Néron, tyran de Rome ou poète mélomane

neron-empereur-france-3-classiquenewsFRANCE 3, lun 4 janv 2021, 21h05. NĂ©ron, tyran de Rome. Mais empereur artiste voire musicien. C’est lui qui embrasa tout Rome (juillet 64) au motif qu’il s’agissait d’un tableau onirique inspirant le poète qu’il Ă©tait Ă  ses heures intimes… La lĂ©gende prĂ©cise qu’il chanta s’accompagnant de sa lyre depuis le Quirinal, comme excitĂ© par le spectacle des flammes dĂ©vorant la citĂ© impĂ©riale. De fait, l’incendie dura 6 jours. Le magazine Secrets d’histoire, après un rĂ©cent numĂ©ro dĂ©diĂ© Ă  Beethoven (dĂ©cembre dernier pour les 250 ans de la naissance du grand Ludwig), aborde ici une autre figure historique hautement artistique et musicienne, l’empereur NĂ©ron (37 – 68), dĂ©cadent autant que poète. Tel paraĂ®t le dernier souverain de la dynastie julio-claudienne qui règna pendant 14 ans, Ă  partir de 54 Ă  la succession de Claude (qu’Agrippine Ă©pousa). Les sculpteurs ont portraiturĂ© NĂ©ron sans masquer ses traits Ă©patĂ©s, lourds, Ă©pais. Or l’homme Ă©tait sensible, inversement dĂ©licat (jusque dans sa barbarie ordinaire et l’organisation de ses plaisirs et des fĂŞtes, les Neronia), Ă©pris d’art et de culture… Les archĂ©ologues dĂ©couvrent encore les manifestations de son raffinement (dĂ©cor et plans de sa demeure sur le mont Palatin Ă  Rome : la fameuse Domus Aurea Ă©difiĂ©e après l’incendie).

neron-empereur-monteverdi-opera-classiquenews-critique-opera-critique-portrait-sculpturePourtant, érudit, esthète, Néron, disciple de Sénèque, qui s’était appelé imperator, meurt suicidé. L’autre face de l’Empereur artiste, a marqué les esprits par sa noirceur (pourtant en rien contrastant avec ses prédécesseurs) : le pyromane illuminé fait assassiner sa mère Agrippine, pourtant honorée sous le titre d’Augusta (59), congédie son épouse Octavie et épouse la scandaleuse Poppée (dont il précipitera la mort en 65, en lui portant un coup de pied alors qu’elle était enceinte)… Alors qu’il était accusé d’avoir lui-même provoquer l’incendie de Rome, au prétexte qu’il voulait reconstruire Rome dans un style spectaculaire pour édifier son projet de ville exemplaire (Neropolis), Néron accusa plutôt les juifs chrétiens qu’il martyrisa en organisant leur massacre, les condamnant dans les arènes, à se faire dévorer par les lions affamés, crucifier et brûler sur la croix, symbole de leur croyance : voir les tableaux historicistes du peintre Gérôme. Néron fut-il fou ou le feignait-il ? Le mystère demeure.
Néron a contrario des historiens qui en font un despote psychopathe colérique, put aussi être un politique fin, spécialiste en intrigues et manipulations, génie politique qui sut déjouer de nombreux complots contre sa personne. Pourtant après sa tournée artistique comme poète en Grèce en 66, Néron de retour à Rome constate une vague d’opposants dont Galba (ex fidèle gouverneur d’Hispanie / Espagne), Vindex (gouverneur de la Gaule), … surtout le Sénat qui démet l’empereur et maudit sa mémoire (damnation memoriae). Néron acculé au suicide, se donne la mort le 9 juin 68 dans la demeure de Phaon, son fidèle affranchi. Ses cendres sont déposées dans un mausolée sur le Pincio (aujourd’hui dans la Villa Borghèse).

Néron à l’opéra
Monteverdi 2017 claudio monteverdi dossier biographie 2017 510_claudio-monteverdi-peint-par-bernardo-strozzi-vers-1640.jpg.pagespeed.ce.FhMczcVnmyL’individu inspire Ă©videmment les Ă©crivains et les compositeurs dont surtout Monteverdi qui conçoit sur le livret de Busenello, son chef d’oeuvre lyrique, Le Couronnement de PoppĂ©e / L’Incoronazione di Poppea créé Ă  Venise en 1642. L’ouvrage est un sommet de l’opĂ©ra vĂ©nitien du XVIIè, modèle de poĂ©sie et de cynisme noir – au diapason de la figure impĂ©riale concernĂ©e. Pour Busenello et Monteverdi, NĂ©ron apparaĂ®t en jeune empereur dĂ©cadent, passionnĂ©, ivre d’amour et de dĂ©sir pour sa nouvelle conquĂŞte PoppĂ©e dont il fera une impĂ©ratrice : l’amour plutĂ´t que la vertu du devoir. MĂŞme SĂ©nèque se suicide dans l’opĂ©ra monteverdien comme s’il s’agissait d’exprimer le pouvoir de l’amour sur tout : Omnia vincit amor / L’amour vainc tout. En rĂ©alitĂ© SĂ©nèque se retira des affaires en 62, annĂ©e dĂ©cisive dans la carrière du NĂ©ron despotique. NANTES : Ă©blouissante PoppĂ©e par le duo Caurier et LeiserLascif, enivrĂ© voire illuminĂ© (ses duos amoureux avec PoppĂ©e), NĂ©ron incarne la possession des politiques par le sentiment amoureux qui noie et dĂ©truit tout discernement. Les deux auteurs lyriques font de NĂ©ron, un ado obsĂ©dĂ©, furieusement Ă©rotisĂ© qui offre l’exemple d’un politique corrompu (effeminato) ayant sacrifiĂ© toute vertu pour la rĂ©alisation de son dĂ©sir. Il s’agit de l’image opposĂ©e au thème du souverain Ă©clairĂ©, politique vertueux des Lumières, tel qu’il paraĂ®tra sur scène dans la deuxième moitiĂ© du XVIIIè. LIRE notre dossier Le Couronnement de PoppĂ©e par Monteverdi  -  VOIR notre reportage vidĂ©o ANGERS NANTES OPERA : MONTEVERI / Le Couronnement de PoppĂ©e – Leiser et Caurier (octobre 2017) © studio CLASSIQUENEWS

Présentation du programme « Néron, un tyran de Rome » par France 3 :
« Néron est synonyme de cruauté, de mégalomanie, de tyrannie depuis presque 2 000 ans. Il passe sa vie entouré de femmes ambitieuses qui le poussent à commettre les assassinats les plus impardonnables, à l’image d’Agrippine la Jeune, sa mère, prête à tout pour installer son fils à la tête du pouvoir. En 54 après Jésus-Christ, à seulement 16 ans, Néron est proclamé empereur et se retrouve à la tête d’un vaste empire. Son image déjà ternie va se dégrader encore plus en 64 après Jésus-Christ, lorsque Rome est ravagée par l’un des pires incendies de son histoire. À l’époque, on l’accuse d’avoir volontairement mis le feu à la capitale. Pour faire taire les rumeurs, Néron aurait désigné pour responsables les chrétiens et ordonné leur persécution.
Personnage complexe, Néron se révèle également sous une facette bien moins connue : celle d’un César éclairé aimé de son peuple, d’un mécène des arts fasciné par la culture grecque et surtout un poète et un chanteur passionné. Féru d’architecture, il fera également édifier l’un des plus beaux palais impériaux de son époque : la Domus Aurea… »

Avec la participation de
Jean-Christian Petitfils (historien),
Claude Aziza (historien),
Jean-Yves Boriaud (historien),
Jean-Christophe Courtil (historien),
Virginie Girod (historienne),
Catherine Salles (historienne),
Christian-Georges Schwentzel (historien),
Philippe Séguy (écrivain),
Alessandro d’Alessio (conservateur en chef de la Domus Aurea et du Parc archéologique du Colisée),
Christophe Beth (directeur du théâtre antique d’Orange),
Christophe Dickès (historien),
Maxence Hermant (conservateur à la Bibliothèque nationale de France),
Nicolas Kirigkhadis (archéologue),
Stanis Perez (historien de la médecine),
Gabriele Romano (archéologue),
Ange Ruiz (reconstitueur de chars),
Éric Teyssier (historien)…

Festival Musique et Mémoire 2019 : La Fenice, Vox Luminis, Jean-Charles Ablitzer

musique-et-memoire-festival-2019-annonce-programmation-concert-opera-festival-concerts-annonce-critiques-classiquenewsVIDEO. MUSIQUE MEMOIRE 2019 : La Fenice, Vox Luminis et Jean-Charles ABLITZER, orgue (juillet 2019) – Le 26è Festival Musique et MĂ©moire poursuit son exploration des rĂ©pertoires entre XVIè et XVIIè avec La Fenice et Jean TubĂ©ry ; il met aussi en scène le formidable orgue ibĂ©rique de Grandvillars, rĂ©cemment inaugurĂ©, que joue l’organiste Jean-Charles Ablitzer (Tientos de Arauxo) auquel rĂ©pondent les voix uniques, cĂ©lestes, de VOX LUMINIS, interprètes du Requiem de Victoria – reportage © studio classiquenews.tv / RĂ©alisation : Philippe-Alexandre PHAM (juillet 2019)

CD, critique. PASSIONS, VENEZIA 1600 – 1750 : Crucifixus (Les Cris de Paris, HM, nov 2018)

cris-de-paris-geoffroy-jourdain-venezia-1600-crucifixus-cris-de-paris-critique-classsiquenewsCD, critique. PASSIONS, VENEZIA 1600 – 1750 : Crucifixus (Les Cris de Paris, HM, nov 2018) – Les Cris de Paris revĂŞtent leurs plus beaux atours vĂ©nitiens, explorant la ferveur lagunaire aux deux siècles baroques de 1600 Ă  1750… Les Passions exprimĂ©es ici sont vĂ©nitiennes et de Monteverdi Ă  Lotti en passant par Marini, Caldara sans omettre les Gabrieli, attestent d’un caractère commun puissant et original qui confère Ă  ce programme remarquablement conçu dans son dĂ©roulement, son unitĂ© et sa force Ă©motionnelle ; le sentiment gĂ©nĂ©ral en serait la langueur qui de dĂ©ploration se fait aussi cĂ©lĂ©bration, passant du tragique Ă  la majestĂ© recueillie. Les compositeurs vĂ©nitiens sont de grands sensuels. Les intermèdes purement instrumentaux, extraits des opĂ©ras ou pièces dramatiques de Monteverdi, insistent sur cette opulence formelle, ce dĂ©sir ardent inscrit dans le geste des instrumentistes (qui d’ailleurs assurent une excellente caractĂ©risation de chaque sĂ©quence).
Les Cris de Paris inscrivent d’emblée les écritures ici fusionnées malgré leur disparité… très haut dans l’éther d’une spiritualité accomplie : qu’il s’agisse de la polychoralité marcienne emblématique (Giovanni Gabrieli : splendide et spatial Exaudi me Domine); des motets comme embrasés par le collectif Salve Regina de Cavalli, Crucifixus de Lotti et de Caldara ; et déjà la voix monodique, qui transmet la souffrance et les aspirations individuelles d’une âme errante, interrogative (Merula d’ouverture ; Dialogo della due marie de Legrenzi. Le cas de Monteverdi est unique et fédérateur à la fois : en lui s’unissent et se mêlent totalement les eaux profanes et sacrées, … en une même et ardente volupté. Son génie passe de l’une à l’autre rive avec une aisance déconcertante, c’est bien ce que souligne l’apport des Cris de Paris dans la justesse de leur réalisation.
CLIC D'OR macaron 200Comme un hommage à l’Assunta du Titien aux Frari, voici un parcours en polyptiques et retables musicaux d’une splendeur retrouvée, ciselée, habitée. Les chanteurs idéalement inspirés en expriment les mouvements mystiques, la profondeur fervente dans un itinéraire qui rétablit filiations et prolongements entre les compositeurs à Venise. Magistral album des Cris de Paris. Certainement leur meilleur. CLIC de CLASSIQUENEWS, Noël 2019.

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CD, critique. PASSIONS, VENEZIA 1600 – 1750 : Crucifixus (Les Cris de Paris, HM – EnregistrĂ© Ă  Paris en nov 2018.

CD, événement critique. MONTEVERDI : VESPRO. La Tempête. Simon-Pierre BESTION (2 cd Alpha)

MONTEVERDI vespro tempete simon pierre bestion cd critique concert classiquenews la critique cd concert 5d7f7d2c3db53CD, Ă©vĂ©nement critique. MONTEVERDI : VESPRO. La TempĂŞte. Simon-Pierre BESTION (2 cd Alpha) – Comme un laboratoire collectif, La TempĂŞte insuffle souvent aux partitions choisies une nouvelle dynamique, un nouvel Ă©clairage voire une nouvelle signification ; d’autant plus rĂ©ussis et convaincants ici que le geste qui dĂ©cortique sans attĂ©nuer, qui enrichit sans diluer, offre une recontextualisation du monument montĂ©verdien ; les pièces ajoutĂ©es soulignent en rĂ©alitĂ© combien l’écriture de Claudio est moderne et en rĂ©alitĂ©, d’une sensualitĂ© irrĂ©sistible (nuance Ă  peine pensable alors dans un contexte « romain », liturgique). Cette comparaison implicite renforce le caractère audacieux de l’œuvre de 1610/11 dont l’esprit et la conception, telle une mosaĂŻque Ă©clectique, devait surtout convaincre sa cible (le pape lui-mĂŞme, Paul V) que Monteverdi Ă©tait bien le plus grand compositeur de l’époque ; peine et dĂ©fis perdus car Rome ne sera jamais le foyer du MaĂ®tre CrĂ©monais, … plutĂ´t la fastueuse et sensuelle VENISE, qui en fera son maĂ®tre de chapelle Ă  San Marco (1613).

Ainsi prenons pour exemple le cd2 : il s’ouvre par le « Sancta Maria Ricercar » de Frescobaldi : incertain, instable, d’une volubilité irrésolue. Tout cela prépare mieux à ce qui suit. L’autorité sensuelle, déclamée avec ampleur dans un souffle opératique qui rappelle Orfeo s’affirme dans l’Audi Caelum où le baryton soliste est doublé dans la coulisse par un ténor… effet de perspective et d’étagement propre au génie montéverdien et auquel les interprètes sans maîtriser totalement la souplesse et la précision des mélismes, expriment la courbe majestueuse (sur le mot « Maria »).
Aux options vocales nettement défendues répondent aussi les nuances et caractérisations apportées au continuo : le chef a ajouté le serpent ou le chitarrone, dont la vibration grave et souple, fortifie l’assise ; ce bourdonnement continu, fraternel.
« Omnes » est conçu comme un éclair, le coup de conscience qui rassemble toutes les troupes telle une armée d’anges armés, inspirés par une ardeur sensuelle renouvelée. Ce jaillissement collectif est alors conçu comme une ample arche sensuelle qui retourne dans l’ombre du mystère, comme un retable que l’on recouvre.
Le chef et ses interprètes jouent sur les climats contrastés, les différentes nuances de la ferveur mariale grâce ainsi aux
pièces intercalaires (antiennes grégoriennes, faux-bourdons du XVIIè,…) sur le même thème sacré (hymne virginal) et d’un caractère de profond recueillement.
La pertinence de ces combinaisons relance la tension sans atténuer les pièces montéverdiennes. L’éclat et le contraste qui en découlent, enrichit encore la réception du cycle montéverdien ; Ils soulignent sa géniale architecture qui creuse le mystère de Marie. Ces inclusions rétablissent aussi la réalisation du Vespro dans la réalité d’une messe et d’un rituel liturgique. Elles s’appuient entre autres sur la style des polyphonies orales encore manifestes en Corse, en Sardaigne, en Géorgie. Elles apportent une résonance populaire liée aux pratiques traditionnelles, toujours vivaces.

Les interprètes savent aussi jouer avec la liberté de certains tempos, dans, entre autres la « Sonata sopra Sancta Maria » où le choeur féminin sur les mêmes mots répétés déclament presque imperturbablement malgré la grande diversité des coupes rythmiques des cuivres par exemple qui frappent et martèlent la réalisation de la pièce, affectant (en apparence) l’ascension irrépressible de leur élan vers les hauteurs… C’est mieux exprimer en réalité le souffle de la prière et la lutte aussi pour l’affirmer, impénétrable et inexorable.

CLIC_macaron_2014Cette fusion du populaire et du sacrĂ©, soit du verbe incarnĂ© se rĂ©alise formellement dans 12 sĂ©quences du Magnificat qui referme le prodigieux Vespro : relief du continuo, particulièrement maĂ®trisĂ© et abouti, aux rythmes chorĂ©graphiques – ; vagues chorales qui plongent dans la poĂ©sie et le mystère, allant naturel et souple… le geste du groupe, portĂ© par une vision gĂ©nĂ©rale claire et fĂ©dĂ©ratrice, – celle du maestro fondateur du collectif, Simon-Pierre Bestion, restitue l’esprit de la crèche, le recueillement collectif, comme une Ă©piphanie simple et d’une Ă©tonnante vivacitĂ©.
Les conversations enchantées de « Esurientes » et de « Suscepit Israel » ; lumineuse chevauchée dans « Sicut locutus »… ) s’accomplissent ici avec une intelligence globale très touchante. Le « Gloria » qui s’ouvre dans une perspective infinie, vocalement par vagues successives (initié par le baryton soliste très souple) apporte une jubilation d’une ampleur qui berce, exalte, saisit. La Tempête atteint son meilleur dans cet ultime célébration de Marie. CLIC de CLASSIQUENEWS de l’automne 2019.

CD, événement, critique. MONTEVERDI : VESPRO (1610). La Tempête, Simon-Pierre Bestion (2 cd Alpha).

 

 

 

 

 

 

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Cd critique. ANAMORFOSI : Allegri, Marazzoli, Monteverdi (Le Poème Harmonique, juin 2018 – 1 cd ALPHA)

POEME-HARMONIQUE-ANAMORFOSI-allegri-monteverdi-marazzolli-mazzochi-cd-review-critique-cd-classiquenews-vincent-dumestreCd critique. ANAMORFOSI : Allegri, Marazzoli, Monteverdi (Le Poème Harmonique, juin 2018 – 1 cd ALPHA) – Au carrefour du profane et du sacrĂ©, se dĂ©veloppe une mĂŞme musique, constante et touchante par ses aspĂ©ritĂ©s passionnelles. En hymnes sacrĂ©s ou en vers madrigalesques, l’écriture musicale ne varie pas, mais elle modifie son sens selon les paroles associĂ©es : il n’y a donc pas de « mĂ©tamorphoses » comme nous l’explique le Poème Harmonique qui du reste nous parle aussi d’anamorphoses (le titre du cd : intitulĂ© plus adaptĂ© Ă  ce dont il est question : une mĂŞme chose dont l’aspect varie selon le point de vue) ; tout du moins, il s’agit ici d’un changement de paroles, donc superficiel ; un changement d’enveloppe (linguistique) ; les vertiges de la musique eux sont toujours invariables, constants. « Vers 1630 en Italie, un voyageur franchit le seuil d’une Ă©glise. Double vertige ! Tandis que l’œil se perd dans la profusion baroque, l’oreille croit rĂŞver. Quels sont ces bruits de bataille, ces plaintes amoureuses, ces disputes théâtrales qui ont remplacĂ© les cantiques ? » Ainsi est rĂ©sumĂ© le prĂ©texte de ce nouveau programme que l’ensemble de Vincent Dumestre a dĂ©jĂ  Ă©prouvĂ© en concert. A quelques pertes de tension près et de faiblesses (bien anecdotique) dans le parcours musical, nous tenons lĂ  un cycle de perles baroques captivant, oĂą brillent surtout les jeunes voix actuelles, la soprano DĂ©borah Cachet en tĂŞte, voix aux fulgurances naturelles et sincères, irrĂ©sistible. Dramatiques et introspectives, articulĂ©es et flexibles.

Tout commence par une version assez déconcertante du Misere d’Allegri, en plusieurs séquences chorales, homorythmiques, d’un piétisme et dolorisme retenue, parfois tendu, d’un expressionnisme bien contorsionné (dissonances harmoniques manifestes au point crucial du texte). Retour aux sources soit, mais référence à une pratique (d’époque?) quand même, surornementée, à la limite de l’indigestion ; avec des variations très éloignées de ce que nous connaissons. Là est bien la métamorphose par contre, qui modifie considérablement le parcours même du texte, empruntant selon l’improvisation des chanteurs compositeurs improvisateurs, des circonvolutions qui demeurent caprices d’interprètes. A chacun de juger. Pas sûr qu’Allegri eût apprécié telle relecture de son texte originel. Serait-ce pour mieux troubler l’humble auditeur, frappé par la recueillement des chanteurs ? Les mélismes dans l’aigu expriment un mal être, une douleur infinie, jamais apaisée et tendue.
Des passions (trop) contenues, que libère autrement le choix des pièces qui suivent. Anamorfosi : le titre souligne combien une même musique dans le cas de Monteverdi par exemple ou Luigi Rossi peut sonner différemment, si l’on change uniquement les paroles. Du profane au sacré, la même intensité passionnelle s’y déploie, avec une sincérité égale.

Dans le Rossi («  Un allato messagier »), la mezzo Eva Zaïcik déroule une belle voix mais au relief linguistique trop lisse sur la durée. Pas assez de contrastes, de verbe mordant. Là encore une langueur douloureuse et insatisfaite. Le tempérament guerrier qui rappelle le Combattimento de Monteverdi, met du temps à chauffer (pour exprimer la douleur de Madeleine).

Justement dans « Si Dolce è’l martire » (de l’inestimable Monteverdi) :  DĂ©borah Cachet Ă©claire l’angĂ©lisme et la tendresse de l’air MontĂ©verdien ; l’incandescence et l’effusion d’une prière qui pleure JĂ©sus (« mio Gesù » rĂ©pĂ©tĂ© en scansion) ; tĂ©moignage d’une fervente saisie, touchĂ©e, brĂ»lĂ©e par le Fils ; l’ardeur et l’expressivitĂ© mordante, qui fusionne flexibilitĂ© et brĂ»lures du texte, commentĂ©es ensuite par le violon solo : l’acte de compassion, ce don d’une âme mystique Ă  JĂ©sus, incarnĂ©, dĂ©fendu de façon aussi presque guerrière – transe amoureuse et langueur dĂ©vorante, par le soprano dĂ©licat mais puissant de DĂ©borah Cachet, est assurĂ©ment l’acmĂ© de ce programme. Entre voluptĂ© et mysticisme, la soprano rĂ©ussit une remarquable incarnation de la foi baroque.

Profane ou sacrée, la lyre du premier Baroque Italien
s’embrase grâce au soprano de Déborah Cachet…

On se délecte tout autant des dénuement et langueur des pénitents démunis dans les somptueuses prières de Domenico Mazzochi (sur la vie brève) puis de Marco Marazzoli, qui semblent fondre l’esprit mordant de la commedia, et la prière dolente des pêcheurs saisis, soit l’équation surprenante, inouïe de… la verve débridée et de la grâce la plus nuancée : aucun doute la leçon de la volupté montéverdienne est ici totalement assimilée, sublimée par deux écritures proches du sublimes.
La voici, ardente, fulgurante, la ferveur romaine du premier baroque. Marco Marazzoli, génie opératique, succède 3 duos d’un fini linguistique et poétique savoureux auquel répond l’écrin musical, languissant, contrasté, fervent, essentiellement amoureux, des instrumentistes et chanteurs. Les couples, surtout Déborah Cachet et le ténor Nicholas Scott, expriment avec une rare finesse et articulation, les multiples nuances du texte (« Chi fà che ritorni » : célébration du temps de l’innocence, perdu, si fragile, fugace…) aux instants de la jeunesse préservée où la vie dans sa candeur première, découvre l’élan du désir, morsure et vertige du plaisir… Preuve est encore faite de l’absolu génie de Marazzoli.

CLIC D'OR macaron 200Puis, le programme des afflictions sacrées, se poursuit avec les larmes de Marie au sépulcre (Monteverdi : « Maria quid ploras »), belle éloquence linguistique où chaque voix pèse, articule, nuance l’élan collectif. Même expressivité caractérisée et dans une ampleur suave et flexible dans le dernier épisode collectif, « Pascha concelebranda », prière à plusieurs qui captive par la diversité des effets et des nuances expressives du chant, entre drame profane, cantate sacrée, dramma opératique… tout en louant Jésus et le miracle final de sa Résurrection, les voix réalisent une crèche vivante et naturelle ; un théâtre sincère immédiatement émouvant. L’élégance du geste, la fine sensualité qui cisèle chaque arête du verbe, et qui fonde ici l’idée d’une conversation continue, accréditent davantage la complicité des solistes ici réunis, serviteurs du génie montéverdien. Le verbe se fait action et geste. Chant et musique, caresses tendres et délicieuses prières. On se croirait revenu au temps des pionniers baroques, à l’époque où Christie et Harnoncourt découvraient les mondes du premier baroque italien. Exaltant. Superbe programme. Donc CLIC de CLASSIQUENEWS

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Cd critique. ANAMORFOSI : Allegri, Marazzoli, Monteverdi (Le Poème Harmonique, juin 2018 – 1 cd ALPHA)

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Video
https://www.youtube.com/watch?v=q5RlIa6hSFg
ALLEGRI & MONTEVERDI: ANAMORFOSI, Le Poème Harmonique & Vincent Dumestre

Release date → September 2019  -  Stream//Download//Buy → https://lnk.to/AnamorfosiID

Allegri’s Miserere, its heartbreaking harmonies, its verses alternately cha…

ALLEGRI & MONTEVERDI: ANAMORFOSI par Le Poème Harmonique & Vincent Dumestre (EPK)

L’ILIADE A L’OPÉRA : IphigĂ©nie, Hector, Cassandre, Andromaque, Achille, …

IPHIGENIE-fresque-opera-opera-critique-annonce-dossier-opera-mythe-explication-classiquenews-GLUCK-iphigenie-en-tauride-en-aulide-Diane-classiquenews-sacrifice-iphigenie-1L’ILIADE à l’opéra… L’Iliade raconte la guerre de Troie, c’est un temps fort de l’union sacrée des rois grecs, marqué par le rassemblement des royautés sous la tutelle du roi de Mycènes, Agamemnon (maison des Atrides), commandant de la flotte grecque jusqu’à Troie ; le siège de Troie qui dura 10 ans, enfin la résolution du conflit pendant la dernière année, celle où Hector le troyen affronte Achille le grec, ami inconsolable près la mort de Patrocle. Tous n’ont qu’un but : récupérer l’épouse de leur allié le roi de Sparte, Ménélas (qui est aussi le frère d’Agamemnon) : Hélène qui a fui la péninsule grecque avec Pâris, fils du roi troyen Priam.
Heureusement racontée par Homère, l’Iliade offre des ressources expressives et un terreau riche en situations intenses et dramatiques. Les auteurs y puisent quantité d’épisodes et de caractères dans les genres pathétique (Iphigénie, Andromaque), héroïque (Achille, Hector, Ulysse), tragique et halluciné (Cassandre, Achille…)… Les compositeurs et leurs librettistes l’ont bien compris, exploitant tel ou tel épisode. La Guerre de Troie met en scène la passion amoureuse souvent déraisonnables chez les dieux; le goût de la guerre chez les hommes ; dans les deux camps, l’épopée héroïque et tragique, toujours riche en sacrifices, dévoile une irrépressible malédiction de l’autodestruction, l’amour rendant fou ; et la barbarie des armes détruisant toute issue.

troie_incendie_simon_de_vliegerDepuis OrphĂ©e, sujet premier dans l’histoire de l’opĂ©ra, la musique et le chant mettent en scène le cycle Ă©ternel, inexorable de la perte, du deuil, du renoncement, de la folie et de la mort. Les passions mènent chaque mortel Ă  sa perte. Le propre de l’homme est de vivre dans l’insatisfaction perpĂ©tuelle, la frustration : sa destinĂ©e s’accomplit dans l’autodestruction. Tous les mythes parlent de l’extinction programmĂ©e de la race humaine (illustration : l’incendie de Troie, DR).
La narration mêle étroitement le destin des mortels et celui des dieux, dans un conflit qui assimile leur propre désir et leur destinée. Si Zeus se montre du côté des Troyens, lui l’infidèle compulsif, reconnaissant alors le droit du prince Pâris à ravir au grec Ménélas (roi de Sparte) son épouse, la belle Hélène, les autres dieux de l’Olympe préfèrent nettement soutenir les Grecs.

 

 

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L’histoire léguée par Homère célèbre le profil de héros inoubliables qui montre leur valeur au combat, tel Achille ; ce sont aussi des figures féminines habituées au deuil ou à la soumission : Iphigénie, fille d’Agamemnon, ou Andromaque, bientôt veuve d’Hector… Chacun défend sa place, son rang, jusqu’au sang. Illustration : Les Troyens tirent le cheval laissé par les grecs, GB Tiepolo, DR).

 

 

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L’ODYSSÉE : le voyage de retour d’Ulysse à Ithaque.. Une détermination que l’on retrouve ensuite dans l’Odyssée, seconde partie de la fable mythologique racontée par Homère, et qui s’intéresse au retour du grec Ulysse jusqu’à sa patrie, Ithaque, après un voyage riche en détours et épreuves de toute sorte… Là encore, le mortel pourtant très astucieux et qui a assuré la victoire de son camp (il a conçu le stratagème du cheval géant laissé en offrande aux Troyens), ne peut réussir son retour sans la protection de Minerve / Athéna (et de Mercure) qui lui assure un soutien indéfectible tout au long de son incroyable odyssée.

 

 

 

 

 

L’Iliade et l’Odyssée, à l’opéra

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A travers lâ€histoire de l’opĂ©ra, depuis sa crĂ©ation Ă  l’âge baroque au XVIIè, d’innombrables compositeurs ont puisĂ© dans la mythologie et dans le texte d’Homère. Ils y trouvent le portrait de caractères ardents et passionnĂ©s, des situations tragiques et radicales propres Ă  nourrir une bonne action, selon le schĂ©ma idĂ©al : prĂ©sentation / exposition, action / dĂ©veloppement, catastrophe, transfiguration, rĂ©solution…

Si l’on suit la chronologie des opéras majeurs ainsi conçus d’après Homère, on découvre de siècle en siècle le goût des créateurs pour la mythologie, et en particulier ce qu’ils trouvent pertinent dans les choix des sujets et des personnages ainsi mis à l’honneur. De fait, les plus grands auteurs pour l’opéra ont choisi l’un ou l’autre personnage de la guerre de Troie, marquant par leur écriture respective l’histoire du genre lyrique. L’histoire réalise la représentation de la condition humaine contrainte, démunie, finalement impuissante ; tous les héros, grecs ou troyens, doivent se soumettre à des forces qui les dépassent (incarnées par le caprice des dieux, l’humeur du destin, de la mort…) ; chacun doit se transcender pour survivre et non pas vivre. Beaucoup y perde la vie mais gagne un prestige qui les rend immortels.

 

 

 

 

XVIIè / Seicento 
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Monteverdi : Le Retour d’Ulysse dans sa patrie, 1640

monteverdi claudio portraitC’est l’un des derniers ouvrages de Claudio Monteverdi à Venise, daté de 1640 (créé au Teatro San Giovanni e Paolo), quand l’opéra, genre nouvellement inventé depuis 1637 et rendu « publique », s’intéresse à l’Antiquité ; mais à travers l’épopée douloureuse et incertaine du roi d’Ithaque, impatient de retrouver épouse (Pénélope) et fils (Télémaque), Monteverdi (en collaboration avec le librettiste Giacomo Badoaro), traite de la destinée humaine, si faible et dérisoire (le prologue fait paraître la Fragilité humaine aux côtés du Temps, de l’Amour et du Destin) ; sans coup de pouce d’une fortune imprévisible, l’homme ne peut que désespérer de trouver bonheur et accomplissement. Aidé par Mercure et Minerve, le héros peut accoster sur l’île natale et ainsi reconquérir contre les princes opportunistes qui ont profité de son absence pour se placer, pouvoir et amour.
Monteverdi observe et respecte le goût du public vénitien d’alors (1640) : moins de chœur (contrairement à l’opéra romain), plus de profils psychologiques finement caractérisés (jusqu’à 20 personnages différents) dont certains, comiques (le goinfre Iro) ou amoureux (couple Mélanthe et Erymaque) contrastent avec les héros héroïques et tragiques (Pénélope, Ulysse). L’orchestre est réduit à son maximum, le recitar cantando sculpte le pouvoir du verbe, mais ce spectacle hautement théâtral et psychologique, cède aussi la place aux interventions divines et surnaturelles (constante apparition des dieux dont Mercure et Minerve) voire spectaculaire (le bal des prétendants au III, ou Neptune détruisant les navires des Phéaciens…). Profondeur, comédie, tragédie (le récitatif de la douleur infinie de Pénélope « endeuillé », solitaire), riches effets visuels… continuent d’assurer à l’ouvrage (modifié de 5 à 3 actes), son fort impact expressif et ulysse ulisse opera monteverdi classiquenewspoétique. Dans son dernier ouvrage, L’Incoronazione di Poppea / Le Couronnement de Poppée de 1643, également créé à Venise, Monteverdi va plus loin encore aidé de son librettiste Busenello : le couple d’adolescent libidineux et pervers, Néron et sa favorite Poppée incarnent l’apothéose de l’amour sensuel sur toute autre considération : fidélité et honneur (Néron répudie Octavie), sagesse et philosophie (Néron fait assassiner son maître à penser Sénèque) ; le réalisme sanguinaire qui s’y déploie,- sans effets de machinerie ici, marque un tournant dans l’histoire de l’opéra vénitien : cru, barbare, cynique, désespéré. L’amour qui unit Néron et Poppée, les mène à la folie. L’absolue modernité de l’oeuvre, en fait le premier opéra proprement dit par sa conception générale et le réalisme de son action.

Dallapiccola en 1968 compose lui aussi son opéra Ulisse, avec d’autant plus de légitimité que dès 1941, il adaptait une version modernisé de l’Ulisse montéverdien pour le Mai florentin.

Dans l’ombre du génial Monteverdi plusieurs compositeurs italiens abordent eux aussi la figure d’Ulysse : tel Sacrati (L’Ulisse errante, 1644),

 

 

 

 

XVIIIè / Settecento 
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Les 2 IphigĂ©nies de GLUCK : l’opĂ©ra moderne Ă  Paris (1774, 1779)

GLUCKLa réforme de l’opéra seria au début des années 1770 se réalise à Paris, grâce au génie puissant, nerveux, dramatique du chevalier Gluck qui après la mort de Rameau (1764), incarne l’opéra moderne, héroïque, simple, grandiose comme un bas relief antique : ses deux Iphigénies, en Aulide (créé en 1774, dont l’action se situe au moment du sacrifice piloté par son père Agamemnon s’il veut effectivement réunir et conduire la flotte des rois grecs vers Troie) ; puis Iphigénie en Tauride (1779), seconde époque située après l’affaire du sacrifice, quand la jeune femme désormais dédiée au culte de Diane, retrouve son frère Oreste, lequel est dévoré par la culpabilité après avoir assassiné avec leur sœur Electre, leur propre mère Clytemnestre… En 1779, Iphigénie en Tauride concentre la dernière manière de Gluck à Paris, le sommet de son style frénétique et fantastique, d’une tension nouvelle, perceptible dès la tempête d’ouverture, quand Iphigénie contrainte par les éléments, doit accoster près du bois sacré de Diane… la déesse est ici maîtresse des destinées.
En choisissant la figure d’une jeune princesse dévouée, loyale à son devoir et donc prête effectivement à se sacrifier pour la réussite du projet paternel, Gluck fait le portrait d’une héroïne touchante et exemplaire, hautement morale, toute maîtrise incarnée, a contrario des nombreuses sorcières et enchanteresses amoureuses de l’opéra baroque qui a précédé. Cet idéal classique et moral inaugure l’esthétique néoclassique, moralisateur et édifiant qui mène au romantisme. Mais Gluck aime la veine tendue, passionnelle, celle des figures qui déclament leur valeur morale en stances hallucinées, dramatiques voire fantastiques. Le compositeur place aux bons moments de la partition, des intermèdes ou ballets, frénétiques, exaltés, particulièrement électrique.
Inspiré surtout du texte d’Euripide, Iphigénie en Aulide commence quand la flotte grecque est arrêtée par Diane depuis l’île d’Aulis. Iphigénie incarne une héroïne pathétique et tendre dont se souviendra Mozart pour le personnage d’Ilia dans son opera seria d’envergure, Idomeneo de 1781. L’action met en scène autour de la princesse de Mycènes, ses parents, Agamemnon et Clytemnestre. Mais aussi Achille, le jeune guerrier accompagné par son ami Patrocle : amoureux, Achille prend la défense d’Iphigénie contre la voeu du roi Agamemnon, favorable au sacrifice de sa fille demandé par Diane qui consent ainsi à protéger le roi jusqu’à Troie. Ce conflit Achille / Agamemnon ira s’intensifiant, expliquant pourquoi au moment de la guerre de Troie, et sous les remparts de la cité qui résiste, Achille rechigne à combattre sous les ordres du souverain de Mycènes.

Avant Gluck, Domenico Scarlatti écrit la musique d’Ifigenia in Aulide (1713) ; Desmarest s’intéresse aussi à la figure d’Iphigénie sacrifiée (en Aulide, terminée par son élève Campra et créé à l’Académie royale en 1722).

 

 

 

gretry-andre modeste gretryMiroir d’une époque trouble, l’opéra affectionne les figures passionnées et les destins tragiques. Grétry plus connu pour ses opéras-comiques ou galants (L’Amant jaloux, 1778), succombe lui aussi après Gluck aux séductions de la lyre néo antique (comme le peintre David) et met en musique sa propre Andromaque en 1778 ; le favori de Marie-Antoinette réinvente le carcan pourtant codifié de la tragédie en musique et brosse le portrait de la veuve d’Hector, en promise à Pyrrhus, mais la princesse troyenne meurt suicidaire (comme sa suivante Hermione) sur le corps de son fiancé. Réminiscence du chœur antique, les choristes ici sont majeurs : « véritable personnage permanent, la voix collective apporte l’ampleur de la fresque, l’espace de l’arène grecque, le souffle du drame », précise notre rédacteur Lucas Irom.
Lire notre critique du cd Andromaque de Grétry (2010) :
http://www.classiquenews.com/grtry-andromaque-1778france-musique-mardi-13-juillet-2010-20h/

 

 

 

 

 

 

XIXè : les Romantiques et l’AntiquitĂ©
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Berlioz, du côté des Troyens (1858)

Lecteur passionné de Virgile et aussi grand admirateur de Gluck, dont il aime la lyre tendue et noble, Berlioz se dédie pour offrir musicalement sa propre lecture des Troyens, à travers l’histoire d’Enée. Comme il s’était passionné tout autant pour le Faust de Goethe, livrant sa sublime « Damnation de Faust », chef d’oeuvre de l’opéra romantique français. Concernant Les Troyens, le gros de la partition est écrit entre 1856 et 1858. C’est moins l’Iliade que l’Enéide qui inspire son grand opéra, jamais produit de son vivant (création partielle en 1863) mais grande partition en deux parties : Les Grecs à Troie (la chute de Troie, actes I et II), puis Les Troyens à Carthage (actes III à V) dont l’épisode des amours d’Enée et de la reine Didon cimente l’action. La création complète est réalisé après la mort de l’auteur à Karlsruhe (1890), puis à Nice en français en janvier 1891.
De cette façon, Berlioz éclaire le destin des Troyens après la chute de Troie, comme Homère dans l’Odyssée, précisait le destin d’Ulysse, côté grec, après le même événement.
berlioz-hector-582-portrait-par-classiquenews-concerts-festivals-operasBerlioz, concepteur ambitieux, pense espace et étagements sonores ; sa fresque antique est surtout chorale et orchestrale, aux harmonies inédites, au format inédit, très expressives et dignes de Gluck, particulièrement dramatiques. Son point de vue est du côté des Troyens : Enée, fugitif et apatride, saura lui aussi trouver sa voie et son destin, sacrifiant son amour pour Didon, et fonder Rome en Italie… Ici il est question non plus de destruction des troyens, mais bien de permanence de la splendeur troyenne, ressuscitant dans l’empire romain à naître… Berlioz repousse les limites expressives de la scène lyrique ; contredisant la grosse machine souvent alambiquée d’un Meyerbeer, le Romantique français invente une langue aussi âpre et mordante, fantastique et onirique, mais simple et épurée que celle de Gluck, mais avec un orchestre somptueux et orageux ; affectionnant aussi le chœur imploratif (aux côtés d’Andromaque la veuve d’Hector) et pathétique, dans « la Chute de Troie » ; quand, dans la seconde partie, « Les Troyens à Carthage », le compositeur interroge les amours d’Enée et de Didon, finalement sacrifiées sur l’autel du devoir : Enée amoureux doit répondre à l’appel du destin et de l’histoire (les ombres de Priam, Chorèbe, Hector le pressent d’honorer leur mémoire : fonder une nouvelle nation en Italie).
Enée abandonnera donc Didon pour l’Italie. La scène de l’abandon se transforme alors en vaste bûcher où périt la reine suicidaire (nouvelle Cléopâtre, ou préfiguration de la fin du Ring, quand Brunnhilde dans le Crépuscule des dieux de Wagner, se jette dans un même feu libérateur). Berlioz conçoit le premier en une scène spectaculaire, pathétique et tragique, la mort de l’héroïne (Didon) : si Enée se projette dans l’empire romain à venir, Didon maudit la race troyenne et invoque Hannibal, futur rival des romains… Chacun imagine son avenir selon sa propre vision.
La tradition de la tragédie en musique y est réinterprétée avec une originalité parfois sauvage et radicale comme l’était Berlioz : récits ou airs fermés, séquence des ballets obligés, mais évocation atmosphérique personnelle (tempête et chasse d’Enée…), expression d’un amour absolu et tendre malgré les événements pressants (Chorèbe et Cassandre puis Didon et Enée, dans chacune des deux parties)… Là encore comme pour l’Ulysse de Monteverdi, Homère et Virgile, ont inspiré deux partitions particulièrement décisives dans l’histoire de l’opéra et sur le plan poétique, deux sommets d’équilibre et de puissance émotionnelle.

 

 

Dieux & héros ridiculisés : délire et parodie chez Offenbach 

offenbach jacques portrait opera operette 1704981-vive-offenbachLA BELLE HELENE (Paris, 1864) / Jacques Offenbach : vaudeville sublimĂ©. Davantage encore qu’OrphĂ©e aux enfers (18580 vĂ©ritable triomphe qui assoit sa cĂ©lĂ©britĂ© et son gĂ©nie sur les boulevards parisiens, La Belle HĂ©lène est plus encore symptomatique de la sociĂ©tĂ© insouciante, flamboyante, un rien dĂ©cadente du Second Empire : créé au Théâtre des VariĂ©tĂ©s le 17 dĂ©c 1864, l’ouvrage sous couvert d’action mythologique, est une sĂ©vère et dĂ©lirante critique de la sociĂ©tĂ© d’alors, celle des politiques corrompus (ici le devin Calchas vĂ©nal), des cocottes alanguies, des sbires insouciants, irresponsables et doucereux (Oreste, Agamemnon)… l’humour voisine souvent avec le surrĂ©alisme et le fantasque, mais toujours Offenbach sait cultiver un minimum d’élĂ©gance qui fait basculer le fil dramatique dans l’onirisme et une certaine poĂ©sie de l’absurde … LIRE notre opĂ©ra focus : la Belle HĂ©lène de Jacques Offenbach (Paris, 1864)

 

 

 

Approfondir
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DVD Ă©vĂ©nement… Tous les secrets de la guerre de Troie (L’Iliade), les hĂ©ros et les dieux, les relations des uns et des autres, les enjeux, dĂ©sirs, intrigues sont explicitĂ©s dans la saison 2 de la sĂ©rie « les Grands Mythes / L’Iliade » Ă©ditĂ© par ARTE Ă©ditions (conception : François Busnel) – sortie : septembre 2019, CLIC de CLASSIQUENEWS (10 Ă©pisodes).

ILIADE les-grands-mythes-i-liade-francois-busnel-dvd-annonce-critique-dvd-serie-saison-classiquenewsExtrait de notre prĂ©sentation critique du coffret DVD : Les Grands Mythes / L’Iliade (Arte Ă©ditions) : “…  Ici, sur les traces d’Homère, mĂŞme approche complète et claire, esthĂ©tique et très documentĂ©e : tous les hĂ©ros de l’Iliade, guerriers grecs et troyens, dieux et dĂ©esses de l’Olympe, y sont subtilement Ă©voquĂ©s, leurs exploits et leurs enjeux comme leur signification, analysĂ©s : Ajax et Ulysse, Patrocle tuĂ© par Hector, Hector tuĂ© par Achille, Priam et Agamemenon, sans omettre l’implication des dieux Aphrodite, AthĂ©na, Arès, surtout HĂ©ra dont la ruse, piège Zeus et organise la victoire finale des grecs… Après le visionage de chacun des 10 Ă©pisodes, l’Iliade, c’est Ă  dire l’histoire de la Guerre de Troie, n’aura plus aucun secret pour vous. IDEAL prĂ©ambule Ă  l’opĂ©ra… Le coffret est d’autant plus nĂ©cessaire que chacun des Ă©pisodes clarifie l’épopĂ©e des grecs contre les troyens, de quoi mieux comprendre tous les ouvrages de musique et surtout les opĂ©ras, si nombreux, qui se sont inspirĂ©s de la formidable Ă©popĂ©e homĂ©rienne et des figures fascinantes des hĂ©ros concernĂ©s : Priam, Agamemnon, IphigĂ©nie, Hector contre Achille, Cassandre, HĂ©cube…”

VOSGES DU SUD : 26è Festival MUSIQUE & MÉMOIRE (19 juillet – 4 aoĂ»t)

musique-et-memoire-festival-2019-annonce-programmation-concert-opera-festival-concerts-annonce-critiques-classiquenewsVosges du Sud, 26è FESTIVAL MUSIQUE ET MEMOIRE : 19 juillet – 4 aoĂ»t 2019. C’est le festival estival le plus original et le plus passionnant au nord de la Loire (ils ne sont pas nombreux et d’autant plus mĂ©ritants) et dans le grand Est, en Franche-ComtĂ© ou dans les VOSGES DU SUD plus prĂ©cisĂ©ment. Inscrit dans le territoires des 1000 Ă©tangs, un paradis mĂ©connu accordant forĂŞts Ă©ternelles et musique classique, en une Ă©quation inoubliable. Depuis ses dĂ©buts, le Festival Musique et MĂ©moire sait dĂ©velopper l’audace et la fidĂ©litĂ©, rĂ©servant aux ensembles les plus engagĂ©s, une rĂ©sidence de 3 annĂ©es pour approfondir un geste musical, affiner l’interprĂ©tation d’un rĂ©pertoire ou d’un compositeur, ciseler le travail chambriste, l’écoute et l’expĂ©rimentation entre musiciens, et surtout le partage Ă  l’adresse du public, heureux de participer Ă  l’élaboration des programmes, stimulĂ© Ă  suivre ainsi la maturation des sensibilitĂ©s. L’édition 2019 de Musique et MĂ©moire rĂ©pond Ă  tout cela, rĂ©pondant avec dĂ©lices et souvent de manière surprenante aux attentes du public. Car l’esprit de dĂ©couverte et la curiositĂ© sont toujours lĂ , intactes et prĂ©servĂ©es après plus de 25 annĂ©es de programmation.

 

 

Musique et Mémoire 2019 se déroule ainsi autour de 3 WEEK ENDS : 20-21 puis 27-28 juillet, enfin 3-4 août 2019 : une occasion idéale pour organiser votre séjour en Franche-Comté.

 

 

 

 

 

NOS 4 TEMPS FORTS 2019

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Parmi les temps forts 2019, distinguons entre autres :

 

 

 

1 – VENDREDI 19 JUILLET 2019

 

Concert d’ouverture de la Fenice avec un programme haut en couleursmonteverdi claudio portrait
COURONNEMENTS A VENISE / Incoronazione a Venezia
Messe de couronnement dans la Venise des Doges (Ven 19 juillet, Eglise St-martin de Lure, 21h). Ensemble La Fenice, Jean Tubéry.
Musiques des Gabrieli et de Monteverdi à Venise en 1615…
A 17h, répétition ouverte au public

2 – SAMEDI 20 JUILLET 2019

SUBLIME ORGUE DE GRANDVILLARSCollaboration Jean-Charles Ablitzer (orgue) / Vox Luminis pour une valorisation du merveilleux orgue espagnol de Grandvillars / SOL Y SOMBRA (soleil et ombre) : un programme en clair obscur, aux contrastes caravagesques, l’orgue de Jean-Charles Ablitzer et les voix éthérées, allusives, magiciennes de l’ensemble Vox Luminis (Lionel Meunier, direction), déjà invité au Festival l’an dernier (Eglise St-Martin de Grandvillars, sam 20 juillet, 18h et 21h). Musiques de Victoria et Arauxo.

 

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3 – VENDREDI 26 et SAMEDI 27 JUILLET 2019

spilmont-olivier-by-nicolas-maget-classiquenews-festival-musique-et-memoire-juillet-2017-JS-BACHPoursuite du parcours Jean-Sébastien Bach par Alia Mens
Vendredi 26 et samedi 27 juillet 2019 (3è année de résidence).
Récital d’Olivier Spilmont, clavecin (Suites Françaises, le 26 juil, Gd Salon de l’Hôtel de Ville de Lure, 21h)
Labyrinthe : Cantates de Leipzig en un labyrinthe de 3 cantates, un chanteur par partie, où règne, énigmatique et mystérieuse la plus doloriste et inquiétante « Meine Seufzer, meine Tränen » (Sam 27 juil, Basilique St-Pierre de Luxeuil-les-Bains, 21h)

 

 

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4 – WEEK END LES TIMBRES : 2,3,4, 5 AOĂ›T 2019

 

Enfin, le meilleur pour la fin, la dernière année de résidence (2 dans l’histoire dules-timbres-portrait-noi-et-blanc-classiquenews festival, pour un campagnonage unique) du jeune ensemble envoûtant LES TIMBRES, ven 2, sam 3, dim 4 août 2019. C’est un miracle musical de péosie chambriste et d’entente collective comme il en existe peu ailleurs. Ainsi le joyeux trio enchanteur : Yoko Kawakubo, Myriam Rignol, Julien Wolfs (violon, viole de gambe, clavecin) propose What is life (William Byrd, le ven 2 août, Eglise luthérienne d’Héricourt, 21h) ; Inventions à 2 violons (avec Maite Larburu, 2è violon), et Inventions avec 2 violes de gambe (avec Pau Marcos Vicens, 2è viole de gambe), Inventions à 4 mains (avec Marie-Anne Dachy, clavecin), puis L’art de la fugue qui réunit les 6 instrumentistes solistes, sam 3 août, Chapelle Saint-Martin de Faucogney, 15h.
Le dimanche 5 aoĂ»t, place aux individualitĂ©s : Suites par Myriam Rignol (11h, chĹ“ur roman de Melisey), Sonate et Partita par Yoko Kawakubo (15h, Eglise ND de l’Assomption de Château-Lambert), enfin Variations Goldberg pr Julien Wolfs – enfin, rĂ©union des 3 solistes des Timbres dans Sonates en trio (17h30, Eglise ND de l’Assomption de Servance).

 

 

 

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VOSGES DU SUD : le Festival Musique & Mémoire diffuse l'excellence au Pays des 1000 étangs


VIDEO TEASER
évasion dans les VOSGES DU SUD

https://www.youtube.com/watch?v=vW50y5VJwiY 

  

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Toutes les infos, les modalités de réservations
sur le site du festival MUSIQUE & MEMOIRE 2019 :

https://musetmemoire.com

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MUSIQUE ET MÉMOIRE EN VIDÉO :

 

 

 

REPORTAGE VIDEO Festival Musique & Mémoire 2018 : Pour les 25 ans du Festival, Vox Luminis réalise la Messe en si de Jean-Sébastien Bach

 

REPORTAGE. JS BACH : Messe en si par VOX LUMINIS / Festival Musique et Mémoire 2018 from classiquenews.com on Vimeo.

 

 

 

 

 

Les éditions précédentes :

 

 

 

Festival 2013

 

Festival Musique et Mémoire 2013 : Les 20 ans from classiquenews.com on Vimeo.

 

 

 

 

 

Festival 2015 : Les Timbres, l’opĂ©ra dans tous ses Ă©tats

 

GRAND REPORTAGE : Festival Musique et Mémoire 2015 / Les Timbres from classiquenews.com on Vimeo.

 

 

 

 

Festival 2016 : Les 400 ans de FROBERGER

 

REPORTAGE. Le Festival MUSIQUE & MÉMOIRE 2016 : les 400 ans de Froberger from classiquenews.com on Vimeo.

 

 

 

 

Festival 2017 : ALIA MENS interprète Cantates et Concertos de JS BACH

 

REPORTAGE, vidéo. Festival MUSIQUE & MÉMOIRE : ALIA MENS joue JS BACH (juil 2017). from classiquenews.com on Vimeo.

 

 

 

 

Baroque italien : aux origines de l’opĂ©ra, le mythe d’OrphĂ©e

Monteverdi 2017 claudio monteverdi dossier biographie 2017 510_claudio-monteverdi-peint-par-bernardo-strozzi-vers-1640.jpg.pagespeed.ce.FhMczcVnmyARTE, dim 2 juin 2019, 18h. Baroque italien à Versailles. La naissance de l’opéra italien, au XVIIè (Seicento) dans les cours de Florence et de Mantoue, sous les ors de la Galerie des Glaces. Œuvres de Monteverdi, Caccini, Malvezzi… En 1607 est créé le premier opéra « moderne » de l’histoire musicale, L’Orfeo de Claudio Monteverdi pour l’ouverture du carnaval à Mantoue, une œuvre pionnière, ovni lyrique, entre Renaissance et recitar cantando, dont la puissance ne cesse de fasciner musiciens et mélomanes plus de quatre cents ans plus tard.

Dans quel contexte un tel chef-d’œuvre a-t-il pu naître ? La question et la réponse qu’elle appelle, est à l’origine de ce concert. Présentation par ARTE : « L’Italie du XVIème siècle est un véritable laboratoire de recherche musicale : recherche sur l’espace sonore et la spatialisation du son, travail en commun des poètes et des compositeurs! L’époque est follement libre, et tout est fait pour provoquer la stupéfaction et l’émerveillement sur l’auditoire. Les cours rivalisent en inventant des fêtes toujours plus luxueuses, où tous les arts sont réunis. Pour les compositeurs, ces événements représentent l’occasion unique de faire entendre leurs dernières innovations musicales.C’est ainsi que tous les ingrédients sont en place pour la naissance d’un nouveau genre, l’opéra ! ».

dossier spĂ©cial OrphĂ©e / OrfeoLe spectacle pluridisciplinaire “Stravaganza d’Amore!” Ă©voque les splendeurs et le raffinement du spectacle de cour entourant les prĂ©mices de l’opĂ©ra italien : y dialoguent Monteverdi et ses contemporains oubliĂ©s Malvezzi, Da Gagliano, et tous les autres… Le programme très variĂ© mĂŞle les formes diverses (intermèdes lyriques, Sinfonia et Toccata, madrigaux, opĂ©ras) recomposĂ©es tel un nouvel opĂ©ra imaginaire autour de la fable d’OrphĂ©e : le poète de Thrace qui s’accompagnait de sa lyre, dĂ©clamait avec une telle sĂ©duction… qu’il rĂ©ussit Ă  Ă©mouvoir jusqu’au dieu des enfers Pluton (en rĂ©alitĂ© l’épouse de ce dernier, Proserpine). OrphĂ©e put ainsi rĂ©cupĂ©rer sa femme, Eurydice. Le mythe orphique est donc indissociable de la naissance de l’opĂ©ra. Dans le chant d’OrphĂ©e, sa plainte, dĂ©ploration et dĂ©claration,expose dĂ©sormais ses propres sentiments (affetti), au cĹ“ur des recherches des compositeurs de la Renaissance et des premiers auteurs lyriques Ă  Florence…

Dimanche 2 juin 2019
18h15 : SOIREE BAROQUE ITALIENNE A VERSAILLES STRAVAGANZA D’AMORE 

(2019-43’) Avec les jeunes espoirs du chant français baroque : Lea Desandre, Eva Zaïcik, Lucile Richardot ,Davy Cornillot, Emiliano Gonzalez Toro, Zachary Wilder, Nicolas Brooymans / Pygmalion, direction Raphaël Pichon. Filmé à la Galerie des Glaces du Château de Versailles, le 11 février 2019 .

OPERA VENITIEN (Innsbruck, Busenello, Cavalli). Entretien avec Jean-François Lattarico

252d19cOPERA VENITIEN. Entretien avec Jean-François Lattarico. A l’occasion de notre sĂ©jour au festival d’Innsbruck 2015, nous avons rencontrĂ© Jean-François Lattarico, professeur Ă  l’UniversitĂ© de Lyon et aussi, grand spĂ©cialiste de l’opĂ©ra vĂ©nitien. Sa rĂ©cente Ă©tude sur le courant libertin Ă  Venise puis sur l’Ĺ“uvre et la carrière du poète et librettiste Busenello (partenaire de Monteverdi pour le Couronnement de PoppĂ©e : L’Incoronazione di Poppea) avait retenu l’attention de la rĂ©daction de classiquenews.com. Regards croisĂ©s sur l’essor de l’opĂ©ra vĂ©nitien Ă  Innsbruck grâce au dĂ©frichement menĂ© in loco par RenĂ© Jacobs, directeur artistique jusqu’en 2008 ; mais aussi Ă©vocation des deux prochains ouvrages de Jean-François Lattarico, publiĂ©s chez Garnier (Collection CLASSIQUES Garnier) pour ce printemps 2016 : “Busenello, un théâtre de la rhĂ©torique“, essai fondamental sur la personnalitĂ© du librettiste qui fut d’abord avocat et Ă©crivain soucieux de la reconnaissance de son activitĂ© poĂ©tique et littĂ©raire ; puis “Delle Ore ociose / Fruits de l’oisivetĂ©” (1656) , première Ă©dition intĂ©grale des livrets Ă©crits par Busenello, avec traduction en français… Plus qu’un librettiste, Busenello fut d’abord poète. On commence Ă  mesurer sa formidable contribution au gĂ©nie littĂ©raire vĂ©nitien du Seicento et dans ses adaptations lyriques, Ă  la formidable aventure du théâtre baroque vĂ©nitien, Ă  l’Ă©poque de Monteverdi et de Cavalli. Grand entretien avec Jean-François Lattarico.

 

 

 

PARTIE 1 :

l’opĂ©ra vĂ©nitien Ă  Innsbruck

Innsbruck, source de redécouvertes lyriques

 

 

OpĂ©ras baroques vĂ©nitiens recréés… Jean-François Lattarico (JFL) prĂ©cise d’abord le travail local de RenĂ© Jacobs surtout Ă  partir des annĂ©es 1970, – un chantier essentiel qui dès lors, a fait d’Innsbruck un lieu oĂą se sont succĂ©dĂ©es nombre de recrĂ©ations importantes des auteurs vĂ©nitiens baroques, tous hĂ©ritiers de l’illustre Claudio Monteverdi. L’accent dĂ©fendu sur les compositeurs vĂ©nitiens est d’autant plus lĂ©gitime Ă  Innsbruck que la ville est historiquement le lieu de villĂ©giature des Habsbourg ; c’est Ă  Vienne que le compositeur Antonio Cesti a donnĂ© son opĂ©ra mythique (un ouvrage devenue lĂ©gendaire, Ă  juste titre par la magie de la musique autant que le luxe inimaginable de ses dĂ©cors) : Il Pomo d’oro ; RenĂ© Jacobs a longtemps rĂŞvĂ© de remonter l’ouvrage Ă  Innsbruck, un projet demeurĂ© Ă  ce jour, lettre morte… Il existe toujours la maison de Cesti, compositeur adulĂ© et couvert de faveurs : face Ă  la CathĂ©drale Saint-Jacob, une ample demeure, – façade de style gothique-, occupe toujours l’angle qui fait face au parvis. C’est cette maison situĂ©e dans la vieille citĂ© d’Innsbruck qui fut donnĂ©e en rĂ©compense au compositeur par le gouverneur de la province. Outre Il Pomo d’oro, Cesti a Ă©crit ses ouvrages majeurs Ă  Innsbruck : L’Argia pour la visite escale de la Reine Christine de Suède (quittant son pays pour Rome), mais aussi L’Orontea (Ă©ditĂ©e en 1649), autre partition fascinante. Les premiers essais de recrĂ©ation lyrique portĂ©s par RenĂ© Jacobs remontent Ă  1968 quand chanteur abordait Erismena de Cavalli sous la direction d’Alan Curtis. Un premier jalon visionnaire pour la place de Venise Ă  Innsbruck.

RenĂ© Jacobs et l’opĂ©ra vĂ©nitien. Une constellation de rĂ©surrections a vu ensuite le jour, toutes amorcĂ©es Ă  Innsbruck et reprises au grĂ© des coopĂ©rations dans d’autres villes europĂ©ennes : depuis la fin des annĂ©es 1970, jusqu’au dĂ©but des annĂ©es 1980, paraissent ainsi L’Orontea (ouvrage enregistrĂ©), puis Xerse de Cavalli (1987-1988), Il Giasone du mĂŞme Cavalli (1990), repris au TCE (Théâtre des Champs ElysĂ©es) Ă  Paris ; l’immense rĂ©vĂ©lation que fut La Calisto de 1993, avec l’inoubliable Maria Bayo, production fut reprise Ă  Salzbourg, Ă  Lyon… “C’est d’ailleurs la production qui a le plus tournĂ© après Innsbruck”, prĂ©cise JFL ; enfin, superbe rĂ©vĂ©lation Ă©galement, L’Argia (1996) repris au TCE.
Rene-Jacobs-2013-582Comme chef engagĂ©, pilote de tant de recrĂ©ations lyriques majeures, RenĂ© Jacobs marque les esprits par sa conception artistique. Contrairement au dĂ©pouillement voire Ă  l’Ă©pure d’un Curtis et son absolu respect des partitions, Jacobs n’hĂ©site pas Ă  réécrire, arranger, ajouter, rĂ©tablir l’instrumentarium, lĂ  oĂą il y a manque. Comme Ă  l’Ă©poque oĂą l’effectif et les conditions de rĂ©alisation variaient selon les lieux et les moyens locaux, RenĂ© Jacobs emploie souvent un orchestre plus fourni (quand on sait qu’Ă  Venise, bon nombre d’opĂ©ras Ă©taient créés, – faute de moyens supplĂ©mentaires par une fosse de seulement … 10 musiciens). La vision de l’opĂ©ra intimiste ne serait-elle qu’une rĂ©alitĂ© par nĂ©cessitĂ© ?
De mĂŞme pour sa première lecture d’Eliogabalo de Cavalli, chef d’Ĺ“uvre absolu de 1667, le chef flamand n’hĂ©site pas Ă  utiliser pour colorer l’orchestre, des cornets Ă  bouquins, mĂŞme si l’on sait qu’Ă  cette Ă©poque l’instrument Ă©tait passĂ© de mode et plus guère employĂ©. En vĂ©ritĂ©, le cornet est trop solennel pour la partition. Eliogabalo est une Ĺ“uvre maĂ®tresse dans le catalogue de Cavalli : sa sinfonia est une tarentelle (première apparition de cette forme Ă  l’opĂ©ra) et la partition est composĂ©e pour 5 parties. La production a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©e Ă  Bruxelles en avril 2004 puis Ă  Innsbruck en aoĂ»t 2004 pour le festival d’Ă©tĂ©. Pour Giasone, Jacobs a employĂ© les ballets de Schmelzer, compositeur avĂ©rĂ© dans ce genre Ă  cette Ă©poque.” Cette option reste lĂ©gitime”, prĂ©cise JFL.
“MalgrĂ© la libertĂ© qu’assume Jacobs dans ses choix musicaux et instrumentaux, force est de reconnaĂ®tre la viabilitĂ© de sa mĂ©thodologie”, rappelle JFL : tout son travail part du texte, de sa lecture attentive dont dĂ©coulent tous les choix artistiques. En cela, l’approche est absolument cohĂ©rente. Jacobs lit et relit le livret ; il s’intĂ©resse aussi au contexte, aux versions et propositions littĂ©raires antĂ©rieures sur le mĂŞme sujet. En cela, sa proposition du Don Quichotte de Conti de 1720 qui s’inspirait du texte initial de Cervantes et prĂ©sentĂ©e en 1992, avait Ă©tĂ© très convaincante (avec la mise en scène de Roland Topor, très juste elle aussi). Jacobs a aussi beaucoup apportĂ© dans sa rĂ©solution des rĂ©citatifs. Et l’on sait quelle importance revĂŞt l’articulation et la caractĂ©risation dramatique du rĂ©citatif italien, surtout dans l’esthĂ©tique théâtrale de Cavalli. Pour Jacobs, c’est l’un des piliers de l’opĂ©ra vĂ©nitien et l’un de ses caractères les plus dĂ©terminants. Son souci de l’articulation s’est avĂ©rĂ© très profitable : le texte ainsi articulĂ© par un chant vivant qui rend les rĂ©citatifs plus mordants voire incisifs, d’autant que le chanteur doit ici dĂ©clamer la poĂ©sie et rĂ©vĂ©ler la force comme toutes les images du livret. Le dĂ©fi est redoutable, mais l’enjeu essentiel car l’opĂ©ra vĂ©nitien doit sa cohĂ©rence et sa vĂ©ritĂ© au texte. La musique n’est ici, – et depuis la conception dĂ©fendue, explicitĂ©e par Monteverdi-, qu’un habillage : la musique est servante du texte, “vestir in musica” selon la terminologie de l’Ă©poque, c’est Ă  dire que la musique n’est qu’une enveloppe.

innsbruck alessandro de marchi innsbruck 2015L’après Jacobs Ă  Innsbruck : La relève par Alessandro De Marchi. Une telle Ĺ“uvre de dĂ©frichement orientĂ©e autour de la redĂ©couverte de tout un rĂ©pertoire et de l’esthĂ©tique qui lui est liĂ©e se poursuit aujourd’hui avec le nouveau directeur artistique successeur de RenĂ© Jacobs, Alessandro de Marchi ; mais le curseur gĂ©ographique s’est dĂ©placĂ© et de Venise, il a gagnĂ© les rives de Naples : l’opĂ©ra napolitain semble dĂ©sormais concentrer toutes les faveurs du nouveau directeur et l’Ă©dition 2015 du festival d’Innsbruck l’a bien dĂ©montrĂ© : seria avec Porpora : Germanico (superbe rĂ©vĂ©lation servie par un plateau de solistes très impliquĂ©s : lire ici notre compte rendu) ; buffa de l’autre avec Don Trastullo de Jommelli. On doit Ă  Alessandro de Marchi de sublimes dĂ©couvertes, prolongeant ce goĂ»t de l’inĂ©dit et du poĂ©tiquement affĂ»tĂ© que dĂ©fendit en son heure le pionnier Jacobs. Innsbruck lui doit dĂ©jĂ  entre autres Flavius Bertaridus et aussi La patience de Socrate de Telemann, un ouvrage très inspirĂ© du livret que Minato avait Ă©crit pour un opĂ©ra vĂ©nitien de Draghi : Minato, librettiste familier de Cavalli, signe pour Telemann un opĂ©ra philosophique Ă©poustouflant. En liaison avec son intĂ©rĂŞt grandissant pour l’opĂ©ra napolitain, De Marchi a aussi exhumĂ© La Stellidaura vendicante de Provenzale, autre perle qui mĂ©ritait absolument d’ĂŞtre redĂ©couverte. Comme Jacobs, Alessandro De Marchi dĂ©fend un respect total au texte, n’hĂ©sitant pas aussi Ă  jouer toute la partition, sans opĂ©rer la moindre coupure. C’est pour le public comme pour les connaisseurs, une immersion totale qui permet le temps de la reprĂ©sentation, d’explorer comme de mesurer toutes les possibilitĂ©s d’une Ă©criture musicale, comme toutes les facettes d’un seul ouvrage. LIRE notre entretien vidĂ©o avec Alessandro De Marchi, prĂ©sentation des temps forts du festivals d’Innsbruck 2015 : Innsbruck, les Napolitains, Lully et MĂ©tastase

 

 

 

 

PARTIE 2 :

Les livrets de Busenello

A propos de l’Ă©dition de l’intĂ©grale des livrets d’opĂ©ra de Busenello, somme inĂ©dite comprenant tous les livrets traduits pour le première fois, grâce Ă  Jean-François Lattarico (ouvrage publiĂ© par les Ă©ditions GARNIER classiques, parution annoncĂ©e le 25 mai 2016).

 

 

JloMS02b-1Prolongeant son prĂ©cĂ©dent livre dĂ©diĂ© Ă  Busenello (Busenello. Un théâtre de la rhĂ©torique, Paris, Classiques Garnier, 2013), Jean-François Lattarico fait bientĂ´t paraĂ®tre dans la collection Garnier classiques, un nouveau texte dont l’apport s’avère capital : il s’agit de la premières Ă©dition critique et bilingue de tous les livrets d’opĂ©ras Ă©crits par Busenello. L’intĂ©rĂŞt est inestimable : en prĂ©sentant l’intĂ©gralitĂ© des textes tels que le souhaitait Ă  l’origine l’Ă©crivain, il s’agit de publier l’Ĺ“uvre littĂ©raire de Busenello destinĂ©e au théâtre. Lui-mĂŞme en avait l’intention de son vivant, en intitulant ce corpus par lui assemblĂ© : “Delle ore ociose”, c’est Ă  dire des heures oisives, soit le fruit de l’oisivetĂ©. On y dĂ©tecte le privilège des dilettanti, non pas paresseux mais tout entiers engagĂ©s Ă  l’accomplissement de leur passion qui dĂ©vore toutes les heures disponibles. Jean-François Lattarico publie ainsi (en dĂ©but d’annĂ©e prochaine) en un seul ouvrage, 5 livrets fondamentaux pour qui veut connaĂ®tre les composantes esthĂ©tiques du théâtre busenellien, et aussi, au regard de la qualitĂ© des textes, thĂ©matiques, registres, caractères et finalitĂ©s poĂ©tiques et dramatiques de l’opĂ©ra vĂ©nitien au XVIIème siècle. Panorama des livrets majeurs de Busenello pour le théâtre.

 

1 – Le premier, LES AMOURS D’APOLLON ET DAPHNE, créé en 1640 (que Gabriel Garrido a enregistrĂ©) inaugure la collaboration de Busenello avec Cavalli ; il s’agit de l’un des plus anciens ouvrages vĂ©nitiens dont est conservĂ©e la partition. Le sujet mythologique est Ă©videmment un clin d’Ĺ“il Ă  l’opĂ©ra florentin : Busenello y imbrique 3 sujets, 3 intrigues subtilement mĂŞlĂ©es et interdĂ©pendantes, mais Ă  la sauce vĂ©nitienne. Le librettiste aime y peindre en particulier des dieux imparfaits, humanisĂ©s. La force du texte n’hĂ©site pas Ă  traiter certains rapports entre les personnages comme de vĂ©ritables règlement de compte : ainsi Apollon traite Cupidon de “pygmĂ©e de l’amour en couches culotte !”. La libertĂ© de ton, la truculence de Busenello portent tout le texte avec une intelligence remarquable.

2 – DIDONE ensuite, est le grand chef d’Ĺ“uvre de 1641. L’histoire en est inspirĂ© de L’ÉnĂ©ide de Virgile : Busenello y affirme son ambition littĂ©raire, Ă  nouveau au service de Cavalli. On se souvient de la version complète proposĂ©e par William Christie (DVD Ă©ditĂ© par Opus Arte) qui joue en particulier la fin imaginĂ©e par le poète, une fin heureuse (lieto fine) qui voit non pas Didon abandonnĂ©e et suicidaire après le dĂ©part d’EnĂ©e mais Ă©pousant Iarbas, lequel devient fou. Le gĂ©nie de Busenello est de prĂ©parer ce dĂ©nouement, depuis le dĂ©but de son texte : l’architecture en est rĂ©flĂ©chie et très cohĂ©rente selon un plan classique, explicitement aristotĂ©licien. Busenello fait l’apologie de la folie de l’artiste dans une langue et une construction très travaillĂ©es qui sur le plan dramatique se rĂ©vèle très efficace.

3LE COURONNEMENT DE POPPEE / L’incoronazione di Poppea (1642-1643) Ă©crit pour l’opĂ©ra de Monteverdi. Ni mythologique ni Ă©pique, l’ouvrage traite de l’Histoire romaine. Le premier opĂ©ra historique est le Sant’Alessio de Landi, ouvrage romain (jouĂ© lui aussi par William Christie). Par son cynisme manifeste, le livret se montre vĂ©nitien, mĂŞlant sensualisme, satire et aussi dĂ©rision comique ; la caractĂ©risation des personnages y atteint un sommet, ce avec d’autant plus de gĂ©nie, que Busenello Ă©crit le texte du Couronnement Ă  peu près au mĂŞme moment, circa 1641, oĂą sont créés 3 opĂ©ras sur EnĂ©e le pieux.

4JULES CESAR. Le titre complet du 4ème opĂ©ra de Busenello est La prospĂ©ritĂ© malheureuse de Jules CĂ©sar dictateur. C’est le seul ouvrage en 5 actes dont le changement de lieux rompt avec l’unitĂ© classique, la fameuse unitĂ© d’action prĂ´nĂ©e par Aristote. On ignore pour quel musicien ce livret fut Ă©crit : très probablement Cavalli… Le texte qui prĂ©sente des rĂ©fĂ©rences explicites au Teatro Grimani a Ă©tĂ© imprimĂ© bien après les reprĂ©sentations. En 1646, Busenello y dĂ©peint la fragilitĂ© du pouvoir. Jules CĂ©sar est le versant opposĂ© au pouvoir tel qu’il apparaĂ®t dans Le Couronnement de PoppĂ©e : oĂą NĂ©ron adolescent est pilotĂ© par son dĂ©sir ; c’est un antihĂ©ros “effeminato”, c’est Ă  dire dĂ©bauchĂ©, amoral, en rien hĂ©roĂŻque Ă  la virilitĂ© vertueuse. L’Ă©rotisme Ă©chevelĂ© qui règne dans Le Couronnement de PoppĂ©e est l’antithèse de l’hĂ©roĂŻsme de Jules CĂ©sar, lequel meurt, assassinĂ© par Brutus. Busenello en rĂ©alitĂ© dans le choix des figures et des lieux, fait la critique du pouvoir rĂ©publicain de Rome : fragile et inquiĂ©tant, quand a contrario l’effeminato dĂ©cadent Nerone triomphe. Le chĹ“ur final, glorieux de l’Incoronazione affirme ici le triomphe de Venise sur Rome.

5STATIRA. Le dernier livret de Busenello prĂ©sentĂ© et commentĂ© par Jean-François Lattarico est Statira de 1655, dont Antonio Florio a rĂ©alisĂ© une rĂ©crĂ©ation. C’est l’un des derniers textes de Busenello qui devait mourir en 1659. L’ouvrage marque l’une des dernières Ă©volutions de l’opĂ©ra vĂ©nitien et une inflexion tardive de l’esthĂ©tique théâtrale Ă  Venise. Après la mythologie, les sujets Ă©piques et historiques, le goĂ»t des vĂ©nitiens se porte dĂ©sormais pour l’exotisme, sensible dans le choix de Statira qui se dĂ©roule en Perse. Au milieu des annĂ©es 1650, Busenello opère une moralisation de l’opĂ©ra, prĂ©figurant la rĂ©forme Ă  venir dans les annĂ©es 1690, celle dĂ©fendue par le jĂ©suite lettrĂ© Zeno, membre Ă  Rome de l’AcadĂ©mie de l’Arcadie, qui revendique dĂ©sormais l’attĂ©nuation des excès poĂ©tiques, la sĂ©paration des genres dont le mĂ©lange faisait justement le gĂ©nie et la magie du théâtre vĂ©nitien. Ici le roi de Perse, Darius, est un anti Nerone, le contraire du politique “effeminato” de 1642-1643 : il apprend Ă  vaincre ses passions (la plus belle des victoires remportĂ©es par l’homme sur lui-mĂŞme, expression qui deviendra mĂŞme le sous-titre d’un opĂ©ra : Rodrigo de Haendel) et renonce par devoir, en acceptant de marier Statira Ă  son ennemi, ce par raison.

En travaillant sur les livrets de Busenello, Jean-François Lattarico en souligne l’intelligence de la construction, la simplicitĂ© de la langue, sa virtuositĂ© et son souci de ne jamais sacrifier la qualitĂ© littĂ©raire du texte. Avec le temps, les rĂ©citatifs se rĂ©duisent ; et parfois, il est vrai que le mariage des genres pose quelques problèmes de construction, comme de cohĂ©rence dramaturgique. La rĂ©forme par certains aspects Ă©tait en effet nĂ©cessaire.

L’Ă©dition très attendue prĂ©sente pour la première fois l’intĂ©gralitĂ© des textes que Busenello destinait pour la scène lyrique. Dans l’histoire de l’opĂ©ra vĂ©nitien au XVIIè, JFL rappelle la place singulière qu’occupe la crĂ©ation de Busenello aux cĂ´tĂ©s des auteurs tels Rospigliosi, Faustini, et dans l’histoire de l’opĂ©ra en gĂ©nĂ©ral, sa rĂ©ussite autant musicale que littĂ©raire Ă  l’instar des MĂ©tastase, Goldoni, Da Ponte.

 

 

busenello_giovan_francesco_monteverdi_poppea_statiraUNE Ĺ’UVRE LTTERAIRE A PART ENTIERE. Le soin apportĂ© Ă  la prĂ©sentation des manuscrits rĂ©alise aujourd’hui une somme de rĂ©fĂ©rence que le lecteur, qu’il soit chercheur ou amateur peut consulter : les notes de bas de pages ont Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ©es pour les deux textes italien et français, sans qu’aucune ne vienne court-circuiter l’autre. L’Ă©diteur a prĂ©servĂ© le confort de la lecture et de la consultation. JFL qui a lui-mĂŞme supervisĂ© la traduction des textes en italiens, a veillĂ© en particulier dans la traduction, et passant d’une langue Ă  l’autre, Ă  la versification et Ă  la prosodie. Le texte de chaque livret comporte des rĂ©fĂ©rences intertextuels qui renvoient Ă  d’autres livrets de Busenello. L’auteur, pour lequel le théâtre vĂ©nitien est devenue une terre familière, prĂ©sente en complĂ©ment ses rĂ©flexions sur le style de l’écrivain baroque, prĂ©cise ce en quoi chaque livret est important sur le plan dramaturgique, s’intĂ©resse surtout au livret d’opĂ©ra, comme genre littĂ©raire Ă  part entière. Dans quelle mesure le texte non plus associĂ© Ă  la musique et Ă  la rĂ©alisation scĂ©nique, garde-t-il sa force de conviction et de sĂ©duction ? Tout cela est dĂ©veloppĂ© et richement argumentĂ© en rappelant quelle Ă©tait l’intention de la publication par Busenello de son ouvrage intitulĂ© “Delle ore ociose” : publier ses Ĺ“uvres littĂ©raires destinĂ©es au théâtre, comme s’il s’agissait d’un cycle littĂ©raire autonome.
En dĂ©finitive, JFL nous aide Ă  mieux comprendre la sensibilitĂ© propre des vĂ©nitiens baroques : leur goĂ»t pour un certain cynisme politique ; la claire conscience que la vanitĂ© domine le monde et la vie des hommes ; que tout peut se dĂ©faire, surtout la puissance et la gloire, le pouvoir et la fĂ©licitĂ© : le cas de Jules CĂ©sar en serait le produit le plus emblĂ©matique, en mettant en scène un homme de pouvoir qui le perd. Fidèle Ă  l’esthĂ©tique prĂ´nĂ©e par l’AcadĂ©mie des Incogniti, Busenello est le plus grand reprĂ©sentant de ce pessimisme jubilatoire qui triomphe dans chacun de ses livrets d’opĂ©ra.

 

 

Propos recueillis par Alexandre Pham, été 2015.

 

 

LIVRES, parutions : Jean-François Lattarico fait paraître chez GARNIER classiques, deux ouvrages en ce printemps 2016 :
- BUSENELLO, Un théâtre de la rhétorique
- Delle ore odiose, Les Fruits de l’oisivetĂ©
Prochaines critiques développées sur Classiquenews, dans le mag cd, dvd, livres
 

 

Livres, événement, annonce. Jean-François Lattarico : Busenello, un théâtre de la rhétorique (Classiques Garnier)

lattarico_busenello_theatre_rhetorique_garnier_livreLivres, Ă©vĂ©nement, annonce. Jean-François Lattarico : Busenello, un théâtre de la rhĂ©torique (Classiques Garnier). LE TEXTE AVANT LA MUSIQUE : les livrets d’opĂ©ra de Busenello sont avant tout des textes littĂ©raires d’une intelligence poĂ©tique absolue. L’Ă©crivain Gian Francesco Busenello (1598-1659) est ce gĂ©nie vĂ©nitien propre Ă  la première moitiĂ© du XVIIème siècle, qui Ă  partir de ses propres lectures des modèles Ă©tablis, l’Adone de Marini et Il Pastor Fido de Guarini entre autres, invente sa propre langue poĂ©tique et surtout sa conception du drame musical qui grâce Ă  la force et la puissance de son unitĂ© et de sa cohĂ©sion de conception affirme avant le concours de la musique, la suprĂ©matie du drame musical comme sujet littĂ©raire. Car Busenello avant d’ĂŞtre le librettiste de Monteverdi pour le Couronnement de PoppĂ©e, sommet de l’opĂ©ra baroque vĂ©nitien avant les opĂ©ras de la maturitĂ© de Cavalli, affirme surtout la portĂ©e rhĂ©torique, et la perfection Ă©loquente de la poĂ©sie dramatique… Le texte avant la musique, soit une hiĂ©rarchisation des disciplines Ă  laquelle Monteverdi lui-mĂŞme a adhĂ©rĂ© de son vivant, en reconnaissant par exemple que la musique Ă©tait servante du texte. L’auteur de ce passionnant essai Ă©ditĂ© par Classiques Garnier, analyse la pensĂ©e poĂ©tique du Busenello formidable dramaturge, auquel l’essor du genre opĂ©ra au cours du premier Baroque italien (XVIIè / Seicento) doit son raffinement et sa perfection structurelle comme formelle. Jean-François Lattarico brosse le portrait de l’avocat libertin dans son Ă©poque, et dans sa ville, serviteur d’un genre qu’il sert dĂ©sormais comme personne avant lui : ses Ĺ“uvres majeures, – les plus audacieuses, portant ses thĂ©ories poĂ©tiques et théâtrales: – telles Gli amori di Apollo e Dafne, La Didone, L’Incoronazione di Poppea, La ProsperitĂ  infelice di Giulio Cesare Dittatore, La Statira principessa di Persia, entre autres, sont prĂ©sentĂ©es, analysĂ©es, finement Ă©tudiĂ©es sous le filtre d’une intelligence critique d’une Ă©rudition claire et accessible. A partir des textes poĂ©tiques moins connus, des Ă©crits thĂ©oriques (lettre sur l’Adone, sur La Statira…), il s’agit aussi de distinguer les Ă©lĂ©ments et les caractères structurels d’une nouvelle langue poĂ©tique et littĂ©raire dont le sens rhĂ©torique est magnifiquement Ă©lucidĂ©. Grande critique dĂ©veloppĂ©e, Ă  venir dans le mag cd, dvd, livres de classiquenews.com

 

 

 

 

 

 

LIVRES, compte rendu critique. BUSENELLO, un théâtre de la rhĂ©torique par Jean-François Lattarico. Editions : Classiques Garnier, collection : “Lire le XVII ème”, volume 23.

 

 

 

CD, coffret. Le temps de Monteverdi / The Time of Monteverdi (8 cd, Ricercar).

56139de8d856dCD, coffret. Compte rendu critique. The Tiime of Monteverdi / Le temps de Monteverdi : La musique (italienne) au temps de Monteverdi (8 cd, Ricercar). IdĂ©al pour les fĂŞtes comme cadeau dĂ©signĂ©, le coffret a Ă©tĂ© reçu trop tardivement pour ĂŞtre inclus dans notre dossier spĂ©cial de NoĂ«l 2015, dans lequel il avait nĂ©anmoins toute sa place. Qu’importe, voici une très convaincante Ă©dition orchestrĂ©e par le label Ricercar qui sait depuis quelques annĂ©es, piocher dans son fonds abondant pour en composer des programmes sĂ©lectifs, thĂ©matisĂ©s, prĂ©sentĂ©s et expliquĂ©s (riche livret en anglais, français, allemand-, avec soin. Ainsi l’article d’introduction qui explicite et prĂ©sente les morceaux musicaux choisis fait 66 pages dans sa traduction en français : une mine d’information et une bonne synthèse qui pour qui veut comprendre donc au temps de Claudio Monteverdi, l’Ă©volution esthĂ©tique de la musique, de la Renaissance au Baroque. La richesse du coffret vient Ă©videmment de la qualitĂ© des interprĂ©tations rĂ©unies dans les 8 cd d’illustration, principalement puisĂ©s dans les archives du catalogue Ricercar, l’un des labels les plus dynamiques et les plus anciens concernant la Renaissance et le Baroque sur instruments d’Ă©poque et selon la pratique historiquement informĂ©e.
monteverdi portrait 1Première approche face Ă  l’abondance de manières et de personnalitĂ©s composant ce baroque italien, vĂ©ritable continent Ă  explorer et Ă  dĂ©fricher ici de façon ainsi thĂ©matique : le texte donne des clĂ©s de repères pour jalonner la visite (et donc rĂ©aliser l’Ă©coute des 8 cd contenus dans le volume dĂ©diĂ©). Voici donc les quatre chapitres de cette approche quasi encyclopĂ©dique : la musique profane et la naissance de l’opĂ©ra (le Bel canto et Il Concerto delle Donne ; les Camerata florentines et La Pellegrina ; les premiers opĂ©ras ; L’Orfeo de Monteverdi ou l’apothĂ©ose de la Renaissance ; le madrigal de la prima prattica Ă  la secunda prattica de Claudio Monteverdi ; les Musiche da canar solo ; l’OpĂ©ra Ă  Mantoue après l’Orfeo ; les derniers recueils de madrigaux de Monteverdi ; de l’aria Ă  la cantate ; la cantate romaine ;  l’opĂ©ra romain ; 1637 : l’opĂ©ra et le théâtre public de San Cassiano Ă  Venise ; les dĂ©buts de l’opĂ©ra napolitains) ; puis la musique religieuse (la polyphonie, encore et toujours ; polychoralitĂ© et modèles Ă  la Basilique San Marco de Venise ; le canto a voce sola et la musique sacrĂ©e ; Claudio Monteverdi, du recueil de 1610 avec il Vespro della Beata Vergine au Selva Morale ; musique sacrĂ©e et stile antico ; polychoralitĂ© et musica concertata ; des concerts spirituels aux premières cantates sacrĂ©es ; De la Rappresentatione Ă  l’invention de l’oratorio) ; La musique instrumentale (l’invention du violon ; naissance de la virtuositĂ© ou l’art des diminutions ; De la conzona Ă  la Sonata ; les premières Sonates dans l’entourage de Monteverdi ; Per la chiesa et la camera ; Gagliarde, corrente, et altri balletti… ; musiques urbaines et toccatas) ; la musique instrumentale pour les instruments polyphoniques : Cembalo overo organo ? clavecin ou orgue ? ; Per la chiesa ; Ricercari, canzone e fantasie ; Capricci ; Il Libro di Toccate… ;  autres clavecinistes et organistes ; Pour les cordes pincĂ©es ; enfin, Epilogue (synthèse jusqu’en 1680).
CLIC D'OR macaron 200Annibale_Carracci_004Le lecteur de ce texte synthĂ©tique, sachant englober et prĂ©senter toutes les facettes d’une pĂ©riode particulièrement riche et variĂ©e de l’histoire europĂ©enne, retrouve ainsi les compositeurs et leurs oeuvres dans le volume contenant les 8 cd (illustrĂ© sur sa couverture par le sublime portrait – rare) de Giovanni Gabrieli par Annibale Carracci, peintre romain aussi important que Caravage dont un fragment de la Fuite en Egypte, illustre de son cĂ´tĂ©, la couverture du coffret) : madrigaux de Luzzaschi, Euridice de Caccini, Orfeo de Monteverdi (CD1) ; madrigaux de Monteverdi (CD2) ; madrigaux de Monteverdi, Marini, Marazzoli, Mazzocchi, Frescobaldi (CD3); opĂ©ras de Landi, Cavalli (CD4); Ĺ’uvres sacrĂ©es de Gabrieli, Viadana, Monteverdi… Sances (CD5) ; Ĺ’uvres sacrĂ©es de Merula, Cazzati, Cavalieri, Gabrieli (CD6) ; Ĺ’uvres instrumentales de Marini, Frescobaldi, Monteverdi, … Allegri (CD7) ; enfin : Ĺ’uvres instrumentales de Fantini, Trombetti, Frescobaldi… (CD8).
Par son esprit de synthèse, la qualité de la sélection des morceaux opérée, le profil des interprètes (les meilleurs et plus inspirés du catalogue Ricercar), le présent coffret est une somme incontournable sur le sujet, de la Renaissance au baroque : la musique (italienne) au temps de Monteverdi. Coup de coeur de la Rédaction CD de classiquenews, donc logiquement CLIC de CLASSIQUENEWS.
CD, coffret. La musique au temps de Monteverdi (8 cd, Ricercar). Livre, article de présentation et de synthèse par Jérôme Lejeune, directeur du label Ricercar.

Versailles : Gardiner dirige les VĂŞpres de la Vierge de Monteverdi

Gardiner john eliot sir bach rameau Versailles, Chapelle royale. Monteverdi : Vespro della Beata vergine. Gardiner, 6, 7 novembre 2015. Au château de Versailles, Sir John Eliot Gardiner est invitĂ© Ă  jouer Monteverdi, le profane (Orfeo) et le sacrĂ© (le Vespro)… en un cycle de 4 dates incontournables. Les VĂŞpres sont l’aboutissement d’une maĂ®trise. Monteverdi en homme qui connaĂ®t sa dramaturgie – il l’a magistralement dĂ©montrĂ© avec son Orfeo de 1607, lequel fixe un premier modèle pour le genre de l’opĂ©ra naissant-, dĂ©ploie avec un sens non moins sĂ»r et mĂŞme somptueux, toute la science musicale dont il est capable en cette annĂ©e 1610. La pluralitĂ© des effets, la diversitĂ© des modes et des effectifs requis pour les 14 pièces composant cette ample portique dĂ©diĂ© Ă  la Vierge, impose un tempĂ©rament exceptionnel, autant mĂ»r pour le théâtre que pour l’église. Au cours de courte rĂ©sidence Ă  Versailles, le chef britannique John Eliot Gardiner aborde le sommet de l’Ă©criture du Monteverdi mĂ»r, bientĂ´t appelĂ© Ă  Venise Ă  inventer l’opĂ©ra baroque qu’il avait dĂ©jĂ  fixĂ© avec Orfeo Ă  Mantoue en 1607… mais trente ans ont passĂ© et l’expĂ©rience du maĂ®tre crĂ©monais grâce Ă  son laboratoire madrigalesque lui a permis d’atteindre l’excellence expressive et musicale au seul service du verbe dramatique. Lors de son cycle de concert Ă  Versailles, Gardiner joue aussi Orfeo de Monteverdi Ă  l’OpĂ©ra royal cette fois, les 8 et 9 novembre 2015 Ă  20h.

gardiner john eliot maestro-gardiner_voyage-automne-versailles classiquenewsLe désir de démontrer ses compétences est d’autant plus important qu’il souffre de sa condition de musicien à la Cour des Gonzague de Mantoue. Les relations avec son employeur, le Duc Vincenzo de Gonzague ne sont pas parfaites, pire, son patron est un mauvais payeur. A peine estimé, Monteverdi doit supplier pour être payé. Les Vêpres sont bien l’acte accompli et mesuré d’un musicien courtisan qui recherche un nouveau protecteur, des conditions et un mode de vie plus agréables. Déjà avant Mozart, le Monteverdi des Vêpres est un homme peu reconnu, du moins pas à la mesure de son génie, une figure « gâchée » de la musique de son temps.

Genèse. Avant d’être le Vespro que nous connaissons aujourd’hui, l’oeuvre religieuse qui nous concerne a vécu sous une première forme, non liée au culte virginal. Monteverdi après la mort du maître de la chapelle de la Basilique Palatine de Santa Barbara à Mantoue, – Gastoldi, décédé en 1610-, se met sur les rangs pour offrir ses services. Il souhaite diriger officiellement l’activité d’une institution musicale sacrée digne de sa qualité. Mais là encore les autorités mantouanes en décidèrent autrement et le musicien dépité, transforma son œuvre qui faisait initialement les louanges de Sainte-Barbe à laquelle par exemple le motet Duo Seraphin – absolument étranger au culte de la dévotion mariale-, renvoie immanquablement.

monteverdi claudio portrait classiquenewsAutour du premier axe développé sur le thème de la Sainte locale, Monteverdi ambitionne une œuvre plus spectaculaire dédiée à la Vierge pour saisir l’attention d’autres possibles mécènes et patrons.  Maître de chœur du Duc Vincenzo de Gonzague, depuis 1595, Monteverdi a le sentiment de piétiner à Mantoue. C’est pourquoi, il reprend totalement son œuvre première, y combine tout ce qu’il lui semble témoigner à cette date, de son éblouissante maestrià. Selon son assistant à Mantoue, Bassano Cassola, le compositeur ambitionnait d’aller lui-même apporter un exemplaire au Pape Paul V à Rome, à qui d’ailleurs, le recueil des Vêpres est dédié. Au final pas de poste nouveau au sein d’une église prestigieuse. Il lui faudra encore attendre trois années, quand il sera pressenti pour diriger la chapelle du Doge à Venise, au sein de la Basilique San Marco. Pour le concours et l’audition de principe, le matériel éclectique et foisonnant de ses Vêpres lui sera très probablement utile.

La qualité et la fascination de la partition, qui n’a peut-être jamais été jouée d’un seul tenant comme les interprètes baroques ont coutume de le faire aujourd’hui du vivant de l’auteur, apparaissent clairement dans l’alliance de l’ancien et du moderne dont Monteverdi fait une arche entre deux mondes. Le compositeur offre une synthèse quasi encyclopédique de toutes les formes possibles à son époque. Les Vêpres de ce point de vue, dessinent une superbe passerelle édifiée pour la réconciliation de deux tentations ou deux directions esthétiques et musicales, apparemment antinomiques.

Le passé et l’avant-garde ici dialoguent. Cette facilité est à la fois troublante et totalement convaincante. Tradition ancestrale héritée du Grégorien avec son cantus firmus, avec le plain-chant aussi (Sonata sopra sancta Maria), d’un côté ; liberté du geste vocal, en solo (Nigram sum pour ténor), ou en duo (Pulchra es pour deux sopranos), par exemple, de l’autre, dont les hymnes incantatoires, la projection dramatique du texte (l’écho de l’Audi Caelem sur le nom de Maria, répété comme une incantation obsessionnelle et tendre à deux voix…) désigne en pleine fresque paraliturgique, le dramaturge dont la magie fut capable d’infléchir les âmes les plus insensibles, par le chant de
son Orfeo de 1607. L’opéra n’est pas loin de la ferveur virginale. Disons même qu’il s’invite à l’église. Le Vespro est bien l’archétype des grandes messes et célébrations religieuses baroque à venir, préludant à Bach, Haendel, Vivaldi.

Monteverdi_claudio_portrait_claudio_monteverdi_1_hiA 43 ans, Claudio le Grand affirme son art de la synthèse, son intuition innovatrice, une vision grandiose qui confine à un langage universel. Avec le Vespro, le musicien se révèle comme le penseur le plus génial de son époque. Mais la partition n’était qu’une étape qui le mènera vers les deux ouvrages de la pleine maturité. Une contradiction ou une singularité qui lui est spécifique, entre le profane et le sacré, se précise. Musicien des divertissements et du théâtre pour la Cour ducale de Mantoue, il écrit le chef-d’oeuvre des grandes célébrations sacrées. Maître de chapelle à partir de 1613 pour le Doge de Venise , il composera pour la scène lyrique, le Couronnement de Poppée puis le Retour d’Ulisse dans sa patrie deux sommets lyriques propres aux débuts des années 1640, qui marquent sur le plan profane cette fois, un nouvel accomplissement après les Vêpres. Sous la voûte de San Marco, sur la scène des théâtres d’opéra de Venise, l’homme transmet un même témoignage, saisissant d’émotion et de vérité.

 

 

Versailles, Chapelle royale
boutonreservationMonteverdi : Vespro della Beata vergine.
John Eliot Gardiner. Les  6, 7 novembre 2015. 20h

 

 

Programme Ă©galement prĂ©sentĂ© par Jordi Savall, le 18 novembre 2015 Ă  Paris, Philharmonie 1, Grande salle. Kiehr, Piccinini, Galli, Serafini, Tiso, Sagastume, Auvity, zanassi, Carnovich…

Compte-rendu, Opéras. Festival George Enescu à Bucarest, Athénée Roumain. Les 18 et 19 septembre 2015. Deux opéras de Monteverdi. Richard Egarr, direction.

Tous les deux ans, durant une grande partie du mois de septembre (du 30 aoĂ»t au 20 septembre cette annĂ©e), Bucarest vit en musique grâce au Festival George Enescu dont la rĂ©putation a largement dĂ©passĂ© les frontières de la Roumanie pour s’imposer comme l’un des plus importants d’Europe. Il propose en effet une impressionnante sĂ©rie de plus d’une centaine de concerts Ă  spectre très large, en accueillant les plus grands orchestres du monde (Wiener Philarmoniker, Berliner Philharmoniker, Royal Concertgebouw Orchestra, Staatskapelle Dresden, Israel Philarmonic Orchestra, Orchestre Philharmonique de Saint PĂ©tersbourg, San Francisco Symphony, London Symphony Orchestra…) et les meilleurs solistes (Anne-Sophie Mutter, Yuja Wang, Elisabeth Leonskaya, Fazil Say, Piotr Anderzewski, Andras Schiff, Murray Perrahia, Maria Joao Pires…). Il a aussi pour vocation de mettre en avant l’œuvre du compositeur George Enescu (1881-1955) – vĂ©ritable hĂ©ros national qui a longtemps vĂ©cu en France -, la plupart des concerts proposant une pièce du musicien roumain, gĂ©nĂ©ralement en dĂ©but de programme. L’OpĂ©ra National a ainsi remontĂ© son cĂ©lèbre opĂ©ra Ĺ’dipe, avec Davide Damiani dans le rĂ´le-titre.

 

 

 

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L’opĂ©ra Ă©tait d’ailleurs particulièrement Ă  l’honneur de cette 22ème Ă©dition avec des exĂ©cutions concertantes d’Elektra (Pankratova, Baltsa, Schwanewilms, Pape), Wozzeck (Volle, Herlitzius) et de deux ouvrages de Monteverdi, Il Ritorno d’Ulisse in Patria et L’Incoronazione di Poppea, reprĂ©sentations auxquelles nous avons pu assister dans le magnifique AthĂ©nĂ©e Roumain, considĂ©rĂ© comme l’une des plus belles salles de concert du monde.

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le plateau rĂ©uni par Ioan Holender, ancien patron de la Wiener Staatsoper et dĂ©sormais directeur artistique de la manifestation roumaine, s’est avĂ©rĂ© d’une excellente tenue, parfaitement Ă  mĂŞme de rendre justice aux sublimes dĂ©clamations monteverdiennes.

Dans Le retour d’Ulysse, nous mettrons en tĂŞte la PĂ©nĂ©lope altière de la magnifique mezzo britannique Christine Rice, qui a tout pour elle : le timbre, l’expression, la technique, l’Ă©motion et la silhouette. Autre immense bonheur, l’Ulisse du cĂ©lèbre tĂ©nor anglais Ian Bostridge, qui allie puissance Ă  un sens rare de la nuance, passant avec gĂ©nie du tonnerre Ă  la confidence amoureuse. Excellent TĂ©lĂ©maque d’Andrew Tortise qui sait manier l’humour. Elizabeth Watts est sensationnelle en Minerve après avoir Ă©tĂ© un dĂ©licieux Amour. Sophie Junker (La Fortune et MĂ©lante) fait entendre un timbre richement veloutĂ©. Superbe Neptune de Lukas Jakobski, hiĂ©ratique Ă  souhait, tandis que la basse Ă©tasunienne James Cresswell apporte humanitĂ© et chaleur au berger Eumete. Enfin, n’oublions pas de citer la force burlesque d’Alexander Oliver, dans le rĂ´le d’Iro, Ă©norme de drĂ´lerie jusque dans le dĂ©sespoir.

Dans Le Couronnement de PoppĂ©e, le lendemain soir, la soprano anglaise Louise Adler excelle Ă  exprimer tous les sentiments et stratĂ©gies de Poppea ; sa voix se rĂ©vèle Ă©galement apte Ă  la sensualitĂ© et l’autoritĂ©, Ă  la naĂŻvetĂ© et Ă  la rouerie. De son cĂ´tĂ©, Sarah Connolly fait le choix de camper un Nerone moins sensuel que juvĂ©nile, capricieux et orgueilleux au delĂ  de l’inimaginable : elle aussi met en Ĺ“uvre une grande palette vocale qui lui permet de nous faire croire Ă  ses sentiments amoureux, puis de trembler Ă  ses diktats irascibles. Marina de Liso est une belle tragĂ©dienne : son port noble et sa puissante projection vocale et dĂ©clamatoire lui permettent de composer une mĂ©morable Ottavia. Dans le rĂ´le d’Ottone, le contre-tĂ©nor britannique Iestyn Davies utilise les ressources de son timbre diaphane pour souligner la veulerie et la lâchetĂ© de son personnage. David Soar campe un impressionnant SĂ©nèque, Ă  la voix de velours, tandis qu’Andrew Tortise fait vivre – aussi malicieusement que finement – une complexe Arnalta. Signalons Ă©galement Sophie Junker (Drusilla et Virtu), Daniela Lehner (Amore et Damigella) et Joshua Ellicot (Lucano).

A la tĂŞte de la formation baroque anglaise The Academy of Ancient Music, le chef Richard Egarr privilĂ©gie la sobriĂ©tĂ©, avec un orchestre de dix musiciens seulement, qui donne un son plutĂ´t faible et uniforme. L’objectif est de mettre le chant au premier plan en cherchant Ă  faire naĂ®tre, Ă  l’intĂ©rieur des lignes vocales, le contraste – en nous penchant sur le second concert – entre la passion de NĂ©ron et de PoppĂ©e, la douleur des figures trahies ou la verve des personnages bouffes.

Ce sont deux grandes soirées monteverdiennes que nous avons vécues à Bucarest !

Compte-rendu, Opéra. Festival George Enescu à Bucarest, Athénée Roumain. Les 18 et 19 septembre 2015. Deux opéras de Monteverdi. Richard Egarr, direction.

Il Ritorno d’Ulisse in Patria. Ian Bostridge, tenor (Ulisse), Christine Rice, mezzosoprano (Penelope), Elizabeth Watts, soprano (Minerva), Sophie Junker, soprano (Amore & Melanto), Lukas Jakobski, bass (Tempo, Nettuno & Antino), James Creswell, bass (Seneca). L’Incoronazione di Poppea : Louise Alder - Poppea (soprano), Sarah Connolly - Nerone (mezzo-soprano), Marina de Liso - Ottavia (mezzo-soprano), Iestyn Davies – Ottone (countertenor), David Soar - bass (Seneca), Andrew Tortise - tenor (Arnalta), Sophie Junker - Drusilla/VirtĂą (soprano), Daniela Lehner - Amore & Damigella (mezzo-soprano), Joshua Ellicott - Lucano (tenor). The Academy of Ancient Music, Richard Egarr (direction)

 

 

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Vidéo. CREMONA, Livres I, II, III de madrigaux de Monteverdi par Les Arts Forissants et Paul Agnew

cremona-palazzo-monteverdi-cremona-vol-1-paul-agnew-les-arts-florissants-presentation-dossier-special-livres-I-II-III-de-madrigaux-classiquenews-mai-2015CD,  “CREMONA” Monteverdi : Livres I,II,III de madrigaux – florilège (Les Arts Florisants, Paul Agnew, 1 cd Les Arts Florissants Ă©ditions). Forts d’une intĂ©grale donnĂ©e en concert depuis 4 annĂ©es, Paul Agnew et les chanteurs des Arts Florissants poursuivent leur approfondissement des madrigaux de Monteverdi avec cette Ă©loquence voluptueuse dont ils savent projeter le geste poĂ©tique. Soucieux du verbe, de son intensitĂ© comme de sa couleur et de son intelligibilitĂ©, une vraie complicitĂ© collective s’entend ici, au profit des 3 premiers Livres, (I,II et III, Ă©ditĂ©s en 1587, 1590 et 1592) : c’est un retour Ă  la source, celle miraculeuse et jaillissante qui permet de comprendre comment Claudio, de sa formation Ă  CrĂ©mone auprès de son maĂ®tre Ingegneri, plutĂ´t conservateur, fait Ă©clater le cadre du langage musical Renaissance (Ars Perfecta) pour en libĂ©rer le potentiel expressif afin d’exprimer au plus près, les vertiges Ă©motionnels des poèmes choisis. EsthĂ©tique du verbe et du sentiment qu’il contient, voici donc rĂ©vĂ©lĂ©, ce chemin qui mène Ă  … l’opĂ©ra. Le CD CREMONA paraĂ®t mardi 19 mai 2015. VIDEO CLIP © CLASSIQUENEWS.COM 2015

LIRE aussi notre compte rendu critique complet du cd Cremona par Les Arts Forissants et Paul Agnew, ” CLIC ” de classiquenews de mai 2015.

LIRE notre dossier sur les Madrigaux de Monteverdi : Livres I, II, III

CD, compte rendu critique. Monteverdi : Livres I,II,III de madrigaux – florilège (Les Arts Florisants, Paul Agnew, 1 cd Les Arts Florissants Ă©ditions

cremona-palazzo-monteverdi-cremona-vol-1-paul-agnew-les-arts-florissants-presentation-dossier-special-livres-I-II-III-de-madrigaux-classiquenews-mai-2015CD, compte rendu critique. Monteverdi : Livres I,II,III de madrigaux – florilège (Les Arts Florisants, Paul Agnew, 1 cd Les Arts Florissants Ă©ditions). Forts d’une intĂ©grale donnĂ©e en concert depuis 4 annĂ©es, Paul Agnew et les chanteurs des Arts Florissants poursuivent leur approfondissement des madrigaux de Monteverdi avec cette Ă©loquence voluptueuse dont ils savent projeter le geste poĂ©tique. Soucieux du verbe, de son intensitĂ© comme de sa couleur et de son intelligibilitĂ©, une vraie complicitĂ© collective s’entend ici, au profit des 3 premiers Livres, (I,II et III, Ă©ditĂ©s en 1587, 1590 et 1592) : c’est un retour Ă  la source, celle miraculeuse et jaillissante qui permet de comprendre comment Claudio, de sa formation Ă  CrĂ©mone auprès de son maĂ®tre Ingegneri, plutĂ´t conservateur, fait Ă©clater le cadre du langage musical Renaissance (Ars Perfecta) pour en libĂ©rer le potentiel expressif afin d’exprimer au plus près, les vertiges Ă©motionnels des poèmes choisis. EsthĂ©tique du verbe et du sentiment qu’il contient, voici donc rĂ©vĂ©lĂ©, ce chemin qui mène Ă  … l’opĂ©ra.

CLIC_macaron_2014Apprenant de Marenzio, De Rore, de Pallavicino, le jeune Claudio,  âgĂ© de seulement 19 ans quand il fait paraĂ®tre son Livre I (CrĂ©mone, 1587), ardent amoureux des sens, cisèle dĂ©jĂ  une langue vocale d’un raffinement irrĂ©sistible, sachant surtout souligner, commenter, articuler les textes de Guarini et essentiellement de Torqueto Tasso (Le Tasse) : le miracle de l’aube nouvelle qui accompagne le rĂ©veil des amants (Non si levav’ancor l’alba novella), et dĂ©jĂ  une Ă©criture qui prĂŞte oreille aux enchantement de la nature (Ecco mormorar l’onde… et ses graves ondulents quasiment Ă©rotiques et languissants) suscitent entre autres, dans l’Ă©blouissant Livre II de 1590 (qui clĂ´t littĂ©ralement l’Ă©poque crĂ©monaise ; le Livre III est dĂ©jĂ  dĂ©diĂ© au Duc Vincent de Gonzague Ă  Mantoue…), des perles de trouvailles murmurĂ©es, contrastĂ©es, serties dans une justesse suggestive que les 6 solistes Ă©clairent d’une vibrante implication. MĂŞmes les autres poèmes du Tasse mis en musique, – S’andasse Amor Ă  caccia, et Se tu mi lassi, perfida… plus dramatiques et proches du texte parlĂ© incantatoire, illuminent les mĂŞmes recherches du jeune Claudio, dĂ©jĂ  grand connaisseur de poĂ©sie dramatique.

 

 

 

A cappella, les 5 chanteurs autour de Paul Agnew embrasent les Livres I,II,III de madrigaux de Monteverdi

Crémona, la matrice miraculeuse

Dans ce florilège qui regroupe les joyaux des Livres I,II et III, Paul Agnew veille plus que jamais et peut-ĂŞtre davantage encore que dans le recueil prĂ©cĂ©demment publiĂ© de cette quasi intĂ©grale discographique (Mantova : Livres IV, V, VI), Ă  la clartĂ© de la polyphonie, Ă  l’architecture harmonique des partitions, Ă  l’engagement pulsionnel et psychologique, Ă  l’Ă©quilibre et l’Ă©coute des voix (ample portique de Vattene pur, crudel, ultime cycle madrigalesque du IIème Livre (1592) que Monteverdi a conçu comme un retable profane en trois volets, lĂ  encore inspirĂ© du Tasse qui imagine la figure tragique et dĂ©munie d’Armide, abandonnĂ©e par Renaud… Il en rĂ©sulte ce cabinet intĂ©rieur oĂą les intentions se rĂ©vèlent dans l’Ă©noncĂ© du verbe, cette mĂ©canique mesurĂ©e au diapason du cĹ“ur et du souffle qui proche de l’improvisation, Ă  force de rĂ©pĂ©tition et de travail collectif, incarne l’enjeu sensuel et le drame intĂ©rieur de chaque poème ; ici, la mĂ©lodie et le chant semblent naĂ®tre du mot : lisibilitĂ©, flexibilitĂ©, couleur du sentiment dĂ©jĂ  : rien ne manque Ă  cette fusion idĂ©ale, lĂ©gendaire et pilier pour l’essor de l’opĂ©ra Ă  venir.

monteverdi cremona ingegneri Primeiro_retrato_de_MonteverdiGrâce Ă  Paul Agnew et ses formidables complices des Arts florissants, il semble que jamais interprètes n’ont compris et su transmettre Ă  ce point, l’intelligence de Monteverdi, peintre des âmes et des paysages sensuels : au service du Tasse, lui-mĂŞme engagĂ© Ă  stimuler l’inspiration des compositeurs pour la mise en musique de ses poèmes, Monteverdi semble mieux que quiconque alors dans ce passage dĂ©cisif au dĂ©but des annĂ©es 1590, entre la Renaissance et le Baroque naissant, dĂ©celer l’enjeu dramatique du verbe. Avec lui, le chant devient dramatique et se prĂ©pare Ă  l’Ă©closion très prochaine, dans la dĂ©cennie suivante, de l’opĂ©ra. C’est Ă  dire au moment oĂą en peinture, Caravage rĂ©alise la mĂŞme inflexion vers l’incarnation et l’individualisation de la forme et du discours. Un rĂ©alisme fait jour, une intimitĂ© et la reprĂ©sentation de l’homme surtout s’affirment comme jamais auparavant. Tout se joue ici et dans cette matrice vocale d’une Ă©blouissante cohĂ©rence ; les Arts Florissants sous la direction de Paul Agnew se rĂ©vèlent superlatifs. On se souvient de l’intĂ©grale de Rinaldo Alessandrini pour l’ex label Opus 111, cycle en son Ă©poque Ă©vĂ©nement ; près de 15 ans plus tard, toute la science et l’Ă©loquence des Arts Florissants dĂ©fendues par William Christie depuis le dĂ©but de l’aventure de l’ensemble, sont transmises et comprises, recueillies avec une finesse magicienne par son “associĂ©” et directeur musical adjoint, dĂ©sormais adoubĂ©, Paul Agnew. Magistral.
On attend le troisième et dernier volume de ce florilège madrigalesque, avec impatience (intitulé Venezia, Livres VII et VIII). Illustration : portrait présumé de Monteverdi jeune (DR).

 

 

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CD, compte rendu critique. Monteverdi : Livres I,II,III de madrigaux – florilège (Les Arts Florisants, Paul Agnew, 1 cd Les Arts Florissants Ă©ditions. Parution : mardi 19 mai 2015.

AGENDA Monteverdi : Paul Agnew et Les Arts Florissants en concert
Lundi 18 mai 2015 : Paris, Philharmonie 2, 20h30 : Livre VIII, Madrigali amorosi
Dimanche 24 mai 2015 : Londres, Barbican-Milton Court, 14h : Livre VIII, Madrigali guerrieri
Dimanche 24 mai 2015 : Londres, Barbican-Milton Court, 19h30 : Livre VIII, Madrigali amorosi
Jeudi 28 mai 2015 : Caen, Théâtre. Livre VIII : Madrigali guerrier
Vendredi 29 mai 2015 : Caen, Théâtre. Livre VIII, Madrigali amoroso

Monteverdi : Livres I, II, III de madrigaux (Paul Agnew, Les Arts Florissants). Dossier spécial

agnew-paul-800CD Ă©vĂ©nement. CREMONA : Livres I,II,III par Les Arts Florisants et Paul Agnew. Cremona. Livres I, II, III de madrigaux de Monteverdi par Les Arts Florissants et Paul Agnew. Après la parution du premier volume de l’intĂ©grale des madrigaux de Monteverdi (volume 1 : Mantova : Livres IV, V, VI), Les Arts Florissants font paraĂ®tre le second volet, celui dĂ©diĂ© aux premiers recueils du jeune Monteverdi, soit Ă  Ă©ditĂ©s Ă  CrĂ©mone dès 1587 (Livre I) oĂą le jeune compositeur assimile et dĂ©passe dĂ©jĂ  l’Ă©criture polyphonique en imitation (Ars perfecta) lĂ©guĂ© par Lassus et Palestrina ; très vite, dans le Livre II (1590) oĂą s’affirme la gravitĂ  expressive des poèmes du Tasse, Monteverdi rĂ©invente la langue musicale Ă  prĂ©sent infĂ©odĂ©e au texte souverain (Secunda prattica) : en servant le verbe, les Ă©motions – amour, dĂ©sir, langueur, blessures des cĹ“urs amoureux -, Claudio rĂ©alise peu Ă  peu la rĂ©volution baroque qui mène Ă  l’opĂ©ra : dissonances nouvelles et utilisĂ©es de façon mesurĂ©e expriment une nouvelle caractĂ©risation plus dramatique du texte. Les Livres de madrigaux racontent très prĂ©cisĂ©ment le passage des esthĂ©tiques, de la Renaissance tardive au Baroque premier : de l’abstraction collective Ă  l’affirmation du sentiment grâce Ă  l’intelligibilitĂ© recouvrĂ©e du texte. En 1686, 1590, et 1592, soit les trois annĂ©es de publication de ses trois premiers recueils, Claudio Monteverdi âgĂ© d’une vingtaine, Ă©labore le grand chantier vocal et musical parmi les plus dĂ©cisifs de l’histoire europĂ©enne… Paul Agnew nous en offre aujourd’hui grâce au disque, le nouveau volet en un coffret Ă©vĂ©nement. En orfèvre du poème musical, le directeur musical adjoint des Arts Florissants (aux cĂ´tĂ©s de William Christie) Ă©claire ce laboratoire madrigalesque spectaculaire ; en un florilège, il nous en propose les avancĂ©es les plus dĂ©terminantes.

 

 

 

Contexte

 

monteverdi portrait 1A la naissance de Monteverdi (Cremona, 1567), Glareanus et Zarlino, considèrent que la musique sacrĂ©e d’alors, Ars Perfecta, – subtil contrepoint d’origine franco-flamande-, incarnant la perfection, ne peut guère ĂŞtre dĂ©passĂ©e. Les compositeurs tels Josquin des PrĂ©s ou Gombert ont atteint l’excellence : quel progrès pourrait-il ĂŞtre accompli après eux ? C’est omettre la recherche de certains auteurs pour lesquels l’expression du sentiment et la clarification des enjeux Ă©motionnels du verbe doivent aussi ĂŞtre les nouvelles pistes pour rĂ©gĂ©nĂ©rer le langage musical : ainsi Vicentino et Galilei conduisent-ils un travail diffĂ©rent qui affirme la primautĂ© du texte. Si le contrepoint de l’ars perfecta confine Ă  l’abstraction (et son Ă©lĂ©vation affleurant la notion mĂŞme d’idĂ©al divin), les nouveaux compositeurs souhaitent a contrario souligner l’acuitĂ© et l’intelligibilitĂ© concrète du texte comme un dĂ©fi musical nouveau. Si le texte sacrĂ© se perd dans les entrelacs de la construction contrapuntique comment dès lors impliquer les fidèles, et faire en sorte qu’ils se sentent partie prenante du rituel liturgique ? RĂ©unis au Concile de Trente, en 1560, les Ă©vèques avaient dĂ©battu de cette question essentielle. Soucieux de pĂ©dagogie comme de prosĂ©lythisme, les prĂ©lats souhaitent favoriser l’intelligibilitĂ© des nouvelles compositions : rendre le texte sacrĂ© plus accessible, plus clair, mieux perceptible, plus immĂ©diat et franc.
Très vite, Ă  la fin des 1580, le compositeurs rĂ©activent les fondements esthĂ©tiques lĂ©guĂ©s par les grecs antiques : une mise en musique du texte (recitativo / rĂ©citatif) permet par la mĂ©lodie, de souligner le sens du texte. Il s’agit bien d’une articulation musicale du verbe destinĂ©e Ă  rendre plus explicite, le sens des textes.

Homme de synthèse plutĂ´t que rĂ©volutionnaire, Monteverdi – Ă©lève Ă  CrĂ©mone du conservateur Ingegneri,  a le gĂ©nie de rĂ©unir les pistes jusque lĂ  opposĂ©es : rĂ©concilier la puissante architecture contrapuntique et l’articulation nouvelle du texte.

monteverdi cremona ingegneri Primeiro_retrato_de_MonteverdiAgĂ© de 19 ans, Claudio publie son Livre en 1587.  Son dernier Livre (VIII) est Ă©ditĂ© Ă  Venise en 1638,… Ă  71 ans. C’est donc une Ă©popĂ©e musicale, un lent et progressif ajustement de l’Ă©criture musicale au sens du texte : Monteverdi offre ainsi dans ses huit Livres de madrigaux, la quintessence de l’Ă©volution esthĂ©tique qui se rĂ©alise pendant sa vie : ultimes Ă©clats de l’Ars perfecta de la Renaissance tardive en son essor maniĂ©riste (fin du XVIème siècle), crĂ©ation de la monodie et de la basse continue, enfin essor de la langue lyrique baroque, alors que naĂ®t le genre nouveau de l’opĂ©ra (Orfeo, 1607).

Or pour rĂ©ussir son premier opĂ©ra, vĂ©ritable manifeste baroque et le premier du  genre, le plus rĂ©ussi, Orfeo créé au palais ducal de Mantoue en 1607, Monteverdi a pu perfectionner son style en maĂ®trisant peu Ă  peu l’Ă©criture madrigalesque.

Soucieux du texte et de son intelligibilitĂ©, Monteverdi veille en particulier Ă  infĂ©oder harmonie et mĂ©lodie Ă  l’expression du texte, c’est Ă  dire, les parole dopo la musica, les paroles puis la musique. La musique y est servante du verbe : audace inĂ©dite avant lui et qui prend son sens et s’incarne dans l’esthĂ©tique nouvelle qu’il appelle dĂ©sormais “secunda prattica” (seconde pratique ; la première Ă©tant l’ancien Ars perfecta lĂ©guĂ© par la Renaissance).

 

 

cremona-palazzo-monteverdi-cremona-vol-1-paul-agnew-les-arts-florissants-presentation-dossier-special-livres-I-II-III-de-madrigaux-classiquenews-mai-2015Paul Agnew veille ici aux prĂ©ceptes esthĂ©tiques dĂ©fendus par Claudio lui-mĂŞme : quel est le sens du texte ? Que veut-il exprimer ? C’est un travail spĂ©cifique sur le verbe, sa prononciation ; sur le poème, son architecture, “sa structure et son rythme, le contexte historique”… En s’appuyant sur les tĂ©moignages et traitĂ©s de l’Ă©poque, les chanteurs des Arts Florissants multiplient tous les effets vocaux (soupirs, murmures, silence, sauts, trilles, legato ou staccato, Ă©cho inattendu… ) afin d’exprimer les milles significations du poème. HĂ©las Monteverdi n’a pas laissĂ© sur les Ă©ditions de notations ou d’indications prĂ©cisant Ă  l’interprète, le type d’effet choisir Ă  tel passage du poème.
On voit bien comment s’effectue le passage de la Renaissance au Baroque, avec l’Ă©mergence de la sensibilitĂ© Ă©motionnelle incarnĂ©e, accomplissement contraire Ă  l’Ă©pure abstraite (approche homogène et rĂ©gulière) de la musique sacrĂ©e de l’Ars perfecta ; avec Monteverdi, la musique passe des sommets cĂ©lestes aux vertiges de la passion et des sentiments intĂ©rieurs, transmis par le texte. L’ars perfecta tend Ă  l’ouverture cĂ©leste, entend approcher l’idĂ©e divine ; la scunda prattica est immergĂ©e dans le labyrinthe des sentiments et ressentiments qui attache le cĹ“ur humain aux souffrances de l’amour. DĂ©sormais les champs qu’investit la musique d’avant garde basculent, du sacrĂ© au profane, des textes liturgiques Ă©thĂ©rĂ©s Ă  la force et l’intensitĂ© inĂ©dites de poèmes mis en musique. L’opĂ©ra, drame de l’intimitĂ© et dĂ©voilement des forces psychiques peut bientĂ´t naĂ®tre (1607 : Orfeo créé au Palais ducal de mantoue).
Le cycle enregistrĂ© par Les Arts Florissants et Paul Agnew tĂ©moigne des concerts proposĂ©s depuis 2011 sur le thème de l’intĂ©grale des madrigaux de Monteverdi. Après le volume intitulĂ© MANTOVA, regroupant les Livres IV, V, VI, qui illustrent la maturitĂ© des recherche de Monteverdi Ă  la Cour du Duc Vincenzo Gonzagua, voici le second opus de l’intĂ©grale : CREMONA, c’est Ă  dire la quintessence des Livres I,II,III.

 

 

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CREMONA. Monteverdi : les Livres I,II,III.. L’annĂ©e oĂą naĂ®t Monteverdi Ă  CrĂ©mone (Cremona), en 1567, l’Europe musicale est dominĂ©e par l’esthĂ©tique franco flamande : le contrepoint en imitation, rĂ©glĂ© par Zarlino est triomphalement illustrĂ© par les maĂ®tres incontestables : Lassus (depuis Munich) et surtout Palestrina. Victoria, encore jeune homme, semble suivre ce courant d’Ă©criture dominant : le contrepoint polyphonique atteint une perfection (Ars perfecta) qui n’appelle plus aucune amĂ©lioration…
Pourtant abstraite, diluant l’articulation du verbe sacrĂ©, l’Ars perfecta va bientĂ´t ĂŞtre dĂ©tronĂ© par la musqiue incarnĂ©e et dramatique de Monteverdi dont les madrigaux, de Livre et Livre, restituent un laboratoire continu, la chambre des expĂ©rimentations et des avancĂ©es rĂ©volutionnaires. Mieux entendre le  texte, le commenter tout en favorisant son articulation : voilĂ  un nouvel objectif que s’est fixĂ© le jeune crĂ©monais.

Paul Agnew ouvre le florilège CREMONA par un madrigal emblĂ©matique, extrait du Livre II de 1590 : Cantai un tempo (“j’ai chantĂ© autrefois”) [plage 1] qui reprend Ă  son compte le madrigal de son prĂ©dĂ©cesseur Cyprien de Rore (Cantai, mentre ch’i arsi, del mio foco sur un poème de Pietro Bembo, lui-mĂŞme influencĂ© par PĂ©trarque) : or Rore est dĂ©jĂ  en 1590 dĂ©modĂ©. Pour exprimer les langueurs nostalgiques, Monteverdi utilise l’arts perfecta (imitations engendrĂ©es par de longues lignes mĂ©lismatiques) en le rendant mobile, dynamique.

 

 

Crémone, 1587 :  Livre I de madrigaux

Le Livre I datĂ© de 1587, affirme dĂ©jĂ  le tempĂ©rament du jeune compositeur de 19 ans qui en est dĂ©jĂ  Ă  son 4è recueil de musique (que de la musique sacrĂ©e jusque lĂ ). 
Ch’ami la vita mia (“Que tu aimes ma vie”) [2] contient aussi l’allusion Ă  l’aimĂ©e du moment Camilla ( “Camilla, vita mia” / “Camille, ma vie”) : la rĂ©fĂ©rence Ă  un ĂŞtre cher dĂ©jĂ , source de langueurs et de suspensions, Ă©rotiques et sensuelles caractĂ©risent le geste monteverdien. Baci soavi, e cari (“Baisers suaves et si chers”) [3] est Ă  l’avant garde des recherches de l’Ă©poque : le principe homophonique respecte l’intelligibilitĂ© du texte, qui par l’imitation dans l’Ă©criture Ars perfecta tend Ă  se diluer (Cantai un tempo) : le mot rythme naturellement la prosodie et la dĂ©clamation, en cela proche du souffle et de la parole. Les dissonnances colorent certains mots afin d’en exprimer la connotation Ă©motive particulière souterraine.  Ainsi Monteverdi place le texte avant la musique, concept fondamental de la Secunda prattica et qui est le cĹ“ur de  la nouvelle esthĂ©tique.
Pour clore son Livre I de 1587, Monteverdi aborde un texte célèbre de Guarini  : Ardo sì ma non t’amo (“je brûle, oui, mais sans t’aimer”) [8-10] que son maître Ingengneri avait lui aussi mis en musique. Claudio innove en intégrant riposta et contrariposta du Tasse, un auteur que le compositeur rencontrera à Mantoue.

 

 

 

GravitĂ  du Tasse : le Livre II (1590)

Claudio+Monteverdi+monteverdiEt d’ailleurs, c’est naturellement les poèmes du Tasse qui règnent majoritairement dans le Livre II publiĂ© en 1590. Monteverdi semble lui rĂ©pondre mĂŞme par un souci de caractĂ©risation nouveau, et un dramatisme sensuel, très original.  Trop douce et effĂ©minĂ©e, l’Ă©criture madrigalesque s’est fourvoyĂ©e, Ă©crit Le Tasse qui rĂ©clame cette gravitĂ  expressive plus adaptĂ©e Ă  ses vers (Cavaletta, 1584).  Monteverdi exprime une conscience Ă©motionnelle plus nuancĂ©e et subtile, plus profonde et riche dans le traitement du verbe tassien. Non si levav’ ancor (“L’aube nouvelle encore ne s’était pas levĂ©e”) [11-12], avec lequel dĂ©bute le Deuxième Livre de madrigaux, comme Cantai un tempo, rend hommage Ă  Marenzio qui avait rĂ©alisĂ© la mise en musique sur le mĂŞme texte : madrigal Non vidi mai dopo notturna pioggia (publiĂ© en 1585) : la rĂ©fĂ©rence hommage est explicite mĂŞme dès l’ouverture avec la citation du phrasĂ© musical de Marenzio.
De Rore, Marenzio, … Monteverdi assimile en une Ă©nergie synthĂ©tique puissante, les meilleures avancĂ©es poĂ©tiques et musicales qui l’ont prĂ©cĂ©dĂ©. Le Livre II en fait foi. C’est un laboratoire formidablement audacieux, d’une culture rĂ©fĂ©rentielle impressionnante et aussi orientĂ©e dĂ©jĂ  vers l’avenir et l’accomplissement des Livres III, IV, V et VI (c’est Ă  dire vers la maturitĂ© du sĂ©jour Ă  Mantoue : rĂ©vĂ©lĂ© dans le coffret cd MANTOVA dĂ©jĂ  paru – et dĂ©diĂ© aux meilleurs madrigaux selon Paul Agnew des Livres IV,V et VI). VOIR notre entretien vidĂ©o avec Paul Agnew Ă  Venise Ă  propos des Livres IV,V,VI de madrigaux de Monteverdi.

Dans le madrigal hommage Ă  Rore, l’aube est prĂ©cisĂ©ment dĂ©crite et exprimĂ©e, Ă  mesure que les jeunes amants se dĂ©couvrent l’un Ă  l’autre…  Non si levav’ ancor : le parallèle imaginĂ© par le Tasse, entre l’Ă©veil des âmes Ă©prises et le lever du soleil est superbement compris et respectĂ©, comme commentĂ© par le gĂ©nie de Claudio (polyphonie claire et dĂ©licate). L’homophonie introduit un effet digne d’un drame qui rompt la puissance de l’Ă©vocation première : avec le soleil qui paraĂ®t, les 2 cĹ“urs doivent se sĂ©parer. En un souffle Shakespearien, Monteverdi innove dĂ©jĂ , avant mĂŞme le théâtre amoureux du Britannique.

Ecco mormorar l’onde (“Voici que l’onde murmure”) [15], est un autre sommet musical et poĂ©tique du Livre II… Monteverdi se fait peintre atmosphĂ©riste ; la quiĂ©tude profonde et comme suspendue de cet instant d’ivresse et d’extase sensuelle, entre le dĂ©sir des amants et le miracle d’une nature enchanteresse, souligne sa sensibilitĂ© introspective et Ă©motionnelle. Pour Paul Agnew c’est un instant de grâce absolu, ” la communion avec une aube printanière dont la beautĂ© demeure immuable depuis 400 ans.”

 

 

 

Débuts à Mantoue : le Livre III (1592)
monteverdi claudio bandeauLe Troisième Livre de madrigaux Ă©ditĂ© en 1592, est contemporain de l’installation de Monteverdi Ă  la Cour de Mantoue (il porte la dĂ©dicace au Duc Vincenzo Gonzagua), alors cĂ©nacle artistique parmi les plus actifs et modernistes de l’Ă©poque. A quelle date Claudio rejoint la Cour des Gonzague ? On l’ignore. Mais bientĂ´t, un peintre de renom se fixera lui aussi Ă  Mantoue : Pierre Paul Rubens. C’est dire le prestige de la Cour ducale dans l’Europe de la fin de la Renaissance. Après avoir abordĂ© les mĂ©andres picturaux et puissants de la poĂ©sie du Tasse, Monteverdi dans son Livre III, rend hommage Ă  la poĂ©tique amoureuse de Guarini dont de larges extraits d’Il pastor fido (“Le Berger fidèle”) sont très reprĂ©sentĂ©s. Ce recueil de poèmes est alros le plus cĂ©lĂ©brĂ© et utilisĂ© par les compositeurs madrigalistes aux cĂ´tĂ©s de la Gerusalemme Liberata (“JĂ©rusalem dĂ©livrĂ©e”) du Tasse. La maĂ®trise du registre Ă©motionnel (affectif selon Paul Agnew) gagne encore en profondeur et en justesse : le Monteverdi de la maturitĂ© paraĂ®t dans ce Livre III ; le dĂ©but des annĂ©es 1590 marque une avancĂ©e phĂ©nomĂ©nale du langage expressif montĂ©verdien.

Le madrigal dernier :  Vattene pur, crudel (“Va-t’en, cruel”) [19-21] affirme par sa durĂ©e et sa construction ample et puissante : 3 madrigaux diffĂ©rents et successifs en expriment la progression dramatique. c’est dĂ©jĂ  un mini opĂ©ra avant l’heure qui inspirĂ© par la Gerusalemme Liberata du Tasse exprime très prĂ©cisĂ©ment la solitude blessĂ©e de la belle Armide qui ne peut empĂŞcher des larmes amères Ă  la vue du navire qui emporte loin d’elle le chevalier chrĂ©tien Renaud qui a ravi son coeur. Sa plainte et sa prière font place au regret : elle s’Ă©vanouit de dĂ©pit.

Madrigaux_4_5_6_arts_florissants_paul_agnewPaul Agnew en dĂ©voile l’Ă©tonnante modernitĂ© qui prĂ©figure le Livre VI : ” le rĂ©cit Ă  la première personne du mouvement d’ouverture ainsi que la thĂ©matique annoncent le Lamento d’Arianna (“Lamentations d’Ariane”) du Sixième Livre tandis que l’écriture chroma- tique, associĂ©e Ă  l’étourdissement d’Armide, se distingue par sa science et sa maĂ®trise techniques inĂ©dites. Cette Ĺ“uvre est une vĂ©ritable prouesse sur le plan de la dramaturgie musicale, Ă©crite alors que Monteverdi n’a que 25 ans”.
Les 3 premiers Livres de madrigaux de Monteverdi dĂ©signent l’Ă©tonnante maturitĂ© du jeune Claudio : son immense sensibilitĂ© poĂ©tique et dans l’agencement mobile, changeant des madrigaux, son esprit de synthèse opĂ©rĂ© Ă  CrĂ©mone et immĂ©diatement au dĂ©but de son sĂ©jour mantouan, au dĂ©but des annĂ©es 1590. La personnalitĂ© du duc Vincenzo Gonzagua, exigeant beaucoup de ses poètes et madrigalistes a certainement stimulĂ© davantage le jeune musicien alors membre du foyer artistique le plus prestigieux d’Italie.

 

VOIR notre clip vidéo : CREMONA, les Livres I, II, III de madrigaux de Monteverdi par Les Arts Florissants et Paul Agnew

 

Illustrations : Monteverdi mûr ; Paul Agnew ; Cremona, Piazza del Comune  (DR)

 

 

CD. Il Pianto d’Orfeo (Scherzi Musicali, Achten 2013 – 1 cd DHM)

orfeo-pianto-scherzi-musicali-nicolas-achten-dhm-deutsche-harmonia-mundi-critique-compte-rendu-cd-classiquenewsCD. Il Pianto d’Orfeo (Scherzi Musicali, Achten 2013 – 1 cd DHM). StructurĂ© comme un drame lyrique, le programme essentiellement dĂ©diĂ© au premier baroque (XVIIè italien, Seicento) se compose de quatre Ă©pisodes entre un prologue (magnifique sinfonia de Luigi Rossi) et son Ă©pilogue (Lasciate Averno du mĂŞme Rossi, auteur hier rĂ©vĂ©lĂ© par William Christie et dĂ©cidĂ©ment superlatif) : souhaitant dĂ©montrer que le genre opĂ©ra est nĂ© par le mythe d’OrphĂ©e et prĂ©cisĂ©ment dans le chant plaintif du berger thrace (il pianto d’Orfeo), instrumentistes et baryton directeur de Scherzi Musicali s’engagent ici pour l’articulation de la geste orphique illustrĂ©e par les intermèdes et premiers ouvrages composĂ©s par les premiers baroques : de Merula Ă  Cavalieri, de Caccini Ă  Monteverdi, de Rossi Ă  Peri, se prĂ©cise ainsi de l’un Ă  l’autre, ce chant mi dĂ©clamĂ© mi parlĂ©, parlar cantando qui s’inspirant du souffle naturel de la parole, perfectionne un nouvel art d’explication du texte. En tĂ©moigne cet art du chant dĂ©fendu avec plus de noblesse que de sensualitĂ© par le baryton et directeur de l’ensemble Nicolas Achten : la prĂ©cision linguistique, l’intelligibilitĂ©, la justesse de l’intonation permettent concrètement de se plonger dans un bain de vertiges passionnels dont les plus grands champions sont moins les florentins Caccini et Peri que le romain Rossi d’une sensualitĂ© flamboyante qui parfois dĂ©passe Monteverdi et annonce de facto Cavalli.

Aux origines de l’opĂ©ra : la prière d’OrphĂ©e

HĂ©las le soprano de Deborah York a perdu de sa chair : voix blanche et droite qui contredit l’opulence languissante d’un Rossi par exemple (Mio ben, teco’l tormento…).
On suit ainsi les Ă©tapes du drame orphique : amours d’OrphĂ©e et d’Eurydice (I), puis mort d’Eurydice (II), lamentation et dĂ©ploration (III : c’est lĂ  que le chant du berger inflĂ©chit jusqu’au dieu des enfers : indiscutablement Achten maĂ®trise les registres de la langueur implorante, mĂŞme si l’on peut regretter parfois de la duretĂ© et un relâchement dans l’articulation. Les temps forts sont ici, la plainte confiĂ©e au seul cornet (la suave melodia) de Andrea Falconieri (scrupuleux, le cornet de Lambert Colosn reste linĂ©aire) et surtout la prière d’OrphĂ©e Ă  l’adresse de Pluton : Possente spirto de l’Orfeo de Monteverdi : style resserrĂ© et puissant du grand Claudio, vĂ©ritable fondateur de l’opĂ©ra en 1607, avec ses effets d’Ă©chos entre violons et cornets, contrepoint lacrymaux du chant pur et agissant d’un OrphĂ©e, ardent, dĂ©sirant et finalement victorieux, aux portes des Enfers. La projection du chanteur reste intense mais son chant aurait infiniment gagnĂ© Ă  plus de simplicitĂ© et parfois d’attĂ©nuation, en servant davantage l’intelligibilitĂ© du texte (l’articulation est diluĂ©e au profit de la conduite vocale). Les instrumentistes se montrent plus inspirĂ©s encore dans l’intermède non vocal de Luigi Rossi “Les pleurs d’OrphĂ©e aillant perdu sa femme”, sommet dĂ©ploratif d’un intensitĂ© et gravitĂ© expressive digne de Monteverdi (plage 24). Rossi composera bientĂ´t son Orfeo de 1647 pour ĂŞtre jouĂ© Ă  Paris Ă  la demande de Mazarin.
Manquant lĂ  encore de souffle hallucinĂ©, d’urgence expressive, de relief mordant, Nicolas Achten semble bien peu inspirĂ© dans le Landi final. Dommage mais on ne peut nier qu’il y manque encore une ferveur première, une impatience suave, surtout dans les couleurs de la voix, une diversitĂ© d’intentions qui aurait pu animer et habiter le texte autrement ; qualitĂ©s ici manquantes qui font les grands OrphĂ©es Ă  l’opĂ©ra. Pas sĂ»r que le chanteur puisse demain supporter la tension permanente en chantant intĂ©gralement Orfeo de Monteverdi : il y faut de la subtilitĂ©, de l’imagination, de la profondeur…

Face Ă  un rĂ©pertoire qui s’affichait prometteur voire passionnant, les musiciens de Scherzi Musicali -pour leur premier cd chez DHM (le label baroque de Sony classical), sont encore un peu verts. Mansue de temps d’approfondissement, manque de vrai travail de comprĂ©hension des intentions des textes… le rĂ©sultat est encore trop superficiel, rendant plus que valable l’approche plus enfiĂ©vrĂ©e et visionnaire des Harnoncourt, Christie, Stubs d’hier. Nos rĂ©serves ici et lĂ  n’empĂŞchent pas de reconnaĂ®tre un programme idĂ©alement conçu, dont les facettes si tĂ©nues et nuancĂ©es mĂ©ritaient une approche plus aboutie sur le plan vocal comme instrumental. Autre critique : pourquoi avoir mis sur le visuel de couverture les larmes d’une femme quand c’est bien le poète OrphĂ©e qui en s’exprimant a su Ă©mouvoir et convaincre : la plainte et la prière salvatrice dont il est question sont bien celles d’un homme, et non des moindres : l’inventeur du chant lyrique. Contresens et source de confusion pour le jeune public et les curieux non connaisseurs  (mais on y reconnait bien les promesses d’un marketing approximatif). En conclusion : voici un ensemble Ă  suivre avec l’espoir, inspirĂ© par un rĂ©pertoire si exigeant, qu’il se perfectionne encore et encore.

CD; compte rendu critique. Il Pianto d’Orfeo (or the birth of opera). Luigi Rossi, Caccini, Peri, Monteverdi, … Scherzi Musicali. Nicolas Achten, baryton. Deborah York, soprano. 1 cd DHM Deutsche harmonia mundi. EnregistrĂ© en novembre 2013 en Belgique.

Versailles. Salon d’Hercule, le 16 avril 2015. Claudio Monteverdi (1567 – 1643). Il combattimento di Tancredi & Clorinda. Madrigaux guerriers du Livre VIII. Miriam Allan, soprano ; Hannah Morrison, soprano ; Lucile Richardot, contralto ; StĂ©phanie Leclercq, contralto ; Cyril Costanzo et Lisandro Abadie, basses. Les Arts Florissants, Paul Agnew, tĂ©nor et direction.

agnew-paul-800-concertmonteverdiLes Arts Florissants ont entamĂ© en 2012 une tournĂ©e consacrĂ©e aux madrigaux de Claudio Monteverdi. Sur le chemin de ce qui est presque un pĂ©lerinage musical, ils ont, Ă  l’occasion de quasi chaque Livre, fait une halte sous les ors du Palais des rois de France Ă  Versailles. Le Salon d’Hercule est tout particulièrement indiquĂ© tant par son cadre que son dĂ©cor et son acoustique pour accueillir celui dont la musique est tout comme les deux Ĺ“uvres du peintre qui ornent ce salon, – Paolo VĂ©ronèse -, l’expression de la quintessence mĂŞme de ce que Philippe Beaussant appelle l’instant privilĂ©giĂ© du « Passage ». Que de fois Monteverdi dut croiser aussi bien Ă  Mantoue qu’Ă  Venise, les tableaux de celui qui l’avait prĂ©cĂ©dĂ©. Tous deux ouvrirent la voie Ă  de nouveaux univers qui aujourd’hui encore nous Ă©merveillent.
La quĂŞte des Arts Florissants n’est pas loin de toucher Ă  sa fin. L’intĂ©grale entreprise parvient au VIII ème Livre, celui qui rend tout Ă  la fois un hommage Ă  un genre en voie de disparition, le madrigal-, et qui souligne l’Ă©mergence de ce genre nouveau qu’est l’opĂ©ra. Ce VIII ème livre est en fait composĂ© de deux Livres : les Madrigali Guerrieri et les Madrigali Amorosi. Et c’est le premier que nous ont donnĂ© Ă  entendre ce soir, les musiciens et chanteurs, rĂ©unis par Paul Agnew pour l’occasion.
C’est dans le VIII ème Livre que l’on trouve le Combattimento di Tancredi e Clorinda dont les Arts Florissants nous ont offert une version théâtralisĂ©e avec une mise en espace, discrète pourtant très rĂ©ussie, faite de quelques dĂ©placements scĂ©niques et d’Ă©changes de regards très appuyĂ©s.
Mais pour l’essentiel, c’est tout Ă  la fois le soin apportĂ© aux mots, aux phrasĂ©s, Ă  la beautĂ© de la langue et Ă  sa poĂ©sie musicale qui une fois de plus soulève notre enthousiasme dans cette intĂ©grale en concerts des Arts Florissants. Ici tout semble aller de soi, y compris dans l’interprĂ©tation virtuose du Ballo delle Ingrate. Les timbres parfaitement appariĂ©s viennent s’enrichir. Paul Agnew a parfaitement choisi ses chanteurs et ses musiciens. Sa direction, fruit d’un travail en commun de dĂ©jĂ  bientĂ´t trois ans, a l’Ă©lĂ©gance du partage assumĂ© et amical. Il va jusqu’Ă  crĂ©er une complicitĂ© avec le public, car en plusieurs moments, il prend la parole pour nous dire, avec son charmant accent si british, tout ce qui rend si unique la rencontre avec Claudio Monteverdi.
Les 7 chanteurs rĂ©unis forment la distribution quasi idĂ©ale, qui donne vie Ă  cette musique oĂą se mĂŞlent la tragĂ©die et la sensualitĂ© baroque. Toutes et tous ont dĂ©jĂ  participĂ© Ă  la tournĂ©e et leur connivence avec la sensibilitĂ© de ce rĂ©pertoire est une Ă©vidence. Quant aux musiciens, ils apportent des couleurs luxuriantes et charnelles, dont Ă©manent tout Ă  la fois lumière et âpretĂ©. Dans le combat de Tancrède et Clorinde, les cordes deviennent aussi tranchantes que la lame d’une Ă©pĂ©e, tandis que dans Altri canti d’amor, tenero arciero, elles sont aussi voluptueuses que les velours de VĂ©ronèse.
Cette soirĂ©e magnifique, Ă  laquelle un public nombreux s’est pressĂ©, a obtenu sa gratitude enthousiaste, tant l’enchantement en a Ă©tĂ© un vrai bonheur. DĂ©cidĂ©ment la saison musicale dĂ©fendue par Château de Versailles Spectacles (CVS) est une très belle rĂ©ussite artistique… baroque. Chaque programme musical trouve dans les salles et sites du château, son Ă©crin idĂ©al.

Vidéo, grand reportage. Monteverdi : Livres 7 et 8 de madrigaux par Paul Agnew et Les Arts Florissants

agnew-paul-800Suite de l’intĂ©grale des madrigaux de Monteverdi par Paul Agnew et Les Arts Florissants… Le directeur musical associĂ© des Arts Florissants (aux cĂ´tĂ©s du fondateur William Christie) revient aux sources du verbe baroque : le madrigal montĂ©verdien… la poursuite de l’aventure madrigalesque permet en 2015 d’aborder le dernier jalon du cycle : Paul Agnew et les chanteurs et instrumentistes des Arts Florissants incarnent le dramatisme incandescent des derniers madrigaux, si proches de ses opĂ©ras contemporains. PrĂ©sentation des enjeux esthĂ©tiques et interprĂ©tatifs des madrigaux des Livres VII et VIII, dernière Ă©tape d’une intĂ©grale qui suit l’Ă©criture de Monteverdi, des madrigaux amoureux Ă  la naissance de l’opĂ©ra… Entretien avec Paul Agnew Ă  Venise © CLASSIQUENEWS. COM 2015

 

Tournée avril et mai 2015

Agenda – tournĂ©e LIVRE VIII de madrigaux – Madrigali guerrieri

Jeudi 16 avril 2015, 21h. Versailles, Château : salon d’Hercule
Lundi 20 avril 2015, 20h30. Paris, Philharmonie 2. Enregistré par France Musique

Dimanche 24 mai, 14h. LONDRES, Barbican Milton Court (+ Madrigali amorosi Ă  19h30)
Jeudi 28 mai, 20h. CAEN, Théâtre

 

 

LIVRE VIII – Madrigaux amorosi

Lundi 18 mai, 20h30. PARIS, Philharmonie 2 (Cité de la musique), concert enregistré par France Musique
Dimanche 24 mai, 19h30.
LONDRES. Barbican center – Milton Court (+ Madrigali guerrieri Ă  14h)
Vendredi 29 mai, 20h.
CAEN, Théâtre

 

LIRE aussi notre critique du cd MANTOVA : Livres IV,V, VI de madrigaux de Monteverdi par Les Arts Florissants et Paul Agnew,  Editions Les Arts Florissants, CLIC de classiquenews 2014

 + d’infos sur le site des Arts Florissants

 

CD. Mantova : Livres 4,5,6 de madrigaux de Monteverdi (Paul Agnew, Les Arts Florissants)

MANTOVA-mantoue-cd-livres-4-5-6-Paul-agnew-Les-Arts-Florissants-cd-400CD. Mantova : Livres 4,5,6 de madrigaux de Monteverdi (Paul Agnew, Les Arts Florissants). La lecture rĂ©vèle un souci linguistique et surtout un travail spĂ©cifique sur l’expression de la langueur monteverdienne. ComparĂ©e aux versions d’autres interprètes britanniques,  plus anciens (dont Anthony Rooley depuis dĂ©modĂ©e Ă  laquelle participait dĂ©jĂ  Paul agnew… il y a plus de 20 ans) et identifiables par des voix blanches souvent en manque d’expressivitĂ© comme de vertiges langoureux,  comparĂ©e aussi Ă  la version rĂ©fĂ©rentielle de l’italien Alessandrini,  Les Arts Florissants accomplissent une voie mĂ©diane qui prend le meilleur des options entre suprĂŞme articulation et lisibilitĂ© (souci majeur dĂ©fendu avec la grâce que l’on sait par leur fondateur William Christie) et abandon sensuel,  les deux esthĂ©tiques Ă©tant d’autant plus complĂ©mentaires que Paul Agnew ajoute sa propre signature : un sens de l’Ă©coute rare,  qui dĂ©coule en 2014 Ă©videmment de son expĂ©rience de chanteur soliste : le tĂ©nor vedette qui a rĂ©ussi ses prises de rĂ´les Ă©vĂ©nement Ă  la suite du lĂ©gendaire JĂ©lyotte entre autres chez Rameau, convainc totalement par la combinaison jubilatoire des voix retenues,  leur cohĂ©sion millimĂ©trĂ©e,  le chambrisme suave et articulĂ© qui met toujours la force incantatoire et le plus souvent blessĂ©e du verbe en avant.  Notre seule rĂ©serve si l’on prend pour principe strict de comparer deux choses Ă©gales,  reste la notion de florilège et de sĂ©lection. S’il ne s’agit pas hĂ©las d’une intĂ©grale puisqu’elle s’appuie sur une collection de madrigaux choisis d’un Livre l’autre,  le fini,  le raffinement de l’esthĂ©tique, le soin du geste vocal hissent la rĂ©alisation madrigalesque qui en dĂ©coule au nombre des meilleures propositions discographiques. On attend en toute logique les deux recueils suivants avec attention : volumes 1 (Cremona, ce dernier annoncĂ© en fĂ©vrier 2015) puis volume 3 (Venezia). Ce premier opuscule Mantova (volume 2) plonge au coeur du laboratoire montĂ©verdien Ă  Mantoue, quand pour le Duc Vincent de Gonzague, Claudio plus rĂ©formateur et audacieux que jamais, “osait” inventer avec son Orfeo de 1607, l’opĂ©ra baroque.

Suivons pas Ă  pas la progression des interprètes Ă  travers les jalons de ce premier volume conçu comme un florilège. Le premier titre du Livre IV (1603) : Sfogava con le stelle d’après Rinuccini) fait valoir fusion, clartĂ©, prĂ©cision d’une sonoritĂ© totalement fondue des voix dont l’Ă©coute et la flexibilitĂ© frappante offrent une expressivitĂ© nette et suave.
Si ch’io vorrei morire est sur un mode davantage expressif : le madrigal apporte une saveur complĂ©mentaire au souci d’intelligibilitĂ©, celle du drame qui sous tend chaque madrigal. Toutes les pièces s’imposent comme autant de miniatures passionnĂ©es.

Le sublime Anima dolorosa d’après Guarini creuse encore repli et gouffres de l’âme, ces vertiges introspectifs marquĂ©s par la langueur, dĂ©sormais inscrits dans la quĂŞte de chaque pièce : amoureuse certes mais surtout ardente et insatisfaite.

Piagn’ e sospira inspirĂ© du Tasse saisit par son itinĂ©raire tortueux, montĂ©e harmonique dissonante qui heurta tant le conservatisme religieux d’un Artusi : c’est lĂ  aussi une plongĂ©e sans issue dans une introspection suspendue, irrĂ©solue, un gouffre de ressentiments inĂ©luctables, tragiques et mĂŞme graves (prĂ©figuration de La Sestina Ă  venir…).

 

 

Livres IV, V, VI de madrigaux de Monteverdi (1603, 1605, 1614)

Accomplissement madrigalesque par Paul Agnew

CLIC_macaron_20dec13Puis Ă  partir de Cruda Amarilli : les 5 perles sĂ©lectionnĂ©es du Livre 5 (toutes sur les poèmes de Battista Guarini) expriment davantage encore cette mĂŞme plĂ©nitude et surtout langueur (que des victimes de l’amour). A croire que Monteverdi est plus sensible aux plaintes et dĂ©plorations qu’Ă  la sublimation exaltĂ©e et conquĂ©rante du sentiment amoureux… Dans ce voyage intĂ©rieur, Era l’anima mia semble explorer le continent silencieux de la psychĂ© : les interprètes rendent tangible cette Ă©trangetĂ©,  – intĂ©rioritĂ© secrète et Ă©nigmatique qui naĂ®t du silence et meurt avec lui en un murmure dont Paul Agnew et ses complices, savent ciseler la profonde langueur comme un poison qui envoĂ»te et hypnotise (c’est du Wagner avant l’heure : l’amour est un poison, et la passion, un envoĂ»tement…).

agnew-paul-800Et quand surgit de façon inĂ©dite, les instruments (T’amo Mia vita) : en un essor nouveau, complice, les cordes infĂ©odĂ©es aux mĂ©andres du texte souverain semblent plus encore libĂ©rer la voix dans son exploration imprĂ©vue. Les Arts Florissants, guides inspirĂ©s, expriment dans le Livre V de 1605, la dĂ©couverte par Monteverdi d’un monde ignorĂ© jusque lĂ  : celui de l’individualitĂ© ardente, dĂ©sirante, consciente et nouvellement conquĂ©rante de sa propre psychĂ©. Mais c’est une conquĂŞte partagĂ©e dĂ©sormais par un cercle d’âmes Ă©panouies, exaltĂ©es comme l’indique le dernier madrigal E cosi a poco a poco… accomplissement en effectif renforcĂ© …. oĂą se distingue le duo amoureux / langoureux qui contraste avec l’ensemble des solistes, chĹ“ur d’humanitĂ©s, lĂ  aussi très finement  individualisĂ©es. Le Livre VI (Ă©ditĂ© en 1614) marque Ă©videmment une avancĂ©e dans la maturation Ă©motionnelle et l’approfondissement du sentiment. C’est mĂŞme, après la crĂ©ation mantouane d’Orfeo, une nouvelle construction littĂ©raire dont tĂ©moignent dĂ©sormais d’amples sections : d’abord le Lamento d’Arianna et la Sestina, composĂ©s chacun en plusieurs parties auxquelles le souffle printanier et d’une innocence juvĂ©nile de Zefiro torna fait contraste : il tempère l’envoĂ»tement dĂ©ploratif et mĂŞme funèbre des deux pièces ambitieuses. Ici les voix magistralement ciselĂ©es s’alanguissent mais sans s’exaspĂ©rer ni sombrer dans l’extase impuissante ou dĂ©munie : aucune ombre ni tension mais l’expression franche d’âmes sensibles et sincères.

L’intĂ©rĂŞt du disque va croissant : le Lamento d Arianna (seul trace de l’opĂ©ra du mĂŞme nom) marque bien l’essor impuissant face Ă  la mort et cet expressionnisme hallucinant, allusif, totalement saisissant : plainte d’une indicible langueur – Ă  la fois Ă©purĂ©e et profonde-, qui organise toutes les voix au diapason de celle qui fut abandonnĂ©e par ThĂ©see. Sommet de la prière lugubre, la Sestina frappe par la fusion des voix, la justesse des intonations, l’Ă©quilibre articulĂ© de chaque prière des amants rĂ©unis, dĂ©munis, au sĂ©pulcre de l’AimĂ©e. La pudeur et la complicitĂ© expressive dont font preuve les chanteurs rĂ©unis autour de Paul Agnew (dont l’excellente basse Cyril Costanzo, rĂ©cent laurĂ©at du jardin des Voix, 2013) Ă©clairent toute la vibration d’une partition traversĂ©e par l’affliction la plus mortelle.

Enfin, en guise de conclusion, retour au Livre V avec l’ambitieux Questi vaghi avec instruments (22ème opus sĂ©lectionnĂ© ans ce florilège)… d’une tendresse partagĂ©e, celle d’une douceur et effusion nouvelles : il fallait bien cet apaisement final pour se remettre des gouffres et visions qui prĂ©cèdent.
Ce chant pastoral Ă©voque l’entente miraculeuse d’un choeur en cĂ©lĂ©bration portĂ© par une certitude indĂ©fectible: le contraste avec la brĂ»lure d’amour des premiers madrigaux de ce florilège Mantova,  est frappant.  MĂŞme dans la dĂ©tente Monteverdi reste un orfèvre du verbe auquel le collectif de solistes rĂ©uni par Paul Agnew sait apporter suavitĂ©,  souplesse,  richesse des nuances. .. une prodigieuse palette d’affects qui parle autant au coeur qu’Ă  l’esprit.  La rĂ©volution baroque est en marche et l’auteur d’Orfeo a dĂ©jĂ  rĂ©alisĂ© l’impensable en 1607, avec la crĂ©ation de l’opĂ©ra ni plus ni moins. Les madrigaux tĂ©moignent de cette maturation miraculeuse ; ils recueillent toutes ces avancĂ©es comme un laboratoire. Autant dire que ce premier volume est totalement convaincant ; d’un mĂ©tier prĂ©cis et investi. VoilĂ  qui annonce un cycle madrigalesque passionnant : les deux prochains volumes Cremona (annoncĂ© en fĂ©vrier 2015) puis Venezia Ă©claireront encore l’apport très abouti, orfĂ©vrĂ© de Paul Agnew. L’intĂ©grale reprend du service au concert : les Livres VII et VIII sont interprĂ©tĂ©s par les Arts Florissants en 2015 Ă  travers une tournĂ©e internationale.

Des madrigaux, un texte littĂ©raire… Fidèle Ă  sa ligne Ă©ditoriale, le label Les Arts Florissants Ă©dite en complĂ©ment aux madrigaux de Monteverdi, une courte nouvelle inĂ©dite, intitulĂ©e La Sybille et la fresque des illusions par RenĂ© de Ceccatty, visiblement inspirĂ© par La Chambre des Ă©poux du peintre Mantegna (fresque rĂ©alisĂ©e au palais ducal de Mantoue). La valeur du verbe commandĂ© et mis en parallèle avec le florilège madrigalesque n’en prend que plus de valeur : il y gagne mĂŞme un sens redoublĂ©, confrontĂ© au drame vocal conçu par Claudio. A lire.

VOIR notre reportage vidéo Mantova, Madrigali, volume 2 : Livres IV,V,VI de madrigaux de Monteverdi par Les Arts Florissants, Paul Agnew.

 

Vidéo, reportage. CD. MANTOVA : Livres 4,5,6 de madrigaux de Monteverdi par Paul Agnew et Les Arts Florissants

MANTOVA-mantoue-cd-livres-4-5-6-Paul-agnew-Les-Arts-Florissants-cd-400CD Ă©vĂ©nement. Prolongement d’une tournĂ©e internationale, le CD MANTOVA (Mantoue) est le volume II de l’intĂ©grale des Madrigaux par Les Arts Florissants et Paul Agnew. Le programme enregistrĂ© offre un florilège des plus beaux Madrigaux composĂ©s pour les Livres 4,5 et 6 par le compositeur baroque nĂ© Ă  CrĂ©mone et qui fut aussi avant Venise, le crĂ©ateur le plus douĂ© de la Cour de Vincent de Gonzague Ă  … Mantoue. Vertiges, Ă©clats entre ombre et lumière d’un nouveau scintillement Ă©motionnel. Le jeune compositeur rĂ©alise une alliance inĂ©dite, convergence et dialogue, entre climats sonores et images poĂ©tiques. Il sublime les accents sincères du texte en ciselant l’Ă©criture musicale : la sensualitĂ© souveraine, non dĂ©nuĂ©e d’humour, dĂ©montrent une connaissance aiguĂ« de chaque poème, et sa propension Ă  Ă©tablir de nouvelles situations dramatiques.

Fidèle à la ligne éditoriale du nouveau label des Arts Florissants (qui mêle musique et littérature), le coffret comprend la collection de madrigaux mais aussi un texte inédit du romancier et écrivain René de Ceccatty : La Sibylle ou la chambre des illusions, claire référence à la chambre des époux décorée par Mantegna dans le palais ducal de Mantoue.  Les 2 autres coffrets cd à venir : CREMONA (vol.I) puis VENEZIA (vol.III) comprendront également une nouvelle inédite du même auteur.

Reportage vidĂ©o : pourquoi Paul Agnew et les solistes des Arts Florissants ont choisi cette collection de pièces d’une fascinante expressivitĂ©? C’est pour le chef associĂ© des Arts Florissants, aux cĂ´tĂ©s de William Christie, un retour Ă  la source primordiale de l’esthĂ©tique baroque, une immersion dans l’antichambre des grandes rĂ©alisations musicales, dramatiques et lyriques : dĂ©jĂ  dans les Livres 4,5 et 6, Monteverdi opère une rĂ©volution esthĂ©tique oĂą la note articule le verbe, oĂą le chambrisme puissant et Ă©lĂ©gant des interprètes Ă©claire toutes les nuances poĂ©tiques du texte du Tasse ou de Guarini : Monteverdi accompagne la musique dans son passage de la Polyphonie au sentiment dispersĂ© (aux voix multiples) Ă  la passion individualisĂ©e (incarnĂ©e par un seul chanteur et dĂ©sormais, dans le lIvre V, sur un tapis instrumental)… Reportage vidĂ©o CLASSIQUENEWS.COM 2014. Le cd est paru le 7 octobre 2014

CD, annonce. MANTOVA : Livres IV,V, VI des madrigaux de Monteverdi. Les Arts Florissants, Paul Agnew. Parution le 7 octobre 2014

MANTOVA-mantoue-cd-livres-4-5-6-Paul-agnew-Les-Arts-Florissants-cd-400CD. Mantova : Livres IV,V,VI de madrigaux de Monteverdi. Les Arts Florissants, Paul Agnew. Paru le 7 octobre 2014. Après avoir donnĂ© en concert, les Livres I,II,III,IV, V et VI de Madrigaux de Claudio Monteverdi, Paul Agnew, chef associĂ© des Arts Florissants fait paraĂ®tre (enfin) le premier volume d’une trilogie discographique dĂ©diĂ©e naturellement au Monteverdi madrigaliste. Le premier volume intitulĂ© «  Mantova «  (Mantoue) est paru ce 7 octobre 2014 ; il offre un florilège des madrigaux des Livre IV, V et VI. Le sujet est captivant : le choix des pièces ainsi enregistrĂ©es accompagne l’une des rĂ©volutions les plus dĂ©cisives de l’histoire de la musique en Europe ; il suit les Ă©volutions stylistiques de la Renaissance au Baroque, des entrelacs polyphoniques aux vertiges passionnels de la monodie nouvelle (Secunda prattica), quand Claudio, entre CrĂ©mone et Mantoue, avant Venise, Ă©labore sa propre langue dramatique, accordant comme nul autre avant lui, verbe poĂ©tique et harmonie sensuelle. Peu Ă  peu se prĂ©cise un chant de plus en plus incarnĂ© au service du texte : si les Livres IV et V (Ă©ditĂ©s Ă  Mantoue en 1603 et 1605) appartiennent encore Ă  l’esthĂ©tique de la Renaissance (certes colorĂ©e par les ultimes recherches expressives modernes liĂ©es Ă  la Cour du Duc Vincent de Gonzague Ă  Mantoue), le Livre VI Ă©ditĂ© en 1614, montre l’accomplissement de l’écriture montĂ©verdienne dans le domaine opĂ©ratique car les madrigaux Ă©ditĂ©s, y sont contemporains des opĂ©ras Orfeo (1607) et Arianna (1608).

 

 

Mantova : le premier volume de l’intĂ©grale des Madrigaux de Monteverdi par Paul Agnew et Les Arts Florissants

 

agnew-paul-800Le Livre VI marque ainsi le partage des eaux, entre Renaissance et Baroque, avec l’usage des instruments qui libĂ©rant les voix, permettent l’individualisation très forte de l’écriture : le secunda prattica est nĂ©e alors avec le principe de l’écriture monodique, impliquant la basse continue. Paul Agnew s’inscrit comme un interprète de choix au service d’une odyssĂ©e vocale (et instrumentale) passionnante. Chanteurs parmi ses pairs, le tĂ©nor Ă©claire la puretĂ© expressive du madrigal : il a rĂ©uni un ensemble de chanteurs soucieux de l’Ă©coute, dĂ©fenseurs d’une prosodie flexible et prĂ©cise, ciselant chaque figuralisme poĂ©tique.

Le coffret s’annonce comme le miroir fidèle et la synthèse de l’intégrale madrigalesque en cours donnée en concert. Paul Agnew et les chanteurs et instrumentistes des Arts Florissants poursuivent en 2015, leur épopée proposant les ultimes Livres VII et VIII.

Un cd, un texte inĂ©dit. Comme c’est le cas des premiers albums sous Ă©tiquette du propre label des Arts Florissants (Les Arts Florissants Éditions), l’album Mantova est accompagnĂ© d’un texte inĂ©dit signĂ© RenĂ© de Ceccatty (qui a Ă©crit aussi les deux autres textes des volumes Ă  paraĂ®tre : Cremona, puis Venezia) : en une mise en perspective des madrigaux montĂ©verdiens et d’un texte littĂ©raire, le nouvel album offre Ă  l’auditeur / lecteur, l’occasion d’approfondir sa propre expĂ©rience des Madrigaux de Monteverdi grâce Ă  la lecture complĂ©mentaire d’une nouvelle inĂ©dite (« La Sibylle et la fresque des illusions », commande des Arts Florissants) dont les Ă©lĂ©ments narratifs s’inspirent de l’écriture musicale montĂ©verdienne : RenĂ© de Ceccatty y brosse le portrait d’une femme Ă©crivain qui dĂ©voile au crĂ©puscule de sa vie, le secret amoureux qui l’a hantĂ© sa vie durant et dont les madrigaux portent comme l’essence, le souvenir cryptĂ©. Le propre du texte est de prĂ©server la brĂ»lante force d’évocation du verbe et de la prose musicale, toute leur puissance Ă©motionnelle comme si la voix multiple des chanteurs diffusait l’intensitĂ© intacte d’un sentiment primordial, originel, prĂ©cieusement cachĂ©.

Prochaine critique complète du cd MANTOVA par Paul Agnew et Les Arts Florissants, à venir dans le mag cd de classiquenews.com

Lire aussi les critiques des albums déjà parus aux Éditions Les Arts Florissants : Belshazzar, Le Jardin de Monsieur Rameau, 2 albums élus «  CLIC » de classiquenews

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L’Orfeo de Monteverdi, 1607 sur France Musique

logo_francemusique1865 Machard Jules, OrphĂ©e aux EnfersFrance Musique. Monteverdi : Orfeo. Samedi 27 septembre 2014, 19h. OpĂ©ra douloureux, malgrĂ© son sujet central – le pouvoir de la musique et du chant : quand le poète de Thrace inflĂ©chit Pluton et les enfers pour y pĂ©nĂ©trer afin d’en soustraire Eurydice-, Orfeo est bien sur le plan musical et dans l’histoire de l’opĂ©ra, ce laboratoire rĂ©volutionnaire oĂą Monteverdi, fort de son expĂ©rience comme madrigaliste Ă  CrĂ©mone puis Mantoue, rĂ©invente le langage du drame en musique et s’appuyant sur la suprĂ©matie du texte, articulĂ©, sublimĂ© par la musique, s’inspire des premiers ouvrages florentins, rĂ©alisĂ©s au dĂ©but du siècle (autour de 1600) dans le style du recitar catando : un parlĂ© chantĂ© proche de la parole qui laisse le chant très intelligible. La sensualitĂ© nouvelle de la dĂ©clamation, le jeu des allitĂ©rations entre autre font de l’opĂ©ra chantĂ© un art poĂ©tique par excellence et Monteverdi le dĂ©montre aisĂ©ment dans son Orfeo de 1607. Monteverdi assure aussi le passage du madrigal polyphonique (encore très prĂ©sent dans les choeurs) au chant monodique accompagnĂ© pour la voix soliste.

 

 

Orpheus leading Eurydice from the Underworld by Jean-Baptiste-Camille Corot, 1861.via visionsofwhimsyLe madrigal polyphonique y est subtilement utilisé pour les chœurs de bergers et arcadiens ; le chant monodique permet a voce cola d’approfondir la psychologie des caractères protagonistes. Le récitatif d’Orphée devant Caron, le passage en barque du fleuve infernal, sa prière devant Pluton (ample lamento dramatique)… suscitent autant d’airs où la seule incantation souvent hallucinée (par la douleur et la volonté de sauver Eurydice de la mort) du chanteur affirme désormais la voix de l’opéra : une voix agile et intelligible qui exprime au plus juste la richesse et l’intensité des passions humaines. Selon les productions et les lectures des chefs et des metteurs en scène, Orfeo est diversement abordé comme pensé sur la scène.  Outre son éclectisme formel entre Renaissance et Baroque, l’oeuvre est d’une diversité complexe : l’un des aspects saillants, en est le cynisme de l’action, cette épreuve de la douleur, au cours de laquelle le chantre, Orphée, fait l’expérience de la perte, du renoncement, du déchirement car comme Apollon le lui rappelle en fin d’action: “Rien ici bas ne nous réjouit ni ne dure“.

 

 

l’opĂ©ra des origines

 

FranzVonStuck-Orpheus-1891 via visionsofwhimsyLa vision est terrifiante, et mĂŞme d’une glaçante ironie. D’autres prĂ©fèrent souligner sa tendresse caressante et sa langueur extatique car c’est l’amour d’OrphĂ©e pour Eurydice qui mène l’action : mĂŞme si le Poète de Thrace ne maĂ®trisant pas ses passions (il se retourne pour voir sa bien aimĂ©e malgrĂ© l’injonction de Pluton / Hadès), s’enfonce peu Ă  peu dans la solitude et l’échec : en se retournant pour voir la belle, OrphĂ©e se libère des lois mais dĂ©truit tout espoir. Selon les versions (toutes deux originales car validĂ©es par Monteverdi) : l’homme blessĂ© et dĂ©chirĂ© par la perte dĂ©finitive rejoint Apollon son père au ciel en une apothĂ©ose finale spectaculaire ; ou alors il est dĂ©chirĂ© au sens strict du terme par les bacchantes, assassinĂ© car tout bonheur est vain sur la terre (une vision partagĂ© ensuite par Wagner Ă  l’extrĂ©mitĂ© de l’histoire lyrique : Monteverdi / Wagner seraient ils tous deux de grands cyniques dĂ©faitistes ?). Le poète et l’homme tout court seraient-ils des ĂŞtres maudits ? L’amour tue ; le sentiment fait souffrir mais une vie sans amour est-ce imaginable ? Il nous reste au delĂ  du sujet bouleversant, la beautĂ© d’une musique et l’intelligence d’un drame parfaitement construit dont la pensĂ©e saisit par sa poĂ©sie et sa vĂ©ritĂ© profonde. Orfeo est l’opĂ©ra des origines : une conception de la reprĂ©sentation musicale qui ne laisse pas de nous captiver, 400 ans après sa crĂ©ation en 1607 dans le cercle privĂ© et intime du Duc de Mantoue en son palais. Entre temps, le genre est devenu un rituel populaire auquel les publics de plus en plus variĂ©s et nombreux se laissent conduire avec toujours la mĂŞme espĂ©rance d’ĂŞtre enfin rĂ©enchantĂ©s…

 

 

 

France Musique. Monteverdi : Orfeo. Samedi 27 septembre 2014, 19h.
Opéra enregistré le 20 juillet 2014 au Bayerische Staatsoper de Munich.

 

 

 

ORFEO ORPHEE Gregorio_Lazzarini_-_Orpheus_and_the_Bacchantes_(detail) wiki

 

 

 

ORPHEE ORFEO Giovanni Antonio Burrini - Orfeo y EurĂ­dice 1697 Viena via www.lesdiagonalesdutemps.com

 

 

 

Illustration : Orphée au bras levé par Jules Machard, 1865.   Orphée guidant Eurydice, 1861 par Corot. Orphée séduit les animaux par Franz von Stuck, 1891. Orphée et les Bacchantes par Gregorio Lazzarini. Orphée et Eurydice par Giovanni Antonio Burini, 1697.(DR).

 

 

 

Gala Monteverdi sur Arte

monteverdiarte_logo_2013Arte. Gala Monteverdi, dimanche 28 septembre 2014, 18h30. Le génie de Monteverdi tient en deux mots : texte et théâtre. Il est le seul à son époque à ressentir comme aucun autre, les convulsions et vertiges sensibles de l’âme et du cœur, puis surtout de les exprimer en une langue claire, intelligible où la musique sert le texte. L’articulation, le métamorphose des sentiments, les brûlures de l’amour, Monteverdi a tout dit avec une efficacité qui embrase sa riche production de madrigaux (8 Livres à ce jour, de plus en plus dramatiques, édités toutes sa vie, simultanément à ses opéras, jusqu’en 1638). EN effet ses ouvrages lyriques ont été essentiels pour l’évolution du genre, alors totalement révolutionnaire à son époque : Orfeo en 1607 puis près de 30 années plus tard à Venise, Le Couronnement de Poppée et Le Retour d’Ulysse in patria : des  modèles de drames cyniques et barbares, faisant la satire de l’histoire romaine et de la mythologie, mais avec cette sensualité languissante dont il est le seul à détenir le secret. Le Livre VIII est le plus emblématique de sa manière directe et poétique, où aux côtés des styles fervent et langoureux, il invente pour exprimer la frénésie passionnelle, le style concitato, «  agité «  propre aux gestes et vertiges guerriers.  En février 2014, Le Concert d’Astre rend hommage au théâtre et à l’écriture de Monteverdi, le plus grand auteur dramatique de la première moitié du XVIIème siècle. Monteverdi invente véritablement l’opéra vénitien, bientôt sublimé encore et de façon égale par son disciple Cavalli qui fut chanteur à San Marco sous sa direction.

Les chanteurs Magdalena Kozena, Rolando Villazon, Emiliano Gonzalez Toro, Topi Lehtipuu… incarnent la transe incandescente d’un Monteverdi, père de l’opéra baroque et de l’opéra tout court. Extraits de Poppée, du Lamento della Ninfa (Livre VI), de l’Orfeo et de plusieurs autres chefs d’œuvres des Livres VII et VIII dont évidemment le sublime drame guerrier et amoureux : Il Combattimento de Tancredi e Clorinda (Le combat de Tancrède et Clorinde). Comme Caravage en peinture, Monteverdi réalise le passage de la polyphonie médiévale au drame baroque individualisé… le musicien rejoint le peintre dans l’expression contrastée, languissante et sauvage des passions humaines. Chapeau bas à l’inventeur de l’opéra moderne, légitimement célébré dans cette soirée parisienne  spéciale Monteverdi.

Monteverdi : les Madrigaux des Livres IV, V & VI (1603-1614)

Claudio+Monteverdi+monteverdiMonteverdi : les Madrigaux des Livres IV, V & VI  (1603-1614). Chaque publication des Quatrième (1603), Cinquième (1605) et Sixième Livres (1614) marque un jalon de l’esthĂ©tique baroque naissante. C’est la pĂ©riode clĂ© oĂą Monteverdi Ă©crit son  premier opĂ©ra- en un coup de maĂ®tre : Orfeo (1607), puis L’Arianna, en 1608. Les deux ouvrages signent la fin du madrigal Ă  5 voix. Les trois Livres sont tous publiĂ©s Ă  Mantoue, cour ducale extrĂŞmement active sur le plan artistique depuis le XVème siècle. Le patron de Monteverdi, Vincent de Gonzague encourage les recherches nouvelles des musiciens Ă  son service : l’émulation profite au jeune chanteur et instrumentiste qui comme compositeur, devenu maĂ®tre de chapelle en 1602, Ă©labore Ă  Mantoue, sa langue musicale, expressive, sensuelle, rĂ©aliste grâce Ă  ses madrigaux, qui composent comme le laboratoire de ses avancĂ©es propres. Le nouveau disque des Arts Florissants, sous la direction artistique du chanteur Paul Agnew, concrĂ©tise et prolonge un cycle de concerts dĂ©diĂ©s Ă  l’intĂ©grale des Madrigaux de Monteverdi, initiĂ©e en 2011. Le choix du chef associĂ© des Arts florissants se porte sur un florilège des madrigaux des Livres Ă©ditĂ©s Ă  Mantoue (Livres IV, V, VI) oĂą s’affirme l’exceptionnel tempĂ©rament novateur d’un Monteverdi surtout soucieux d’intelligibilitĂ© linguistique. Il a fixĂ© les règles de l’écriture monodique, assurĂ© la caractĂ©risation de plus en plus individuelle de l’écriture, et bientĂ´t composera le premier opĂ©ra assurĂ©ment baroque de l’histoire de la musique…  La pĂ©riode est donc dĂ©cisive : elle souligne l’œuvre rĂ©formatrice et rĂ©volutionnaire de Monteverdi. L’équivalent en musique du peintre Caravage, lui-mĂŞme rĂ©formateur du langage pictural Ă  l’extrĂŞme fin du XVIème Ă  Rome…

Les madrigaux de Monteverdi
Un laboratoire musical qui mène Ă  l’opĂ©ra baroque

monteverdi cremona ingegneri Primeiro_retrato_de_MonteverdiLivre IV. Dan le IVème Livre, Monteverdi alors Ă©tabli Ă  Mantoue rend hommage aux compositeurs modernes et intrĂ©pides de Ferrare dont le duc de Mantoue, Vincent de Gozague, aux goĂ»ts avantgardistes pourrait bien avoir Ă©tĂ© le patron et le protecteur. En un faux bourdon classique, « Sfogava con le stelle «  [ plage 1] exige des chanteurs une Ă©coute collective supĂ©rieure afin de restituer la force poĂ©tique du texte en une rĂ©citation libre et naturelle. “Anima dolorosa” [4] commencĂ©e en trio, requiert ensuite les 5 voix en une homophonie de plus en plus implorante. La clartĂ© intelligible du texte servi par l’Ă©criture homophonique, Ă©claire aussi le puissant Ă©rotisme langoureux de “Sì ch’io vorrei morire” [2], dont les soupirs et spasmes sur le mot “morire” (“mourir”), dissonances millimĂ©trĂ©es, et Ă©voquent l’ultime souffle vital comme la jouissances sensuelle atteinte. « Piagn’ e sospira », le dernier madrigal affirme la très forte caractĂ©risation du texte tragique dans le sens d’une dĂ©ploration sensuelle oĂą l’amante gravant les vers sur l’Ă©corce d’un arbre se lamente, coeur esseulĂ©, naufragĂ© impuissant au cĹ“ur de la tempĂŞte de la guerre d’amour.

monteverdi claudio bandeauLivre V. Le Cinquième Livre (1605) tĂ©moigne d’une avancĂ©e dĂ©cisive deux ans avant Orfeo, premier opĂ©ra de l’histoire et première gĂ©niale sous la plume de Monteverdi (1607). Le nouveau Livre publiĂ© Ă  Mantoue fixe l’usage moderne de la basse continue sollicitant dĂ©sormais l’Ă©criture monodique avec instruments. Le principe est dĂ©jĂ  rĂ©alisĂ© dès 1600 par Salomon Rossi  Ă©galement actif Ă  Mantoue, et par Luzzaschi.  Mais l’Ă©criture de Monteverdi s’avère d’une originalitĂ© et d’une justesse poĂ©tique inĂ©galĂ©e. Les voix enfin libĂ©rĂ©es du simple accompagnement peuvent dĂ©sormais incarner un personnage, s’individualiser plus intensĂ©ment. Les dialogues entre solistes peuvent dĂ©sormais s’Ă©panouir comme en tĂ©moigne le premier madrigal, conversation entre Amarillis et Mirtilomlo, extrait d’Il Pastor fido de Guarini. De mĂŞme, les deux autres dialogues, Ecco, Silvio, en cinq parties, et Ch’io t’ami en trois provenant de Il Pastor Fido, attestent d’une conception théâtralisĂ©e des passions amoureuses peut ĂŞtre dans la perspective d’une reprĂ©sentation du poème de Guarini en 1598.

Cruda Amarilli [6] et O Mirtillo, Mirtill’ anima mia [7] ont suscitĂ©es les foudres du chanoine Artusi de Bologne, un dĂ©fenseur rĂ©actionnaire de l’ancienne esthĂ©tique de l’Ars Perfecta (Prima prattica). Trop d’audace, trop de rĂ©alisme, de dissonances expressives servent la vĂ©ritĂ© criante du texte : Monteverdi simultanĂ©ment Ă  la rĂ©volution picturale engagĂ©e par Caravage, rĂ©volutionne la musique de son Ă©poque. Les deux crĂ©ateurs partagent un sens dramatique incandescent colorĂ© de sensualitĂ© suggestive, marquĂ© par un rĂ©alisme saisissant des passions humaines.

Les deux autres dialogues, E così a poco a poco [10] et T’amo mia vita [9] confirment cette mĂŞme profondeur musicale rĂ©vĂ©lant sous l’Ă©noncĂ© des mots de nouveaux enjeux, une force intĂ©rieure jusque lĂ  inconnue : l’activitĂ© de la psychĂ© bouillonnante sous la surface du verbe. Le premier est un duo amoureux virtuose entre un tĂ©nor et une soprano, et, le second, un charmant tableau entre une soprano et l’homme aimĂ© reprĂ©sentĂ© par un trio de voix masculines. Enfin Questi vaghi concenti [22] laisse  la place initiale aux instruments (symphonie prĂ©alable Ă  5 instruments) prĂ©parant en nuances suaves, Ă©perdues, l’apothĂ©ose du madrigal Ă  9 voix. La pièce pourrait elle aussi avoir Ă©tĂ© conçue comme une pastorale enivrĂ©e pour une reprĂ©sentation ducale.

FETI Claudio_Monteverdi_1Livre VI. En 1612, Monteverdi est Ă  Venise oĂą il dĂ©croche le poste enviĂ©, prestigieux de maitre de chapelle Ă  San Marco. Deux ans plus tard en 1614, paraĂ®t son Livre VI de madrigaux : beaucoup d’entre eux remontent Ă  son sĂ©jour Ă  Mantoue, Ă©tant liĂ©s aux Ă©vĂ©nements dynastiques de la Cour ducale. La sĂ©lection affirme la maturitĂ© dramatique et la sensibilitĂ© poĂ©tique du musicien alors au sommet de ses possibilitĂ©s. LĂ  encore, l’expression douloureuse de la passion amoureuse s’impose clairement. Deux lamentos dominent, soulignant la maĂ®trise de Monteverdi dans ce genre emblĂ©matique de l’opĂ©ra vĂ©nitien : le Lamento d’ Arianna [11- 14], et la Sestina [16-21]. Le Lamento d’Arianna est l’adaptation polyphonique du lamento originellement composĂ© pour l’opĂ©ra Ă©ponyme de 1608. Sur le mode plaintif, Arianna abandonnĂ©e par ThĂ©sĂ©e sur l’Ă®le de Naxos exprime sa dĂ©sespĂ©rance et sa solitude tragique : c’est une âme dĂ©truite vouĂ©e Ă  la mort. ComparĂ© Ă  la trame monodique oĂą la soprano soliste (Arianne) dialogue avec les 3 hommes en Ă©cho de sa plainte, le lamento polyphonique pour 5 voix dĂ©montre le raffinement harmonique que permet l’écriture polyphonique. La Sestina est encore plus originale et plus intime voire secrète qu’Arianna : le lamento convoque un Ă©pisode dramatique oĂą l’amour se dĂ©cline en geste dĂ©ploratif : Glaucus arrive sur la tombe de Corinna, sa bien-aimĂ©e. L’épisode Ă©voque le Giunto al la tomba de la Gerusalemme  Liberata du Tasse, mis en musique par le prĂ©dĂ©cesseur de Monteverdi Ă  la charge de maĂ®tre de chapelle Ă  Mantoue, Giaches de Wert. Le Duc Vincent Gonzague commande cette pièce dĂ©chirante, d’une pudeur inĂ©dite, Ă  la mort d’une jeune soprano, Caterina Martinelli, qui devait crĂ©er le rĂ´le titre d’Arianna en 1608. La très jeune cantatrice, maĂ®tresse du duc Ă©tait alors hĂ©bergĂ©e chez les Monteverdi, particulièrement affectĂ©s par le deuil. « Zefiro torna » [15], la dernière pièce du Sixième Livre , emprunte Ă  la danse son dĂ©but et illustre en particulier Ă  la fin, les audaces harmoniques d’un Monteverdi, gĂ©nial dramaturge du sentiment. Avec le Livre VI, s’achève l’extraordinaire Ă©popĂ©e du madrigal Ă  5 voix auquel Monteverdi en un geste rĂ©formateur et expĂ©rimental aura offert ses plus grands accomplissements. Les Livres suivants VII et VIII font Ă©clater la forme classique du madrigal, de sorte qu’avec le Livre VI se ferme le livre d’une expĂ©rimentation continue Ĺ“uvrant pour l’essor de l’opĂ©ra.

discographie

CD. Mantova : Livres IV,V,VI de madrigaux de Monteverdi. Les Arts Florissants, Paul Agnew. A paraître le 23 septembre 2014. Après avoir donné en concert, les Livres I,II,III,IV, V et VI de Madrigaux de Claudio Monteverdi, Paul Agnew, chef associé des Arts Florissants fait paraître (enfin) le premier volume d’une trilogie discographique dédiée naturellement au Monteverdi madrigaliste. Le premier volume intitulé «  Mantova «  (Mantoue) est annoncé ce 23 septembre 2014 ; il offre un florilège des madrigaux des Livre IV, V et VI. Le sujet est captivant : le choix des pièces ainsi enregistrées accompagne l’une des révolutions les plus décisives de l’histoire de la musique en Europe ; il suit les évolutions stylistiques de la Renaissance au Baroque, des entrelacs polyphoniques aux vertiges passionnels de la monodie nouvelle, quand Claudio, entre Crémone et Mantoue, avant Venise, élabore sa propre langue dramatique, accordant comme nul autre avant lui, verbe poétique et harmonie sensuelle. Peu à peu se précise un chant de plus en plus incarné au service du texte : si les Livres IV et V (édités à Mantoue en 1603 et 1605) appartiennent encore à l’esthétique de la Renaissance (certes colorée par les ultimes recherches expressives modernes liées à la Cour du Duc Vincent de Gonzague à Mantoue), le Livre VI édité en 1614, montre l’accomplissement de l’écriture montéverdienne dans le domaine opératique car les madrigaux y sont contemporains des opéras Orfeo (1607) et Arianna (1608). En lire +

CD. Mantova : Livres IV,V, VI des madrigaux de Monteverdi. Les Arts Florissants, Paul Agnew. A paraître le 23 septembre 2014.

MANTOVA-mantoue-cd-livres-4-5-6-Paul-agnew-Les-Arts-Florissants-cd-400CD. Mantova : Livres IV,V,VI de madrigaux de Monteverdi. Les Arts Florissants, Paul Agnew. A paraĂ®tre le 23 septembre 2014. Après avoir donnĂ© en concert, les Livres I,II,III,IV, V et VI de Madrigaux de Claudio Monteverdi, Paul Agnew, chef associĂ© des Arts Florissants fait paraĂ®tre (enfin) le premier volume d’une trilogie discographique dĂ©diĂ©e naturellement au Monteverdi madrigaliste. Le premier volume intitulĂ© «  Mantova «  (Mantoue) est annoncĂ© ce 23 septembre 2014 ; il offre un florilège des madrigaux des Livre IV, V et VI. Le sujet est captivant : le choix des pièces ainsi enregistrĂ©es accompagne l’une des rĂ©volutions les plus dĂ©cisives de l’histoire de la musique en Europe ; il suit les Ă©volutions stylistiques de la Renaissance au Baroque, des entrelacs polyphoniques aux vertiges passionnels de la monodie nouvelle, quand Claudio, entre CrĂ©mone et Mantoue, avant Venise, Ă©labore sa propre langue dramatique, accordant comme nul autre avant lui, verbe poĂ©tique et harmonie sensuelle. Peu Ă  peu se prĂ©cise un chant de plus en plus incarnĂ© au service du texte : si les Livres IV et V (Ă©ditĂ©s Ă  Mantoue en 1603 et 1605) appartiennent encore Ă  l’esthĂ©tique de la Renaissance (certes colorĂ©e par les ultimes recherches expressives modernes liĂ©es Ă  la Cour du Duc Vincent de Gonzague Ă  Mantoue), le Livre VI Ă©ditĂ© en 1614, montre l’accomplissement de l’écriture montĂ©verdienne dans le domaine opĂ©ratique car les madrigaux y sont contemporains des opĂ©ras Orfeo (1607) et Arianna (1608).

Mantova : le premier cd des Madrigaux de Monteverdi par Paul Agnew et Les Arts Florissants

Le Livre VI marque ainsi le partage des eaux, entre Renaissance et Baroque, avec l’usage des instruments qui libĂ©rant les voix, permettent l’individualisation très forte de l’écriture : le secunda prattica est nĂ©e alors avec le principe de l’écriture monodique, impliquant la basse continue. Paul Agnew s’inscrit comme un interprète de choix au service d’une odyssĂ©e vocale (et instrumentale) passionnante. Chanteurs parmi ses pairs, le tĂ©nor Ă©claire la puretĂ© expressive du madrigal : il a rĂ©uni un ensemble de chanteurs soucieux de l’Ă©coute, dĂ©fenseurs d’une prosodie flexible et prĂ©cise, ciselant chaque figuralisme poĂ©tique.

Le coffret s’annonce comme le miroir fidèle et la synthèse de l’intégrale madrigalesque en cours donnée en concert. Paul Agnew et les chanteurs et instrumentistes des Arts Florissants poursuivent en 2014-2015, leur épopée proposant les ultimes Livres VII et VIII.

1 cd, un texte inĂ©dit. Comme c’est le cas des premiers albums sous Ă©tiquette du propre label des Arts Florissants (Les Arts Florissants Éditions), l’album Mantova est accompagnĂ© d’un texte inĂ©dit signĂ© RenĂ© de Ceccatty (qui a Ă©crit aussi les deux autres textes des volumes Ă  paraĂ®tre : Cremona, puis Venezia) : en une mise en perspective des madrigaux montĂ©verdiens et d’un texte littĂ©raire, le nouvel album offre Ă  l’auditeur / lecteur, l’occasion d’approfondir sa propre expĂ©rience des Madrigaux de Monteverdi grâce Ă  la lecture complĂ©mentaire d’une nouvelle inĂ©dite («  La Sibylle et la fresque des illusions », commande des Arts Florissants) dont les Ă©lĂ©ments narratifs s’inspirent de l’écriture musicale montĂ©verdienne : RenĂ© de Ceccatty y brosse le portrait d’une femme Ă©crivain qui dĂ©voile au crĂ©puscule de sa vie, le secret amoureux qui l’a rongĂ© sa vie durant et dont les madrigaux portent comme l’essence, le souvenir cryptĂ©. Le propre du texte est de prĂ©server la brĂ»lante force d’évocation du verbe et de la prose musicale, toute leur puissance Ă©motionnelle comme si la voix multiple des chanteurs diffusait l’intensitĂ© intacte d’un sentiment primordial, prĂ©cieusement cachĂ©.

Prochaine critique complète du cd MANTOVA par Paul Agnew et Les Arts Florissants, à venir dans le mag cd de classiquenews.com

Lire aussi les critiques des albums déjà parus aux Éditions Les Arts Florissants : Belshazzar, Le Jardin de Monsieur Rameau, 2 albums élus «  CLIC » de classiquenews

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CD. Kapsberger : Labirinto d’Amore (Anna Reinhold, Thomas Dunford, 2013).

kapsberger-labirinto-amore-anna-reinhold-mezzo-cd-alpha-clic-classiquenewsCD, critique. Kapsberger : Labirinto d’Amore (Anna Reinhold, 2013). L’amour mystĂ©rieux, insaisissable Ă©tend son envol et son ombre inquiĂ©tante, fascinante sur ce programme enchantĂ© oĂą la vocalitĂ© de l’excellente mezzo Anna Reinhold, en son abandon et sa gravitĂ© enivrante, captive dans l’allusion, et la ciselure caressante. La jeune laurĂ©ate de l’AcadĂ©mie vocale de William Christie, le fameux Jardin des Voix promo 2011, a encore gagnĂ© en autoritĂ©, en articulation et justesse de projection. La cantatrice que nous suivons depuis sa participation Ă  ThirĂ© en VendĂ©e, au tout nouveau festival du fondateur des Arts Florissants (Dans les Jardins de William Christie, dernière semaine du mois d’aoĂ»t, cette annĂ©e du 23 au 30 aoĂ»t 2014), dĂ©voile de rĂ©elles qualitĂ©s de caractĂ©risation et d’intelligibilitĂ© linguistique avec d’autant plus de mĂ©rite que le programme retenu rĂ©unit quelques perles du beau chant, belcanto de ce premier baroque (Seicento des origines de l’opĂ©ra), oĂą la forme libre, onctueuse, coulante, mi aria, mi arioso, mi recitativo, suit les ondulations les plus tĂ©nues du langage parlĂ©.

Anna Reinhold, tragique enchanteresse

CLIC D'OR macaron 200Le dĂ©but ouvre avec le sublime lamento de Barbara Strozzi, poĂ©tesse chanteuse compositrice du baroque vĂ©nitien post montĂ©verdien : L’Eraclito amoroso (1651) peint par la bouche de l’amant douloureux, les blessures et le poison de l’amour traĂ®tre. Souffle infini, justesse et couleur, caractère, intensitĂ©, souci du verbe fait chair et geste : la mezzo convainc ; d’autant que le voile et l’ombre musicale que sait ourler autour d’elle, l’archiluth  de Thomas Dunford s’accorde idĂ©alement Ă  ce chant du dĂ©sespoir, d’un pudeur grave, d’une finesse subtile et expressive Ă  la fois : Strozzi s’y montre aussi sobre, intense, hallucinĂ©e qu’un Monteverdi quand il campe la douleur inconsolable de l’impuissante Ottavia rĂ©pudiĂ©e (Addio Roma du Couronnement de PoppĂ©e). La source Ă  ce chant naturel et souple est prĂ©sente avec la sublime Lettera amorosa du grand Claudio (Livre VII, Venise 1619), confession dĂ©claration imploration d’un cĹ“ur aimant, sincère, dont la cantatrice au diapason de la langueur mesurĂ©e, exprime jusqu’au tressaillement ultime d’une âme Ă©puisĂ©e qui saigne : la prise de son met en avant ce timbre taillĂ© pour les grandes scènes tragiques, dans un espace rĂ©verbĂ©rĂ© avec soin. L’amour y Ă©tend lĂ  encore ses ailes dĂ©sespĂ©rĂ©es, suppliantes… La voix s’Ă©panouit dans ce cantar rappresentativo, au dramatisme sobre, dĂ©pouillĂ©, oĂą seule compte l’arĂŞte du verbe la plus incandescente ; oĂą s’affirme peu Ă  peu la parole libĂ©ratrice, alternative salvatrice Ă  une expĂ©rience amoureuse embrasĂ©e, totale et radicale qui consomme l’âme et le coeur de l’amant dĂ©possĂ©dĂ© et languissant. La puretĂ© d’Ă©locution, la prĂ©cision des attaques, la tenue du legato, surtout le style pudique, toujours en retenue fondent ici un art d’une rare Ă©loquence. Le travail sur les couleurs et l’intonation est remarquable.
anna-reinhold-mezzo-strozzi-monteverdiPlus chantants, d’une saveur mĂ©lodique plus charmante, non moins intenses quoique plus aimables, les airs du florentin Giulio Caccini (mort en 1618) sont propres Ă  l’esprit madrigalesque, plus lumineux et baignĂ© d’espoir toscan, – a contrario du rĂ©alisme noir et sensuel des VĂ©nitiens ; ils semblent issus de l’Orfeo de Monteverdi, d’un balancement et d’un dĂ©sir languissant pastoral. Pour conclure, ce rĂ©cital inspirĂ©, Anna Reinhold chante un autre lamento parmi les plus dĂ©chirants de la lyre tragique baroque, berceuse et dĂ©ploration, proche en cela des multiples Madonas de la peinture contemporaine oĂą la Vierge berce l’Enfant avec la tendresse colorĂ©e du deuil Ă  venir : cĂ©lĂ©bration de l’innocence de la vie (-que chacun aimerait tant conserver-), et dĂ©jĂ  tombeau allusif d’une irrĂ©sistible sensibilitĂ© : la Canzone spirituela sopra la nina nana  de Tarquinio Merula (mort en 1665) dĂ©ploie de mĂŞmes vagues lacrymales que le premier air d’ouverture : il faisait les dĂ©lices des concerts de la regrettĂ©e Montserrat Figueiras : c’est la voie primordiale, de la mère Ă©ternelle, rassurante, rĂ©confortante qui surgit de l’ombre en un balancement hypnotique ; Anna Reinhold en exprime avec infiniment de simplicitĂ© recueillie, l’ivresse endeuillĂ©e, la tendresse dĂ©chirante, les visions d’un mysticisme tragique et profondĂ©ment humain, qui s’Ă©claire dans la couleur mĂŞme de la voix, dans le dernier paragraphe : sourire de la mère enfin apaisĂ©e sur le corps de son enfant dormant insouciant… L’archiluth de Thomas Dunford, dans les 8 Toccatas de Kapsberger dĂ©ploie une Ă©loquence introspective d’une mĂŞme qualitĂ©. Aucun doute, la complicitĂ© entre les deux interprètes fait aussi toute la cohĂ©rence et le charme de ce remarquable programme.

Labirinto d’Amore. Johannes Hieronymus Kapsberger (1580-1651) : Toccatas I-VIII. Airs de Giulio Caccini, Barbara Strozzi, Claudio Monteverdi, Tarquinio Merula. Anna Reinhold, mezzo soprano. Thomas Dunford, archiluth. Enregistrement rĂ©alisĂ© Ă  Paris en octobre 2013. 1 cd Alpha 195.

Les Arts Flo chantent le lIvre VII de Monteverdi sur France Musique

Madrigaux_paul_agnewFrance Musique, aujourd’hui, 14h : Les Arts Florissants, Paul Agnew chantent le Livre VII de madrigaux de Monteverdi. L’épopée vocale (et instrumentale à partir du Livre V) des madrigaux de Monteverdi poursuit son cours : Paul Agnew réunit les meilleurs solistes des Arts Florissants pour l’intégrale des madrigaux du divin Monteverdi. Le cycle récapitule l’évolution de plus dramatique de Claudio Monteverdi : un voyage musical inouï qui mène de la polyphonie poétique au baroque dramatique et opératique… Voici l’étape actuelle, celle du Livre VII, sommet des vertiges amoureux écrits par Claudio.

monteverdi_Claudio_Monteverdi_2Les lettres amoureuses qui y paraissent, le ballet final de Tirsi et Clori, deux bergers alanguis enivrés ressuscitent l’élan du désir, la promesse de l’extase, une sensibilité ardente que Monteverdi retrouve en pleine possession de ses moyens, comme un nouveau printemps des sentiments. Le dramatisme du style fusionné à l’articulation du mot confirme les nouvelles avancées de Monteverdi… bientôt génie spectaculaire à l’opéra, dans la Cité des Doges. De sorte que ce nouveau Livre VII est bien comme le prochain Livre VIII, un laboratoire vocale et lyrique d’une prodigieuse activité. EN LIRE +

 
 

Suite de l’intégrale des Madrigaux de Claudio Monteverdi
Livre VII
Paul Agnew et les solistes des Arts Florissants
5 dates : Les 16 (Caen), 22 (Anvers, De Singel), 25 (Prague, festiva), 26 (Dresde, festival), et 28 (Paris, Cité de la musique) mai 2014.

Diffusion sur France Musique, le lundi 16 juin 2014 Ă  14h.

logo_francemusiqueMadrigaux de Monteverdi                                   
Les Arts Florissantsdirigés par Paul Agnew
Enregistré à la Cité de la musique à Paris
Claudio Monteverdi : Madrigaux (Livre VII)
Solistes vocaux : Miriam Allan, soprano. Hannah Morrison, soprano. Lucile Richardot, contralto. Zachary Wilder, ténor. Lisandro Abadie, basse

 
 

Compte rendu, opĂ©ra. Paris. OpĂ©ra National de Paris, le 7 juin 2014. Monteverdi : L’Incoronazione di Poppea. Karine Deshayes, Jeremy Ovenden, GaĂ«lle Arquez, Varduhi Abrahamyan… Concerto Italiano. Rinaldo Alessandrini, direction. Robert Wilson et Giuseppe Frigeni, mise en scène.

monteverdi-460-strozzi-portraitMonteverdi chic Ă  l’OpĂ©ra National de Paris! Le Palais Garnier prĂ©sente la nouvelle production maison, L’Incoronazione di Poppea signĂ©e Robert Wilson et Giuseppe Frigeni.  A la distribution des chanteurs aux profils Ă©clectiques se joint l’ensemble baroque Concerto Italiano dirigĂ©e par Rinaldo Alessandrini, responsable Ă©galement de la rĂ©vision musicale et de la compilation non critique des partitions disponibles. Claudio Monteverdi, vĂ©ritable père de l’opĂ©ra, compose son dernier opus lyrique, L’Incoronazione di Poppea (1642), Ă  la fin de sa vie, âgĂ© de 75 ans! Il fait pourtant preuve d’une jeunesse Ă©tonnante en mettant en musique la vie ardente de Venise, avec ses scènes d’amour, de voluptĂ©, de crime. Il renonce au rĂ©citatif florentin et adopte une sorte d’arioso qui Ă©pouse la parole. Il utilise aussi toutes les formes d’airs, y compris la chanson populaire, renonce aux chĹ“urs et restreint l’orchestre, tout en privilĂ©giant les voix. L’excellent livret de Gian Francesco Busenello est emprunte Ă  l’Histoire romaine (encore une nouveautĂ© Ă  l’Ă©poque); il raconte l’histoire de l’ascension de PoppĂ©e au trĂ´ne grâce Ă  son mariage avec NĂ©ron. Son traitement est nĂ©anmoins caractĂ©ristique du siècle et reste un vĂ©ritable produit de la culture libre, artistique, intellectuelle de la RĂ©publique VĂ©nitienne.

Une Poppée plus sophistiquée que populaire

monteverdi_le-couronnement-de-poppeeCette nouvelle PoppĂ©e parisienne est sĂ©duisante. L’engagement des chanteurs, corrects au pire des cas, est souvent impressionnante. Le couple de Nerone et Poppea est exemplaire, mĂŞme si nous pensons qu’il ne plaira peut-ĂŞtre pas Ă  tous les « baroqueux ». Dans le rĂ´le-titre, Karine Deshayes se rĂ©vèle surprenante. Elle s’accorde magistralement Ă  la conception du duo Wilson/Frigeni, mais aussi, et surtout, aux intentions musicales voulues par le chef. Elle offre donc une performance noble et distinguĂ©e, sa Poppea n’est pas une maĂ®tresse vulgaire, au contraire, elle est une future ImpĂ©ratrice dĂ©jĂ  altière, sans pour autant tomber dans le piège de la sĂ©vĂ©ritĂ©. Musicalement, elle fait preuve d’agilitĂ©, comme on l’attendait, mais aussi d’une sensibilitĂ© particulière, notamment dans duos et ensembles. Son duo avec Nerone Ă  la fin de l’œuvre : « Ne piĂą s’interporrĂ  noia o dimora », est un vĂ©ritable sommet et d’agilitĂ© et d’expression.

Nerone est interprĂ©tĂ© par le tĂ©nor Jeremy Ovenden. Mozartien reconnu et apprĂ©ciĂ©, il fait ce soir ses dĂ©buts Ă  l’OpĂ©ra National de Paris avec Monteverdi et Wilson. Il s’est très bien sorti de ce que aurait pu paraĂ®tre un dĂ©fi angoissant ! Musicalement il est Ă  l’aise avec la coloratura et la dynamique du rĂ´le probablement créé par un castrat. Mais plus qu’Ă  l’aise, il offre une performance virtuose et Ă©lĂ©gante, tout Ă  fait … impĂ©riale. Si nous sommes moins convaincus par l’affectation de Monica Bacelli en Ottavia, curieusement dramatique tout en paraissant absente, sauf peut-ĂŞtre lors de ses adieux ; celle de Varduhi Abrahamyan en Ottone est une rĂ©elle caresse Ă  l’ouĂŻe, mais aussi pour les yeux. Son chant chaleureux comme toujours ravit les cĹ“urs et sa transformation en amant rĂ©pudiĂ© est Ă©tonnante et plus que crĂ©dible.

GaĂ«lle Arquez dans les rĂ´les de Fortuna et Drusilla est une rĂ©vĂ©lation. Son chant n’est pas seulement impeccable mais aussi voluptueux, et par sa ravissante prĂ©sence sur scène, elle maĂ®trise la gestuelle Wilson de façon allĂ©chante. En Fortuna, la soprano rayonne par la richesse propre Ă  l’allĂ©gorie ; en Drusilla, elle Ă©meut par sa constance. Sa performance est inoubliable. Remarquons Ă©galement La VirtĂą, pĂ©tillante de JaĂ«l Azzaretti, ou encore l’Amore aussi pĂ©tillant et si doux d’Amel Brahim-Djelloul. Marie-Adeline Henry dans le rĂ´le de Valletto est de mĂŞme très convaincante, mouvements très rĂ©ussis, chant très beau. Nous ne dirons pas la mĂŞme chose d’Andrea Concetti en Seneca, qui nous touche uniquement au moment de sa mort. Manuel Nunez Camelino dans le rĂ´le travesti d’Arnalta, nourrice et confidente de Poppea, rĂ©ussit quant Ă  lui, un vĂ©ritable tour de force comique.

La mise en scène de Robert Wilson et Giuseppe Frigeni est d’une efficacitĂ© théâtrale impressionnante. C’est une conception bien pensĂ©e et, surtout, très bien rĂ©alisĂ©e. L’Ă©quipe artistique est sans doute Ă  la hauteur du chef-d’oeuvre musical et du lieu. Beaux dĂ©cors Ă©conomes efficaces et quelque peu Ă©sotĂ©riques de Wilson, beaux costumes inspirĂ©s de la Renaissance, sobres mais aussi somptueux par la richesse Ă©vidente des matières, signĂ©s Jacques Reynaud ; lumières sentimentales et théâtrales de Wilson et Weissbard. Ensuite, que dire du travail d’acteurs ? Wilson dĂ©veloppe son langage personnel qu’il « apprend » aux chanteurs/acteurs dans chacune de ses productions. Ceux qui ont du mal Ă  l’accepter dans PellĂ©as et MĂ©lisande ou dans Madama Butterfly, seront peut-ĂŞtre surpris de sa pertinence dans une Ĺ“uvre comme l’Incoronazione di Poppea. C’est probablement grâce Ă  l’influence de Giuseppe Frigeni, co-rĂ©alisateur, que la mise en scène est beaucoup moins statique que prĂ©vu. Au final, le travail du duo de metteurs en scène est fabuleux, un songe vĂ©nitien si raffinĂ© qu’on n’a pas envie de se rĂ©veiller. Attention, l’effet est enchanteur, pas somnifère. Pas de temps mort ni de lacunes, pas d’insistance sur les didascalies. Uniquement du théâtre lyrique très personnel, et du bon. MĂŞme commentaire pour la performance immaculĂ©e du Concerto Italiano sous la direction de Rinaldo Alessandrini. Elle peut paraĂ®tre un peu trop sobre pour une musique (vocale) si incarnĂ©e, mais se marie superbement avec la conception globale, d’une dignitĂ© sans doute plus sophistiquĂ© que populaire.

A l’affiche du Palais Garnier à Paris les 11, 14, 17, 20, 22, 24, 26, 28 et 30 juin 2014.

Monteverdi : Le Couronnement de Poppée par Wilson, Alessandrini

monteverdiFrance Musique, samedi 14 juin 2014, 19h. Monteverdi : PoppĂ©e. Dans le prologue, ni Fortune ni Vertu ne peuvent inflĂ©chir le pouvoir de l’Amour… Comme Ă  la mĂŞme Ă©poque le peintre Poussin nous rappelle qu’Amor vincit omnia (l’Amour vainc tout), Monteverdi et son librettiste Busenello, fin Ă©rudit vĂ©nitien, soulignent combien le dĂ©sir et la puissance Ă©rotique submergent toute rĂ©flexion politique et philosophique. L’aveuglement des cĹ“urs soumis est total et Eros peut Ă©tendre son empire… Les deux concepteurs de l’opĂ©ra l’Incoronazione di Poppea (Le couronnement de PoppĂ©e) brossent mĂŞme le portrait de deux adolescents rongĂ©s et dĂ©vorĂ©s par leur passion insatiable… NĂ©ron, esprit fantasque et possĂ©dĂ© par le sexe n’a que faire face Ă  l’adorable PoppĂ©e, des prĂ©ceptes de SĂ©nèque, comme de son Ă©pouse en titre Octavie… La partition est musicalement un chef d’oeuvre d’efficacitĂ© dramatique, de poĂ©sie sensuelle, de cynisme dĂ©lĂ©tère, de dĂ©senchantement progressif… c’est l’aboutissement de l’Ă©criture de plus en plus dramatique des madrigaux, et aussi l’illustration Ă©loquente des nouvelles fonctions de Monteverdi Ă  Venise, comme maestro di capella Ă  San Marco. HonorĂ© et estimĂ© par la CitĂ© des Doges, celui qui avait tant souffert Ă  Mantoue Ă  l’Ă©poque oĂą il composait Orfeo (1607), peut dĂ©sormais inventer 25 annĂ©es plus tard, l’opĂ©ra baroque moderne, celui propre Ă  Venise au dĂ©but des annĂ©es 1640.

WILSON_BOB_RobertWilsonPressPhoto4Minimaliste autant que plasticien critique, le metteur en scène Robert Wilson s’intĂ©resse Ă  « PoppĂ©e », un nouveau chapitre de son histoire avec l’OpĂ©ra de Paris. Lumières irrĂ©elles, espace temps suspendu, profils ralentis et gestes Ă  l’Ă©conomie, après PellĂ©as et MĂ©lisande, ou La Femmes sans ombre parmi ses plus belles rĂ©ussites visuelles et stĂ©nographiques Ă  l’OpĂ©ra national de Paris, Bob Wilson offre une nouvelle production au public parisien. Son sens de l’Ă©pure et de l’atemporalitĂ© fonctionnera-t-il bien avec l’hyper sensualitĂ© et le rĂ©alisme cynique du duo Monteverdi/Busenello ? A voir au Palais Garnier Ă  Paris, du 7 au 30 juin 2014 (11 reprĂ©sentations).
Monteverdi : L’Incoronazione di Poppea. Avec Karine Deshayes (PoppĂ©e), Jeremy Ovenden (Nerone), Monica Bacelli (Ottavia)… Il Concerto Italiano. Rinaldo Alessandrini, direction. Paris, Palais Garnier. Monteverdi : Le couronnement de PoppĂ©e. Bob Wilson, 7>30 juin 2014.
Diffusion  sur France Musique, le 14 juin 2014, 19h.

 

CD. Nikolaus Harnoncourt : opéras de Monteverdi (9 cd Warner).

monteverdi harnoncourt operas barberian warner coffret cdCD. Nikolaus Harnoncourt : operas de Monteverdi (9 cd Warner). Très opportune réédition que ce coffret historique qui nous fait remonter les eaux originelles de la rĂ©volution “baroqueuse”. Voici donc le lĂ©gendaire Nikolaus Harnoncourt, en son Ĺ“uvre pionnière et dĂ©cisive, enregistrant dès 1969 Ă  Vienne avec les instrumentistes de son Concentus Musicus, Orfeo, l’opĂ©ra des origines (1607), celui qui tout en prolongeant l’Ă©criture madrigalesque, intensĂ©ment poĂ©tique et de plus en plus dramatique, inaugure une nouvelle conception du théâtre musical dĂ©sormais continĂ»ment chantĂ©. Lui succède Il Ritorno d’Ulisse en 1971 et l’Incoronazione di Poppea en 1973 et 1974, toujours Ă  Vienne. L’opĂ©ration rĂ©volutionnaire Ă©tait dès lors accomplie et Ă  la suite d’Harnoncourt, l’interprĂ©tation de la musique baroque ne serait plus jamais la mĂŞme. Le chef autrichien restitue la puretĂ© expressive du recitatif, le flux souple et expressif du recitar cantando, et aussi, très proche de sa propre nature (chez Mozart par exemple quand il dirige La ClĂ©mence de Titus ou Les noces de Figaro), l’essor de la mĂ©lancolie ou de la gravitĂ© sombre voire lugubre. Les 8 premiers cd nous dĂ©livrent ainsi l’hĂ©ritage lyrique le plus dĂ©cisif de l’après guerre : un manifeste concret pour la nouvelle esthĂ©tique Ă  dĂ©velopper et approfondir dĂ©sormais. D’autant que, la crise du cd Ă©tant venu, le profil des nouvelles gĂ©nĂ©rations de musiciens et chanteurs contemporains – infiniment moins dĂ©fricheurs et audacieux que leurs aĂ®nĂ©s-, ont comme assĂ©chĂ© le fleuve qui dĂ©bordait alors en crĂ©ativitĂ©, curiositĂ©, dĂ©sir d’exprimer et de partager…

Aux origines de la rĂ©volution baroqueuse…

Aujourd’hui, la trilogie montĂ©verdienne s’est imposĂ©e Ă  nous comme l’autre, toute autant magicienne et enchanteresse, celle mozartienne -comprenant les 3 opĂ©ras que Wolfgang Ă©crit avec Da Ponte.  SuprĂŞme conquĂŞte. Monteverdi n’aurait jamais imaginĂ© un tel retour en force ni une telle rĂ©connaissance… mĂŞme si Orfeo et Poppea sont plus jouĂ©s qu’Ulisse. De la fin des annĂ©es 1960 aux dĂ©buts 1970, Harnoncourt soulignait enfin le profil de nouveaux hĂ©ros tragiques et hĂ©roĂŻques, languissants, amoureux : PoppĂ©e et NĂ©ron, SĂ©nèque, OrphĂ©e, Pluton, Ulisse et PĂ©nĂ©loppe. La plĂ©iade de nouvelles voix requises pour une telle rĂ©volution allait rĂ©pondre Ă  son projet d’intĂ©grales avec le nerf et l’intensitĂ© nĂ©cessaires : ainsi, la diva au tempĂ©rament tragique ouverte et curieuse de toutes les audaces et nouvelles expĂ©riences, Cathy Berberian qui restera l’interprète hors normes du cd 9 Ă  travers trois perles historiques : Lettera amorosa, le Lamento d’Arianna (1623), sans omettre sa facultĂ© Ă  incarner la fulgurante et dĂ©chirante Octavia du Couronnement de PoppĂ©e… Si l’avenir appartient aux audacieux, Nikolaus Harnoncourt nous aura permis de conquĂ©rir de nouveaux horizons rĂ©vĂ©lant en une approche rĂ©gĂ©nĂ©rĂ©e des continents musicaux entiers que l’on apprend encore Ă  analyser, que l’on aime comprendre, dĂ©fricher… Comme William Christie qui près de 20 ans après le Harnoncourt montĂ©verdien de 1968 nous rĂ©vĂ©lait dans sa beautĂ© troublante et noir l’immense gĂ©nie lyrique et poĂ©tique de l’opĂ©ra baroque français Grand Siècle, avec Atys de Lully en 1986.  Aucun doute voici 9 pĂ©pites Ă  consommer sans modĂ©ration pour comprendre ce que fut l’Ă©lectrochoc baroqueux, et regretter peut-ĂŞtre aujourd’hui l’absence d’une vĂ©ritable relève musicale…  Coffret Ă©vĂ©nement.

CD. Monteverdi : Vespri solenni per la Festa di San Marco (Alessandrini, 2013)

monteverdi-alessandrini-festa-san-marco-vespri-solenni-cd-naiveMonteverdi à Venise. L’activité du maître de chapelle de San Marco est intense : en témoigne ses livres de musique publiés alors au sein de la Sérénissime : la Selva morale e spirituale (1640), comme son recueil posthume Missa e Psalmi de 1650. Chacun des deux cycles de partitions témoigne des avancées techniques et stylistiques accomplies par les effectifs dirigés par leur directeur, qui alors à Venise, en génie de l’opéra, livre ses plus grands chefs d’œuvre lyriques (I’Incoronazione di Poppea puis Il ritorno d’Ulysse in patria, deux ouvrages créés au début des années 1640). Renouvellement du choeur, enrichissement des effectifs instrumentaux, mais aussi, surtout, esprit audacieux et pensée expérimentale (en liaison aussi avec la publication de son Livre VIII de madrigaux, en 1638 où l’opéra miniature Il Combattimento di Tancredi e Clorinda développe le style nouveau, expressif, fulgurant : «  concitato ») façonnent un nouveau style éclectique, expressif, voire théâtral à l’église : Monteverdi joue des contrastes entre passages en stile osservato et nouveau stile concertato : une alternance flamboyante d’effets formels caractérisés, s’appuyant sur une exceptionnelle diversité de mise en forme (chœur, solistes, instruments), rappelant également en cela l’inventivité inédite des Vêpres de la Vierge, recueil dédié au pape Paul V (car Monteverdi alors viré par son patron mantouan cherchait en 1610, un emploi au Vatican : le Pape ne souhaita même pas le rencontrer !).

A Venise en août 1613, Monteverdi bénéficie d’une liberté qui inspire son génie créateur, marquant définitivement l’écriture musicale pour la Sérénissime. L’exaltation de Dieu s’y exprime dans la richesse et la splendeur des effectifs et de l’écriture.

Le rituel liturgique ou paraliturgique se fait exaltation collective en une nouvelle dramatisation des épisodes. Sur les traces de son prédécesseur Giovanni Gabrieli, qui savait déjà jouer des ensembles de chanteurs (polychoralité florissante désormais emblématique de l’esthétique marcienne) et instrumentistes (violes et violons) différemment réparties sous les coupoles multiples de San Marco, et y dialoguant avec les trombones et cornets, Monteverdi exacerbe et enrichit encore le spectre de la musique concertante et du déploiement spatial des effectifs.

Trop sage Vespro Ă  San Marco. Alessandrini veille aux Ă©quilibres des pupitres (cornets, trombones, chanteurs, groupes de cordes) avec cet hĂ©donisme mesurĂ© dĂ©sormais caractĂ©ristique de son geste interprĂ©tatif. C’est plus intellectuel et poliment Ă©lĂ©gant que du Biondi (plus sanguin parfois brouillon mais autrement plus habitĂ©), moins fulgurant que Savall et parfois Ă©troit comparĂ© Ă  Christie ; et certainement moins fiĂ©vreux enivrant que l’excellente version du Vespro par Marco Mencoboni (rĂ©vĂ©lĂ© Ă  Ambronay en 2010 et pour nous la version de rĂ©fĂ©rence du Monteverdi exaltĂ©, collectif, ivre…).

Le chef italien qui s’appuie sur l’expĂ©rience vĂ©nitienne des fĂŞtes et cĂ©lĂ©brations oĂą doit percer le souffle collectif, manque singulièrement de passion. Est-ce parce que les tempi sont souvent ralentis, les lignes vocales, suspendues, droites et sans guère d’expressivitĂ©… que tout nous paraĂ®t si sage et cadrĂ©, comme contraint et petit ? Dans les Ă©pisodes alanguis et solennels, la sensibilitĂ© du chef fonctionne bien. Dans les pièces ambitieuses, ou clairement contrastĂ©es, les vertiges font dĂ©faut.
Certes, l’enregistrement n’a pas eu lieu Ă  San Marco mais dans le lieu qui sert dĂ©sormais d’espace suggestif de substitution : la CathĂ©drale Santa Barbara de Mantoue, ample vaisseau dont les tribunes Ă©tagĂ©es et disparates permettent d’Ă©voquer l’Ă©clatement des effectifs dans l’espace et ce jeu des rĂ©ponses et dialogues spatialisĂ©es voulu par Monteverdi. Pas sĂ»r cependant que le compositeur s’il Ă©tait vivant, eĂ»t adhèrĂ© Ă  l’idĂ©e d’utiliser un lieu dĂ©finitivement marquĂ© par l’humiliation et la soumission Ă  un patron dictateur et mauvais payeur… Toute la musique vĂ©nitienne de Monteverdi doit respirer en un souffle de libĂ©ration, de transcendance recouvrĂ©e de façon inopinĂ©e et donc miraculeuse quand il est nommĂ© Ă  Venise !
Pour ce composite montĂ©verdien (Alessandrini sĂ©lectionne dans les recueils vĂ©nitiens le matĂ©riel de sa cĂ©lĂ©bration), les interprètes manquent spĂ©cifiquement de caractĂ©risation dramatique ; Ă©trangers Ă  une progression dramatique naturelle de la cĂ©lĂ©bration qui se veut aussi festive que théâtrale, les musiciens finissent malheureusement par lasser : stupeur, surprise, donc expressivitĂ© dense et ardente, dont parle Alessadrini dans sa prĂ©sentation fort documentĂ©e de son projet artistique Ă©troitement associĂ© Ă  la nature du site architectural et acoustique ainsi investi, font dĂ©faut ici : ils n’appartiennent pas aux gènes naturels du chef. Trop retenu, trop mĂ©canique, trop Ă©troit voire raide. Que tout cela manque de respiration, d’Ă©lans, de vertiges. Tout n’est cependant pas Ă  regretter : le souci du beau son est Ă©vident. Reste la passion qui est au coeur de la musique monteverdienne, si palpitante dans l’architecture mĂŞme des contrastes… elle est loin de couler de source ici. Pour Ă©prouver l’ardeur expĂ©rimentale et rĂ©volutionnaire d’un Monteverdi visionnaire et totalement libĂ©rĂ©, se reporter de toute urgence sur la version des VĂŞpres de la Vierge par Marco Mencoboni dont CLASSIQUENEWS en son temps avait soulignĂ© la totalitĂ© convaincante.

Monteverdi : Vespri solenni per la Festa di San Marco. Concerto Itaiano. Rinaldo Alessandrini, direction. 1 cd Naïve OP30557. Enregistré en décembre 2013 à Mantoue.

Paris, Palais Garnier : L’Incoronazione di Poppea par Bob Wilson

monteverdiParis, Palais Garnier. Monteverdi : Le couronnement de PoppĂ©e. Bob Wilson, 7>30 juin 2014. Dans le prologue, ni Fortune ni Vertu ne peuvent inflĂ©chir le pouvoir de l’Amour… Comme Ă  la mĂŞme Ă©poque le peintre Poussin nous rappelle qu’Amor vincit omnia (l’Amour vainc tout), Monteverdi et son librettiste Busenello, fin Ă©rudit vĂ©nitien, soulignent combien le dĂ©sir et la puissance Ă©rotique submergent toute rĂ©flexion politique et philosophique. L’aveuglement des cĹ“urs soumis est total et Eros peut Ă©tendre son empire… Les deux concepteurs de l’opĂ©ra l’Incoronazione di Poppea (Le couronnement de PoppĂ©e) brossent mĂŞme le portrait de deux adolescents rongĂ©s et dĂ©vorĂ©s par leur passion insatiable… NĂ©ron, esprit fantasque et possĂ©dĂ© par le sexe n’a que faire face Ă  l’adorable PoppĂ©e, des prĂ©ceptes de SĂ©nèque, comme de son Ă©pouse en titre Octavie… La partition est musicalement un chef d’oeuvre d’efficacitĂ© dramatique, de poĂ©sie sensuelle, de cynisme dĂ©lĂ©tère, de dĂ©senchantement progressif… c’est l’aboutissement de l’Ă©criture de plus en plus dramatique des madrigaux, et aussi l’illustration Ă©loquente des nouvelles fonctions de Monteverdi Ă  Venise, comme maestro di capella Ă  San Marco. HonorĂ© et estimĂ© par la CitĂ© des Doges, celui qui avait tant souffert Ă  Mantoue Ă  l’Ă©poque oĂą il composait Orfeo (1607), peut dĂ©sormais inventer 25 annĂ©es plus tard, l’opĂ©ra baroque moderne, celui propre Ă  Venise au dĂ©but des annĂ©es 1640.

WILSON_BOB_RobertWilsonPressPhoto4Minimaliste autant que plasticien critique, le metteur en scène Robert Wilson s’intĂ©resse Ă  « PoppĂ©e », un nouveau chapitre de son histoire avec l’OpĂ©ra de Paris. Lumières irrĂ©elles, espace temps suspendu, profils ralentis et gestes Ă  l’Ă©conomie, après PellĂ©as et MĂ©lisande, ou La Femmes sans ombre parmi ses plus belles rĂ©ussites visuelles et stĂ©nographiques Ă  l’OpĂ©ra national de Paris, Bob Wilson offre une nouvelle production au public parisien. Son sens de l’Ă©pure et de l’atemporalitĂ© fonctionnera-t-il bien avec l’hyper sensualitĂ© et le rĂ©alisme cynique du duo Monteverdi/Busenello ? A voir au Palais Garnier Ă  Paris, du 7 au 30 juin 2014 (11 reprĂ©sentations).
Monteverdi : L’Incoronazione di Poppea. Avec Karine Deshayes (PoppĂ©e), Jeremy Ovenden (Nerone), Monica Bacelli (Ottavia)… Il Concerto Italiano. Rinaldo Alessandrini, direction.
Diffusion  sur France Musique, le 14 juin 2014, 19h.

 

Les Arts Florissants : le Livre VII de madrigaux de Monteverdi

Madrigaux_paul_agnewMonteverdi: Livre VII. Les Arts Florissants, Paul Agnew. 16<28 mai 2014. En mai 2014, Paul Agnew poursuit l’intégrale des Madrigaux de Monteverdi avec les solistes des Arts Florissants (chanteurs et instrumentistes). Place aux enchantements amoureux du Livre VII en une formule vocale et instrumentale élargie. L’heure est à l’accomplissement d’une écriture qui n’a cessé d’évoluer selon les aléas d’une carrière chaotique … Mais heureusement stabilisée quand Claudio après avoir été chassé de Mantoue par le successeur de son ancien protecteur Vincenzo Gonzaga (février 1612), obtient légitimement le poste de maître de chapelle à San Marco de Venise en août 1613.

Après Mantoue, la gloire vénitienne… Après les vicissitudes d’une vie de dépendance souvent humiliante, Venise lui offre des conditions et un salaire dignes de son immense génie. De fait, Monteverdi créera, au début des années 1640, l’opéra vénitien en une formule jamais égalée après lui, entre sensualité et cynisme, délirant burlesque et réalisme picaresque (L’Incoronazione di Poppea, Il Ritorno d’Ulysse in patria.)…
C’est aussi le moment en 1619 où à Venise paraît aussi son Livre VII de madrigaux. La rupture est consumée ici : plus de madrigaux à 5 voix, la norme depuis lors, mais une écriture toute aussi souple et audacieuse pour 6 chanteurs.
L’amour y règne en souverain dès le premier chant « Tempro la cetra… » j’accorde ma lyre… dit le ténor qui écarte vite la martialité de son état pour s’alanguir aux sons vibrants de Venus. Monteverdi privilégie duos, trios, en liaison avec sa nouvelle vie vénitienne (intrigues urbaines, frénésie du carnaval…). A l’imploration doloriste du Livre VI, répond la lyre ardente, festive, lumineuse et même optimiste du VII : miroir d’un nouveau tempérament lié à sa prise de fonctions à Venise.

monteverdi_Claudio_Monteverdi_2Les lettres amoureuses qui y paraissent, le ballet final de Tirsi et Clori, deux bergers alanguis enivrés ressuscitent l’élan du désir, la promesse de l’extase, une sensibilité ardente que Monteverdi retrouve en pleine possession de ses moyens, comme un nouveau printemps des sentiments. Le dramatisme du style fusionné à l’articulation du mot confirme les nouvelles avancées de Monteverdi… bientôt génie spectaculaire à l’opéra, dans la Cité des Doges. De sorte que ce nouveau Livre VII est bien comme le prochain Livre VIII, un laboratoire vocale et lyrique d’une prodigieuse activité.

Suite de l’intégrale des Madrigaux de Claudio Monteverdi
Livre VII
Paul Agnew et les solistes des Arts Florissants
5 dates : Les 16 (Caen), 22 (Anvers, De Singel), 25 (Prague, festiva), 26 (Dresde, festival), et 28 (Paris, Cité de la musique) mai 2014.

Diffusion sur France Musique, le lundi 16 juin 2014 Ă  14h.

logo_francemusiqueMadrigaux de Monteverdi                                   
Les Arts Florissantsdirigés par Paul Agnew
Enregistré à la Cité de la musique à Paris
Claudio Monteverdi : Madrigaux (Livre VII)
Solistes vocaux : Miriam Allan, soprano. Hannah Morrison, soprano. Lucile Richardot, contralto. Zachary Wilder, ténor. Lisandro Abadie, basse

Gardiner : Les VĂŞpres de Monteverdi en direct de Versailles

monteverdi_Claudio_Monteverdi_2Direct internet. Claudio Monteverdi : Les Vêpres de la Vierge, le 9 mars 2014, 18h. En direct depuis la chapelle royale du château de Versailles, Culturebox diffuse le concert des Vêpres de la Vierge de Claudio Monteverdi (Pages du CMBV, English Baroque Soloists. John Eliot Gardiner, direction), œuvre sacrée, surtout expérimentale et inventive de 1610, véritable performance chorale et solistique inventée par le père de l’opéra vénitien au XVIIème siècle. Pour cette captation, les équipes techniques utilisent de nouvelles techniques audio vidéo (ultra HD et audio 3D) assurant au moment du visionage un réalisme spectaculaire. Le dispositif du concert se prête à la captation et son modèle spatialisé car dès l’origine Monteverdi a conçu plusieurs chœurs qui se répondent, la polychoralité étant l’emblème de l’esthétique baroque à l’église (un phénomène utilisé sous la voûte depuis la fin de la Renaissance)… Le concert après le direct du 9 mars 2014, reste disponible au visionnage sur le site de cuturebox et à l’adresse : http://francetv.in/1g0ceBh (http://francetv.in/1g0ceBh )

Les Vêpres sont l’aboutissement d’une maîtrise. Monteverdi en homme qui connaît sa dramaturgie – il l’a magistralement démontré avec son Orfeo de 1607, lequel fixe un premier modèle pour le genre de l’opéra naissant-, déploie avec un sens non moins sûr et même somptueux, toute la science musicale dont il est capable en cette année 1610. La pluralité des effets, la diversité des modes et des effectifs requis pour les 14 pièces composant cette ample portique dédié à la Vierge impose un tempérament exceptionnel, autant mûr pour le théâtre que pour l’église.

Le dĂ©sir de dĂ©montrer ses compĂ©tences est d’autant plus important qu’il souffre de sa condition de musicien Ă  la Cour des Gonzague de Mantoue. Les relations avec son employeur, le Duc Vincenzo de Gonzague ne sont pas parfaits, pire, son patron est un mauvais payeur. A peine estimĂ©, Monteverdi doit supplier pour ĂŞtre payĂ©. Les VĂŞpres sont bien l’acte accompli et mesurĂ© d’un musicien courtisan qui recherche un nouveau protecteur, des conditions et un mode de vie plus agrĂ©ables. DĂ©jĂ  avant Mozart, le Monteverdi des VĂŞpres est un homme peu reconnu, du moins pas Ă  la mesure de son gĂ©nie, une figure « gâchĂ©e » de la musique de son temps… En lire +

Compte-rendu, récital lyrique. Versailles. Salon d’Hercule, le 22 janvier 2014. L’intégrale des madrigaux, Livre VI. Claudio Monteverdi. Les Arts Florissants. Paul Agnew, direction, ténor.

Madrigaux_paul_agnewPoursuivant leur tournĂ©e mondiale de l’intĂ©grale des madrigaux de Monteverdi, c’est dans le cadre exceptionnel du Salon d’Hercule au Château de Versailles, que les Arts Florissants nous ont donnĂ© Ă  entendre ce soir, le Sixième Livre. Entre deux VĂ©ronèse, peintre dont le compositeur crĂ©monais a du connaĂ®tre dès son arrivĂ©e Ă  Mantoue quelques toiles, Paul Agnew et les chanteurs et musiciens des Arts Florissants ont suspendu le temps pour le public, nous faisant partager un songe musical. Ce Livre dont on cĂ©lèbre les 400 ans, est si rarement prĂ©sentĂ© en concert, qu’il a attirĂ© un public nombreux et recueilli sous les ors et les marbres d’un palais enchantĂ©.

Hommage Ă  Caterina …

Ce Sixième Livre bien que publié à Venise, fût composé durant les dernières années mantouanes. Il est intimement lié à des dates qui marquent la vie aussi bien musicale que personnelle de Monteverdi.

Le deuil est ici si prĂ©sent, si douloureux que rien, pas mĂŞme l’évocation de jours heureux ne peut l’apaiser. La tragĂ©die y est vĂ©cue au plus profond de l’âme, elle est un dĂ©chirement si humain que chaque larme par-delĂ  son Ă©loquence poĂ©tique et musicale devient la quintessence de la mĂ©lancolie baroque. FrappĂ© par la disparition de son Ă©pouse Ă  l’automne 1607, puis de la jeune soprano qui devait interprĂ©tĂ©e le rĂ´le – titre de l’Arianna en 1608 -et qu’il avait lui-mĂŞme formĂ©-, Claudio Monteverdi donne dans ce livre toute sa place aux affects.

Le Livre VI est le seul à ne pas porter de dédicace, semblant ainsi indiquer que c’est aux deux disparues qu’elle doit revenir. Utilisant désormais un style de plus en plus moderne, le style concertato, sa musique libère le texte et fait de la basse continue un acteur à part entière de ce théâtre des émotions.

Le lamento d’Arianna, extrait de son second opĂ©ra aujourd’hui perdu y tient avec la Sestina une place essentielle ici.

Ce second lamento vient en miroir du premier, pour mieux en souligner l’immense dĂ©sarroi de l’homme face Ă  la mort. Il fĂ»t commandĂ© par le duc Vincenzo en 1608 afin de rendre hommage Ă  la jeune Caterina Martinelli, dont la voix unique avait su sĂ©duire tous ceux qui l’avaient entendu. Le poème en est composĂ© par Scipione Agnelli. Si ces deux lamenti sont les facettes les plus somptueuses de ce diamant noir qu’est le Sixième Livre, l’ensemble des madrigaux qui le composent sont d’une intense beautĂ©. PĂ©trarque et Marino offrent Ă  Monteverdi l’occasion d’invoquer par – delĂ  les larmes, les pleurs et les adieux qui se rĂ©pètent, les dissonantes fulgurances des amours fusionnels.

Prenant la parole au début du concert, puis après l’entracte pour expliquer ses choix artistiques, en particulier pour la Sestina interprétée a capella, Paul Agnew avec son délicieux accent, parvient dès le début à capter l’attention du public et un silence envoûtant. Il nous propose de commencer le concert par la première version pour voix seule du Lamento d’Arianna, provenant de l’opéra, avant de nous donner celle pour cinq voix du Livre VI. Loin du destin tragique de la femme abandonnée et seule de la version scénique, le lamento à cinq voix, exprime désormais combien la perte de l’être aimé est un drame universel.

La soprano irlando-écossaise, Hannah Morrison parvient d’emblée tant par son timbre quasi juvénile et cristallin que par ses inflexions finement ciselées à figer le temps à l’ombre de la mort.

Son interprĂ©tation est absente de tout pathos. L’interprĂ©tation des madrigaux par les Arts Florissant est Ă  fleur d’émotion. La palette des timbres est si finement contrastĂ©e qu’elle fait ressortir les multiples tonalitĂ©s de l’obscuritĂ©, tout en faisant surgir des tĂ©nèbres une lueur diaprĂ©e et sensible. La direction de Paul Agnew dĂ©coule d’un travail d’ensemble et d’une prĂ©paration qui ne nĂ©cessite plus en concert que quelques regards bienveillants.

Le dialogue des solistes soutenus par une basse continue très pure et éloquente souligne les mots clés, ceux de l’adieu, du tourment si déchirant de la séparation. L’interprétation raffinée que nous offre les Arts Florissants est évocatrice aussi de cette soif du bonheur que rien ne peut étancher, comme dans les strophes de Zefiro torna, e’l bel tempo rimena, lorsqu’il est à jamais perdu.

Ils nous donnent aussi à voir et entendre ces minis opéras que sont certains madrigaux avec une réelle intensité dramatique comme dans A dio, Florida Bella ou dans Presso un fiume tranquillo. Le verbe devient ici musique, de la souplesse et de la suavité des voix, émane un sentiment de poésie à l’aura mystérieuse, d’une si douce chaleur humaine.

C’est par un bis, celui que Paul Agnew désigne comme le madrigal qui leur est le plus cher, Zefiro torna, que s’est achevée cette soirée dédiée à celui sans qui la musique moderne ne serait pas. Une bien belle soirée, trop rare, oh combien précieuse.

Versailles. Salon d’Hercule, le 22 janvier 2014. L’intégrale des madrigaux, Livre VI. Claudio Monteverdi. Avec Hannah Morrison, soprano ;Miriam Allan, soprano ; Maud Gnidzaz, soprano ;Lucile Richardot, mezzo-soprano ; Sean Clayton,ténor ; Cyril Costanzo, basse. Massimo Moscardo, Jonathan Rubin, luth, théorbe ; Florian Carré,clavecin ; Nanja Breedijk, harpe. Les Arts Florissants. Paul Agnew, direction, ténor.

Monteverdi : Livres IV, V, VI de madrigaux par Les Arts Florissants, Paul Agnew

Madrigaux_4_5_6_arts_florissants_paul_agnewLes solistes chevronnĂ©s des Arts florissants, subtils chambristes et diseurs admirĂ©s (Ă  juste titre), poursuivent Ă  l’initiative du tĂ©nor Paul Agnew, leur intĂ©grale des madrigaux de Claudio Monteverdi. Le cycle a Ă©tĂ© inaugurĂ© Ă  Venise Ă  l’Ă©tĂ© 2011, dans la citĂ© oĂą les partitions ont Ă©tĂ© Ă©ditĂ©es (mĂŞme si elles ont Ă©tĂ© Ă©crites Ă  Mantoue) et oĂą le compositeur trouvera un foyer propice Ă  l’Ă©panouissement de son art vocal et dramatique, comme maestro di cappella Ă  San Marco.

Si le Livre IV se rapproche encore des opus prĂ©cĂ©dents (Ă©criture essentiellement polyphonique), le Livre V marque une rupture et reprĂ©sente un jalon spectaculaire dans la maturation de l’Ă©criture musicale; c’est aussi pour l’Histoire de la musique, un coup de tonnerre ouvrant l’esthĂ©tique baroque proprement dite: dans les 6 derniers madrigaux, Monteverdi invente la basse continue, libĂ©rant de ce fait le chant mĂŞlĂ© de plusieurs voix; sur l’assise nouvelle des instruments, plus acteurs qu’accompagnateurs, le chant peut dĂ©sormais se concentrer en une voix: l’individualisation expressive, la caractĂ©risation Ă©motionnelle peuvent s’Ă©panouir; Paul Agnew et ses partenaires, en orfèvres du mot savent ciseler ce passage dĂ©cisif, du chant polyphonique indistinct Ă  l’expression du sentiment tĂ©nu. Le Livre VI regroupe plusieurs pièces d’une nouvelle ampleur: le fameux Lamento d’Arianna (seul morceau qui nous soit parvenu de l’opĂ©ra Ă©ponyme), et aussi La Sestina, pièce dĂ©chirante et troublante Ă©crite Ă  la mĂ©moire de Catarina Martinelli, jeune soprano pressentie pour crĂ©er le rĂ´le d’Arianne mais qui meurt avant la crĂ©ation de l’opĂ©ra: c’est un chant puissant et sincère, dĂ©chirant mĂŞme oĂą la sensualitĂ© conquĂ©rante et si subtile de Monteverdi se double d’Ă©clairs et d’une conscience nouvelle, celle de la profondeur et de la vĂ©ritĂ©. Cycle Ă©vĂ©nement, Livres IV,V,VI de madrigaux de Monteverdi, du 9 au 27 novembre 2012

Les Arts Florissants
Paul Agnew, direction
Francesca Boncompagni, soprano
Maud Gnidzaz, soprano
Lucile Richardot, contralto
Paul Agnew, ténor
Sean Clayton, ténor
Lisandro Abadie, basse

 
 
 

agenda 2014

  

Suite de l’intĂ©grale des madrigaux de Monteverdi. Paul Agnew et les solistes des Arts Florisants chantent le Livre VI, et poursuivent leur Ă©popĂ©e madrigalesque en janvier 2014 (7 dates):
 

Belfort, le Granit, le 10 janvier 2014, 20h
Anvers, Amuz, le 12 janvier 2014, 15h
Paris, Cité de la musique, le 16 janvier 2014, 20h
Flers, Scène nationale 61, le 18 janvier 2014, 20h30
Blois, La Halle aux grains, le 19 janvier 2014, 17h
Versailles, Opéra, le 22 janvier 2014, 20h
Caen, Théâtre, concert hors les murs au Conservatoire, samedi 25 janvier 2014, 20h

 
 
 

Première monographie sur Busenello (1598-1659)

LIVRES. Jean-François Lattarico : Busenello, un théâtre de la rhétorique

(Classiques Garnier,2013)

Jean-François Lattarico, Busenello. Un théâtre de la rhétorique
Paris : Ă©ditions Classiques Garnier, collection “Lire le XVIIe siècle “, 2013.

 


lattarico_busenello_theatre_rhetorique_garnier_livreQuelle excellente Ă©dition : soignĂ©e, Ă©rudite, vivante, pour ne pas dire captivante, de surcroĂ®t sur un sujet mĂ©connu et pourtant essentiel. L’auteur profite d’un âge d’or de l’opĂ©ra vĂ©nitien, celui que l’on dit du ” premier baroque ” (par opposition Ă  la seconde moitiĂ© du XVIIème puis au plein XVIIIè majoritairement napolitain), une Ă©poque qui fait paraĂ®tre Monteverdi dans la CitĂ© des Doges comme le fondateur de l’opĂ©ra baroque italien : auteur après Orfeo de l’Incoronazione di Poppea et d’Il Ritorno d’Ulisse in patria, soit au dĂ©but des annĂ©es 1640. L’auteur ne s’intĂ©resse pas Ă  l’explicite manifestation de l’essor lyrique, plutĂ´t Ă  ce volet de l’ombre, que l’on a sousclassĂ© tel un serviteur de la musique : le livret.
C’est ici un livret d’une remarquable qualitĂ©, poĂ©tique, sĂ©mantique, esthĂ©tique et philosophique signĂ© de l’avocat, fin lettrĂ©, et plume affĂ»tĂ©e : Giovan Francesco Busenello (1598-1659). L’ensemble des textes et chapĂ®tres rĂ©unis dĂ©mĂŞle le fin Ă©cheveau qui en termes clairs atteste d’une cohĂ©rence interne remarquable : le produit d’un esprit ayant mesurer le pouvoir et l’imaginaire des mots. Voici donc la première Ă©tude sur l’oeuvre poĂ©tique et théâtrale d’un lettrĂ© vĂ©nitien Ă  l’Ă©poque des acadĂ©mies critiques et fĂ©condes de la Venise du XVIIème.

 

 


Busenello : le pouvoir du verbe

 

En apportant un Ă©clairage spĂ©cifique sur la langue souveraine du poète librettiste, Jean-François Lattarico dĂ©montre la pleine conscience de Busenello comme Ă©crivain et poète Ă  part entière. Ayant Ă©ditĂ© l’ensemble de ses livrets sous la forme d’une publication autonome, Busenello savait la mesure de son talent et sa signification première comme homme de lettres. Ici, la syntaxe, la structure linguistique, ses rythmes propres n’infĂ©odent pas la musique mais la complètent et lui assurent un sens surhaussĂ© par sa flamboyance imaginaire, sa violence sĂ©mantique, tout un monde singulier qui s’appuie sur les recherches et l’activitĂ© des acadĂ©mies libertines vĂ©nitiennes dont est membre Busenello  ; on y dĂ©cèle aussi l’admiration pour l’Adone de Marini dont Busenello souligne la versification rĂ©gulière, les images et la musicalitĂ© qui appellent au traitement scĂ©nique et musicale. Jean-François Lattarico dans un prĂ©cĂ©dent volume dĂ©diĂ© Ă  la poĂ©tique vĂ©nitienne (Venise incognita, Essai sur l’acadĂ©mie libertine au XVIIème, HonorĂ© Champion) avait dĂ©jĂ  balisĂ© le terrain prĂ©parant Ă  la prĂ©sente monographie. Il y Ă©tait question dĂ©jĂ  aux cĂ´tĂ©s des genres hĂ©roĂŻco-comique et du roman, de l’Ă©laboration du dramma per musica au sein des Incogniti, cercle de lettrĂ©s très actif dans le domaine littĂ©raire, poĂ©tique, musical.

EmblĂ©matique d’une pĂ©riode fĂ©conde oĂą poĂ©sie et musique sont sĹ“urs complĂ©mentaires, Busenello Ă©crit pour Monteverdi le Couronnement de PoppĂ©e, mais aussi prĂ©sentĂ©s pour la première fois comme un cycle d’une rare cohĂ©rence, les poèmes toscans et vĂ©nitiens, plusieurs essais thĂ©oriques et  romanesques…

 

busenello_giovan_francesco_monteverdi_poppea_statiraPoète vĂ©nitien, Busenello participe activement Ă  l’essor du drame musical mis en musique par le plus grand gĂ©nie lyrique de l’Ă©poque, Monteverdi. L’auteur rend hommage Ă  l’Ă©crivain en s’intĂ©ressant Ă  l’ensemble de sa production et en la resituant dans le contexte de la ville et des Ă©vĂ©nements propres Ă  la citĂ© lagunaire : rĂ´le prĂ©curseur d’Ermonia (Carnaval de 1637, l’annĂ©e de la crĂ©ation du premier théâtre lyrique public) ; fixation d’un modèle dramatique aristocratique et patricien ; analyse de l’esthĂ©tique maniĂ©riste d’après les poèmes de Marini (Ă©rotisme, mort, satire) ; tentation accomplie du roman avec La Floridiana et Fileno … surtout outre un essai de portrait sur la personnalitĂ© de l’avocat librettiste, l’auteur Ă©tudie pour la première fois l’ensemble des 6 drames pour le théâtre, – tous ne sont pas mis en musique -, dont Busenello a fourni le livret : Gli amori di apollo e Dafne, La Didone, L’Incoronazione di Poppea, La prosperitĂ  infelice di Giulio Cesare Dittatore (volet complĂ©mentaire Ă  Poppea), La Statira, principessa di Persia (avec aussi une analyse particulière de la Lettre sur la Statira, sorte d’essai thĂ©orique d’une rare pertinence), …  En souligant le gĂ©nie poĂ©tique et la claivoyance de Busenello sur la place des mots dans la rĂ©ussite du théâtre d’opĂ©ra, en prĂ©cisant les formes de sa pensĂ©e critique et synthĂ©tique sur les sources antĂ©rieures et les modes de structures théâtrales (nĂ©oplatoniciennes, rĂ©alistes, …), voici un texte capital qui dĂ©voile une figure singulière voire exceptionnelle, tout en Ă©clairant aussi l’une des pĂ©riodes Ă©clatantes de l’opĂ©ra de l’Italie Baroque. L’opĂ©ra vĂ©nitien et sa rhĂ©torique poĂ©tique spĂ©cifique, Ă  l’Ă©preuve de la scène y gagnent un regard neuf, documentĂ©, dĂ©sormais indispensable.

 

Jean-François Lattarico, Busenello. Un théâtre de la rhĂ©torique. Paris : Classiques Garnier, coll. “Lire le XVIIe siècle “, 2013. EAN 9782812411472. 459 pages. Prix indicatif : 39EUR

Claudio Monteverdi (1567-1643), l’Orfeo (1607)

Le 24 fĂ©vrier 2007 marque les 400 ans de la crĂ©ation mantouane du premier opĂ©ra de l’histoire, “l’Orfeo” de Claudio Monteverdi. Ouvrage premier et fondateur de la scène lyrique, l’Orfeo malgrĂ© son historicitĂ©, affirme une santĂ© Ă©clatante. Combien de nouvelles productions qui attestent de sa modernitĂ© intacte, et le place aux cĂ´tĂ©s du “Don Giovanni” de Mozart, telle une partition incontournable. En interrogeant le mythe d’OrphĂ©e, Monteverdi cible les enjeux du genre lyrique : quel sens et quelle fonction rĂ©servĂ©s au texte et Ă  la musique : paroles et musique, forme et sujet, autant d’aspects et d’Ă©lĂ©ments de la machine lyrique, qui aujourd’hui encore, fondent sa spectaculaire rĂ©ussite auprès des publics.

Le mythe d’OrphĂ©e. Monteverdi aborde Ă  son tour, après ses contemporains Peri et Caccini, le mythe d’OrphĂ©e. Le sujet est d’autant plus fascinant pour les musiciens qu’il met en scène le pouvoir de la musique. Si Orfeo chante tout en s’accompagnant de sa lyre, la violence des sentiments qui l’anime, il incarne aussi la fragilitĂ© de la condition humaine. Deux mouvements inverses fondent le mythe : puissance irrĂ©sistible de la musique et du chant ; faillibilitĂ© du cĹ“ur humain. Si le hĂ©ros inflĂ©chit dieux et destin, atteignant mĂŞme le cĹ“ur de l’inflexible Pluton, il s’en montre indigne en Ă©tant possĂ©dĂ© par les passions qui dĂ©terminent sa destinĂ©e. Le chantre de Thrace triomphe des forces et des divinitĂ©s qui le dĂ©passent, tout en Ă©tant l’impuissante victime des forces psychiques qui l’habitent et le gouvernent.
L’homme est-il condamnĂ© Ă  souffrir ? La musique n’est-elle prĂ©sente que pour lui permettre de mieux prendre conscience de cette dĂ©termination misĂ©rable ? Le théâtre lyrique n’a-t-il pas pour objet de portraiturer l’homme tragique ? Ainsi est posĂ©e l’équation d’OrphĂ©e. Dans l’histoire de la musique, Monteverdi en traitant un sujet qui est dĂ©battu par les Ă©lites, apprĂ©ciĂ© des princes, donne pour la première fois, le visage de l’opĂ©ra moderne.

De Florence à Mantoue : essor du théâtre musical. Créé pour le Duc de Mantoue, le 24 février 1607, l’Orfeo de Monteverdi est immédiatement repris par d’autres cours, attestant d’un rayonnement européen. C’est l’avènement du goût pour l’opéra italien. Le XVII ème baroque confirme la suprématie du théâtre italien comme modèle.
Vincent de Gonzague avait été subjugué par l’Euridice de Jacopo Peri et du poète Ottavio Rinuccini, représenté pour les Noces de Marie de Médicis et d’Henri IV, à Florence, en 1600. Cette favola in musica, la première dont la partition nous est parvenue intégralement, fut un premier essai vers l’opéra baroque. Le Duc Vincent demande en 1607 à son compositeur, Claudio Monteverdi, d’aborder le même sujet, dans le style musical de l’époque, un style nouveau, celui de la monodie et du recitar cantando, mi parlé mi déclamé dont l’idéal articule le texte. La musique épouse les accents dramatiques et psychologique du texte afin d’en offrir une représentation claire et éloquente. Dans la préface de son Euridice, Peri explique les enjeux de la nouvelle manière. La musique est la fille obéissante du texte.

La souveraine musique. Monteverdi et son librettiste, Alessandro Striggio, franchissent une nouvelle étape. La musique gagne un statut supérieur : pour exprimer la violence et la force exemplaire de la musique qui est le sujet central du mythe, ils mettent en avant la musique, ses effets expressifs pour insuffler au chant d’Orphée, sa puissance incantatoire. Le Prologue précise le cadre de cette approche musicale : la musique personnifiée paraît sur la scène, quand il s’agissait surtout de privilégier la place de la tragédie chez Rinuccini.
La Musica revendique la primauté : elle insuffle vie et passion. Par elle, s’exprime la vitalité spectaculaire du drame. L’intelligence avec laquelle les auteurs exploitent les moyens mis à leur disposition, les distinguent.
En tirant profit de toute la palette expressive de la musique, Monteverdi met en avant l’agitation du héros, ses drames intérieurs, ses tourments, ses pulsions et ses contradictions souterraines. Il rompt avec l’idéalisme pastoral de ses prédécesseurs. La vision philosophique et morale des artistes de Mantoue supplante par leur vérité, les démarches intellectuelles des Florentins, Peri et Caccini.
Ils ajoutent le nerf, le sang musical qui innervent le portrait désormais réaliste des personnages de la fable musicale. Orphée paraît de plus en plus seul. Au fur et à mesure de l’opéra, il éprouve chaque obstacle de la vie, non pas une expérience idéalisée mais une traversée sensible, proche de la vie, marquée par la perte, le deuil, la mort, la solitude, l’angoisse et la peur, le doute et la transgression, mais aussi le défi et selon la conclusion double de l’œuvre, l’apothéose ou la lugubre destruction.

Un opéra, deux conclusions. Le livret de la création de 1607, précise qu’ Orphée, veuf d’Eurydice, fuit les Bacchantes qui concluent l’ouvrage en une série de danses et d’hymnes à Bacchus. La partition éditée en 1609, indique que touché lui aussi par le destin d’Orphée, Apollon paraît et accueille le héros par mi les dieux. Deux fins dont on ne sait précisément laquelle fut adoptée à la création mantouane de 1607. La richesse des mythes offre à l’imagination des options diverses quant à leur interprétation. Qu’Orphée ait été in fine, victime des Bacchantes, ou qu’il soit divinisé, donne à nouveau les deux versants d’un drame fondateur : violence passionnelle insufflée par le chaos de Bacchus, ou gloire solaire affirmée par l’éclat appolinien, Orphée synthétise les deux tentations qui s’offrent au cœur humain.

Construction. L’Orfeo se déroule en cinq actes. Chaque volet est l’occasion d’exposer une idée principale, parfaitement explicite. Musicalement caractérisée selon l’idée motrice du livret de Striggio. A chaque acte, Orphée dévoile un aspect de sa personnalité.
Le premier acte prĂ©cise la filiation d’OrphĂ©e avec Apollon. Ce sont les Noces Ă©clatantes d’OrphĂ©e et d’Eurydice que bergers et nymphes fĂŞtent en une Arcadie ressuscitĂ©e. Au deuxième acte, rupture de ton et de climat : au bonheur Ă©perdu succède l’éclair tragique. L’annonce de la mort d’Eurydice par la Messagère. OrphĂ©e dĂ©cide de retrouver aux Enfers son aimĂ©e. Le troisième acte, dĂ©crit la force morale du hĂ©ros : au bord du Styx, pourtant accablĂ© par l’EspĂ©rance, OrphĂ©e envoĂ»te Caron (Possente Spirto), emprunte sa barque, et pĂ©nètre aux Enfers. Au quatrième acte, l’initiĂ© accomplit la traversĂ©e symbolique : il implore, supplie, inflĂ©chit par la puissance de son chant et par le pouvoir de la musique, le pouvoir des dieux (Pluton), et obtient le retour d’Eurydice. Tout s’inverse : pris de doute, il se retourne et dĂ©sobĂ©it Ă  l’injonction qui lui avait Ă©tĂ© faite : il perd dĂ©finitivement Eurydice. Au cinquième acte : OrphĂ©e s’épanche Ă  Echo. Il renonce aux femmes, pleure son aimĂ©e, devient fou. Il est dĂ©chirĂ©e par les Bacchantes dĂ©chaĂ®nĂ©es ou accueilli en une apothĂ©ose solennelle par Apollon, son “père”.

Langue d’Orphée. Dans les deux prières adressées à Caron puis à Pluton, chacune réussissant un tour de force, Orphée exprime un point culminant du chant. Monteverdi y déploie des trésors d’invention et de maîtrise, donnant ici, les prototypes du récitatif,- accompagné ou non-, et de l’air, qui seront les deux formes emblématiques de l’opéra à venir. La lyre du poète chanteur y atteint des sommets expressifs, conférant à l’Orfeo de Monteverdi, son statut d’ouvrage fondateur. L’art du compositeur est d’autant plus élevé qu’aucune forme musicale choisie n’est superflue ; chacune au moment où elle se développe, occupe une fonction dramatique cohérente.

Discographie

Gabriel Garrido, 1996. A la tĂŞte de ses effectifs familiers, ensemble Elyma et choristes du Studio Antonio il Verso de Palerme, le chef argentin a gravĂ© sous Ă©tiquette K617, “la” version indĂ©trĂ´nable de l’opĂ©ra monteverdien. LatinitĂ© Ă©ruptive, continuo foisonnant et dramatique, cohĂ©rence des chanteurs, et version complète, fusionnant les options dramatiques du livret de la crĂ©ation (1607) avec les complĂ©ments de la partition Ă©ditĂ©e en 1609. Avec Victor Torres (Orfeo), Adriana Fernandez (Eurydice), Gloria Banditelli (la messagère), Maria Cristina Kiehr (La Musica)… 2 cd K617.

Emmanuelle HaĂŻm, 2003. Continuiste des Arts Florissants, la claveciniste Emmanuelle HaĂŻm qui a dirigĂ© rĂ©cemment Ă  l’OpĂ©ra du Rhin, une intĂ©grale des opĂ©ras de Monteverdi dont l’Orfeo, n’a guère convaincu. Certes le sens de l’articulation ici dĂ©montre une attention dĂ©cuplĂ©e (excessive) Ă  l’accentuation (qui frise souvent l’ornementation) : l’Orfeo de Ian Bostridge ourle jusqu’Ă  la convulsion et la manièrisme hors sujet, un texte qui ne demande qu’Ă  ĂŞtre projetĂ© avec naturel. Et si cette version regardait davantage du cĂ´tĂ© des Florentins, Peri et Caccini, fidèles serviteurs du texte et de la prosodie? HaĂŻm manque de nerf et de progression d’ensemble. La vision des auteurs mantouans lui Ă©chappe. En soignant le dĂ©tail au dĂ©triment de la tension gĂ©nĂ©rale, son Orfeo paraĂ®t plus sophistiquĂ© que vrai. L’emploi des chanteurs d’opĂ©ra, telle Natalie Dessay dans le rĂ´le de La Musica Ă©tonne mais il sert la mĂŞme vision : plus vocale que vraiment dramatique. 2 cd Virgin Veritas.

Nikolaus Harnoncourt, 1968. Cathy Berberian (Messaggeria et Speranza), Max van Egmond (Apollon), Lajos Kosma (Orfeo), Jacques Villisech (Plutone) insufflent Ă  la partition de Monteverdi une vocalitĂ  qui reste continument humaine. Le regard incisif du maestro Harnoncourt dĂ©coupe avec un trait acĂ©rĂ© chaque tableau de la tragĂ©die d’OrphĂ©e. L’attention portĂ©e Ă  la caractĂ©risation du continuo reste exemplaire. Cett version est inclassable, en dĂ©voilant la modernitĂ© originelle de la partition, elle appartient Ă  l’histoire du mouvement baroqueux et de l’histoire du disque. 2 cd Teldec.

DVD
Jordi Savall, 2002
Sur la scène du Liceu de Barcelone, maestro Savall en manteau mantouan (comme celui que portait Claudio lui-mĂŞme) dirige ses troupes au geste souple, au chant affĂ»tĂ©. Affaire de famille: sa fille Arianna est Euridice; son Ă©pouse, Montserrat Figueras, Musica. Lecture sage et mĂŞme classique, voire Ă©rudite, comme l’explique le metteur en scène Gilbert Deflo dans le film documentaire complĂ©mentaire. Le fond de scène parcouru de miroirs cite la salle des miroirs du Palais Ducal de Mantoue oĂą fut reprĂ©sentĂ© en 1607 l’opĂ©ra de Monteverdi. Le miroir invite Ă  interroger le sens des images, surtout pĂ©nĂ©trer le masque des apparences… retrouver le fil d’un itinĂ©raire initiatique visant Ă  ressusciter la culture et le théâtre antique grec. Sans possĂ©der la fureur latine de l’argentin Garrido (cf. cd Ă©ditĂ© chez K617: notre rĂ©fĂ©rence audio), Savall convainc pas quelques tableaux idĂ©alement rĂ©ussis: Caron (inflexible Antonio Abete) et sa barque, Orfeo (fervent Furio Zanassi) implorant aux dieux. Surtout, Sara Mingardo, inoubliable Messageria, annonçant la morsure du serpent et la mot d’Euridice… En outre, la captation filmique est soignĂ©e, rompant l’ennuyeuse frontalitĂ© des plans, serrant le cadrage quand l’expression l’impose (1 dvd Opus Arte).

Illustrations
Alexandre SĂ©on (1855-1917), Lamentation d’OrphĂ©e (Paris, MusĂ©e d’Orsay)
François PĂ©rrier : Apolon musicien charme les divinitĂ©s de l’Olympe (DR)