit champêtre enchanté des madrigaux pastoraux de Monteverdi. Mais à plusieurs reprises, il semble que ce que les mots et le chant ne peuvent exprimer, la danse et le mouvement concerté des corps le disent plus clairement (superbe solo du danseur russe : Artur Zakirov).

Le Théâtre de Caen (et son directeur Patrick Foll) peut être fier d’accompagner Bill et ses Arts Florissants dans des expériences nouvelles à la marge du spectacle musical classique : c’est un laboratoire dont voici une nouveau jalon passionnant. La formule est bien connue des familiers de la Cartoucherie à Vincennes quand Ariane Mouchkine recréait la forme du théâtre en une relation réinventée avec le public : ici, le même sentiment expérimental fait mouche.

 

 

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MAGIQUE MUSIQUE. Mais l’on aurait tort d’oublier l’essentiel : la pure magie de la musique ramélienne. Du début à la fin, on reste médusé par l’équilibre et la richesse des pupitres de l’orchestre des Arts Florissants, gorgé d’une saine vitalité, traversé par un sens inouï du détail et de l’intensité dramatique. La force du Rameau chorégraphe c’est évidemment l’alternance des passages alanguis, de la transe amoureuse et tendre, d’un éclair qui foudroie le ciel et terrasse les acteurs sur le plateau ; puis c’est le jeu de l’ensemble quand chant et danse se mêlent. La combinaison s’impose par son intelligence fusionnelle moins sa juxtaposition : déjà les deux disciplines tendent à n’en former qu’une seule vers une forme théâtrale spécifique, singulièrement dramatique. Rien de décoratif ou de superficiel mais un théâtre frappant de sentiments justes. Tel n’est pas le moindre apport de Bill l’enchanteur à la scène ramélienne. Le chef sait en exprimer l’indicible nostalgie ; il a le secret miracle de révéler la profondeur et la gravité d’un Rameau qui n’a rien décidément de décoratif ni de pédant. Autant dire que ce nouveau spectacle en cette année Rameau frappe fort et nous touche par son extrême et profonde délicatesse. Un must.

 

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Christie William portrait 290Caen. Manège de l’Académie de la Guérinière, le 4 juin 2014.  Rameau, maître à danser. Les Arts Florissants choeur et orchestre. William Christie, direction musicale. Sophie Daneman, mise en scène. Françoise Denieau, chorégraphie / Nathalie Adam, Robert Le Nuz assistants à la chorégraphie. Alain Blanchot, costumes. Reinoud van Mechelen, Daphnis / Elodie Fonnard, Eglée / Magali Léger, Amour (D&E), Pamilie (Naissance) / Arnaud Richard, grand prêtre / Pierre Bessière, Jupiter / Sean Clayton, un berger (La Naissance). Robert Le Nuz, Nathalie Adam, Andrea Miltnerova, Anne-Sophie Berring, Bruno Benne, Pierre-François Dollé, Artur Zakirov, Romain Arreghini danseurs.

 

 

A l’affiche à Caen, les 5, 7, 8 juin. Le 14 juin au Manège du Haras national de Saint-Lô. A l’affiche du Festival de William Christie en Vendée à Thiré, les 23 puis 24 août 2014. Production donnée sur le miroir d’eau dans le cadre enchanteur des Jardins de William Christie. Incontournable.

Le 27 septembre  2014 à Mortagne au Perche (festival Septembre musical de l’Orne). Puis tournée française et mondiale à Paris, Dijon, puis Londres, Luxembroug et Moscou. Diffusion en direct sur culturebox le 8 juin 2014, 17h. Parution d’un dvd à venir courant 2015.

 

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Illustrations : Philippe Delval 2014

Tournée Rameau, maître à danser
Après sa création au Théâtre de Caen, le programme part en tournée :

Le 14 juin 2014, 21h. Saint-Lô (Manche) : Haras national
Août 2014 : présentation particulière du spectacle à Thiré, dans le cadre du festival Dans les jardins de William Christie : les 23 et 24 août à Thiré.
Le 27 septembre 2014, 19h. Mortagne au Perche, Septembre musical de l’Orne
Le 4 novembre 2014, 20h. Philharmonie de Luxembourg
Les 6 et 7 novembre 2014, 20h. Moscou, Théâtre du Bolchoï
Le 14 novembre 2014, 20h. Dijon, Opéra
Le 18 novembre 2014, 20h. Londres, Barbican Centre
Les 21 et 22 novembre 2014, 20h. Paris, Cité de la musique

APPROFONDIR : d’autres articles sur William Christie et Les Arts Florissants :

CD. Le Jardin de Monsieur Rameau
CD. Belshazzar
Atys 2011 : l’œuvre au noir du Roi Soleil
Festival Dans les jardins de William Christie, 1ère édition août 2012 

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