Le 17 mai 1774, une jeune princesse autrichienne de 18 ans est couronnée reine de France. 40 ans auparavant, cette cérémonie eut été impensable par l’inimitié héréditaire qui opposait jadis le Royaume de France et la couronne multiple des Habsbourg. Il y a donc 250 ans, Louis le Seizième et son épouse Marie-Antonia de Lorraine d’Autriche devenaient les monarques d’une France déjà en ébullition sous le feu des Lumières. Contrairement aux poncifs de propagande xénophobe républicaine et aux caricatures vulgaires de Sophia Coppola, la jeune reine en princesse née dans la stricte étiquette de Vienne, n’avait pas de fantaisie de diva mais un esprit hautement cultivé et ouvert aux idées de son temps dans la mesure de ce que lui permettait son statut codifié.
On oublie souvent cela aujourd’hui que celle qu’on appelle Marie-Antoinette, depuis son arrivée en France, était surtout versée dans les arts de la scène, par la pratique, depuis son plus jeune âge. Outre les instruments, Maria-Antonia était une des plus jeunes membres d’une famille hautement musicale. En effet, son grand-père maternel, l’empereur Charles VI avait composé et était le protecteur de musiciens tels que Fux, Caldara, Porpora et même Vivaldi. Toute la fratrie de la princesse a pratiqué la musique à un très haut niveau sous la férule du compositeur Christoph Willibald Gluck. Ce dernier a composé des sérénades pour les sœurs de Marie-Antoinette dont le niveau vocal rivalisa avec les plus grands talents de la scène. Des tableaux à Vienne immortalisent la très jeune Marie-Antonia avec son frère Maximilien dans un petit ballet que Gluck a composé pour les enfants impériaux. 250 ans après le couronnement de la reine des « grâces » et l’appel qu’elle a fait à son maître de musique, c’est avec plaisir que l’annonce du programme du récital de Mme Sonya Yoncheva, à la Philharmonie de Paris, a attiré notre attention.
Las! Nous découvrons, comme d’habitude dans ce genre de concert, une suite d’airs et de morceaux instrumentaux sans lien dramaturgique ou narration. Il est temps que les artistes commencent à respecter le public et la musique, car quel plus beau moyen de transmettre des émotions qu’en racontant une histoire. Ici nous ne comprenons aucunement la présence d’extraits de Mozart ou de Cherubini, qui n’ont strictement rien à voir avec Marie-Antoinette, et encore moins avec sa relation avec le chevalier Gluck.
Et pourtant, pour raconter cette histoire, il y avait tout le répertoire. William Christie, Sonya Yoncheva et Les Arts Florissants auraient pu carrément raconter l’histoire de la vie de la reine avec seulement des musiques de Gluck. Le concert aurait pu commencer par l’ouverture magnifique de l’Innocenza giustificata, créée quasiment un mois après la naissance de Maria-Antonia. On aurait pu entendre ainsi de Vienne à Paris des sublimes extraits de la production moins connue du Ritter Gluck de la deuxième version d’Ezio, la scène de Berenice de son Antigono, ou même un air des Pèlerins de la Mecque que nos chers Arts Flo ont déjà fait par le passé. Sonya Yoncheva aurait été impériale dans le « Tempeste il mar minaccia » du monumental Trionfo di Clelia. Tout ce voyage aurait aussi pu revisiter les grands moments du Gluck parisien et se finir dans le chaos révolutionnaire avec la « Danse des Furies » du sempiternel Orphée. Le tout montrerait deux vies parallèles quasiment tronquées en même temps.
Crédit photographique © Pedro-Octavio Diaz
Parfois la question se pose : où est l’audace de ces magnifiques ensembles dont l’oriflamme était la redécouverte? Ont-ils épuisé à ce point le répertoire ? Tout ne serait que business et donc une sorte de « standardisation » sclérosée de la forme récital ? Si les grands interprètes ne prennent pas à bras le corps la rareté et l’inédit, comment enflammer à nouveau le public ? Espérons que bientôt ces merveilleux Arts Florissants nous révèleront des pépites et continueront de nous passionner pour leur formidable histoire.
Fi du manque d’imagination pour le programme. Cette soirée nous a offert un très bel aperçu de la magnificence de cet ensemble dans le répertoire baroque réformé (dit « classique »). Les dynamiques sont souples et ciselées. Malgré des départs parfois un peu branlants, la justesse de tous les pupitres est parfaite. Nous saluons évidemment maestro Christie qui, d’un seul geste, peaufine une couleur ou ajoute une nuance, comme le grand musicien qu’il est.
Sonya Yoncheva a une voix sublime, nous ne pouvons pas nier ses qualités vocales. Nous l’avions adoré dans ses rôles véristes d‘Iris de Mascagni ou de Stephana dans Siberia de Giordano à Montpellier. Dans ce répertoire, elle comprend le style et triomphe des difficultés liées à chaque compositeur. Cependant, ses moments chambristes avec un concertino réduit pour des petites romances reste un exercice difficile. Sa prosodie peine et l’on perd totalement la signification du texte alors qu’il est essentiel pour le dramatisme d’une telle musique dépouillée. Est-ce qu’il aurait fallu vraiment entrer dans la vie de Marie-Antoinette et construire un programme plus équilibré pour qu’on s’ennuie moins ? Mme Yoncheva nous a habitués à être intrépide, nous espérons que la prochaine fois elle ira un peu plus loin.
Malgré les turbulences révolutionnaires, Marie-Antoinette est entrée dans l’inconscient collectif français. Héroïne romancée de son propre mythe, la reine qui périt sous les quolibets fut une des protagonistes d’un tableau de la cérémonie des JO Paris 2024. 250 ans après le début de son règne elle perturbe, elle fait entendre encore sa voix bien au-delà de Trianon et la laiterie de Rambouillet. Aux abords du périphérique, luisant diamantin tel ce collier qui l’a calomniée, c’est la veille de son 269e anniversaire que son image continue de hanter Paris.
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CRITIQUE, concert. PARIS, Philharmonie, le 1er novembre 2024 : « Marie-Antoinette ». Sonya Yoncheva / Les Arts Florissants / William Christie. Crédits photographiques © Pedro-Octavio Diaz
VIDEO : Sonya Yoncheva interprète l’air d’Agathe dans ‘Il Flaminio » de Pergolesi