COMPTE-RENDU, concert. La Roque d’Anthéron, Parc du château de Florans, le 13 Août 2019. R. SCHUMANN. F. CHOPIN. L. JANACEK. S. PROKOFIEV. V. BELLINI/F. LISZT. B. GROSVENOR. Le monde du piano classique ne cesse de pouvoir compter sur cette nouvelle génération très prometteuse de pianistes hyper doués techniquement, venant de tous pays. C’est ainsi que la programmation des plus grands festivals est toujours renouvelée. La Roque d’Anthéron l’an dernier nous avait présenté l’immense Daniil Trifonov (lire notre chronique d’alors : été 2018), l’incroyable Alexandre Kantorov cette année … sans omettre, la découverte du prodigieux Benjamin Grosvenor. Prodige qui à 11 ans jouait déjà avec les plus grands orchestres et a signé depuis chez Decca 4 disques remarquables d’intelligence.
L’anglais Grosvenor impressionne parce qu’il a déjà fait à tout juste 26 ans. Mais ce n’est pas un prestidigitateur digital, une mécanique bien huilée que rien n’arrête jamais. Rien d’histrionique dans son jeu, pas de gestes déplacés, un maintien digne, une aisance princière et un sang froid tout British. Il joue d’abord Blumenstück comme le plus beau bouquet offert à sa bien-aimée. Une sorte d’innocence, de pureté due à un jeu d’une totale évidence, sans pédale, juste comme ça. Le son est naturellement beau, tout est souple, nuancé et coloré avec art. Une sorte de don simple et sans complication.
Il aborde ensuite les Kreisleriana (R. Schumann)en musicien suprême mettant en valeur le génie de Schumann comme renouvelé. En l’écoutant je me suis souvent dit que jamais je n’avais entendu cela ainsi, c’est vraiment très beau. Un Schumann rempli d’élégance et de délicates images musicales diffusant sans violence, sans peine, sans efforts sa riche imagination. La première partie du récital s’achève avec le sentiment d’un pianiste simplement musicien, osant un Schumann d’une grande bonté dans ses emportements romantiques. Le pianiste anglais a une sorte d’élégance aristocratique que rien ne peut perturber.
Pour la deuxième partie du programme, Benjamin Grosvenor nous propose sa somptueuse version de la barcarolle de Chopin. Dans son « CD Homages », nous l’avons pour l’éternité. Souplesse totale dans des nuances subtiles ; cela balance doucement, mais surtout c’est le chant qui se développe avec un sentiment d’infini. Un piano enchanteur comme il en est peu, sur un rythme envoûtant, constamment entretenu. Cette pièce dans la nuit de Provence prend une dimension poétique nocturne apaisante.
Benjamin Grosvenor à La Roque
PIANO MAGICIEN D’UNE SUPREME MUSICALITÉ…
Les deux mouvements de la première sonate de Janacek ont une histoire particulière. Touché par la mort d’un ouvrier lors d’une manifestation de soutien de l’ Université de Brno, Janacek avait composé une sonate en trois mouvements. Il la détruisit insatisfait après une unique audition. La créatrice, Ludmila Toutchkova, avait réussi à copier les deux premiers mouvements. Cette musique sauvée et en quelque sorte non autorisée, est fort belle. Benjamin Grosvenor aborde en toute simplicité la partition, ce qui met en lumière la beauté des thèmes comme leurs dérivations. Les nuances généralement piano, la beauté du son plein et la rigueur du jeu emportent l’adhésion du public.
Dans les visions fugitives de Prokofiev, le jeune homme arrive à en réordonner 12 pour proposer une grande cohérence dans l’écoute. Certes la modernité de Prokofiev est présente mais surtout une sorte d’harmonie naît de ce jeu si parfait. Les vers qui inspirèrent le compositeur sont en toute simplicité et même évidence, rendus par la musique sous les doigts magiques du pianiste britannique. « Dans chaque vision fugitive , je vois des mondes. Plein de jeux changeants et irisés » : le poème est de Constantin Balmont. L’interprète avec un grand sérieux et un calme olympien, organise les pièces pour créer ces mondes variés ; les couleurs, les nuances, tout participe à cette création. Voici de la poésie par la musique en forme d’idéal.
Il nous restait pour découvrir le talent de virtuose de l’absolu sans rien lâcher de la suprême musicalité qui l’habite à vivre l’expérience de ces réminiscences de Norma (LISZT). De l’ouverture aux dernières notes du final, l’opéra de Bellini se déroule. Avec un sens du drame, un équilibre du son orchestral, Benjamin Grosvenor n’a plus seulement deux mains. D’ailleurs, il ne sera pas possible de voir clairement le mouvement de tous les doigts tant la rapidité d’exécution est fantastique. Les abellimenti, les enluminures, les notes perlées, saccadées ou encore les accords développés, tout cet art Litzien inimitable sert la beauté de la partition de Bellini.
DANS LISZT,
Le piano de Grosvenor arrive
à chanter comme une diva romantique
Le piano de Grosvenor arrive à chanter comme une diva romantique. Il est sidérant d’assister à un moment si incroyablement musical alors que tant de pianistes virtuoses ne font que belles notes rapides dans ce genre d’œuvres de Liszt. Ce soir le sublime a été entrevu dans ces Réminiscences de Norma. Benjamin Grosvenor a eu un succès considérable pour ce final mais aussi pour cette rare qualité de composition d’un programme d’une grande intelligence. Le premier bis relance s’il se peut la virtuosité diabolique avec une « Danza del gaucho matrero » de Ginestera à faire danser les montagnes. Là aussi impossible de croire que deux mains peuvent faire tout cela. Et pour refermer la nuit sur plus de paix et une pointe de sensualité, « le poème érotique » de Grieg extrait de ses pièces lyriques nous a ravi.
Benjamin Grosvenor est un grand artiste qui semble gérer sa carrière avec la prudence des sages. Il semble suivre le chemin de Grigory Sokolov; il joue le même concert en une tournée mondiale. Cela apporte une vraie connaissance intime des oeuvres et une perfection de jeu inoubliable qui marque le public. Il ne se précipite pas non plus à enregistrer trop et trop vite. Cette génération des moins de trente ans est fabuleuse de promesses : Ce sont Benjamin Grosvenor, Daniil Trifonov et Alexandre Kantorov dans mon triumvirat personnel de musiciens complets, qui jouent du piano.
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Compte- rendu, Concert. Festival de La Roque d’Anthéron 2019. La Roque d’Anthéron. Parc du Château de Florans, le 8 Août 2019. Robert Schumann ( 1810-1856) : Blumenstück Op.19 ; Kreisleriana Op.16 ; Frédéric Chopin (1810-1849) : barcarolle en fa dièse majeur Op.60 ; Les Janacek (Sonate pour piano n°1, octobre 1905 « From the street » ; Sergei Prokofiev (1891-1953) : Visions fugitives Op.22 ( ext.) Vincezo Bellini (1801-1835)/ Frantz Liszt (1811-1886) Réminiscences de Norma. Benjamin Grosvenor, piano. Illustration / Photo : © Christophe Gremiot