Le Trouvère de Verdi avec Anna Netrebko à Vérone sur FRANCE 5

LIEGE. Jérusalem de Giuseppe Verdi FRANCE 5, sam 20 juillet 2019, VERDI : LE TROUVERE, 22h20. Un couple d’amants éprouvés, martyrisés ; un comte (di Luna), jaloux, haineux, sans scrupules… Verdi n’épargne rien ni personne pour que brûle le drame. Le choix du livret Cammarano d’après le roman de Guttiérrez (El Trovador, 1836) s’avère très efficace … au diapason de la musique : prenante, passionnée, où dominent les grands airs solistes et le chœur quasiment permanent. L’opéra est créé à Rome (Teatro Apollo, janvier 1953), puis représenté à Paris (Théâtre Italien, décembre 1854). Dans ce fantastique épique, pas de place pour la langueur car les héros ont à peine le temps d’exprimer leur passion avant de mourir…

Le point culminant de ce lyrique spectaculaire et saisissant étant porté par le personnage de la sorcière, Azucena – rôle inouï pour contralto dramatique (elle annonce Amneris dans Aida) : voix des ténèbres qui fait surgir le grand frisson lugubre de la mort et de la vengeance implacable… sans le savoir ici, les deux rivaux affrontés jusqu’à la mort, sont … deux frères auxquels on a caché leur réelle filiation.

Les Arènes de Vérone sont l’équivalent des Chorégies d’Orange en France : un lieu dévolu au genre lyrique qui couronne les stars lyriques.
Aucun doute que la soprano austro russe Anna Netrebko triomphe encore dans le rôle angélique ardent qu’elle a chanté à Salzbourg, Berlin entre autres. Sa Leonora brûle d’amour, se consume littéralement sur les planches.
A l’affiche de l’édition Vérone 2019, et pour 5 dates, dans la mise en scène de Franco Zeffirelli.
On reste moins convaincu par le Manrico (le Trouvère) du ténor Yusiv Eyvazov au chant beaucoup moins intense et fin de « La Netrebko » (son épouse à la ville).

 

 verone-trovatore-trouvere-netrebko-arte-france-musique-opera-critique-par-classiquenews-diffusion-juillet-2019

 

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PLUS d’infos sur la production véronaise sur le site du Festival d’opéra de Vérone
https://www.arena.it/arena/en/shows/trovatore-2019.html

Distribution
Autres chanteurs : Luca Salsi (Luna), Dolora Zajick (Asucena) … Arena di Verona Orchestra, Chorus, Corps de Ballet and Technical team / Pier Giorgio Morandi, direction. Mise en scène : Franco Zeffirelli.
Durée : circa 2h40 / entracte après les acte I et II


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APPROFONDIR

LIRE aussi nos articles et dossiers ANNA NETREBKO chante Leonora dans Le Trouvère / Il Trovatore de Verdi : http://www.classiquenews.com/tag/leonora/

Paris, Opéra Bastille. Anna Netrebko chante LeonoraARTE. Vendredi 15 août 2014, 20h50. Verdi : Le Trouvère. Anna Netrebko.  Salzbourg, août 2014 : voici assurément l’un des événements lyriques du festival autrichien créé en 1922 par le trio légendaire Strauss / Hoffmannsthal / Reinhardt. C’est qu’aux côtés des Mozart, Beethoven, Strauss, les grands Verdi n’y sont pas si fréquents. Créé à Rome en 1853, d’après El Trovador de Gutiérrez, 1836), Le Trouvère de Verdi saisit par sa fièvre dramatique, une cohérence et une caractérisation musicale indiscutable malgré la complexité  romanesque de l’intrigue. L’action se déroule en Espagne, dans la Saragosse du XVème, où le conte de Luna est éconduit par la dame d’honneur de la princesse de Navarre, Leonora dont il est éperdument amoureux : la jeune femme lui préfère le troubadour Manrico.  Dans le camps gitan, Azucena, la mère de Manrico, est obsédée par l’image de sa mère jetée dans les flammes d’un bûcher, et de son jeune frère, également consommé par le feu. Manrico décide de fuir avec Leonora. Mais il revient défier Luna car sa mère est condamnée à périr sur le bûcher elle aussi.  Emprisonné par Luna avec sa mère, Manrico maudit Leonora qui semble s’être finalement donnée au Conte : elle a feint et s’est versée le poison pour faire libérer son aimé. En vain, Luna comprenant qu’il n’aura jamais celle qu’il aime (à présent morte), ordonne l’exécution par les flammes de Manrico. Au comble de l’horreur, Azucena lui avoue qu’il vient de tuer son propre frère : leur mère avait échanger les enfants sur le bûcher. De sorte que l’opéra s’achève sur la vengeance d’Azucena (elle a enfin vengé la mort de sa mère par Luna) et le sacrifice des deux amants (Leonora et Manrico). La mezzo apparemment démunie a manipulée le baryton jaloux, vengeur… aveuglé par sa haine jalouse pour son cadet qui s’avère être son propre frère… EN LIRE PLUS
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Compte-rendu, opéra. Paris, Opéra Bastille, le 31 janvier 2016. Verdi: Il trovatore. Anna Netrebko, Ludovic Tézier…

netrebko-anna-leonora-verdi-trovatore-review-presentation-dossier-classiquenewsIl est de rares occasions où l’univers lyrique scintille d’émotions… La première de la nouvelle production d’Il Trovatore de Verdi à l’Opéra Bastille est une de ces occasions. Il s’agît d’une coproduction avec l’Opéra National à Amsterdam, dont la mise en scène est signée Alex Ollé, du fameux célèbre collectif catalan La Fura dels Baus. Les véritables pépites d’or résident dans la distribution des chanteurs, avec nulle autre que la soprano Anna Netrebko, Prima Donna Assoluta, avec un Marcelo Alvarez, une Ekaterina Semenchuk et surtout un Ludovic Tézier dans la meilleure de leurs formes ! L’Orchestre maison est dirigé par le chef milanais Daniele Callegari.

Verdi de qualité

Enrico Caruso a dit une fois (selon l’anecdote) que tout ce qu’il fallait pour une performance réussie d’Il Trovatore de Verdi n’était pas moins que les quatre meilleurs chanteurs du monde. Avec l’excellente distribution d’ouverture (sachant qu’il y en une deuxième), la nouvelle administration de la maison parisienne montre sa volonté d’ouverture, de progrès, d’excellence. Si nous ne comprenons toujours pas l’absence (ou presque) de grandes vedettes lyriques lors du dernier mandat, nous nous réjouissons d’être témoins d’une première à l’Opéra Bastille avec un si haut niveau vocal. Il Trovatore de Verdi est au centre de ce qu’on nomme la trilogie de la première maturité de Verdi, avec Rigoletto et La Traviata. De facture musicale peut-être moins moderne que Rigoletto, une Å“uvre moins formelle, Il Trovatore reste depuis sa première, l’un des plus célèbres opéra, joué partout dans le monde, uniquement surpassé par… La Traviata.

L’histoire moyenâgeuse inspirée d’une pièce de théâtre espagnole du XIXe siècle d’Antonio Garcia Gutiérrez, est le prétexte idéal pour le déploiement de la force et l’inventivité mélodique propres à Verdi. Dans l’Espagne du XVe siècle ravagée par des guerres civiles, deux ennemis politiques se battent également pour le cÅ“ur de Leonora, dame de la cour. L’un est un faux trouvère élevé par une gitane, l’autre est un Duc fidèle au Roi d’Espagne. Ils sont frères sans le savoir. On traverse une marée de sentiments et d’émotions musicales, et théâtralement très invraisemblables, avant d’arriver à la conclusion tragique si aimée des romantiques.

trovatore_1La Leonora d’Anna Netrebko étonne dès son premier air « Tacea la notte placida… Di tale amor » pyrotechnique à souhait et fortement ovationné. Depuis ces premiers instants, elle ne fait que couper le souffle de l’auditoire avec l’heureux déploiement de ses talents virtuoses. Non seulement elle réussit à remplir l’immensité de la salle, mais elle le fait avec une facilité vocale confondante, complètement habitée par la force musicale (plus que théâtrale) du personnage. Nous avons droit avec elle à une technique impeccable, un enchaînement de sublimes mélodies, un timbre tout aussi somptueux baignant la salle en permanence… Dans ce sens, elle rayonne autant (et parfois même éclipse ses partenaires) dans les nombreux duos. Si son bien-aimé Manrico est solidement joué par le ténor Marcelo Alvarez, d’une grande humanité, avec une diction claire du texte et du sentiment dans l’interprétation, nous sommes davantage impressionnés par la performance de Ludovic Tézier en Conte di Luna. Son air « Il balen del suo sorriso » au IIe acte, où il exprime son amour passionné pour Leonora est un moment d’une beauté terrible. Le Luna de Tézier brille de prestance, de caractère, de sincérité. Une prise de rôle inoubliable pour le baryton Français. Son duo avec la Netrebko au IVe acte est aussi de grand impact et toujours très fortement ovationné par le public. L’Azucena d’Ekaterina Semenchuk, faisant ses débuts à l’Opéra de Paris, offre une prestation également de qualité, avec un timbre qui correspond au rôle à la fois sombre et délicieux (ma non tanto!), et une présence scénique aussi pertinente.

trovatore3Les choeurs de l’Opéra de Paris dirigés par José Luis Basso est l’autre protagoniste de l’oeuvre. Que ce soit le choeur des nonnes, des militaires ou des gitans, leur dynamisme est spectaculaire et leur impact non-négligeable, notamment lors de l’archicélèbre choeur des gitans au deuxième acte « Vedi ! Le fosche notturne spoglie » ,  bijou d’intelligence musicale, coloris et efficacité, particulièrement remarquable. Ce choeur qui enchaîne sur une chansonnette d’Azucena est aussi une opportunité pour le chef Daniele Callegari de montrer les capacités de la grosse machine qu’est l’Orchestre de l’Opéra. Sous sa direction les moments explosifs le sont tout autant sans devenir bruyants, et les rares moments élégiaques le sont tout autant et sans prétention. Si l’équilibre est parfois délicat, voire compromis, l’ensemble imprègne la salle sans défaut et pour le plus grand bonheur des auditeurs.

L’audience paraît moins réceptive de la proposition scénique d’Alex Ollé, quelque peu huée à la fin de la représentation. L’un des « problèmes » dans certains opéras est toujours le livret, en tout cas pour les metteurs en scène. Dans Il Trovatore, la structure en 4 actes est telle qu’un déroulement formel et logique opère quoi qu’il en soit, mais ce uniquement grâce à la force dramatique inhérente à la plume de Verdi. Le collectif catalan propose une mise en scène mi-abstraite, mi-surréaliste, même dans les décors et costumes, elle est mi-stylisée, mi-historique. Si les impressionnants décors font penser à un labyrinthe anonyme, avec des blocs très utilitaires -parfois murs, parfois tombes, etc.-,  les déplacements de ces blocs demeurent très habiles ; il nous semble qu’au-dessous de tout ceci (et ce n’est pas beaucoup), il y a quelques chanteurs-acteurs de qualité parfois livrés à eux-mêmes. Quelques tableaux se distinguent pourtant, comme l’entrée des gitans au deuxième acte notamment, et la proposition, quoi qu’ajoutant peu à l’œuvre, ne lui enlève rien, et l’on peut dire qu’on est plutôt invité à se concentrer sur la musique. D’autant que musicalement cette production est une éclatante réussite ! A voire encore les 3, 8, 11, 15, 20, 24, 27 et 29 février ainsi que les 3, 6, 10 et 15 mars 2016, avec deux distributions différentes (NDLR : pour y écouter le chant incandescent d’Anna Netrebko, vérifier bien la date choisie encore disponible)

 

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Compte rendu, opéra. Paris. Opéra National de Paris, Opéra Bastille. le 31 janvier 2016. G. Verdi : Il Trovatore. Anna Netrebko, Marcelo Alvarez, Ludovic Tezier… Choeur et Orchestre de l’Opéra National de Paris. José Luis Basso, chef des choeurs. Daniele Callegari, direction musicale. Allex Ollé (La Fura dels Baus), mise en scène. Illustrations : Anna Netrebko, Ludovic Tézier (DR)

 

Compte-rendu critique, opéra. Toulon, le 9 octobre 2015 . Verdi : Il Trovatore. Stefano Vizioli, Giulliano Carella

Giuseppe VerdiL’œuvre. Si personne ne conteste la veine, la verve mélodique sans cesse jaillissante de l’opéra de Verdi, d’une confondante beauté de bout en bout, même dans les chœurs, on croit toujours bon de sourire à l’évocation du livret tiré de la pièce d’Antonio García Gutiérrez, El trovador (1836), d’autant plus facilement critiquée que méconnue en France. Or, c’est loin d’être une mauvaise pièce si l’on veut bien la situer dans l’esthétique romantique du temps, en tous les cas, pas plus invraisemblable qu’Hernani de Victor Hugo où l’on voit Charles Quint rival en amour d’un hors-la-loi, ou Ruy Blas, le valet devenu ministre tout-puissant et amant de la reine d’Espagne… Mais la vraisemblance des situations n’est pas ce qui règle ce théâtre et, encore moins, les opéras de la même époque. Dans ce Trovatore, mal traduit par  « Trouvère » (pendant tardif et en langue d’oïl de nos aristocratiques troubadours en langue d’oc du sud), le problème de compréhension, qui n’existe pas dans l’original, c’est que l’intrigue, le nœud, est exposée en lever de rideau et non dans un récitatif compréhensible comme dans les opéras baroques, mais dans un grand air magnifique, confié à une basse, hérissé de vocalises haletantes qui défient l’écoute du texte si elles convient à en savourer la musique. Pour ajouter au problème, des événements capitaux se passent en coulisses, relatés trop succinctement pour bien suivre l’action.

Dans le contexte des guerres civiles de l’Aragon du XVe siècle se greffe une sombre histoire passée : une Bohémienne (les gitans arrivent dans le nord de l’Espagne à cette époque après avoir traversé séculairement toute l’Europe depuis leur Inde originaire), surprise auprès du berceau du fils du comte de Luna, chef d’une faction, est condamnée au bûcher. Sa fille, Azucena, névrosée par le drame, n’aura de cesse de la venger : enlevant l’autre fils du comte, croyant le jeter dans le feu, elle y jette le sien mais élève le jeune noble rescapé de son crime comme son fils, sous le nom de Manrico, qui ignore le secret de sa naissance. Freud aurait bien analysé ce nœud psychique : une mère rendue folle par le bûcher de la sienne et meurtrière involontaire de son propre fils, obsédée de vindicte, élevant comme sien le fils du comte honni pour en faire l’instrument de sa vengeance ; et ce fils, ennemi politique de son frère sans le savoir, en devient aussi rival, amoureux de la même femme, Leonora, sans doute image de leur mère, absente du drame, en bon œdipe.

Si, psychologiquement, les héros restent immuables d’un bout à l’autre, s’ils ne sont que leur passion, quand celle-ci est traduite par la musique de Verdi, on ne peut qu’être saisi par la profondeur humaine de cette expression de personnages pourtant superficiels : désir, haine, amour charnel, amour maternel et filial, sentiments simples dans une épure essentielle, qui nous atteignent directement dans la sublimation d’une beauté mélodique à couper le souffle, sauf aux chanteurs.

La réalisation. À quelque chose malheur est bon ? Pas de création maison à Toulon cette année comme les magnifiques productions auxquelles nous sommes habitués sous le règne de Claude-Henri Bonnet. Cependant, l’on doit reconnaître  que coproduction du Teatro Giuseppe Verdi de Trieste et de l’Opéra Royal de Wallonie invitée à Toulon est loin d’être un malheur : elle est même fort bonne.

On est d’abord heureux que la mise en scène de Stefano Vizioli, que certains diraient sottement traditionnelle, le soit justement et s’ajuste avec sagesse et culture au sujet, sans le tirer abusivement vers des modernités artificielles qui, à vouloir rapprocher l’œuvre de notre temps, ne font que la rendre, pour le coup, vraiment invraisemblable : même si notre époque a hélas tout vu en matière d’horreur, comment y justifier cette histoire de soi-disant mauvais œil pour lequel une pauvre femme est brûlée comme sorcière, puis sa fille, aussi promise au bûcher, qui aura jeté par erreur son propre fils au feu pour la venger ? À trop tirer vers nous, on tire par les cheveux de l’invraisemblance, que nous sommes prêts à accepter par convention dans des époques lointaines et obscures mais pas dans la nôtre, ou trop proche.

Donc, le drame est bien situé dans son contexte historique de l’Espagne, de l’Aragon du XVe siècle par des costumes beaux et intelligents d’Alessandro Ciammarughi qui ne s’est pas contenté d’habiller les personnages dans des atours et armures d’un vague Moyen-Âge, mais qui, à l’évidence, a pris la peine d’en étudier historiquement la mode. Ainsi, l’on apprécie, dans le camp des rebelles, des bohémiens, un mélange de vraisemblables costumes de bohémiens vaguement indiens par les étoffes et l’allure, soieries, rayures, châles, mais, juste historiquement, des habits et turbans mauresques puisque, si à cette époque, il ne reste dans la Péninsule ibérique que le petit royaume de Grenade comme enclave musulmane, les arabes des territoires reconquis n’en avaient pas été pour autant chassés et coexistaient pacifiquement, avec leurs coutumes et costumes, avec les chrétiens vainqueurs, ainsi que les Juifs, dont, certains bonnets, ici, rappellent sans doute la présence dans un reste encore harmonieux de cette Espagne médiévale des trois religions qui en fit la grandeur et aurait pu être un modèle d’avenir, plus tard mis à mal par l’Inquisition et les expulsions successives des Juifs juste après la prise de Grenade et, pratiquement, celle des musulmans et de leurs descendants, les Morisques, presque un siècle plus tard. Pour l’heure, sur cette scène, ce sont bien des costumes mudéjares (l’habit de Ruiz en est un magnifique exemple), ces musulmans vivant en territoire chrétien, avec, fondus dans les efficaces lumières ombreuses de Franco Marri, leurs brocards somptueux, leurs couleurs sourdes, rouille, vert sombre, bleu foncé, avec des touches dorées et pourpres. Il est dramatiquement pertinent, porteur de sens, que tous ces futurs persécutés, Bohémiens, Juifs et Mudéjares, soient du camp des rebelles au pouvoir unificateur et oppresseur du clan des Luna.

Un clan d’acier bien exprimé par le décor, l’habile scénographie, également signée d’Alessandro Ciammarughi, ces deux angles affrontés à cour et à jardin de froide forteresse qu’on dirait de fer avec ses gros boulons, ses escaliers dont les marches semblent des dents de sombre machine à broyer. Modulables, ils figurent d’abord la rude et raide forteresse de la tour du château de l’Aljafería, puis, désossés ou désarmés de leurs blindages métalliques, ils deviendront, poutrelles apparentes, le camp plus léger, à claire-voie,  des gitans et, à la fin, mais avec une bien inutile et ultime transformation trop longue à mettre en place, la prison finale. Des panneaux, ou immenses rideaux qu’on diraient moirés, délimitent, à l’avant-scène, tout aussi intelligemment, des espaces pour duo ou solo des chanteurs tandis que, derrière, on restructure les éléments mobiles du décor.

Dans ces divers lieux, nocturne jardin des sérénades du troubadour et des quiproquos d’une obscurité qui n’existe plus à notre époque, les acteurs du drame se meuvent avec aisance, fluidité des dames en robe aussi aériennes que leurs vocalises, agitation joyeuse des gitans avec leurs danses, leurs acrobaties, mais exhibant aussi des prisonniers, mimant des exécutions trop connues de nos jours, duels bien réglés, lame courbe sarrasine contre droite épée chrétienne,  qui ajoutent à l’action palpitante sans les simulacres parfois ridicules. Autre belle et cruelles trouvailles : Azucena, en attente de son supplice et de celui de son fils, toujours hallucinée par le passé, fait de sa couverture un enfant qu’elle berce tendrement ; comme celui que, dans son égarement, elle jeta au feu…

Il y a un rythme très prenant dans la mise en scène, sans temps morts.

Interprétation. D’autant que Giuliano Carella, qui dirige l’Orchestre et le chœur de l’Opéra de Toulon, à leur mieux, dès le roulement de tambour et le fracas des cuivres initiaux, insuffle à l’œuvre une respiration, une pulsation puissante, vive, rageuse, qui fait vivre cette musique avec une vérité dramatique rarement entendue. Sous sa baguette, les chœurs se plient au souffle confidentiel, au murmure parfois : frisson, effroi,  dans leurs ombreux apartés, éclats lumineux dans la célébration gitane de l’air libre. C’est tenu implacablement du début à la fin, sans rien nuire aux larges expansions aériennes des parenthèses lyriques ; notamment le second air de Leonora.

Les chanteurs, galvanisés sans doute par la précision de la mise en scène et par cette direction minutieuse mais attentive à leur chant, grands acteurs également, semblent donner le meilleur d’eux-mêmes. Les apparitions du messager (Didier Siccardi), du vieux gitan (Antoine Abello), sont justes ; Jérémy Duffau (Ruiz) porte le costume mudéjare avec une vraie élégance et noblesse gitane, et une claire franchise de voix. Annoncée victime d’un refroidissement, Marie Karall incarne cependant une Inés à la voix généreuse et chaude de mezzo, amicalement tendre.

Mais d’entrée, dans le redoutable récit essentiel de Ferrando, hérissé d’appogiatures et de brefs soupirs de tous les dangers, la basse Polonaise Adam Palka, déploie un large timbre âpre de soldat et, soumis au rythme sans répit de Carella, en donne une interprétation fiévreuse, haletante, hachée d’angoisse, d’une grande vérité dramatique. Pivot du drame, affrontée puis confrontée à ce témoin et gardien de la mémoire, Azucena, fille et mère, c’est l’Albanaise Enkelejda Shkosa : voix sombre et ample de mezzo avec des graves puissants de contralto, elle déroule les méandres de la lente séguedille hallucinée de « Stride la vampa… » avec une sobriété intérieure qui s’exalte dans le long trille frissonnant de la phrase finale, à faire trembler d’effroi, tendre et fragile dans le duo final avec le fils en prison, qui évoque celui de la proche Violetta mourante et d’Alfredo de la même année, et anticipe les adieux à la vie d’Aïda et Radamès dans leur tombeau.

Au Comte de Luna, le baryton Giovanni Meoni prête sa prestance, son allure, son élégance physique et vocale : son grand air d’amour à Leonora, si déclamatoire et rhétorique, sans grande surprise, devient réellement un aveu intime à lui même, une sorte de berceuse douce, dont même les aigus, insensibles d’aisance, ont une noblesse qui ne rend, par contraste, que plus terribles ses fureurs passionnelles et meurtrières.

Il est vrai que la Leonora de la soprano espagnole de Yolanda Auyanet est un objet hautement digne de ses amours autant que de celles de Manrico, d’autant qu’ils sont frères sans le savoir. La voix est d’un tissu soyeux, égale sur toute la tessiture, sans lourdeur, d’une grande musicalité, d’une douceur pleine de grâce. Elle s’envole vers les aigus exaltés de passion avec une rêverie captivante dans son premier air, « Tacea la notte placida… », récit suivi d’une cascadante cabalette aux notes jubilatoire impeccablement piquées d’admiration pur son chevalier inconnu du tournoi. Son second grand air, « D’amor su l’alle rose… », une stase qui arrête l’action, est un moment d’extase, de grâce, de poésie, grands arcs encore belliniens, enrubannés de trilles comme des battements d’ailes. Son grave est solide, jamais appuyé et se coule admirablement dans le « miserere » suivant. A ses côtés, le ténor argentin Marcelo Puente campe un Manrico de belle allure. D’un timbre très vibré il fait le vibrant organe d’un engagement passionnel très convainquant, donnant au héros une grande vérité humaine et lyrique sans faille qui emporte la salle par sa force et aurait sans doute séduit Verdi qui préférait toujours l’expressivité de ses interprètes à la beauté formelle de leur voix.

En somme, une production remarquable dont la fidélité historique à l’œuvre redonne à ce drame vu, revu, trop vu, au point qu’on ne peut plus le voir parfois, une vérité paradoxale de réalisme, si l’on peut dire, romantique. Qui nous empoigne.

Finalement, signe des temps de pénurie, si ce Trovatore, importé d’ailleurs par économie n’est pas une création locale comme celles, superbes, dont nous a gratifiés jusqu’ici Claude-Henri Bonnet, la beauté des voix de cette nouvelle distribution et, surtout la direction enflammée et dramatique de bout en bout de Carella, en font, on peut le dire, sinon une vraie création, une convaincante et mémorable recréation.

Il Trovatore à l’Opéra de Toulon
Musique de Verdi, livret de Salvatore Cammarano
D’après le drame espagnol d’Antonio García Gutiérrez
Coproduction du Teatro Giuseppe Verdi de Trieste et de l’Opéra Royal de Wallonie
Les 11, 9 et 13 octobre 2015

Orchestre et chœur de l’Opéra de Toulon.
Direction musicale : Giuliano Carella
Mise en scène : Stefano Vizioli.
Décors et costumes : Alessandro Ciammarughi.
Lumières : Franco Marri.

Distribution : Leonora : Yolanda Auyanet ;  Azucena :  Enkelejda Shkosa ;  Inés : Marie Karall ; Manrico : Marcelo Puente ; Comte de Luna : Giovanni Meoni ; Ferrando : Adam Palka ; Ruiz Jérémy Duffau ; Vieux gitan : Antoine Abello ; Messager : Didier Siccardi.

Illustrations : © Frédéric Stéphan

Nouveau Trouvère à Lille

giuseppe-verdi_jpg_240x240_crop_upscale_q95Lille, Opéra. Verdi : Le Trouvère. Du 14 janvier au 6 février 2016. Nouvelle production du Trouvère / Trovatore à l’Opéra de Lille, dans la mise ne scène de Richard Brunel. Compliqué l’histoire du Trouvère ? Rien de tel. Et même le succès inouï de la partition dès sa création et aujourd’hui encore, démontre les milles séductions d’un ouvrage hors normes. L’action plonge dans un creuset passionnel et fantastique où le feu, force purificatrice et hallucinante aussi opère embrasement et révélation. Deux frères ennemis qui ignorent leur lien de sang s’affrontent jusqu’à la mort ; une soprano éperdue, ivre, d’une rare intensité sensible (Leonora) s’abandonne elle aussi jusqu’à mourir, et c’est essentiellement la Gitane que l’on croyait folle ou trop maternelle, qui se venge dans un dernier tableau des plus terrifiants et précisément glaçants… Rien de mieux pour conclure une Å“uvre que l’effroi et le surnaturel.

verdi trouvere lille opera richard brunel presentation review compte rendu critique classiquenewsInspiré par le texte de Salvatore Cammarano, lui-même adaptant le roman espagnol de Antonio Garcia Gutiérrez-, Verdi signe alors à Rome en janvier 1853, l’un de ses opéras les plus noirs et les plus dramatiques qui fixe aussi le trio vocal désormais classique du romantisme musical : le ténor (Manrico) et la soprano (Leonora) s’aiment d’un amour impossible qu’éprouve et finalement détruit le baryton jaloux (Luna). Musicalement, Verdi, à peine sorti de la composition de son excellent Rigoletto (d’après Hugo), écrit un cycle de mélodies irrésistibles, caractérisant chacune des situations extrêmes et radicales (extase échevelée de l’amoureuse Leonora ; ballade hallucinée nocturne du Comte di Luna ; airs embrasés du Trouvère depuis la coulisse, et surtout, visions horrifiques de la Gitane Azucena dont l’air du II, puis le Miserere plongent de fait dans les profondeurs d’une vision traumatique centrale (IV)… Conçu entre Rigoletto et La Traviata, au début des années 1850, Le Trouvère / Il Trovatore revisite l’idée même du grand opéra français historique avec chÅ“urs et grands airs et duos de solistes. Verdi y approfondit ce mélange des genres et ce nouveau réalisme dramatique, abordé et réussi dans Rigoletto, au souffle hugolien, mais adapté à l’épopée sentimentale espagnole, trouve ici une puissance expressive aux contrastes éblouissants. La succession des tableaux, très finement caractérisés (et précisément intitulés par le compositeur : le duel, la gitane, le fils de la bohémienne, enfin le supplice) saisit le spectateur du début à la fin, sans jamais le lâcher.

Le metteur en scène Richard Brunel aborde a contrario de la tradition le mythe du Trouvère… “Plus qu’une lutte entre deux hommes pour la même femme, Le Trouvère est une lutte de deux femmes pour le même hommeâ€, précise-t-il. Le scénographe met en lumière ses forces psychiques souterraines qui agissent sur la scène lyriques : “l’opéra met à jour la machine infernale qui transforme les vies en destin.â€

 

 

 

Le Trouvère (Il Trovatore) à l’Opéra de Lille
Drame en 4 actes de Giuseppe Verdi (1813-1901),
livret de Salvatore Cammarano.
Créé au Teatro Apollo, Rome, le 19 janvier 1853

 

 

9 représentationsboutonreservation
Jeu 14, mer 20, mar 26, ven 29 janvier 2016, lun 1er et jeu 4* fév 2016 à 20h
dim 17 janvier* à 16h, sa 23 janvier**, sa 6 fév** à 18h

Durée : 2h40 avec entracte
Nouvelle production

Direction musicale : Roberto Rizzi Brignoli
Mise en scène : Richard Brunel

Le Comte de Luna : Igor Golovatenko
Leonora : Jennifer Rowley
Manrico : Sung Kyu Park * (distribution modifiée en juillet 2015)
Ferrando : Ryan Speedo Green
Inès : Evgeniya Sotnikova
Azucena : Mairam Sokolova
Ruiz : Pascal Marin

Orchestre national de Lille
Chœur de l’Opéra de Lille

Production reprise au Théâtre de Caen les 19,22 et 25 juin 2016

Compte rendu, opéra. Chorégies d’Orange. Giuseppe Verdi , Il Trovatore. Samedi 1er août 2015. ONF, chœurs et solistes, direction B. de Billy ; mise en scène, Ch.Roubaud

VERDI_402_Giuseppe-Verdi-9517249-1-402Verdi est sans doute le compositeur dominant (en nombre d’ouvrages représentés) l’histoire des Chorégies, et 2015 offre sous le Mur Romain une reprise du Trovatore, cet opéra dont le récit dramaturgique rend perplexe si la musique emporte d’enthousiasme. C’est justement la direction très subtile  de Bertrand de Billy qui mène le jeu, au-delà d’une mise en scène inventive-mais-sans-trop de Charles Roubaud, et permet à  Hui He, Roberto Alagna et Marie-Nicole Lemieux  d’exalter leur chant verdien.

 Mur et Limes d’hier et aujourd’hui

Ah le Mur d’Orange ! (Et celui-là ne « repousse » pas, suivez mon regard vers les antiques « limes » type Hadrien ou Muraille de Chine , sans oublier les modernes suréquipés-flingueurs, style Berlin-89, filtre-hispanique d’Etats Unis, et collier de perles-israéliennes  en terre de Palestine)… Ah les fins d’après-midi incertains, où malgré la météo locale si sophistiquée on craint jusqu’au dernier moment quelque orage  qui n’ait un remords, à moins que ce fou de mistral ne se lève car longtemps il n’a de (bonne) heure pour s’aller coucher… !  En cette soirée du 1er d’août, la canicule ayant fait courte relâche, c’était  idéal : pas de nuit torride, plus de peur d’averse attardée, juste un soupçon de brise fraîche (et en observant bien les bases du podium, on y pouvait  saluer  le courage des deux  jeunes femmes en situation de suppliantes antiques qui, du bras droit ou gauche douloureusement  tendu, tenaient chaque page tournée par le dieu-chef), en somme le meilleur  d’une soirée Chorégies.

Anthropologie du spectacle d’opéra 

Il est vrai aussi  que dans la conque des gradins adossée à la colline on se sent aggloméré d’esprit sinon de corps à un public de huit mille âmes (comme on dit), et donc parfois un peu emprisonné par la spontanéité souvent intempestive de certains  spectateurs d’opéra qui, parmi la nébuleuse Mélomane, mériteraient  une étude anthropologique très particulière. Je me souviens qu’à l’orée des années 70, quand à Lyon Louis Erlo voulait imposer (tenace,  il y arriva) son éthique d’Opéra Nouveau (donc le XXe mais aussi le Baroque dans tous leurs états), ce moderniste architecte de(s)Lumières raillait le lobby d’une « Clientèle du souvenir » qui lui menait la vie dure  en Triple Alliance avec les Fan-clubs wagnériens  et  les Addictés du contre-ut. Et des T.(roubles) O.(bsessionnels) C.(ompulsifs), dieux savent que cela  subsiste dans les Maisons d’Opéra fermées ou à ciel ouvert. Une part du public –d’ailleurs peu intéressée par tout autre art que « lyrique »,  sacrifie…parfois  la continuité d’une pensée musicienne  au déversoir de l’enthousiasme (ou son contraire), air par air, performance vocale par exploit calibré, comparaison mécaniste par échelle routinière des valeurs… Telle vocalise imparfaite ou simplement laborieuse peut y entrainer  protestation borderline grossière, telle interprétation techniquement adéquate mais sans rayonnement scénique susciter la tempête des bravos, ainsi qu’on le vécut ici à propos de Roberto Alagna et de George Petean.

Présence d’un démiurge musicien                      .

Alagna Roberto-Alagna-350Mais revenons aux faits, justement d’après une conception  dramaturgique plus complexe, telle que  celle dont nous avions indiqué la lecture  dans l’article d’Alberto Savinio. Il est exact et déterminant que la trame du récit-livret, fort bourrée d’invraisemblances et tarabiscotée,  tient comme support d’un parcours où le mélodrame se nourrit d’une  rhétorique exaltée des passions amoureuses, « patriotiques »,guerrières, familiales. Et peut tout emporter dans son torrent, pourvu qu’une paradoxale unité y impose sa loi du visible et de l’audible. On songe donc d’abord à celle-là pour juger de la beauté d’ensemble. Ici pourtant, c’est celle-ci  qui prime, enveloppe et ne quitte plus. Grâces en soient rendues à celui qui se fait démiurge sans tonitruer ou gesticuler, émeut sans larmoyer. Bertrand de Billy a un sens magnifique des volumes sonores, des grandes lignes qui armaturent un discours tantôt héroïque,  tantôt attendri  jusqu’au plus profond, voire inattendu, de l’intime. Il rejoint ainsi – mais a-t-il lu ces textes du grand  Savinio ?- les intentions prêtées à Verdi devant le livret réellement lyrique de Cammarano, adaptateur de l’Espagnol  Guttierez : « moins livret d’opéra que texte d’oratorio, ce qui a permis au compositeur de créer une libre succession de tableaux sonores… Verdi, toujours avare de polyphonie, est particulièrement économe de notes, il faut le traiter avec la même délicatesse, la même prudence qu’une statue exhumée dans des fouilles. »

Mélodies de timbres

En effet,  Bertrand de Billy conduit le bel et  délicat Orchestre National de France selon la maxime novalisienne, « le chemin mystérieux mène à l’intérieur » : non qu’il néglige les « scènes musicales d’action », voire de tumulte   constituant la part qui dans cet opéra de mouvement demeure « premier »(et plus évident) « moteur ». Mais on sent que l’attirent encore davantage ces moments précieux (acte I, sc.2, 3 ; acte II, instants de la 4 ; acte III, moments de la sc.4 ; acte IV, sc.1), où une esthétique de l’attente, de la suspension du temps (les choeurs de religieuses et de moines) puis  de la menace dévoilent  une poésie (du) nocturne. Et où on croit entendre surgir le pré-écho d’une « mélodie de timbres » (ah les magnifiques sonorités des bois, les murmures des cordes !) qui eussent pu faire dire à Schoenberg : Verdi  le progressiste ! Il en va de même dans ce qui est bien mieux qu’un accompagnement instrumental des airs et des ensembles, une manière pour les solistes vocaux d’approfondir leur rôle, et d’en ourler l’ombre projetée par la lumière et la violence mêmes.

Naturalisme, poésie et rantanplan

On ne voit  pas de contradiction trop  fondamentale entre cette vision où le mystère ne s’absente pas et ce qui est donné à voir par la mise en scène de Charles Roubaud,  assez  efficacement partagée entre l’évocation d’hier et les ouvertures sur un proche d’aujourd’hui, l’action collective et le repliement plus économe sur duos, trios et quatuors où rayonnent  d’abord les vocalités affrontées. Ainsi lui sait-on gré de « concentrer » le 4e  Acte dans un quasi-huis clos de prison, sans les débordements de châtiments et punitions  qui sont seulement suggérés « derrière les portes », et en se servant d’une façon plus générale de « la matière noire » en fond de scène, à l‘aide minimaliste du plan diagonal très ombreux, quitte à « autoriser » en contrepoint fugitif de la musique  une frémissante vidéo d’arbres dans le vent (Camille Lebourges). Côté naturaliste, on pouvait d’emblée tout craindre, avec l’installation préparatoire d’une chambrée où les gardes du palais d’Alifiera  font bataille de polochons  et déambulent en « marcel » (« sous » le mystérieux roulement de timbales de l’ouverture !). D’ autres scènes plus proprement rantanplan  qui suivront (avec, dit Savinio, « certains roulements inutiles de timbales, certaines harmonies misérables, certains unissons de fer blanc ») appellent l’irrésistible formule de Clémenceau : « la musique  militaire est à la musique ce que la justice militaire est à la justice »…

Les guerres civiles

Jusque dans l’habillement, on croit comprendre  que C.Roubaud a voulu chercher des « correspondances » d’Histoire entre XVe et XXe, via l’évocation probable du temps de la Guerre Civile : mais outre que les casquettes plates et les calots ont été employés – si on regarde les photographies d’époque -  aussi bien chez les républicains que dans le camp franquiste, il faudrait que cela repose sur une interprétation moins improbable  du « conflit de succession à la couronne d’Aragon » : des « pré-fascistes » figurés par les troupes de la famille de Luna et des « plus sympathiques », soutiens du « Comte d’Urgel », intégrant des partisans bohémiens (alias tziganes), faction de  « rebelles » à la tête de laquelle  Manrico semble avoir été (ou s’être) placé. Comprenne qui  pourra s’y retrouver en cette (fausse ?) bonne idée de modernisation, que d’ailleurs je force peut-être sans autorisation, faute d’explication sur  les intentions portées par le livre-programme ! En tout cas, le meilleur d’une mise en scène réaliste et bien vivante se donne à voir dans les montagnes de Biscaye, grâce à un cortège bohémien haut en couleurs et fort bien joué-chanté-dansé (l’enfant au premier plan) par les trois Chœurs d’Avignon, Nice et Toulon.

Un Bohème romantique et son rival de caserne

Tiens, le seul interprète qui échappe à cette remise en costumes « historique» décalée, c’est le Trouvère, qui avec sa chemise ouverte paraît plutôt sorti d’une Bohème… romantique. Roberto Alagna a gardé sa triomphante jeunesse, vaillante dans les décisions et les réalisations du combat individuel ou collectif,  «préparé » subtilement de l’espace extérieur,  mais si ardent  avec  la belle Leonora,  et d’une tendresse bouleversante avec sa  « mère » Azucena. L’engagement scénique et vocal est superbe, on y  prend des risques (dont parfois un éclat virtuose- dont Verdi aurait dû se dispenser !- fait…heureusement les frais ) pour imposer la noble image d’un chanteur-et-acteur jamais lassé ou guidé par la routine, en somme un Gérard Philipe du lyrique. Et le contraste est ravageur avec le rival Luna (George Petean), dont certes on ne  contestera pas  la compétence musicale (nous ne disons pas forcément: musicienne), mais qui au début ressemble à un scrogneugneu de ligne Maginot pour se mettre ensuite à évoquer tout bonnement celui que le surréaliste G.Limbour nommait  « le cruel satrape fessu », alias Francisco Franco. Histoire de se faire mieux détester ? Et dire que la bio nous évoque sans rire les débuts de cet artiste roumain en …Don Giovanni, mille e tre volte impossibile identificazione (à moins qu’il n’ait muté depuis vingt ans !)…

L’irrémédiablement seul des héros verdiens

Une telle erreur de casting (puis de travail sur le terrain) a évidemment le « mérite » de faire rejaillir les protagonistes de la tragédie, non seulement donc Manrico mais avant tout l’obscur et frénétique objet du désir « lunesque », une Leonora, figure de la pureté aimante jusqu’au sacrifice  au début masqué en  trahison. Hui He, peut-être initialement  un peu réservée – mais qui n’aurait crainte et tremblement  à ses débuts devant le Mur ? -, épanouit ensuite une grande vision du rôle, elle vraiment musicienne, et entrant sans vanité virtuose – au contraire, une humilité supérieure -  dans ce que l’excellent « prière d’insérer » du programme confié à Roselyne Bachelot nomme « l’irrémédiablement seul »  des héros verdiens, leur confrontation  aussi  avec  « l’atmosphère nocturne et maléfique, où tourments et passions résonnent en nous avec  une force étrange ». La part d’ombre, elle, affleure et en quelque sorte  s’épanouit dans le tragique – voix grave, éclats de fureur, sentiment rendu lisible du destin – dont  Marie-Nicole Lemieux conduit avec  admirable rigueur mais abandon à cette injustice qu’écrivent les « méchants » sous la dictée de Là-Haut.

On y ajoute les interventions fort justes  des interprètes « adjoints » au récit (Ludivine Gombert, Nicolas Testé, Julien Dran, Bernard Imbert), et on amasse la mémoire d’une soirée  certes sans « révolution » scénique, mais dont le « chant général » invite à l’approfondissement  pour mieux rejaillir, comme écrit Savinio, « en affectueuse apothéose, vers la poésie extraordinaire d’un tel opéra ».

Chorégies  d’Orange. Giuseppe Verdi (1831-1901), Il Trovatore. Samedi  1er août  2011. Orchestre National  de France, Chœurs, solistes sous la direction de Bertrand de Billy. Mise en scène de Charles Roubaud.

Roberto Alagna chante Le Trouvère de Verdi

Passion Verdi sur ArteFrance 2. Verdi : Le Trouvère, en direct d’Orange, le 4 août 2015, 22h. Jean-François Zygel présente l’événement lyrique des Chorégies d’Orange 2015, il en explique les enjeux, en direct, depuis le Théâtre Antique. Sous la direction musicale du chef français Bertrand de Billy, avec le ténor Roberto Alagna associé aux cantatrices Marie-Nicole Lemieux et Hui He dans les rôles de Azucena et de Leonora, respectivement la mère et la fiancée du Trouvère.

france2-logoCréé en 1853 au Teatro Apollo de Rome, Il Trovatore n’est en rien cette partition compliquée voire confuse que certains aiment à regretter. Verdi fin connaisseur des poètes, soucieux du drame autant que de l’enchaînement des tableaux avait suffisamment de discernement et d’autorité pour imposer ses vues et donc préserver la cohérence et le rythme de son opéra; c’est même dans l’oeuvre verdienne, l’une de ses partitions les plus spectaculaires, régénérant ce style frénétique hérité de Gluck. Les prières de l’angélique et ardente Leonora, l’ivresse extatique de son amant le Trouvère, Manrico et face à eux les noirs et diaboliques Luna comme Azucena, grand rôle de mezzo-alto, la gitane à demi sorcière,vraie manipulatrice au final qui venge le meurtre de son fils et expie les visions incandescentes et de flammes qui dévorent chacune de ses nuits. Verdi renouvelle ici et l’opéra romanesque et le genre fantastique : au final, l’amoureuse se suicide par poison et Luna décapite Manrico avant d’apprendre par Azucena qu’il s’agissait de son frère ! Pour relever les défis d’une histoire aussi sanglante et noire, la musique de Verdi s’enflamme elle même en crépitements et éclairs, ajustant chaque épisode pour mieux faire rugir une action saisissante. Energie, rythme, lyrisme flamboyant : Le Trouvère / Il Trovatore fera vos délices. Remercions France 2 de diffuser ce temps fort lyrique de l’été avec d’autant plus de pertinence que notre ténor national Roberto Alagna s’empare du rôle-titre. L’opéra fait aussi les délices des festivaliers de Salzbourg en août 2015 avec Anna Netrebko autre tempérament de braise, idéal pour enflammer l’ardente amoureuse Leonora.

” LE TROUVÈRE ” de Giuseppe Verdi
en direct sur France 2 et sur France Musique
Opéra en 4 actes de Giuseppe Verdi,
sur un Livret de Salvatore Cammarano
d’après El Trovador d’Antonio Garcia Gutiérrez


Orchestre national de France et Chœurs des Opéras de Région
Direction musicale : Bertrand de Billy
Mise en scène : Charles Roubaud
Scénographie : Dominique Lebourges
Costumes : Katia Duflot
Eclairages : Jacques Rouveyrollis
Vidéos : Camille Lebourges



Avec :
Manrico : Roberto Alagna / Leonora : Hui He / Azucena : Marie-Nicole Lemieux
Inès : Ludivine Gombert / Il Conte de Luna : George Petean / Ferrando : Nicolas Testé
Ruiz : Julien Dran/ Un Vecchio Zingaro : Bernard Imbert / Un Araldo : Yann Toussaint
Durée : 2h 40mn

Le Trouvère en direct sur France Musique

Passion Verdi sur Artelogo_france_musique_DETOUREVerdi : Le Trouvère, en direct d’Orange, les 1er et 4 août 2015. France musique retransmet l’opéra le 1er août à partir de 21h30. Puis sur France 2, le 4 août à 22h, Jean-François Zygel présente l’événement lyrique des Chorégies d’Orange 2015, il en explique les enjeux, en direct, depuis le Théâtre Antique. Sous la direction musicale du chef français Bertrand de Billy, avec le ténor Roberto Alagna associé aux cantatrices Marie-Nicole Lemieux et Hui He dans les rôles de Azucena et de Leonora, respectivement la mère et la fiancée du Trouvère.

france2-logoCréé en 1853 au Teatro Apollo de Rome, Il Trovatore n’est en rien cette partition compliquée voire confuse que certains aiment à regretter. Verdi fin connaisseur des poètes, soucieux du drame autant que de l’enchaînement des tableaux avait suffisamment de discernement et d’autorité pour imposer ses vues et donc préserver la cohérence et le rythme de son opéra; c’est même dans l’oeuvre verdienne, l’une de ses partitions les plus spectaculaires, régénérant ce style frénétique hérité de Gluck. Les prières de l’angélique et ardente Leonora, l’ivresse extatique de son amant le Trouvère, Manrico et face à eux les noirs et diaboliques Luna comme Azucena, grand rôle de mezzo-alto, la gitane à demi sorcière,vraie manipulatrice au final qui venge le meurtre de son fils et expie les visions incandescentes et de flammes qui dévorent chacune de ses nuits. Verdi renouvelle ici et l’opéra romanesque et le genre fantastique : au final, l’amoureuse se suicide par poison et Luna décapite Manrico avant d’apprendre par Azucena qu’il s’agissait de son frère ! Pour relever les défis d’une histoire aussi sanglante et noire, la musique de Verdi s’enflamme elle même en crépitements et éclairs, ajustant chaque épisode pour mieux faire rugir une action saisissante. Energie, rythme, lyrisme flamboyant : Le Trouvère / Il Trovatore fera vos délices. Remercions France 2 de diffuser ce temps fort lyrique de l’été avec d’autant plus de pertinence que notre ténor national Roberto Alagna s’empare du rôle-titre. L’opéra fait aussi les délices des festivaliers de Salzbourg en août 2015 avec Anna Netrebko autre tempérament de braise, idéal pour enflammer l’ardente amoureuse Leonora.

” LE TROUVÈRE ” de Giuseppe Verdi
en direct sur France 2 et sur France Musique
Opéra en 4 actes de Giuseppe Verdi,
sur un Livret de Salvatore Cammarano
d’après El Trovador d’Antonio Garcia Gutiérrez


Orchestre national de France et Chœurs des Opéras de Région
Direction musicale : Bertrand de Billy
Mise en scène : Charles Roubaud
Scénographie : Dominique Lebourges
Costumes : Katia Duflot
Eclairages : Jacques Rouveyrollis
Vidéos : Camille Lebourges



Avec :
Manrico : Roberto Alagna / Leonora : Hui He / Azucena : Marie-Nicole Lemieux
Inès : Ludivine Gombert / Il Conte de Luna : George Petean / Ferrando : Nicolas Testé
Ruiz : Julien Dran/ Un Vecchio Zingaro : Bernard Imbert / Un Araldo : Yann Toussaint
Durée : 2h 40mn

Festival des Chorégies d’Orange (84). Carmen, Il Trovatore, concerts. Du 7 juillet au 4 août 2015

theatreOrange-aOrange.Chorégies. Carmen, Il Trovatore, concerts. Du 7 juillet au 4 août 2015. Un scandale absolu ? Carmen causa-t-elle un scandale analogue à celui de Pelléas (Debussy) puis du Sacre (Stravinsky) et de Déserts (Varèse) ? On aimerait le penser, pour que nous fussions pleinement … scandalisés par la sotte incompréhension des publics, et puisque comme le disait un polémiste du XXe, « la colère des imbéciles remplit le monde ». Tout était réuni en cet opéra-« comique », – et on ne relit pas sans sourire amertumé le sous-titre de « classement » à travers lequel ce chef-d’œuvre de la tragédie lyrique fut en son temps catalogué !- pour susciter le plus violent des refus, à commencer par l’ histoire racontée et son « héroïne »-repoussoir pour une société avide de conventions et de respectabilité.

Musique cochinchinoise
Et certes une partie de la critique se surpassa dans l’invective, comme nous le rappelle le musicologue Hervé Lacombe en citant un article d’Oscar Commettant dans le Siècle du 8 mars 1875 : « Peste soit de ces femelles vomies par l’enfer, et quel singulier opéra-comique que ce dévergondage castillan ! …Délire de tortillements provocateurs, de hurlements amoureux, de dans es de Saint-Guy graveleuses plus encore que voluptueuses… Cette Carmen est littéralement et absolument enragée. Il faudrait pour le bon ordre social la bâillonner et mettre un terme à ses coups de hanche effrénés, en l’enfermant dans une camisole de force après l’avoir rafraîchie d’un pot à eau versé sur sa tête. » Ou d’un magistral jugement esthétique qui mérite que le nom de son auteur, Camille du Locle (co-directeur de l’Opéra Comique), passe à la postérité : « C’est de la musique cochinchinoise, on n’y comprend rien. »

Doublement immigrée
Mais au fait, qui donc là était en cause ? Le musicien capable d’illustrer « le dévergondage castillan, le délire et les hurlements amoureux » de la demoiselle forcenée, l’écrivain qui avait fourni aux librettistes une histoire terrifiante ? On dirait a priori que Prosper Mérimée, le « nouvelliste » demeurait le plus coupable. Pourtant en 1875, il était en quelque sorte « mort en odeur de sainteté », (1870), ayant effacé par ses fonctions officielles (Les Monuments Historiques, ou comme on dirait aujourd’hui, le Patrimoine) au service d’une Monarchie de Juillet et surtout d’un Second Empire qu’il admirait comme remparts contre la Subversion sociale, la scélératesse de sa Carmen (d’ailleurs écrite en 1845). Carmen, cette double immigrée : gitane, donc déjà en situation plus ou moins régulière pour « son pays d’origine », l’Espagne, et devenue pour les Français lecteurs de la nouvelle l’exotique et volcanique rebelle qui mène les hommes à leur perte, choisissant un représentant de l’Ordre (le subalterne Don José) comme instrument du destin pour vivre… sa triade « l’amour-la liberté-la mort ».

Foutriquet le Fusilleur
Cinq ans après la mort de l’auteur, la France profonde, qui choisit quasiment par surprise la République (l’amendement Wallon, voté par une voix de majorité !), est encore sous le coup du séisme idéologique et politique de la Commune, impitoyablement réprimée dans le sang devant l’œil goguenard des Prussiens occupants, liquidée par les troupes de Monsieur Thiers, alias le Fusilleur, alias Foutriquet. Symboliquement considérée comme inspiratrice des pétroleuses( les femmes accusées par la Répression Versaillaise d’avoir mis le feu aux bâtiments en réalité incendiés dans les combats au centre de Paris, pendant « la Semaine Sanglante »), Louise Michel vient d’être déportée en Nouvelle Calédonie, d’où cette féministe et révolutionnaire ne reviendra qu’en 1880…

Le théâtre des entrevues de mariage
bizet georgesEn tout cas, si la Carmen de Mérimée a déjà connu son absolution , et même si « le plus âgé des directeurs de l’Opéra-Comique s’effraie de voir sur sa scène : «  ce milieu de voleurs, de bohémiennes, de cigarières arrivant au théâtre des familles qui organisent là des entrevues de mariage – cinq ou six loges louées pour ces entrevues –, non c’est impossible ! », des concessions sur l’histoire et certains personnages, la bonne réputation des librettistes Meilhac et Halévy emportèrent « le marché » en faveur de ce Georges Bizet dont la lyrique Djamileh avait eu un vif succès. « Prima la musica, e poi le parole », le rassurant adage devait « couvrir par son bruit harmonieux » les messages de la gitane révoltée… « Malheureusement », le génie de Bizet – se servant de l’alternance des parties dialoguées et du socle musical – transcende aussitôt les petits arrangements qu’on pouvait espérer d’un compositeur a priori non « révolutionnaire », en tout cas sans idéologie reconnaissable, et porte à l’incandescence l’histoire et la personne de Carmen, femme libre.
Tout comme Mozart était « fait » pour créer avant tout Don Giovanni, Beethoven Fidelio, Berg Wozzeck, Bizet « reste Carmen », pour une éternité qui lui rend presque aussitôt justice et fera de Carmen l’opéra français le plus joué au monde (selon le livre Guinness des Records). Sa mort cruellement précoce (37 ans !), qui suit de quelques mois la venue au monde du chef d’œuvre, contribue à « sanctuariser » l’opéra dans l’histoire musicale…

Nietzsche désaddicté
Et aussi à en faire un symbole d’ « art français » – clarté-cruauté racinienne du discours, vérité naturaliste et tragique de ce qui est montré – contre « l’autre côté du Rhin », englué dans son brouillard métaphysique… On pense évidemment à Nietzsche « désaddicté » de son Wagner, et allant chercher dans la lumière méditerranéenne des Cimarosa ou Rossini, mais surtout celle de Carmen, une vérité supérieure, « la profondeur du Midi » : « Je viens d’entendre quatre fois Carmen, écrit-il en janvier 1888 à son ami Peter Gast, c’est comme si je m’étais baigné dans un élément plus naturel. »(Et suit la demi-phrase désormais chère à tout écho » vendeur » de comm culturelle : « la vie sans musique n’est qu’une erreur (, une besogne éreintante, un exil) ».

La poésie dans la vie
Mais au XXe, on ira surtout du côté de chez Alberto Savinio – peintre comme son frère Giorgio de Chirico, compositeur, critique et littérateur – des clés pour mieux saisir la grandeur de Bizet : « Le secret de Carmen tient peut-être à ce qu’elle est si proche de nous et en même temps si lointaine, sincère et directe, en même temps si retorse et chargée de fatum (destin). Je ne vois pas d’autre exemple, même chez les Grecs, de ce fatum dans le « trio des cartes ». Avec autant de grâce mélancolique les pleurs de l’air, de la lumière, de la vie qui devra continuer que le thème du 4e acte par lequel Frasquita et Mercédès murmurent leurs funèbres mises en garde…On a tant parlé de la rédemption dans les finales de Dostoievski : et de la rédemption du finale de Carmen, qui a jamais parlé ? » Et de citer les trois « rapprocheurs » qui ont amené au XIXe « la poésie dans la vie : Baudelaire, Manet, Bizet… ».

Sous le Haut Mur
Alors, comment faire passer sous le Haut Mur cette modernité, ce climat d’intuition, cette passion violente, ce mouvement perpétuel d’aventures, et les huis clos tragiques ? C’est Louis Désiré – « costumier et scénographe » – qui a en charge la mise en espace de cette Carmen dont ne peut savoir si elle jouera la rupture avec la tradition, y compris « orangienne » ; ce spécialiste de l’opéra XIXe (Werther de Massenet lui est cher…) a déjà ici fait décors et costumes pour Rigoletto. Le chef finlandais Mikko Franck – évidemment hyper-spécialiste de Sibelius, et aussi de son compatriote Rautavaara – est un habitué de «  sous le mur » – Tosca en 2010, Vaisseau Fantôme en 2013 -, et c’est un mois après son Trouvère orangeais avec le « Philhar » de Radio-France qu’il en prend la succession de Myung-Whun-Chung à la direction musicale…Kate Aldrich arrive ici en Carmen, de même que Kyle Ketelsen en Escamillo, et très spectaculairement Jonas Kaufman incarne Don José, Inva Mula étant la douce Micaela.

Au cœur de la Trilogie
11 ans après Nabucco, 6 après Macbeth, 2 après Rigoletto. Et encore, pour ceux qui aiment le chiffrage dans la vie : 2 ans après la mort de la mère, 15 après celle de Margherita l’épouse, 5 après le début de la vie commune avec la cantatrice Giuseppina Strepponi… Ainsi va Giuseppe Verdi en 1853 (il a 40 ans), au cœur d’une Trilogie qui marque son évolution et l’histoire de l’opéra italien : avec Rigoletto, Traviata et Le Trouvère, c’est, écrit P.Favre-Tissot, « le fruit d’un cheminement progressif, un point d’équilibre atteint dans une quête de la perfection au terme d’une évolution réfléchie et non comme un miracle artistique spontané. » Adaptation de Victor Hugo (Le Roi s’amuse) pour Rigoletto, d’Alexandre Dumas fils (La Dame aux Camelias) pour Traviata : deux origines très « pro », comme on dirait aujourd’hui, et du beau travail. Mais pour le Trouvère, on peut avoir oublié la pièce théâtrale espagnole, El Trovador, et surtout son auteur, A.G.Gutierrez.

Rocambolesque ?
Etant admis qu’on n’est nullement ici dans l’historique, fût-il très transposé – Don Carlos, Un bal Masqué – , il est pourtant rare qu’un livret propose un tel cocktail d’invraisemblance et de complication. Certes, le genre « croix de ma mère » – comme on le disait pour symboliser les artifices lacrymaux du mélo – a largement sévi en cette période pour alimenter les « scenars » à coups de théâtre, objets-colifichets symboliques et autres attrape-badauds du feuilleton lyrique. Et comme avait concédé le bon Boileau, héraut du XVIIe français classique en terre encore baroque, « le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable ». C’était aussi en France le temps où le roman-feuilleton s’inventait une légitimité, d’Eugène Sue et ses Mystères de Paris à Ponson du Terrail à qui on attribue l’introuvable « elle avait les mains froides comme celles d’un serpent » et dont le Rocambole s’est  adjectivé. (La littérature « industrielle » du XIXe a bien eu sa descendance au XXe chez Guy des Cars ou Maurice Dekobra, et de nos jours dans le binôme des jumeaux-rivaux Musso-Lévy…).

Une nuit à l’opéra
Giuseppe VerdiPour Il Trovatore, une gitane (encore ) et sorcière brûlée vive, sa fille Azucena qui l’aurait vengée en faisant disparaître l’un des fils du comte de Luna, la princesse d’Aragon Léonora qui devient folle d’amour d’un Trouvère, Manrico, alors que le fils du comte de Luna… « et ce qui s’en suivit », ainsi qu’on le lit dans certains sous-titres de romans populaires. A vous, spectateur, de jouer – slalomer ?- entre les péripéties toutes plus troublantes et inattendues les unes que les autres.(P.Favre-Tissot note que « le caractère rocambolesque de l’intrigue poussa les Marx Brothers à choisir Il Trovatore pour leur désopilant film Une nuit à l’opéra « !). Mais surtout de vous relier à une musique dont nul ne semble contester la force émotive – la première elle-même fut un triomphe, à la différence d’une Traviata incomprise car porteuse de scandale social, comme sa « descendante » …Carmen -, et le tourbillon des affects. « Une des musiques les plus étincelantes nées de la plume de Verdi, dit encore P.Favre-Tissot. Ce torrent sonore continu, charriant impétueusement les passions romantiques, emporte tout sur son passage. Le traditionalisme des formes rassure le public (pour) un sujet que Verdi a qualifié de sauvage. Et à un orchestre plus élémentaire répond une écriture vocale paroxystique. »

Les chants sont des cerfs-volants solitaires
Echo contemporain de ce que notre Alberto Savinio écrivait dans une de ses critiques  : «  Il Trovatore, c’est le chef-d’œuvre de Verdi. Dans aucun autre de ses opéras, l’inspiration n’est aussi élevée. Aucun autre ne peut se vanter de posséder des chants aussi solitaires, purs, verticaux…Chants d’une espèce singulière, qui ouvrent une fenêtre soudaine, par laquelle l’âme prend son envol violemment et en même temps très doucement, dans la liberté infinie des cieux. Chants qui sont des cerfs-volants solitaires, dans un étrange calme, dans un ciel sans vent, montant tout droit dans la nuit infinie… » L’inspiration du poète Savinio semble ici appeler non le lieu clos d’une « maison d’opéra » mais bien le « ciel ouvert » sous les étoiles. Charles Roubaud – un familier d’Orange – devra trouver le mélange d’ardeur et de lyrisme, de surprises théâtrales et « cheminements » sous le Mur pour le chef-d’œuvre aux paradoxes. C’est au chef français – et quasi-autrichien, tant une partie de sa carrière a été viennoise – Bertrand de Billy qu’il convient de porter à incandescence l’Orchestre National de France, des chœurs « français-méditerranéens », et des solistes à prestige : retour attendu de Roberto Alagna ( Manrico) et de Marie-Nicole Lemieux–(Azucena) -, arrivée de Hui He (Leonora) et George Petean (Conte de Luna).

Lyrique et symphonique
argerich_alix_Laveau_emi_pianoEt puis les Chorégies ne seraient pas tout à fait elles-mêmes si on n’ajoutait pas aux « deux-fois-deux opéras » l’accompagnement des concerts lyriques et symphoniques. Cela permet aussi à certains orchestres de faire leurs premières armes dans l’immense acoustique du Théâtre Romain, ainsi pour le National de Lyon qui « débute » ici tout comme un chef (pour lui invité), Enrique Mazzola, une soprano, la Russe Ekaterina Siurina, en duo avec le plus habitué ténor Joseph Calleja : airs extraits pour l’essentiel du trésor lyrique italien XIXe. Le Philhar de Radio-France connaît bien Orange, où il a aussi joué avec Myung Whun Chung : mais deux « petits nouveaux » solistes du clavier, Martha Argerich et Nicholas Angelich, dans Poulenc, à côté de la grandiose « Avec orgue » de Saint-Saëns (3e Symphonie, Christophe Henry).Enfin, en même temps que Trovatore, l’O.N.F. et Bertrand de Billy explorent la 9e de Dvorak et le Concerto en sol de Ravel (avec Cédric Tiberghien).

Festival des Chorégies d’Orange (84). Du 7 juillet au 4 août 2015. Georges Bizet (1838-1875), Carmen : mercredi 8, samedi 11, mardi 14 juillet , 21h45 ; Giuseppe Verdi (1813-1901), Il Trovatore : samedi 1er août, mardi 4 août, 21h30. Mardi 7, 21h45, Concert lyrique ; vendredi 10, 21h45, concert symphonique ; lundi 3, 21h30, concert symphonique. Information et réservation : T. 04 90 34 24 24 ; www.choregies.fr

DVD. Verdi : Il Trovatore (Tcherniakov, 2012)

Verdi il trovatore dmitri tcherniakov La Monnaie juin 2012DVD. Verdi : Il Trovatore (Tcherniakov, 2012). Les metteurs en scène passent…l’opéra résiste. Ou pas. On a connu son Macbeth (Verdi) à l’opéra Bastille (2008-2009), surtout à Garnier son formidable Eugène Onéguine (Tchaïkovsky)… et déjà beaucoup moins apprécié son Mozart (Don Giovanni), à  Aix 2013 : vrai ratage pour cause de décalage dépoétique et de tempo confusionnant. Las ce Trouvère de Verdi qui peut inspirer les grands metteurs en scène en dépit de l’intrigue à tort jugée compliquée du livret, confirme les délires néfastes du nouvel ex génie de la mise en scène, après les Sellars ou Zarlikovski… c’est l’éternel problème sur la scène lyrique : trop de théâtre tue l’opéra ; trop de musique dilue l’action et fait un jeu sans consistance. Pas facile de trouver l’équilibre idéal. avec Tcherniakov, on sait d’emblée que l’homme de théâtre tire la couverture vers lui et oblige l’action lyrique à rentrer dans sa grille. Pour peu que l’opéra soit surtout un théâtre psychologique, l’enjeu peut trouver une forme satisfaisante ; si comme ici, les épisodes et séquences dramatiques très contrastées composent les rebonds de l’intrigue, la lecture rien que théâtrale s’enlise. Voici donc la première mise en scène de Tcherniakov à Bruxelles. Le théâtre prime immédiatement dans un huit clos où les personnages se voit recevoir par Azucena en maîtresse de cérémonie et hôtesse pour un jeu de rôles à définir, leur fiche indiquant clairement le rôle qui leur est dévolu le temps de l’opéra.

Très vite dans une série de confrontations orales puis physiques, les vieilles haines, jalousies, passions refont surface ; ils innervent l’action présente d’une nouvelle violence, de sorte que l’opéra se fait règlement de compte… ce qui en soit est juste et pertinent puisque le trouvère raconte en réalité la réalisation d’une vengeance par enfants interposés. La Bohémienne se venge de la mort de sa mère et faisant en sorte que son meurtrier tue sans le savoir son propre frère (qu’il ne connaissait pas comme tel pendant l’ouvrage évidemment…). A trop vouloir rendre explicite les tensions souterraines, Tcherniakov produit une caricature dramatique : Luna exaspéré tue Ferrando, puis le trouvère Manrico bien que Leonora se soit donnée à lui ; cette dernière s’effondre sur le cadavre de son aîmé. A nouveau Tcherniakov en dépit de son engagement à restituer un jeu brûlant, plus psychologique que dramatique, finit par agacer par confusion, le point culminant de son travail d’implosion dramaturgique étant le final du II où des nombreux personnages sur scène (soldats de Luna, nonnes et Leonora) on ne sait plus bien qui est contre qui et pour quelles raisons toute cette foule diffuse se présente sur la scène !
Donc sur les planches, démentèlement puissant du drame verdien mais force voire violence de la reconstruction théâtrale, cependant dénuée de son suspens haletant car dès le départ (ou presque), Azucena paraissant avec les Bohémiens dès le 2ème épisode, dévoile toute la machination qui la hante donc ôte à ce qui suit tout son mystère et sa tension. Sérieux déséquilibre quand même.

Dans la fosse, Minko fait du… Minko : direction violente, contrastée parfois très brutale et engagée. Ici Verdi n’a aucune finesse; en homme d’armes voué au service du comte Luna, Ferrando (Giovanni Furlanetto) est honnête ; mais la Leonora de Marina Poplavskaya n’a rien d’ardent ni de touchant (aigus tirés et forcés donc douloureux pour l’auditeur). Le Trouvère / Manrico de Misha Didyk n’a rien lui aussi de souple et de vaillant : carré et franc comme un boxeur ; même cosntat pour le Luna de Scott Hendricks : certes le prince n’a rien de tendre mais quand même il souffre d’un amour incandescent que lui refuse Leonora (seul son air “Il balen del suo sorriso” : aveu de son désir impuissant pour la jeune femme est justement placé et plutôt vraissemblable). Seule rayonne le diamant de l’Azucena de Sylvie Brunet : couleurs du medium ardent et profond qu’atténue cependant des aigus par toujours aisés. Mais la Bohémienne ici retrouve ses droits : droit au chant rugissant et incantatoire voire halluciné, chant de vengeance et douleur haineuse…
un seul chanteur au niveau, est ce pour autant réellement suffisant ? On reste sur notre réserve. De toute évidence, ce Trouvère n’a pas la classe ni l’aplomb fantastique et onirique de la production d’Il Trovatore de Berlin (décembre 2013) sous la direction de Barenboim, avec Anna Netrebko, incandescente et touchante Leonora (dans la mise en scène très réussie de Philippe Stölzl).

Verdi : Il Trovatore / Le Trouvère. Marc Minkoswki, direction. Dmitri Tcherniakov, mise en scène. Enregistré à la Monnaie de Bruxelles, en juin 2012.

DVD. Verdi : Il Trovatore (Netrebko, Domingo, Barenboim, Berlin 2013)

trovatore verdi netrebko domingo DVDCLIC D'OR macaron 200DVD. Verdi : Il Trovatore (Netrebko, Domingo, Barenboim, Berlin 2013). Dans l’imaginaire du scénographe Philippe Stölzl, le Trouvère est un conte lunaire, basculant constamment entre cynisme barbare et délire fantastique. La première scène est digne d’une gravure gothique d’Hugo ou d’une eau forte de Callot : Ferrando (excellent Adrian Sâmpetrean) plante le décor où règne la malédiction de la sorcière effrayante brûlée vive sur le bûcher par le comte de Luna… une vision primitive qui inspire tout le spectacle qui suit, dont les tableaux jouant sur le blanc et le noir, détaillant d’effrayantes ombres graphiques sur les murs d’une boîte dont l’angle regarde vers la salle et les spectateurs, instaure ce climat si original, celui façonné par un Verdi subjugué par le jaillissement du surnaturel, de la malédiction, la figure troublante d’âmes éperdues (Leonora) qui ivres et portées par leur seul désir, demeurent continûment aveuglées par la passion qui les consume : la jeune femme dans une arène de silhouettes souvent grotesques et grimées jusqu’à la caricature, y paraît tel un lys pur, éclatant par son chant amoureux, juvénile, ardent, innocent. Ce qu’apporte Anna Netrebko relève du miraculeux : le jaillissement brut d’un amour immense qui la dépasse totalement, la possède jusqu’à l’extase : le chant est incandescent, âpre, d’une sincérité tendre irrésistible.

Le public berlinois lui réserve une ovation collective dès son premier air. Légitimement. Tout le premier acte (Le Duel) est stupéfiant de justesse réaliste et expressionniste, saisissant même par ses ombres rouges aux murs défraichis. Un régal pour les yeux et aussi pour l’esprit exigeant : la direction d’acteur est précise et constamment efficace.

Trouvère berlinois, fantastique, effrayant : superlatif

azucena, trovatore berlin, barenboimDans la fosse Daniel Barenboim des grands jours sculpte chaque effet ténébriste d’une partition qui frappe par sa modernité fantastique, rappelant qu’ici la vision de Verdi rejoint les grands noms du romantisme lugubre et cynique, surnaturel, cauchemardesque, et poétiquement délirant : Aloysius Bertrand, Villiers de l’Isle Adam, ETA Hoffmann.  On s’étonne toujours que bon nombre continue d’affliger l’ouvrage verdien d’une faiblesse dramatique due à un livret soit disant faiblard : c’est tout l’inverse. Et la présente production nous montre a contrario des idées reçues et colportées par méconnaissance, la profonde cohérence d’une partition au découpage très subtil, aussi forte et glaçante que Macbeth, aussi prenante que Rigoletto, aussi échevelée et juste que La Traviata… Philipp Stölzl apporte aussi ce picaresque espagnol dans costumes et maquillages qui revisitent en outrant ses couleurs, Velasquez et les caravagesques ibériques, de Ribeira à Murillo.  Si Leonora, incarnée par la sensuelle et embrasée Anna Netrebko, captive de bout en bout, le Luna, rongé par la jalousie et l’impuissance amoureuse trouve en Placido Domingo, un baryton ardent, habité par une psyché qui lui aussi le submerge : passionnant duo.

netrebko anna trouvère trovatore leonora Berlin BarenboimPar son code couleur vert froid, exprimant un cynisme fantastique de plus en plus présent au fur et à mesure de l’action, le théâtre de Philipp Stölzl rappelle évidemment l’immense Peter Mussbach (repéré dans son approche parisienne de La Norma au Châtelet) : le choeur des gitans y singe une foule aux accents apeurés, orgiaques avant que ne paraisse le chant halluciné d’Azucena (très honnête Marina Prudenskaya, de plus en plus touchante : c’est elle qui porte le germe de la vengeance finale ; elle est elle aussi, comme Leonora, une poupée fardée, usée, transfigurée par la passion qui la porte et la consume : si Leonora est dévorée par l’amour pour Manrico le trouvère, Azucena est portée, aspirée par l’effroi du sacrifice primordial : l’assassinat de son propre fils (le véritable) par les flammes. Le Manrico de Gaston Rivero sans partager la brulure de ses partenaires défend haut la figure du Trouvère. Jamais production n’a à ce point mieux exprimer l’essence hallucinée et lunaire de l’opéra verdien : c’est essentiellement un théâtre de la brûlure, des âmes embrasées, où pèse dès l’origine, l’image effrayante flamboyante du bûcher initial. Une éblouissante réussite qui passe surtout par la cohérence du dispositif visuel. Chef et solistes sont au diapason de cette lecture colorée, expressionniste, remarquablement convaincante. Voilà qui renvoie à la marche inférieure la plus récente production du Trouvère avec le duo Netrebko et Domingo, présentée cet été au Festival de Salzbourg… La galerie de peintures qui s’y impose paraît en comparaison fatalement anecdotique tant ici, la création visuelle, le théâtre des ombres découpées sur les murs du cube nourrissent le feu de l’action. Un must et donc un CLIC de classiquenews.com.

Verdi : Il Trovatore. Anna Netrebko (Leonora), Placido Domingo (Placido Domingo), Azucena (Marina Prudenskaya), Manrico le Trouvère (Gaston Rivero, Adrian Sâmpetrean (Ferrando)… Staatskapelle Berlin. Daniel Barenboim, direction. Philipp Stölzl, mise en scène. 1 dvd Deutsche Grammophon. Enregistré à Berlin au Staatsoper Unter den Linden de Berlin, im Schiller Teater, en décembre 2013.

 

 
 

 

TELE. En octobre 2014, Mezzo diffuse l’Elvira candide, juvénile d’Anna Netrebko (Metropolitan Opera 2006-2007) : I Puritani avec Anna Netrebko au Met 2007 sur Mezzo Live HD : 6 > 24 octobre 2014. 

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