vendredi 19 avril 2024

Alcina de Haendel depuis Aix 2015

A lire aussi

Bruxelles : Tamerlano et AlcinaARTE. Alcina de Haendel, vendredi 10 juillet 2015, dès 22h10. En différé d’Aix en Provence, voici le grand opéra sedia façon Haendel : Alcina créé en 1735 au Covent Garden de Londres, soit en pleine esthétique rococo. Un soin raffiné dans les airs, un sens dramatique puissant soulignant la force envoûtante du drame à la fois fantastique, onirique et tragique, toujours intensément psychologique qui étreint les pauvres cœurs des amants éprouvés. Inspiré par L’Arioste et son labyrinthe des sentiments contrariés, démunis, impuissants et donc en souffrance, Alcina renoue avec les magiciennes amoureuses déjà abordées dans les opéras antérieurs : Rinaldo, Teseo, Amadigi. Ici, bien avant l’Armide dans Reanud de Sacchini (1783 : chef d’oeuvre post gauchiste sous le règne de Louis XVI à l’époque des Lumières où Armide désespère, se déchire entre haine et amour à l’endroit du beau Renaud), ici, Alcina sous les doigts de l’orfèvre enchanteur Haendel, atteint plusieurs sommets de l’alanguissement impuissant voire suicidaire ; ses airs sont les plus poignants (Ah mio cor, au II ; puis Mi restano le lagrime au III) : plaintes déchirantes d’une amoureuse mise à nu que l’écriture précise et souple, profonde et juste de Haendel rend préfiguratrice des grandes héroïnes mozartiennes et même romantiques. En cela, Alcina annonce dans l’oeuvre haendélien, Rodelinda, et même les gouffres amères de Cleopatra prisonnière. Dans le rôle de Roger, le fier castrat Carestini, divino vedette de l’écurie Haendel à Londres, assure les virtuosités aimables mais non moins profondes d’un guerrier délicat. Quand Bradamante (pour voix d’alto car la fiancée de Ruggiero/Roger est travestie en homme) est le troisième pilier du trio vedette : détermination, virilité même, autant de qualités qui percent si peu chez Roger (c’est d’ailleurs pour cela que le tendre lascif, un rien soumis, se laisse séduire par la magicienne).

Jamais Haendel ne fut mieux inspiré qu’en s’inspirant de L’Arioste

Alcina : jeu de dupes, puissante illusion

Superbe allégorie de la confusion et des vertiges de l’amour, Alcina demeure le meilleur seria de Haendel, surclassant même Orlando de 1733 (Lire notre critique du cd Orlando de Haendel par René Jacobs), et son Ariodante, également créé en 1735 au Covent Garden, mais avant Alcina. La géographie émotionnelle qu’y peint Haendel montre sa fine connaissance du coeur humain, de la folie et des passions dérisoires. C’est évidemment un écho fraternel à l’Orlando furioso de Vivaldi (1714 : Lire notre critique du cd Orlando Furioso de Vivaldi; Lire aussi notre critique du dvd Orlando Furioso de Vivaldi par Jean-Christophe Spinosi, 2011 : et aussi notre compte rendu critique de la production d’Orlando Furioso de Vivaldi par Spinosi à l’Opéra de Nice).

Haendel, handel MessieAprès Vivaldi – dont il faudra bien un jour réhabiliter définitivement le génie dramatique et lyrique sur les scènes d’opéra, peu de compositeurs ont été aussi bien inspirés que Haendel d’après le manège enchanté et amer dessiné par L’Arioste. Alcina qui puise son sujet te ses développements magiques dans l’Orlando Furioso justement (chants VI,VII et VIII) plonge en pleine exacerbation onirique et cynique du désir et de l’amour. Roger se perd dans une réalité qui vacille, face à Alcina, face à Bradamnte – qu’il prend pour Alcina déguisée… Mais la plus grande victime dans ce jeu d’envoûtements factices et d’enchantements cruels demeure la magicienne elle-même qui amoureuse, perd tous ses pouvoirs quand elle est démasquée : rien ne peut s’opposer au départ de Roger/Ruggiero quand il décide de quitter l’île magique. Ainsi la fée manipulatrice Alcina, et sa soue Morgana, vraie double hypnotique et mystérieux, doivent fuir honteusement en fin d’action, et le palais d’Alicia comme celui d’Armide (voir les opéras de Lully ou de Jommelli, s’écroule comme la fin d’une puissante illusion). L’Arioste aime à tromper ses héros car le propre de l’amour sont les illusions dans lesquelles le coeur amoureux se complaît à se perdre… Si le plateau des solistes se révèle à la hauteur des enjeux et des situations conçus par Haendel, le spectacle peut être total. De fait la présence dans le cast aixois de Patricia Petibon en Alcina et de Anna Prohaska en Morgana promet bien des moments … magiques ? On reste plus réservé sur le Ruggiero de P. Jaroussky dont l’usure de la voix récente et le maniérisme croissant devraient décevoir ou tout au moins réduire la profondeur trouble et contradictoire du personnage de Roger. Quoiqu’il en soit, à ne pas manquer.

———-

arte_logo_2013ARTE. Alcina de Haendel, vendredi 10 juillet 2015, dès 22h10. En différé d’Aix en Provence.
DIRECTION MUSICALE : ANDREA MARCON
MISE EN SCÈNE : KATIE MITCHELL

ALCINA : PATRICIA PETIBON,
RUGGIERO: PHILIPPE JAROUSSKY,
MORGANA : ANNA PROHASKA,
BRADAMANTE : KATARINA BRADÍC
ORCHESTRE : FREIBURGER BAROCKORCHESTER

- Sponsorisé -
- Sponsorisé -
Derniers articles

OPÉRA GRAND AVIGNON. VERDI : Luisa Miller, les 17 et 19 mai 2024. Axelle Fanyo, Azer Zada, Evez Abdulla… Frédéric Roels / Franck Chastrusse...

Malentendu, quiproquos, contretemps… Luisa Miller puise sa force dramatique dans son action sombre et amère ; la tragédie aurait...
- Espace publicitaire -spot_img

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img