jeudi 28 mars 2024

Toulouse.Halle aux Grains. 4 mars 2010. Mozart, Mahler. David Fray, piano ; Miah Persson, soprano ; Orchestre National du Capitole de Toulouse. Tugan Sokhiev, direction

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David Fray: délicat mozartien

Le concerto n°25 de Mozart en ut est un splendide monument dédié à la vie. La jubilation, la fierté, l’audace, toutes trois assumées parcourent toute la partition. Composé en 1786 juste avant son voyage à Prague, on y devine toute la confiance dont Mozart jouissait, sachant à l’avance que la capitale de la Bohème allait lui réserver un vrai triomphe musical et pas seulement mondain.
Dès les premières mesures, le ton est conquérant.Tugan Sokhiev a choisi un orchestre léger et peu nombreux, avec deux contrebasses et trois violoncelles. L’allure pré-beethovienne de ce premier mouvement aux accents héroïques évoque à la fois la cinquième symphonie de Beethoven et le début de la Marseillaise ! La haute tenue et l’énergie insufflées par le chef ne semblent pas de prime abord en accord avec le jeu extrêmement sensible et délicat de David Fray. Toutefois il s’instaure petit à petit un dialogue musical fascinant. Les nuances extrêmes, la souplesse de jeux, les phrasés subtilement amenés du pianiste semblant convaincrent l’orchestre et son chef. L’héroïsme fait place à la poésie et le deuxième mouvement confirme une vraie rencontre musicale. Cet Andante est ce soir une véritable promenade avec une diversité de thèmes extraordinaires présentés avec beaucoup de subtilité. Tout y est souplesse et délicatesse, audaces de nuances multiples. Le dialogue de l’orchestre prépare une belle entrée aux doigts magiques de David Fray. La qualité probablement unique du jeune pianiste est un toucher hors de toute percussion qui lui permet de caresser le piano afin d’en obtenir une pâte sonore crémeuse et souple sur toute la tessiture. Jamais le son ne devient agressif et pourtant son piano peut sonner ! On reste longtemps sous le charme d’un jeu très émotionnel et d’une profondeur inhabituelle. Les moments exquis de dialogue entre le piano, les bois et les cors touchent au sublime. Dans le troisième mouvement, tout semble fête comme dans un tableau de Watteau. Précision et souplesse s’accordent afin que la musique soit sacrée reine de beauté. Le son de David Fray change entre les passages majeur et mineur comme si une ombre délicate voilait légèrement les rayons du soleil. La grâce et la bonne humeur des échanges entre le pianiste et l’orchestre sont un régal pour les yeux et les oreilles. Une très belle rencontre musicale dont Mozart sort bienheureux et le public conquis par des artistes si engagés. En bis David Fray offre deux Kinderszenen de Schumann (les deux dernières). Tempo, nuances, toucher sont si personnels que lors des premières mesures on ne sait qui a composé cela… Son Schumann est profondément habité avec une liquidité de sonorité, un legato inouï et des nuances fulgurantes. La poésie habite ce jeune pianiste tout à fait unique au point de faire craindre qu’il ne se consume trop vite.

Tugan Sokhiev : mahlérien incontournable

Une Quatrième de Mahler historique. Le public attendait cette si belle symphonie depuis un an. Alors que la Première Symphonie de Mahler donnée l’an dernier manquait d’esprit viennois que de changements ! Tugan Sokhiev a probablement rencontré Mahler lui-même. En tout cas il semble en avoir percé tous les secrets et a scruté la partition au point d’en offrir une lecture d’une précision remarquable. Mais si à la manière d’un Boulez la direction si précise du chef permet de détailler contre-chants, détails d’orchestration et structure entière à la perfection il propose aussi une véritable interprétation historique. En effet tout ce qui fait la spécificité de la poésie de Mahler l’écorché vif, capable de la plus grande tendresse comme de l’ironie la plus cruelle et d’un humour très sombre est présent. Plus d’une fois un irrésistible rubato nous entraîne au bord d’un vertige sensuel, un contre-chant devient prépondérant sur quelques mesures, des sons agressifs réveillent et un ton légèrement moqueur séduit sans jamais irriter. Très peu de chefs osent et ont osé aller si loin dans la compréhension des ambivalences de cette partition. Ceux qui croient en un paradis enfantin radieux n’auront pas aimé cette interprétation ouverte sur la cruauté inhérente à la petite enfance mais sans méchanceté aucune. Comment les flûtes peuvent à la fois êtres si distinguées ou si canailles ? Les clarinettes si sensuelles ou si goguenardes ? Tous les instrumentistes suivent les audaces demandées par Tugan Sokhiev par une direction superbement dansée avec tout son corps. L’orchestre du Capitole semble évoluer à chaque concert. Perfection instrumentale et engagement expressif atteignent ce soir un accord rare. Une mention toute particulière pour Geneviève Laurenceau qui se joue de la scordatura imposée par Mahler. Violon du diable et du bon dieu, elle est une soliste admirable de précision et d’intelligence musicale sur les deux instruments.
Le mouvement lent, Ruhevoll est d’une extraordinaire profondeur, chaque instrumentiste semble jouer comme si c’était la dernière fois. L’émotion est palpable autant sur scène que dans la salle avec un début angélique. Cordes, hautbois, cor anglais, harpe et cors rivalisent de poésie et de délicatesse. Les violons atteignent au sublime dans des suraigus immatériels et les cordes graves font des pizzicati bouleversants de tendresse et des contre-chants sensuels. Ce long mouvement chemine ainsi tranquillement puis dangereusement évolue vers plus de mystère sombre avant d’exploser dans un fortissimo savamment maîtrisé sauf peut être pour les percussions… La splendeur de la pâte sonore décoiffe véritablement comme un vent marin puissant. La direction de Tugan Sokhiev est d’une souplesse incroyable car alliée à la plus grande des précisions.
C’est avec le dernier mouvement que l’âme de Mahler semble avoir été exaucée. Lui qui a consacré ces dernières forces à retravailler cette symphonie alors qu’il n’avait pas terminé la dixième devait certainement se reconnaître dans cette œuvre si pleine de contradictions. Le thème du paradis vu par un enfant est tiré des Knaben Wuderhorn. Il est d’une ambivalence extrême. Les images sont à la limite de la cruauté, l’orchestration ose des effets grotesques, mais le sublime est aussi convoqué. La soprano a une responsabilité très grande et Miah Persson ose elle aussi ce que peu de ces consoeurs oseraient. Voix ronde et fraîche elle se permet des sons audacieux et très timbrés tout en gardant un caractère enfantin. Le charme de son interprétation demeure mais avec des moments vaguement inquiétants, comme pour rire de la peur. Un art de l’interprétation à l’unisson de ce que Tugan Sokhiev et l’orchestre proposent. Un paradis factice mais auquel on voudrait croire à tout prix. On restera longtemps sous le charme de l’évocation de cette musique céleste qui conclue la symphonie et que rien n’égale en beauté. Elle est venue ce soir « en chair et en os » à la Halle aux Grains. Merci à ces talentueux artistes.

Toulouse. Halle aux Grains. 4 mars 2010. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Concerto pour piano n°25 en do majeur, K.503 ; Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n°4 en sol majeur. David Fray, piano ; Miah Persson, soprano ; Orchestre National du Capitole de Toulouse ; Direction : Tugan Sokhiev.

Illustration: Tugan Sokhiev © M.Hennek

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