ARTE. Alcina de Haendel, vendredi 10 juillet 2015, dĂšs 22h10. En diffĂ©rĂ© dâAix en Provence, voici le grand opĂ©ra sedia façon Haendel : Alcina créé en 1735 au Covent Garden de Londres, soit en pleine esthĂ©tique rococo. Un soin raffinĂ© dans les airs, un sens dramatique puissant soulignant la force envoĂ»tante du drame Ă la fois fantastique, onirique et tragique, toujours intensĂ©ment psychologique qui Ă©treint les pauvres cĆurs des amants Ă©prouvĂ©s. InspirĂ© par LâArioste et son labyrinthe des sentiments contrariĂ©s, dĂ©munis, impuissants et donc en souffrance, Alcina renoue avec les magiciennes amoureuses dĂ©jĂ abordĂ©es dans les opĂ©ras antĂ©rieurs : Rinaldo, Teseo, Amadigi. Ici, bien avant lâArmide dans Reanud de Sacchini (1783 : chef dâoeuvre post gauchiste sous le rĂšgne de Louis XVI Ă lâĂ©poque des LumiĂšres oĂč Armide dĂ©sespĂšre, se dĂ©chire entre haine et amour Ă lâendroit du beau Renaud), ici, Alcina sous les doigts de lâorfĂšvre enchanteur Haendel, atteint plusieurs sommets de lâalanguissement impuissant voire suicidaire ; ses airs sont les plus poignants (Ah mio cor, au II ; puis Mi restano le lagrime au III) : plaintes dĂ©chirantes dâune amoureuse mise Ă nu que lâĂ©criture prĂ©cise et souple, profonde et juste de Haendel rend prĂ©figuratrice des grandes hĂ©roĂŻnes mozartiennes et mĂȘme romantiques. En cela, Alcina annonce dans lâoeuvre haendĂ©lien, Rodelinda, et mĂȘme les gouffres amĂšres de Cleopatra prisonniĂšre. Dans le rĂŽle de Roger, le fier castrat Carestini, divino vedette de lâĂ©curie Haendel Ă Londres, assure les virtuositĂ©s aimables mais non moins profondes dâun guerrier dĂ©licat. Quand Bradamante (pour voix dâalto car la fiancĂ©e de Ruggiero/Roger est travestie en homme) est le troisiĂšme pilier du trio vedette : dĂ©termination, virilitĂ© mĂȘme, autant de qualitĂ©s qui percent si peu chez Roger (câest dâailleurs pour cela que le tendre lascif, un rien soumis, se laisse sĂ©duire par la magicienne).
Jamais Haendel ne fut mieux inspirĂ© quâen sâinspirant de LâArioste
Alcina : jeu de dupes, puissante illusion
Superbe allĂ©gorie de la confusion et des vertiges de lâamour, Alcina demeure le meilleur seria de Haendel, surclassant mĂȘme Orlando de 1733 (Lire notre critique du cd Orlando de Haendel par RenĂ© Jacobs), et son Ariodante, Ă©galement créé en 1735 au Covent Garden, mais avant Alcina. La gĂ©ographie Ă©motionnelle quây peint Haendel montre sa fine connaissance du coeur humain, de la folie et des passions dĂ©risoires. Câest Ă©videmment un Ă©cho fraternel Ă lâOrlando furioso de Vivaldi (1714 : Lire notre critique du cd Orlando Furioso de Vivaldi; Lire aussi notre critique du dvd Orlando Furioso de Vivaldi par Jean-Christophe Spinosi, 2011 : et aussi notre compte rendu critique de la production dâOrlando Furioso de Vivaldi par Spinosi Ă lâOpĂ©ra de Nice).
AprĂšs Vivaldi – dont il faudra bien un jour rĂ©habiliter dĂ©finitivement le gĂ©nie dramatique et lyrique sur les scĂšnes dâopĂ©ra, peu de compositeurs ont Ă©tĂ© aussi bien inspirĂ©s que Haendel dâaprĂšs le manĂšge enchantĂ© et amer dessinĂ© par LâArioste. Alcina qui puise son sujet te ses dĂ©veloppements magiques dans lâOrlando Furioso justement (chants VI,VII et VIII) plonge en pleine exacerbation onirique et cynique du dĂ©sir et de lâamour. Roger se perd dans une rĂ©alitĂ© qui vacille, face Ă Alcina, face Ă Bradamnte – quâil prend pour Alcina dĂ©guisĂ©e⊠Mais la plus grande victime dans ce jeu dâenvoĂ»tements factices et dâenchantements cruels demeure la magicienne elle-mĂȘme qui amoureuse, perd tous ses pouvoirs quand elle est dĂ©masquĂ©e : rien ne peut sâopposer au dĂ©part de Roger/Ruggiero quand il dĂ©cide de quitter lâĂźle magique. Ainsi la fĂ©e manipulatrice Alcina, et sa soue Morgana, vraie double hypnotique et mystĂ©rieux, doivent fuir honteusement en fin dâaction, et le palais dâAlicia comme celui dâArmide (voir les opĂ©ras de Lully ou de Jommelli, sâĂ©croule comme la fin dâune puissante illusion). LâArioste aime Ă tromper ses hĂ©ros car le propre de lâamour sont les illusions dans lesquelles le coeur amoureux se complaĂźt Ă se perdre⊠Si le plateau des solistes se rĂ©vĂšle Ă la hauteur des enjeux et des situations conçus par Haendel, le spectacle peut ĂȘtre total. De fait la prĂ©sence dans le cast aixois de Patricia Petibon en Alcina et de Anna Prohaska en Morgana promet bien des moments ⊠magiques ? On reste plus rĂ©servĂ© sur le Ruggiero de P. Jaroussky dont lâusure de la voix rĂ©cente et le maniĂ©risme croissant devraient dĂ©cevoir ou tout au moins rĂ©duire la profondeur trouble et contradictoire du personnage de Roger. Quoiquâil en soit, Ă ne pas manquer.
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ARTE. Alcina de Haendel, vendredi 10 juillet 2015, dĂšs 22h10. En diffĂ©rĂ© dâAix en Provence.
DIRECTION MUSICALE : ANDREA MARCON
MISE EN SCĂNE : KATIE MITCHELL
ALCINA : PATRICIA PETIBON,
RUGGIERO: PHILIPPE JAROUSSKY,
MORGANA : ANNA PROHASKA,
BRADAMANTE : KATARINA BRADĂC
ORCHESTRE : FREIBURGER BAROCKORCHESTER