VIDEO, extraits. Le 4 avril 2015, à la Cidade das Artes à Rio de Janeiro (Brésil), le jeune chef franco brésilien BRUNO PROCOPIO dirige l’Orchestre Symphonique du Brésil (OSB) : la Symphonie à 17parties de François-Joseph Gossec (1734-1829), composée en 1809. Partition majeure de la symphonie romantique française à l’époque de Napoléon : entre classicisme et premier romantisme, la virtuosité énergique de Gossec s’impose à nous, commune œuvre fondatrice du symphoniste français à l’époque des Viennois Haydn, Mozart et Beethoven. Bruno Procopio s’engage pour diffuser la connaissance et l’interprétation des compositeurs français en Amérique Latine : après avoir dirigé le Simon Bolivar Orchestra du Venezuela, le jeune chef à la double culture, brésilienne et française, retrouvait l’Orchestre Symphonique du Brésil à Rio de Janeiro dans un programme dédié au premier romantisme français : vitalité et énergie, puissance mais sensibilité aux détails instrumentaux… la direction du chef de l’autre côté de l’Atlantique, à la fois analytique et dramatique, trouve un équilibre idéal au service des grands classiques et romantiques français. Extraits vidéo exclusifs © studio CLASSIQUENEWS.TV 2015
Approfondir : Jouer Gossec à Rio de Janeiro (avril 2015)
Rio de Janeiro, compte rendu concert. Dans la nouvelle salle de concerts « Cidade des Artes » – sorte d’insecte prismatique à pattes dessiné par Christian de Porzemparc- , les Cariocas retrouvent le chef brillant, nerveux, fougueux mais aussi nuancé qui avait le mois précédent créé l’opéra Renaud de Sacchini, Sala Cecilia Meireles, – au centre de Rio-: Bruno Procopio dans un dispositif qui lui est désormais spécifique : jouer deux auteurs au carrefour du classicisme et du romantisme, … sur instruments modernes. Tout le défi est là : réaliser accents, style, continuité des partitions selon les apports de l’interprétation historiquement informée. Un enjeu qui dépasse la seule question des esthétiques et réclame des instrumentistes et du chef, un engagement total pour réussir le résultat final. De Sacchini à Gossec, le geste est d’autant plus fluide et assuré que l’esthétique très marqué esprit des Lumières circule de l’une à l’autre des partitions.
Pour la Symphonie de Gossec (1734 – 1829), Bruno Procopio a respecté l’usage instrumental historique : c’est à dire le nombre impressionnant de contrebasses : car l’orchestre en France à l’époque de Gossec totalise près de 12% des effectifs de cordes : le principe est réalisé à Rio et la sonorité qui en découle apporte ses bénéfices expressifs : puisque la musique ne module pas beaucoup, l’éloquence élargie des basses nourrie une matière étonnamment riche malgré des lignes plutôt simples. Des quatre mouvements (Maestoso – Allegro molto ; Larghetto ; Menuet – trio ; Finale : Allegro molto), le chef réalise la continuité tout en apportant les fruits d’un travail spécifique sur le relief instrumental.
A 17 parties soit 17 pupitres, l’orchestre de Gossec demeure résolument classique avec clarinettes et trompettes par deux. Ordinairement datée de 1809, la Symphonie pourrait remontée à une époque précédente : le dernier mouvement commence par un système fugué défendu par les premiers violons selon la tradition du Concert Spirituel telle qu’elle s’était affirmée dans le paysage de la fin XVIIIè à Paris. De fait, outre ces points d’écriture, tout l’esprit de la Symphonie de Gossec résonne de l’Esprit des Lumières plutôt que du plein romantisme. L’auteur de Thésée, opéra majeur, très emblématique de l’esthétique néoclassique de la fin du XVIIIè européen, reste résolument classique et respectueux des inflexions de son époque.
Jouer Gossec et Neukomm à Rio
Mais le trait original vient pourtant d’un souci personnel dans la coloration des unissons comme des dessus cordes/flûtes puis flûtes/hautbois. Gossec tout en répétant souvent un même motif rythmique et mélodique, sait particulièrement bien raffiner les combinaisons instrumentales à chaque reprise, dans le but de colorer son orchestration. La variété des instruments offre une expérience de coloration (hautbois/ clarinette) plutôt « moderne » vis à vis du cadre strictement classique des Lumières. S’il n’était cette sensibilité originale aux instruments, le style de Gossec regarde plutôt du côté de Haydn que de Beethoven. Bruno Procopio saisit et sert idéalement l’intensité du matériau musical avec une fluidité permanente passant d’un mouvement à l’autre avec une intelligence communicative qui souligne l’invention instrumentale de Gossec. Ce bouillonnement dynamique souligne l’apport du compositeur parmi les plus inventifs de sa génération et qui impressionna tant Mozart lors de son séjour à Paris en 1778. C’est d’ailleurs grâce à Gossec, alors directeur du Concert Spirituel, que Wolfgang reçoit la commande, prestigieuse pour la capitale française, des fameuses Symphonies parisiennes. Entre l’écriture classique et viennoise (plutôt archaïsante si la partition remonte de fait à 1809) et sa grande sensibilité instrumentale (solos de clarinette en particulier …) et son souci de la couleur (trait de modernité a contrario), le jeune chef franco-brésilien réussit totalement l’équilibre entre mesure et sensualité. En revanche, de près de 30 mn en durée, la carrure de l’œuvre préfigure Beethoven.
Pour sa part, Sigismond Neukomm (1778-1858) retrouve à Rio, un rivage familier. Le Viennois, parti de Paris vers Rio en 1816 dans le cadre de la Mission française au Brésil, s’inscrit naturellement dans ce programme carioca : il a même composé sa Symphonie héroïque pendant la traversée, de l’Europe au Nouveau Monde. Tout un symbole. Comme la Symphonie de Gossec, le style de Neukomm est foncièrement classique et même haydnien mais il affirme un sens des modulations très original, parfois abrupts, dont l’activité des contrastes, reste étrangère à Gossec : son parfum romantique est plus évident de ce fait. Place est favorise à la fanfare qui y règne sans discontinuer : ne s’agit-il pas de la Symphonie héroïque en ré majeur ?
Comme Mozart et Beethoven, Neukomm réutilise un ancien air composé par Haendel (ici, l’air de Macbeth pour le mouvement lent central). Inspiré par l’art du Symphoniste, ayant créé entre ancien et nouveau monde, Bruno Procopio souligne l’allant général, l’exaltation d’une plume pleine de feu et de contrastes. Il fait surgir avec bonheur, la vivacité martiale et l’énergie solaire d’une Symphonie de conquête. En 1816 avant de partir pour Rio, Neukomm, serviteur de Talleyrand, compose le Requiem joué lors de la commémoration du traité de Vienne. Au Brésil, il compose le Libera me pour la fin du Requiem de Mozart, dans une réalisation alors dirigée à Rio, par le compositeur officiel Nunes Garcia. Il est donc légitime d’inscrire au programme Neukomm aux côtés de Gossec. L’un et l’autre sont emblématiques du langage classique des Lumières. Or le second, a fait le voyage et transmet et diffuse l’héritage de la culture européenne sous les tropiques.
Après Renaud de Sacchini (1783) – avec l’OSB toujours, création brésilienne de mars 2015, Bruno Procopio retrouve les défis de la musique française de la fin du XVIIIè, au tournant des esthétiques classique et romantique défis pimentés par sa réalisation sur instruments modernes. Jouer sur instruments modernes nécessite un apprentissage spécifique pour les instrumentistes : nouvelle expérience technique que leur apporte Bruno Procopio (dont coups d’archets selon une approche historiquement informée, nouveau raffinement dans l’interprétation des parties ornementales…)
Comme c’était aussi l’enjeu du concert à Liège, avec le Philharmonique Royal (jouer Rameau sur instruments modernes, décembre 2014, – voir ci après notre reportage classiquenews : « Rameau Symphonique par Bruno Procopio à Liège »). Mais un autre défi attend bientôt Bruno Procopio, créer Thésée de Gossec composé en 1781 autre fleuron de l’esthétique des Lumières et qui a désormais toute sa place dans ce nouveau sillon prometteur, tracé entre la France et le Brésil grâce à l’énergie d’un chef audacieux. D’autant qu’en 2016, la France et le Brésil célèbreront le bicentenaire de la Mission française au Brésil. Prochains événements à venir.
Compte rendu, concert. Rio de Janeiro, Cidade das Artes, le 4 avril 2015. Sigismund Neukomm (1778 – 1858) : Grande Symphonie Héroïque Op.19. François-Joseph Gossec (1734 – 1829) : Symphonie à 17 parties (1809) de Brazilian Symphony Orchestra. Bruno Procopio, direction. Par notre rédacteur Camille de Joyeuse.
Le chef d’orchestre Bruno Procopio en vidéo
VOIR le reportage Bruno Procopio dirige Rameau à Liège avec le Philharmonique Royal de Liège (décembre 2014)
VOIR le reportage Bruno Procopio joue les Pièces pour clavecin en concerts de Rameau (avril 2013)
Illustrations : Bruno Procopio dirige l’Orchestre Symphonique du Brésil (OSB) dans un programme Gossec et Neukomm, Rio de Janeiro, avril 2015 © CLASSIQUENEWS.COM