lundi 9 décembre 2024

Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788) : Sonates Wurtembergeoises Wq 49 (1 cd Paraty, 2014)

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cd-Bruno-Procopio-karl-philipp-emanuel-Bach-sonates-wurtembergeoises-1742-1743-bruno-procopio-clavecin-582-PARATY515501_couv_HMCD. Compte rendu critique. Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788) : Sonates Wurtembergeoises Wq 49 (1 cd Paraty, 2014). 2014 s’est achevé sans que l’on ait vraiment en France salué ni commémoré le génie du fils Bach le plus zélé et respectueux de son père : Carl Philipp Emanuel. Celui qui fit tant pour la réhabilitation de l’oeuvre paternelle (avant Mendelssohn), fut aussi méprisé et minoré par son employeur à Berlin, -Frédéric II-, qu’il devint après Telemann, à Hambourg, une personnalité de premier plan : officielle et vénéré comme Haydn à Vienne. C’est que le génie exceptionnel de CPE pour le clavier faisait venir des visiteurs de marque dans sa maison hambourgeoise : il y donnait des récitals sur son fameux clavicorde Silbermann (acquis en 1746), offrant une leçon à chaque fois, de raffinement et d’élégance, de maîtrise des phrasés, de distinction agogique, de respiration, de naturel et de profondeur… Un maître.

 

 

 

Fantaisie libre et fascinante de CPE

 

 

Carl Philipp Emanuel BachDans une forme que le père n’eut jamais l’occasion d’aborder, la Sonate pour clavecin, Carl Philipp Emanuel affirme un tempérament hors normes. Le recueil est dédicacé à son élève, Charles II Eugène de Wurtemberg. On sait avec quelle science, Bach fils savait sculpter le son sur son clavicorde : tremblement et port du son grâce à une pression du doigt que permet la mécanique de l’instrument choisi. Une telle sensibilité d’approche se retrouve dans le raffinement de l’écriture et permet de réaliser cette éloquence improvisée qui a tant marqué ses contemporains. Cet essor nouveau du sentiment annonce par sa teinte Empfinsamkeit (sensibilité), le romantisme, mais appartient encore à l’âge baroque par sa formulation toujours soumise à la loi palpitante des contrastes et des variations.

CD 1. Dès la première Sonate (H30), les qualités de l’interprète s’affiche sans fard : l’ampleur et la mesure classique du Moderato initial affirme le tempérament nerveux du claveciniste Bruno Procopio. Cette maîtrise calibrée n’empêche en rien le jaillissement d’une digitalité franche et palpitante à la fois qui sait éviter toute démonstration superficielle : en témoigne pour la seciton finale (Allegro assai), la somptueuse frénésie si proche de Domenico Scaralatti avec ses éclairs en cascades, véritable tempête plus Sturm und Drang qu’ Empfindsamkeit, dernier allegro, à la fois nuit d’orage et course à l’abîme. L’implication coulante et dansante de Bruno Procopio colore cette sublime conclusion de la H30 composé à Berlin en 1742, d’une sensibilité échevelée, d’une tenue ferme et hallucinée à la fois.

La H31 exprime bien cette ambivalence de CPE entre affirmation de la maîtrise et déséquilibre qui menace toujours et s’exprime dans des variations et modulations harmoniques tout à coup inquiétantes.  Presque épurée et d’un dépouillement soudainement assagi comme réconforté l’Adagio (plage 5) se distingue nettement ; il est d’une douceur introspective presque tendre où CPE semble jouer à traverser le même motif dans les tonalités les plus imprévues. L’Allegro final captive par son énergie presque hystérique : une ivresse riche en contrastes rythmique (trop appuyés selon l’humeur de l’interprète?… quoiqu’il en soit la vitalité proche de la folie enivre.

Directe et franche et plus resserrée encore la H33 (Teplice, 1743) précise ce CPE d’une robuste inventivité, passionné des carrures brisées, des épisodes syncopée, où la pensée vagabonde sans limites (plage 7). Âpreté, rugosité même refondent un langage, marqué par l’inquiétude. Quel contraste avec l’appel aux cimes sereines de l’Adagio qui suit ; ou le discours furieusement énoncé du Vivace final, d’une coupe franche parfois dure qui elle aussi laisse entrevoir des lendemains implosifs : est ce réellement soustendu par CPE ou subtilement agencé par un claviériste manifestement inspiré par le compositeur : ici, la virtuosité affleure la folie en un vertige qui fait la valeur de ce programme envoûtant. Le clavier de CPE est loin d’être cette synthèse admirée de bon goût et d’élégance raffinée qui marqua tant Haydn et Mozart. C’est un laboratoire permanent où l’imprévisible éprouve constamment la raison, suscitant à l’extrémité du spectre sonore, une épice imprévue, la folie. Tout s’organise et se désorganise au diapason d’une pulsion aventureuse qui ose tout dire et tout exprimer.

 

 

Sonates atypique de Carl Philipp Emanuel

 

bach_CPE_carl_philipp_emanuelLe contenu du CD2 convainc tout autant. Dans la H32 : on se délecte essentiellement du temps suspendu et caressant d’une belle opulence de son dans l’Andante, enfin serein et presque insouciant (plage 2).  A part, la Sonate H36 (Berlin, 1744) se précise tel le miroir des inquiétudes d’un compositeur non reconnu et certainement d’une certaine façon, humilié; déconsidéré par le souverain en place. Ou alors oscilloscope de ses crises de goutte qu’il soignait alors aux eaux de Teplice en 1743. L’humeur délicate et capricieuse semble piloter toute la Sonata en si mineur d’une somptueuse ampleur imaginative. La versatilité y règne d’une mesure à l’autre : jamais prévisible, l’écriture dessine de subtiles arabesques et il faut une virtuosité digitale experte pour en exprimer toutes les nuances aventureuses. Ainsi le Moderato d’ouverture avec ses variantes de 1762 qui semble affirmer l’entrée avec une inventivité régénérée à chaque nouvel énoncé (près de 10 mn d’exploration et de réitération sonore sans faiblir). Comme un feu d’artifice qui détend les tensions accumulées à la limite du supportable, l’Allegro final offre un jaillissement libérateur d’une exquise fluidité de ton.

CLIC_macaron_20dec13Le tempérament et une volonté coûte que coûte d’en découdre… caractérisent cette lecture des trésors d’invention d’un Bach singulier à son époque. L’engagement et l’énergie de Bruno procopio portent tout l’édifice, sachant idéalement brosser de CPE Bach, ce portrait flamboyant d’un homme des Lumières, savant mais facétieux, véritable archétype préfigurant Haydn et Mozart par l’intelligence et la passion de l’exploration sonore. Superbe récital d’un claveciniste qui est aussi un chef captivant.

 

 

CPE Bach (1714-1788) : Württemberg Sonates / Sonates de Wurtemberg Wq 49 : H30, H31, H33, H32, H34, H36 (Berlin, 1742 et 1744 ; Teplice, 1743). Bruno Procopio, clavecin. 2 cd Paraty 515501. Enregistré à la ferme de Villefavard en juin 2014. Parution annoncée : le 5 mai 2015. CLIC de classiquenews de mars 2015.

 

 

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