Car Philipp Emanuel Bach (1714-1788), portrait. Musique sensible. Au carrefour d’esthĂ©tiques multiples, entre baroque tardif, classicisme et romantisme, CPE Bach (pour Carl Philipp Emanuel), fils cadet de Jean-SĂ©bastien incarne une synthĂšse Ă©loquente, jamais statique ni dogmatique : sa sensibilitĂ© est mobile, vivante, curieuse, audacieuse, fantaisiste, toujours hautement expĂ©rimentale. De 1740 Ă 1780, CPE semble recueillir le bouillonnement des modes et des courants Ă©mergeants Ă son Ă©poque: AufklĂ€rung, Sturm und drang, Empfinsamkeit… autant de facettes d’une sensibilitĂ© prĂ©romantique dont les Ă©chos littĂ©raires sont cultivĂ©s par Goethe et Rousseau. Le jeune Mozart et aussi Haydn mais aussi Gluck et Beethoven l’ont vĂ©nĂ©rĂ© comme un modĂšle, un maĂźtre absolu : Carl Philipp Emanuel avait atteint le mĂȘme gĂ©nie que son pĂšre, et mĂȘme une reconnaissance supĂ©rieure de son vivant. Contrairement Ă son pĂšre, la vie de CPE est assez bien connue, grĂące entre autres Ă son autobiographie publiĂ©e dans l’Ă©dition allemande des Voyages de Charles Burney. Outre ses lettres aussi rĂ©vĂ©lant sa propre conception de l’art musical et sa pensĂ©e, les catalogues Ă©ditĂ©s Ă partir de ses riches collections conservĂ©es dans sa maison bourgeoise Ă Hambourg (peintures, manuscrits, partitions…) prĂ©cisent encore le profil d’un homme estimĂ©, accueillant dans son foyer, curieux, d’une trĂšs vive intelligence, d’une immense sensibilitĂ© et dont le talent de compositeur comme celui d’immense claviĂ©riste (moins Ă l’orgue que sur son cher clavicorde Silbermann) a sĂ©duit immĂ©diatement tous ses contemporains.
Carl Philipp Emanuel Bach
1714-1788
dossier spécial pour le tricentenaire 2014
La rĂ©cente dĂ©couvertes de plusieurs partitions inĂ©dites (dĂ©posĂ©es Ă Kiev par Goebbels et qui proviennent du Conservatoire historique de Berlin) dont les fameuses Passions Ă©crites pour Hambourg (restituĂ©es Ă l’Allemagne en 2001) apporte un nouvel Ă©clairage sur l’Ă©criture de CPE et son Ă©volution dans son Ă©poque. Fils de Jean-SĂ©bastien et formĂ© par son pĂšre, CPE (portrait ci-contre, pastel datĂ© des annĂ©es 1770 Ă Hambourg) incarne l’excellence musicale de la famille ; il est avec son frĂšre ainĂ©, Wilhelm Friedeman, un virtuose du clavier, et surtout dĂ©fenseur comme nul autre descendant, de la gloire posthume de son pĂšre : CPE vĂ©nĂšre l’Ćuvre paternelle ; conscient du legs inestimable, il veille Ă la prĂ©servation des partitions certaines manuscrites ; au sommet du corpus, le fils estime (et Ă©tudie) en particulier le corpus de la Messe en si (prĂ©cisĂ©ment le Credo). Quand Charles Burney dĂ©clare que Haendel est le plus grand compositeur, en particulier pour l’orgue, CPE en bon fils, rĂ©tablit la vĂ©ritĂ© par articles publiĂ©s dans la presse : sans mĂ©sestimer le gĂ©nie du Haendel, CPE prĂ©cise que l’orgue anglais ne saurait ĂȘtre comparĂ© aux instruments si sophistiquĂ©s en Allemagne (comprenant a contrario des britanniques, un pĂ©dalier) : le seul maĂźtre absolu de l’instrument roi demeure Jean-SĂ©bastien, ce que nous ne pourrions contester aujourd’hui en effet. Voici les Ă©tapes et aspects majeurs de la vie et de la carriĂšre de CPE Bach, le digne fils de son pĂšre.
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Carl Philipp Emanuel Bach. Gilles Cantagrel, Editions Papillon. Parution : décembre 2013
cd
Les Israélites dans le désert. William Christie (1 cd HM).
aperçu biographique
NĂ© Ă Weimar, fils de Maria Barbara, CPE suit son pĂšre Ă Coethen puis Leipzig oĂč tout en Ă©tant formĂ© par son pĂšre, Jean-SĂ©bastien, le jeune musicien entre Ă l’Ă©cole Saint-Thomas. C’est l’Ă©poque oĂč quand CPE est ĂągĂ© de 9/10 ans, son pĂšre compose le Magnificat et la Passion selon Saint-Jean. A 12 ans, CPE Ă©crit ses premiĂšres compositions sous l’Ćil du pĂšre, trĂšs bon pĂ©dagogue. AprĂšs que Rameau triomphe par un scandale retentissant Ă l’OpĂ©ra (Hippolyte et Aricie, 1733), CPE entre Ă ‘UniversitĂ© de Francfort/Oder (1734).
Commence alors ses fonctions au service des grands: le Prince hĂ©ritier de Prusse Ă Rheinsberg (1738) puis comme claveciniste de l’orchestre de FrĂ©dĂ©ric II Ă Berlin en 1740. Du fait de ses excellentes aptitudes, grĂące Ă l’enseignement du pĂšre, CPE est Ă 26 ans, l’un des claviĂ©ristes les plus douĂ©s de sa gĂ©nĂ©ration. Les annĂ©es 1740 sont fĂ©condes pour le compositeur: CPE publie plusieurs recueils de Sonates : Sonates prussiennes en 1742, puis Sonate Wurtembergeoises en 1744 (quand son pĂšre Jean-SĂ©bastien publie le volume du Clavier bien tempĂ©rĂ©).
Quand meurt Jean-SĂ©bastien en 1750, CPE postule pour lui succĂ©der Ă Leipzig comme Director Musices… mais il Ă©choue. Il recueille son demi frĂšre, Johann Christian, fils de la seconde Ă©pouse de JS, Anna Magdalena.
A Berlin, CPE vĂ©gĂšte, se sent Ă l’Ă©troit. S’il est reconnu comme excellente claveciniste, ses Ćuvres comme compositeur sont ignorĂ©es. FrĂ©dĂ©ric II de Prusse n’a jamais eu un goĂ»t musical avant-gardiste et moderne : il prĂ©fĂšre alors les Ćuvres plus conformes voire dĂ©coratives de Graun et de Quantz.
Le salut vient de Hambourg : en 1767 (53 ans), CPE succĂšde Ă Telemann comme directeur de la musique de la ville hansĂ©atique, une consĂ©cration exceptionnelle et mĂ©ritĂ©e pour le fils le plus douĂ© de Jean-SĂ©bastien Bach.TrĂšs vite, CPE prend trĂšs au sĂ©rieux, ses nouvelles fonctions. Il compose dĂšs 1768, l’oratorio Les IsraĂ©lites dans le dĂ©sert, et sa Passion selon Saint-Matthieu.
Compositeur pour le clavier, pour l’Ă©glise, CPE est aussi particuliĂšrement inspirĂ© par l’orchestre : il Ă©crit ses 6 Symphonies pour cordes en 1773 (Ă l’Ă©poque oĂč il rĂ©dige aussi pour Burney sa propre biographie). C’est une rĂ©daction prĂ©cieuse qui dĂ©voile les traits de son caractĂšre, Ă la fois jovial, gĂ©nĂ©reux, sĂ©duisant et sĂ©ducteur qui sait aussi riposter contre les attaques de ses rivaux, trop jaloux de son talent. En 1776, CPE composent les 4 Symphonies avec instruments obligĂ©s. D’une sensibilitĂ© extrĂȘme, variant les plaisirs du compositeur entre fantaisie, expĂ©rimentation et humeur, CPE est surtout un mĂ©lancolique qui prĂ©lude au pur sentiment romantique affleurant dĂ©jĂ chez le jeune Mozart et surtout chez Haydn.
Musique pour le clavier et pour l’orchestre, auteur d’Ćuvres sacrĂ©es (comme son pĂšre et Haendel qu’il admira et dont il dirigea les oeuvres, comme le Messie en 1775, comme celles de son pĂšre), Carl Philipp Emanuel Bach est un gĂ©nie mĂ©sestimĂ©, acteur primordial Ă l’Ă©poque du nĂ©oclassicisme et du prĂ©romantisme. A l’Ă©poque de la maturitĂ© Ă Hambourg, c’est dĂ©sormais une personnalitĂ© estimĂ©e et recherchĂ©e, que l’on visite avec respect et dĂ©fĂ©rence. Le baron von Swieten, en poste diplomatique Ă Hambourg, se rapproche de CPE et par son intermĂ©diaire, permet au jeune Mozart alors Ă Vienne, d’apprendre Ă la source des Bach, pĂšre et fils. Ce point de transmission, capitale dans l’Ă©volution de Wolfgang, suffirait Ă restituer Ă CPE, la place qu’il mĂ©rite dans l’histoire de la musique au XVIIIĂšme siĂšcle.
sélection cd, dvd, livres CPE Bach 2014
CD. CPE Bach: Concertos & Symphonies. Berliner Barock Solisten, 1 cd DHM (Goltz, 2013). Les oeuvres retenues par Gottfried von der Goltz, ailleurs directeur musical du Freiburger Barockorchester,, rĂ©putĂ© (Ă raisons) pour son engagement et lâĂ©nergie de ses lectures trĂ©pidantes, met en lumiĂšre, sur le mode concertant, lâart du dialogue et de la conversation musicale du fils Bach.
2 Concertos, pour flûte et pour hautbois révÚlent un souci constant de la forme à la fois imaginative et équilibrée, aux confins du baroque tardif vers déjà cette distinction concertante qui annonce les grands accomplissements de Haydn et de Mozart dans la formulation proprement classique du Concerto orchestral. En lire +
CD. Carl Philipp Emanuel Bach. The collection CPE Bach (13 cd Warner classics). Pour le tricentenaire en 2014 du fils le plus douĂ© de Jean-SĂ©bastien, Warner classics sort ce coffret Ă©vĂ©nement de 13 cd. Pour son tricentenaire, il mĂ©ritait bien un coffret dĂ©diĂ©. Dâautant que fort du fonds de son catalogue sur instruments anciens, Warner classics réédite ici plusieurs interprĂ©tations majeures dĂ©fendues par les plus grands chefs et leurs ensembles respectifs : notons surtout au sommet de lâĂ©vidence et du naturel mordant vif, expressif, lĂ©ger et Ă©lĂ©gant simultanĂ©ment, les superbes Symphonies pour cordes et Symphonies orchestrales (W182, W183) par Gustav Leonhardt et lâexcellent, bondissant, affĂ»tĂ© Orchestre de lâĂge des LumiĂšres (Orchestra of the Age of enlightenment) ; mĂȘme enthousiasme pour les concertos pour clavecin, ceux de Hambourg dont CPE Bach Ă©tait directeur musical dĂšs 1767 (W43, nos 1-6 par Bob van Asperen et Melante Amsterdam). Lire notre critique complĂšte du coffret Carl Philipp Emanuel Bach
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Carl Philipp Emanuel Bach. Gilles Cantagrel, Editions Papillon. Parution : dĂ©cembre 2013. A lâĂ©poque de JJ Rousseau et dans le courant esthĂ©tique mouvant qui mĂšne du Baroque tardif au nĂ©oclassicisme et Ă lâavĂšnement progressif du romantisme, perce la personnalitĂ© du fils Bach, CPE pour Car Philip Emanuel (1714-1788). Il est rare quâun fils de gĂ©nie en fut aussi un : câest bien lâapport fondamental des derniĂšres recherches sur lâhomme et son oeuvre, immenses, incontournables Ă leur Ă©poque (ce quâa bien compris Haydn qui lâa scrupuleusement Ă©tudiĂ© et admirĂ©) ⊠CPE Bach sâest taillĂ© une rĂ©putation aussi grande que celle de son pĂšre et il fut de facto, aussi estimĂ© que Gluck. En modifiant la perspective sur une Ćuvre aussi fantasque/tique que diversifiĂ©e, lâauteur, dĂ©jĂ reconnu pour ses Ă©tudes sur le pĂšre, dĂ©fend ici avec conviction et argumentation, le profil trĂšs estimable du fils. En lire +
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Les Israélites dans le désert. William Christie (1 cd HM).
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