samedi 20 avril 2024

Massy. Opéra, le 7 mars 2010. Jacques Offenbach : Barbe-Bleue. Christophe Crapez, Eva Fiechter… Benjamin Levy, direction. Jean Bellorini et Marie Ballet, mise en scène

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Composé en 1866, après La Belle Hélène et avant La Vie Parisienne et La Grande-Duchesse de Gérolstein, Barbe-Bleue est également le fruit de la collaboration de Jacques Offenbach avec Meilhac et Halévy, ses librettistes fétiches. Comme toujours avec ces trois larrons, dont l’humour n’a d’égal que leur finesse et l’élégance de leur écriture, le résultat est un opéra-bouffe pétillant, emportant tout sur son passage. D’une ironie toute en filigrane, l’œuvre rit sous cape et se moque du gargantuesque appétit amoureux de l’empereur Napoléon III. Librement inspiré du conte de Perrault, l’action se déroule dans un Moyen-Âge de fantaisie, où le sire Barbe-Bleue, simple comte, se révèle plus puissant que le roi lui-même. Son insatiable besoin de changement dans sa vie sentimentale lui fait couronner une rosière, honneur qui échoit par le plus grand des hasards à la fruste et gourmande Boulotte, au caractère bien trempé, croquant la vie comme elle croque les hommes. Présentant sa nouvelle épouse à la cour du Roi, le comte s’entiche de la jeune princesse Hermia, anciennement bergère – car abandonnée à sa naissance par ses royaux parents –, et s’empresse de faire disparaître sa gênante femme, afin de pouvoir s’unir au nouvel objet de sa folle passion. Peu enclin à se salir les mains, il laisse à son alchimiste Popolani le soin de faire passer la jeune paysanne de vie à trépas, comme il l’a déjà fait pour ces cinq épouses précédentes. Mais Popolani, au cœur trop bien accroché, ne peut se résoudre à pareil acte – comme il n’a pas davantage pu avec les cinq autres – et la fait passer pour morte, avant de la ranimer. Rancunière et bien décidée à se venger, aidée par l’alchimiste, Boulotte incite ses cinq compagnes d’infortune à la rébellion, afin de démasquer leur dangereux veuf de mari.
L’ogresque aristocrate, si terrifiant dans l’histoire originelle, est ici peint par le livret et la musique comme un séducteur de pacotille, un Don Juan d’opérette, en somme, un méchant que l’on adore détester, auquel on s’attache bien vite.

Venue de l’Opéra de Fribourg, la production sait faire de nécessité, vertu. Le plateau, hormis une toile peinte au premier acte, se révèle dépouillé, uniquement égayé par quelques accessoires, et la présence récurrente d’alléchantes barbes à papa – joli clin d’œil au rôle-titre –. Les lumières, belles et inventives, et le talent scénique des interprètes font le reste.
Car la distribution réunie pour l’occasion crève l’écran, avant tout par les performances de comédien de chacun. Non que les voix ne soient pas bonnes, au contraire, toutes sont jolies et chantent agréablement leurs parties. Mais force est de constater que cette œuvre réclame avant tout des acteurs à la présence forte, davantage que des vocalistes virtuoses.

Grand défenseur des rôles de ténors oubliés d’Offenbach – notamment un Docteur Ox anthologique –, Christophe Crapez s’impose par sa silhouette inquiétante et le plaisir évident qu’il prend à se glisser dans la peau de cet époux délicieusement sinistre. La voix est bien émise, les aigus sonnent francs, et si le timbre n’a rien d’exceptionnel, le musicien emporte l’adhésion par son élégance et son raffinement, aussi habile dans le maniement de la canne que de la demi-teinte. A ses côtés, l’envahissante Boulotte en impose par ses manières cavalières et bourrues, incarnée avec bonheur par une jeune mezzo, Eva Fiechter, ne faisant qu’une bouchée de son rôle, apparemment simple, mais en réalité bien peu facile à chanter, car écrit dans une tessiture hybride, à mi-chemin entre le soprano et le mezzo, à l’instar de la Belle Hélène et de la Grande-Duchesse, ces trois personnages ayant été créés par la même interprète, l’inoubliable Hortense Schneider. La figure quelque peu falotte de Fleurette est exprimée avec une grande crédibilité par Inès Schaffer, voix petite, mais parfaitement en situation.

… du sire de Barbe-Bleue

David Ghilardi, grâce à son émission haute et claire et sa voix mixte admirablement maîtrisée, associées à un sens de la diction remarquable, donne toute sa noblesse au prince Saphir, augurant d’un avenir certain dans le répertoire lyrique français. Gageons que son Azor dans le Zémir et Azor de Grétry à l’Opéra-Comique sera de la plus belle eau.

Les deux exécutants – au grand cœur – des basses œuvres, Popolani et le comte Oscar, trouvent en Vincent Deliau et Richard Aeckermann des interprètes de choix, à la voix percutante et à la verve scénique réjouissante.
Saluons bien bas le couple royal, sa Majesté le Roi Bobèche et sa femme, revêche et revancharde, la Reine Clémentine, croqués avec une truculence désopilante par Vincent Vittoz et Jeanne-Marie Lévy, leur écrasante présence scénique le disputant à leur sens délirant du burlesque. C’est d’ailleurs à leur arrivée, au début du second acte, que le tourbillon de la comédie s’anime et prend son envol – pour ne plus s’arrêter –.
Le chœur de l’Opéra de Fribourg se révèle épatant de naturel et doté de belles individualités, notamment ces cinq chanteuses qui incarnent à merveille les cinq femmes – prétendument – défuntes du sire de Barbe-Bleue, dans un magnifique ballet funéraires de tombes translucides.
Associé indéfectiblement aux raretés d’Offenbach et, plus généralement, au genre de l’opéra-bouffe, Benjamin Levy, depuis la création de sa troupe Les Brigands, connaît ce répertoire sur le bout des doigts, et, audiblement, l’aime profondément. L’Orchestre de Chambre Pelléas, né sous son initiative, lui répond avec entrain et finesse. Bien souvent réécrite – faute de moyens et de place – pour un nombre plus restreint de musiciens, la musique sonne ici dans toute la force de son orchestration et de ses harmonies, brillante et jubilatoire, comme elle devrait toujours l’être.
Merci à l’Opéra de Fribourg d’avoir remonté cette œuvre magistrale par trop négligée – et qui mériterait pourtant de figurer aux côtés des œuvres maîtresses du « petit Mozart des Champs-Elysées » – et à l’Opéra de Massy de l’avoir proposée dans ce cadre au public français, un public visiblement conquis.

Massy. Opéra, 7 mars 2010. Jacques Offenbach : Barbe-Bleue. Livret de Henri Meilhac Ludovic Halévy. Avec Barbe-Bleue : Christophe Crapez ; Boulotte : Eva Fiechter ; Fleurette / Hermia : Inès Schaffer ; Le Prince Saphir : David Ghilardi ; Popolani : Vincent Deliau ; Le Comte Oscar : Richard Aeckermann ; Le Roi Bobèche : Vincent Vittoz ; La Reine Clémentine : Jeanne-Marie Lévy ; Un enfant : Jules Rodéric Emery. Chœurs de l’Opéra de Fribourg ; Chef de chœur : Alexandre Emery ; Orchestre de Chambre Pelléas. Benjamin Levy, direction ; Mise en scène : Jean Bellorini et Marie Ballet. Scénographie : Nicolas Diaz ; Costumes : Laurianne Scimemi ; Lumières : Serge Simon ; Chef de chant : Inna Petcheniouk ; Collaboration Artistique : Raymond Duffaut

Illustartion: Jacques Offenbach (DR)

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