samedi 20 avril 2024

CD. Philippe Jaroussky. Airs de Porpora pour Farinelli (1 cd Erato)

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CD. Philippe Jaroussky. Airs de Porpora pour Farinelli (1 cd Erato)   … Après un précédent album Virgin classics dédié au mezzo ample de Giovanni Carestini (1705-1760), rival de Farinelli et castrat vedette de Haendel à Londres, le phénomène Philippe Jaroussky s’intéresse pour le label Erato ressuscité, au mythe castrat, Farinelli dont on sait combien sa flexibilité de sopraniste avait ébloui à son époque. A la source du miracle Farinelli, Nicolo Porpora, compositeur qui fut son maître et son mentor à Naples pendant sa formation de chanteur. Car il s’agit aussi de restaurer la stature et l’oeuvre de celui qui façonna Farinelli à Naples : Porpora.

Porpora_farinelli_philippe_jaroussky_visuel_porpora2Jaroussky privilégie surtout les airs que Porpora a composé pour son élève favori, le plus doué de sa génération, ceux spécifiquement doux, centraux, plutôt lyrique voire élégiaque c’est à dire d’une virtuosité médiane, plutôt confortable pour sa tessiture : en témoigne le très développé air d’Aci, issu de Polifemo (Londres 1735) : Alto Giove … qui suit la prière en duo des deux amants, deux coeurs à jamais inséparables (Placidetti zefiretti chanté avec la complicité de Cecilia Bartoli). l’Alto Giove d’Aci (Acis) pose clairement le cadre d’une écriture napolitaine purement virtuose et extatique qui met surtout en avant la puissance nuancée de la voix sur un mode langoureux et très intérieur (Acis remercie la protection de Jupiter qui le comble en lui restituant son aimée, Galatée).

Langueur et pâmoison de Porpora

La langueur et la déploration semblent d’ailleurs couronner l’inspiration de Porpora pour son élève dans cet autre lamento extrait d’Orfeo créé aussi à Londres en 1736, et composé au moment où l’élève quitte son professeur et père, pour Madrid. Orfeo est le dernier opéra qui associe les deux tempéraments. Déchirement à peine pudique, et d’une écriture moins démonstrative qu’intérieure : c’est l’époque (1732) où le castrat adulé dans toute l’Europe reçoit les conseils de l’Empereur Charles VI à Vienne (chantez plus beau moins spectaculaire). Inflexion nouvelle qui colore son chant comme sa technique d’une profondeur et d’une gravité renouvelées.
De fait, l’activité de Farinelli sur la scène d’un théâtre s’achève en 1737, marquant aussi la rupture de collaboration entre Porpora et son élève. En outre, la notice accompagnant le texte des airs, précise sans l’élucider, un incident dans les relations du père au fils, du maître à l’élève : Porpora qui se serait rendu  » coupable  » d’une mauvaise action à l’égard de son élève, paraît en 1759 sous la plume de Métastase qui écrit à Farinelli, implorant de ce dernier une mansuétude bienheureuse pour le pauvre compositeur s’enfonçant dans la solitude, l’oubli et la misère.

De tous ces airs ciselés, émane un esthétisme de contemplation vocale, suspension et vertiges, pâmoison, surtout comme on l’a dit langueur. Un goût qui allait détrôner Handel à Londres au début des années 1730.
Si la voix de Jaroussky est encore capable de legato, on regrette tout au long du récital un manque de vrais nuances, une palette finalement restreinte dans la caractérisation poétique des arias : toutes sont abordées de la même façon rendant interchangeable chaque texte et chaque situation. Les défauts de la voix évoluant, on note aussi les mêmes nouvelles limites du chant que dans son dernier album dédié à Jean-Chrétien Bach, en particulier dans le passage dans les aigus, ces derniers étant souvent tirés, à peine couverts ; même l’agilité du premier air, de pure virtuosité (air d’Alceste d’Arianna e Teseo, Florence 1728) demeure souvent tendue, crispée, plus convulsée qu’agile et coulante.
Autre air parmi les inédits du présent récital, celui d’Achille (plage 9 : Nel già bramoso petto) extrait d’Ifigenia in Aulide (Londres, 1735) : Ifigenia affronte alors à Londres la concurrence d’Alcina de Haendel associé à son castrat vedette, Carestini : au mérite de Porpora revient ici la fine caractérisation d’une âme saisie dans les rets d’un amour incertain qui s’exprime ici naturellement offrant d’Achille, le portrait d’un coeur inquiet dont Jaroussky transpose idéalement les déchirures premières, comme les atermoiements d’une âme atteinte qui va s’évanouir. Cet ample air de 8mn30 est aussi une sorte de lamento tragique qui s’étire au fil des phrases du texte de déploration émotionnelle.

C’est donc plus dans les lamentos languissants, amoureux ou déploratifs, à la tessiture médiane donc plus confortable plutôt que dans les airs de caractère et d’agilité que le contre ténor français réussit à convaincre : de ce point de vue l’air de Mirteo de Semiramide riconosciuta (Venise 1729) est aussi le mieux investi, bénéficiant d’une assise vocale plus assumée et visiblement plus à l’aise (sauf les quelques suraigus systématiquement tirés).
A ses côtés, Andrea Marcon assure un continuo honnête, qui pourtant mériterait nuances plus subtiles dans l’intériorité des airs alanguis, essentiellement introspectifs que nous venons de distinguer.


Philippe Jaroussky : Porpora, arias pour Farinelli
  (1 cd Erato). Venice Baroque Orchestra. Andrea Marcon, direction

Lire aussi notre dossier Les Castrats et Haendel

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