Compte-rendu OpĂ©ra ; Orange, ChorĂ©gies 2016 ; Théùtre Antique, le 6 aout 2016 ; Giuseppe Verdi (1813-1901) : La Traviata, Mise en scĂšne : Louis DĂ©siré ; Violetta Valery, Ermonela Jaho ; Direction musicale : Daniele Ruston. La Traviata au festival dâOrange, cela suffirait Ă remplir les 8000 places du Théùtre Antique tant cet opĂ©ra est aimĂ© du public. La dĂ©mocratisation de lâopĂ©ra passe par Orange car la tĂ©lĂ©vision lui est fidĂšle sans dĂ©fections depuis les origines. Le public dâOrange est unique car beaucoup plus jeune et dĂ©contractĂ© quâailleurs, trĂšs amateur de belles voix Ă©galement. Les ChorĂ©gies doivent se renouveler pour offrir des versions captivantes des Ă©ternels chefs dâĆuvre, toujours repris en boucle. Mais la magie du lieu ne se dĂ©ment jamais ou si rarement que le mauvais temps devient simple broutille. Ce soir a Ă©tĂ© venteux, trĂšs venteux, mais a Ă©tĂ© un grand soir dâopĂ©ra, un grand soir pour les ChorĂ©gies qui signent leur meilleure Traviata et lâun de leurs meilleurs spectacles. Et je nâai pas Ă©tĂ© avare les autres Ă©tĂ©s dans mes descriptions des belles soirĂ©es sous les Ă©toiles. Ma voisine qui comme moi nâen est pas Ă sa premiĂšre dizaine de Traviata, amoureuse de lâouvrage et comme critique en a Ă©tĂ© dâaccord : câest la plus belle Traviata jamais vue ! Et pourtant celle de Ponnelle, Malfitano et Lombard nâa Ă©tĂ© dĂ©trĂŽnĂ©e que de justesseâŠ
Orange, ChorĂ©gies 2016 : la sublime Traviata dâErmonela Jaho
Violetta Valery est un personnage sublime et inoubliable. Mais hĂ©las trouver une trĂšs belle femme, fine et gracieuse Ă©voquant la fragilitĂ© des phtisiques est rarissime. Et la plupart des Traviata vocalement acceptables ne le sont pas du tout physiquement⊠Et quand lâactrice bouscule tout (Natalie Dessay), la voix nâest pas lĂ dans chacun des trois actes. Dirons nous que nous avons tout gagnĂ© avec la dĂ©fection de Diana Damrau ? Ce serait une muflerie mais cela pourrait ĂȘtre vraiâŠ
Si la voix dâErmonela Jaho nâa pas la rondeur et la beautĂ© de certaines (Georghiu avec Solti ou Caballe au firmament avec PrĂȘtre), si elle nâa pas lâangĂ©lisme dans la rĂ©demption
que certaines parviennent Ă suggĂ©rer (De Los Angeles, Stratas, Cotrubas ), si le brillant nâa pas le pur diamant des soprano agiles (Gruberova, Moffo, Sutherland, Damrau), ce soir Ermolena a tout, absolument tout pour le rĂŽle. La beautĂ© de la femme, avec des bras dâune grĂące inouĂŻe, la franchise de lâactrice, la mĂ©lancolie sous les atours de la fĂȘte : tout cela tient de lâincarnation majeure. La dĂ©solation rendue par un jeu minimaliste, la maigreur du visage et lâoeil vide Ă lâacte trois avec la transe finale est dâun gĂ©nie qui nâest pas sans Ă©voquer Callas. Cette Traviata ne peut se quitter des yeux et son absolu zĂ©nith est Ă lâacte dernier qui est tout simplement anthologique.
LâĂ©volution du personnage relĂšve une grande actrice aux facettes multiples. Femme de vie brillante mais dĂ©sespĂ©rĂ©e au prologue, amoureuse apaisĂ©e et digne Ă lâacte un, femme du monde dĂ©truite a lâacte deux et femme faite Amour Ă lâacte trois.
Vocalement Ermonela Jaho a les trois voix de la Traviata. Vocalises et trilles prĂ©cis avec aigus mais sans lâinutile contre-mi pour le prologue. Mais ce sont surtout les couleurs, les nuances et le phrasĂ© qui sont de grande classe belcantiste. Son slancio verdien, fait dâun phrasĂ© ample et souple sur un souffle infini rĂ©siste ce soir au mistral Ă lâacte un. Son « Amami Alfredo » nous glace le sang. La maniĂšre royale dont elle domine sans efforts le grand final de lâacte deux appartient aux grands sopranos verdiens. Puis Ă lâacte trois, câest le drame fait voix, le jeux avec les voiles blancs et le vent, la fusion avec le chef et lâorchestre qui atteignent au sublime. Des sons filĂ©s aĂ©riens, ceux qui faisaient se pĂąmer les callassiens du paradis de la Scala, une longueur de souffle qui fait se distendre les phrases, abolissant le temps et lâespace. « Se una pudica vergine » est un moment magique, sous la nuit Ă©toilĂ©e avec un vent enfin apaisĂ©. Le piano flotte jusque sur la colline, et envahit le cĆur de la plus noire tristesse, inouĂŻe sensation de beautĂ© sublime…
Le travail pourtant trĂšs court (8 jours !) avec le chef a du ĂȘtre un coup de foudre musical tant maestro Rustoni a portĂ© au firmament du beau son dâorchestre pour cette Traviata lĂ .
Le dernier acte, et je le redis, tient du miracle. Lâorchestre de Bordeaux-Aquitaine a Ă©tĂ© magnifique en tout. Il se pourrait bien en effet que ce trĂšs jeune chef, que lâopĂ©ra de Lyon va sâattacher Ă la rentrĂ©e, ait des qualitĂ©s de brillant et de sĂ©rieux, un enthousiasme proche de la transe qui en fasse le meilleur chef verdien Ă venir. Dirigeant pas cĆur, ce qui est bien utile dans le tempĂȘte venteuse de ce soir, il dit toutes les paroles, a lâĆil sur chaque instrumentiste, ne semble pas lĂącher un seul instant les chanteurs ou le chĆur. LâĂ©lĂ©gance de sa direction et son charisme, sont ceux dâune trĂšs grand chef. Son sens du tempo exact avec toute la libertĂ© Ă donner au chant, mais sans aucune complaisance ou mollesse, la maniĂšre dont il chauffe les nuances au plus loin, celle dont il obtient de lâorchestre des couleurs dâune richesse incroyable. Tout cela trĂšs loin, de la grande guitare que de pauvres fous entendent dans le verdi de jeunesse. Il obtient une tension dramatique toujours entretenue et un rythme impeccable. Une Traviata de chef et de soprano au sommet aurait dĂ©jĂ suffi Ă notre plus grand bonheur. Il faut bien dire pourtant que tout le reste a Ă©tĂ© Ă cette hauteur.
La mise en scĂšne de Louis DĂ©sirĂ© est intelligente et sobre, les costumes de Diego MĂ©ndez Casariego sont de toute beautĂ© ; ils prennent bien le vent. Lâunique dĂ©cor reprĂ©sente un grand miroir symbole dans lequel Violetta se cherche un avenir et miroir de ses sentiments. Les projections sont pleines de symboles et peu nombreuses. Des gouttes dâeau comme des larmes pour la fin, un arbre tout feuillu qui meurt aprĂšs lâintervention de Germont pĂšre et des lustres pour le luxe des fĂȘtes mondaines.
Francesco Meli est un Alfredo Ă©lĂ©gant et bien chantant, capable de tendresse comme dâemportements sans brutaliser son beau timbre. Annina, Anne-Marguerite Werster, Ă©meut par une belle compassion ainsi que le docteur Grendvilles de Nicolas Teste dâune trĂšs belle prĂ©sence vocale et scĂ©nique. Placido Domingo a toujours le mĂȘme plaisir Ă chanter ; il a une formidable prĂ©sence sur scĂšne. Lui qui a Ă©tĂ© un Alfredo de rĂȘve est un Germont-pĂšre singulier. Il en remontre Ă bien des barytons tout en gardant la lumiĂšre de son timbre. Dans les ensembles, le brillant lui permet de faire entendre trĂšs clairement sa ligne. Troublante Ă©coute car le pĂšre Germont est trĂšs proche dâAlfredo. Il incarne une parole populaire : lâenfer est pavĂ© de bonnes intentions. Il est en effet un pĂšre plus quâun bourreau mais accĂ©lĂšre le drame sans sâen rendre compte. Placido Domingo obtient un succĂšs personnel trĂšs important de son public. Son charisme reste intact.
Les chĆurs sont beaux tant scĂ©niquement que vocalement. Ce qui est toujours impressionnant Ă Orange, câest lâhomogĂ©nĂ©itĂ© obtenue par le mĂ©lange de trois chĆurs, Avignon, Nantes et Marseille, et lâabsence de dĂ©calage sur toute la largeur de cette immense scĂšne.
Un trĂšs beau spectacle avec en vedette une Traviata proche de lâidĂ©al vocal et surtout scĂ©nique en la sensationnelle Ermonela Jaho, portĂ©e par un grand chef, Daniele Rustoni.
Signalons quâErmonela Jaho a Ă©tĂ© la Diva Assoluta des ChorĂ©gies 2016. Sa Butterfly ayant ravi tous les cĆurs au mois de juillet qui a prĂ©cĂ©dĂ©. Vivement lâĂ©tĂ© prochain Ă Orange !
Compte-rendu OpĂ©ra ; Orange, ChorĂ©gies 2016 ; Théùtre Antique, le 6 aout 2016 ; Giuseppe Verdi (1813-1901) : La Traviata, opĂ©ra en trois actes et un prologue sur un livret de Francesco Maria Piave dâaprĂšs le roman dâAlexandre Dumas fils, la Dame aux camĂ©lias ; Mise en scĂšne, Louis DĂ©siré ; Assistants Ă la mise en scĂšne, Jean-Michel Criqui et Didier Kersten ; ScĂ©nographie et costumes, Diego MĂ©ndez Casariego ; Assistants Ă la scĂ©nographie et aux costumes, Nicolo Cristiano ; Eclairages, Patricc MĂ©eĂŒs ; Avec : Violetta Valery, Ermonela Jaho ; Flora Bervoix, Ahlima Mhamdi ; Annina, Anne-Marguerite Werster ; Alfredo Germont, Francesco Meli ; Giorgo Germon, Placido Domingo ; Gastone di LetoriĂšres, Christophe Berry ; Il Barone Duphol, Laurent Alvaro ; Il Marchese dâObigny, Pierre Doyen ; Il Dottore Grenvil, Nicolas Teste ; Guiseppe, Remy Mathieu ; ChĆur dâAngers-Nantes OpĂ©ra, chef de chĆur : Xavier Ribes ; ChĆur de lâOpĂ©ra Grand Avignon, chef de chĆur : Aurore Marchand ; ChĆur de lâOpĂ©ra de Marseille, chef de chĆur : Emmanuel Trenque ; Orchestre National Bordeaux-Aquitaine ; Direction musicale : Daniele Rustoni.