CD, critique. HAYDN : Die Schöpfung. Antonini, 2019 (1 cd Alpha)

HAYDN Schopfung, Creation, Antonini 1 cd alpha critique classiquenewsCD, critique. HAYDN : Die Schöpfung. Antonini, 2019 (1 cd Alpha). Depuis plus de cinq ans Giovanni Antonini poursuit chez Alpha l’enregistrement de l’intégrale des symphonies de Joseph Haydn. Un cycle en cours qui s’avère d’opus en opus des plus convaincants pour autant que nous avons pu en juger à partir des quelques cd déjà reçus. Die Schöpfung (La Création), enregistrée en 2019 avec le Chœur de la Radio bavaroise et son orchestre Il Giardino Armonico complète le portrait symphonique du Viennois. Sa lecture de La Création, oratorio inspiré de Haendel, composé entre septembre 1796 et avril 1798, prologe la réussite du cycle symphonique. Le chœur bavarois, si familier de la partition apporte du corps à la réalisation enregistrée en mai 2019 à Munich.

C’est une approche méticuleuse qui prend appui sur les dernières avancées de la pratique historiquement informée. Tout s’écoule ici avec un naturel et un sens du relief, méritoires.
Jusqu’au dĂ©but de la 3è partie, rĂ©citatif de Uriel (pour tĂ©nor), dont l’orchestration et l’esprit comme le caractère orchestral semble prolonger directement la saveur ritualisĂ©e de La FlĂ»te EnchantĂ©e de Mozart (1791) – 9 ans après, le dernier singspiel de Wolfgang a Ă©tĂ© idĂ©alement compris et mesurĂ© par Haydn.
Fidèle à son attention à la structure et à l’architecture, comme à la grande séduction des timbres instrumentaux, Giovanni Antonini, en route pour une intégrale Haydn chez Alpha (objectif célébration 2032), cisèle la pétillance ténue, chambriste des instruments d’époque. La sûreté du geste orchestral assure la caractérisation de chaque séquence (sublime duo Eve / Adam) ; là où les instruments articulent et déploient des trésors de nuances colorées, les voix produisent l’incarnation, c’est à dire la fragilité des figures d’Eve, Adam, Uriel et Gabriel, chacune avec une instabilité qui compense la droiture constante des instruments. De ce point de vue l’Eve de la soprano Anna Lucia Richter a l’acuité requise mais les aigus acides, courts parfois tendus ; le ténor Maximilian Schmitt s’en sort davantage : voix tendre, fragile, sur le fil. Le baryton Florian Boesch demeure le plus constant, le plus stable dans une version globalement très équilibrée, conçue par un chef soucieux d’équilibre et de lumineuse clarté. Se bonfiiant en cours de représentation, ce live présente une 3è et dernière partie inspirée par l’esprit des lumières, élégante et discursive, mesurée et comme solarisée grâce aux solistes et au chœur (fiévreux) sous la direction attentive du chef italien né Milanais en 1965. Ici s’accomplit la célébration du Créateur, faiseur d’harmonie et de paix… un monde idéal et harmonique que Haydn exprime musicalement, avant que l’esprit d’orgueil n’inspire à Eve, une volonté coupable propre à détruire ce monde idéal. L’équilibre et la cohérence d’Antonini se réalisent totalement dans cette dernière partie, la plus convaincante, après l’ouverture et son chaos primordial. Superbe conception.

 

 

 

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CD, critique. HAYDN : Die Schöpfung. Giovanni Antonini (1 cd mai 2019 Alpha). Anna Lucia Richter, Maximilian Schmitt, Florian Boesch, Chor des Bayerischen Rundfunks – Il Giardino Armonico – 1 cd Alpha, enregistrĂ© Ă  Munich en mai 2019.

 

 

 
 

 

 
 

 

 

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Autres cd HAYDN / ANTONINI, critiqués par classiquenews
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haydn-2032-solo-e-pensoso-il-giardino-armonico-francesca-aspromonte-cd--alpha-review-compte-rendu-critique-cd-CLIC-de-classiquenews-juillet-2016CD, compte rendu critique. HAYDN 2032 : Il Giardino Armonico. Giovanni Antonini (1 cd Alpha — 2015). SUPERBE PROGRAMME HAYDNIEN. Haydn devient un défi nouveau pour tous les ensembles sur instruments d’époque : c’est que la vivacité élégantissime et souvent facétieuse, brillante mais hyper subtile de l’écriture haydnienne est aussi un formidable champs d’expérimentation pour les couleurs instrumentales, défi à relever entre autres, pour toute formation digne de ce nom, outre l’articulation et la précision rythmique requises. Chaque orchestre souhaite tôt ou tard revenir à Haydn, source inépuisable du classicisme viennois. Tous les chefs depuis Norrington, Brüggen, ou le plus récent Ottavio Dantone (LIRE la critique complète du récent coffret Decca de l’intégrale Haydn sur instruments d’époque, CLIC de classiquenews de juin 2016) cherchent le bon tempo, la pulsation heureuse, à la fois vibrante et mordante, mais jamais creuse, la juste palette de couleurs justement ; le geste précis et ciselé, à la fois profond, fluide et surtout très expressif.

 

 

 

haydn 2032 vol 6 giovanni antonini kammerorchester basel cd reviw critique cdCd, critique. HAYDN :  Symphonies « Lamentatione », n°26 / n°79, n°30 « Alleluia » (Antonini, 2017 – 1cd Alpha, coll « Haydn 2032 »). Suite de l’intégrale HAYDN par le directeur musical du Giardino Armonico, dont l’achèvement sera effectif en 2032 (pour le tricentenaire du compositeur autrichien). Le milanais Giovanni Antonini ne dirige pas ici les instrumentistes de son ensemble mais l’Orch de chambre de Bâle (sur instruments modernes donc) / Kammerorchester Basel : un travail particulier sur l’articulation, la tenue d’archet, l’expressivité et l’agogique (historiquement informée comme l’on dit dans le milieu concerné) que le chef, en expert, transmet à ses collègues plus habitués à jouer les romantiques et post romantiques que les classiques viennois.  Classiquenews avait distingué le vol 4 de la présente collection (intitulé alors Il Distratto, d’un CLIC de classiquenews, convaincant et superlatif même). Peu à peu, le chef et flûtiste, soigne l’intonation, se montre soucieux de la clarté architecturale tout en ciselant les nuances de l’écriture si poétique et souvent imprévue de Haydn (éclairs dramatiques dignes de l’opéra, un genre dans lequel il a excellé comme son cadet Mozart) ; il en dévoile toutes les vibrations intérieures, restituant leur cohésion organique : une approche qui approche l’excellence de l’intégrale Haydn par son confrère Ottavio Dantone, lui aussi très inspiré par les arêtes et climats des massifs Haydniens (Lire notre critique de l’intégrale des Symphonies de HAYDN par Ottavio Dantone).

 

 

 

antonini giovanni telemann giardino armonico presentation classiquenewsCD, compte-rendu critique. Haydn 2032, N°4 : « Il Distratto ». HAYDN : Symphonies n°60, 70, 12. CIMAROSA : Il Maestro di Cappella. (Giovanni Antonini,1 cd Alpha classics 2016). Suite de l’intégrale des 107 Symphonies de Haydn en vu du tricentenaire Haydn prévu en 2032… Ce nouveau volet hisse très haut la valeur du cycle en cours. Outre la justesse de vue du chef Giovanni Antonini, il s’agit aussi de mettre en perspective Haydn et les auteurs de son époque : la filiation ainsi proposée avec le théâtre fin et savoureux de Cimarosa, réalise un cocktail explosif et indiscutablement pertinent. On aime de tels programmes audacieux, imprévus, capables de réformer nos idées réçues sur le Haydn symphoniste que l’on croit connaître ; servi ici par des interprètes jubilatoires, ayant pour devise, une qualité rare chez les artistes des répertoires baroques et romantiques aujourd’hui : la finesse.

haydn 2032 il distratto symphonies 12 cimarosa maestro di cappella giovanni antonini cd review cd critique classiquenews CLIC de classiquenews mars 2017Des 3 symphonies ici traitées, ne prenons qu’un épisode emblématique. Non pas la première de la sélection, n°60 qui donne son nom au programme (conçue pour la comédie intitulée « Il Distratto »), mais nous préférons demeuré sur notre excellente impression, produite par l’Adagio de la n°12 qui s’impose par sa profondeur et son rayonnement simple. Sublime introspection (plage 12), tel un désert sans issue et au cordes seules, qui touche par son épure quasi austère ; la respiration, les dynamiques, l’économie et le sens des phrasés sont d’une irrésistible justesse. Antonini y glisse un spuçon de tendre nostalgie qui assimile cet épisode frappant par son intériorité maîtrisée à une variation gluckiste, le Gluck sublimement déploré et lacrymal, c’est à dire pudique et mélodique à la fois, de la prière d’Orphée et son hymne désespéré mais digne : « J’ai perdu mon Eurydice ». Haydn semble en déduire une interrogation en résonance. Quel contraste avec l’Allegro insouciant et délicatement caractérisé (hautbois, bassons) qui suit.

 

 

 
 

 

 

CD, critique. ORPHEE AUX ENFERS (Vox Luminis, A Note temporis, 1 cd Alpha, 2019)

orphee aux enfers charpentier vox luminis nocte temporis meunier mechelen cd alpha critique opera baroque classiquenewsCD, critique. ORPHEE AUX ENFERS (Vox Luminis, A Note temporis, 1 cd Alpha, 2019). La Descente d’OrphĂ©e aux enfers est le joyau de ce double regard orphique qui comprend aussi la courte cantate plus ancienne et sur le mĂŞme thème OrphĂ©e descendant aux enfers (1684). La partition plus ancienne est une première Ă©pure, directe, serrĂ©e, incisive comme une gravure Ă©conome de ses traits. La Descente plus dĂ©veloppĂ©e, en tableaux aboutis, au souffle pathĂ©tique et tragique – est composĂ©e pour la cour de Marie de Lorraine probablement en 1687 : Charpentier n’a rien laissĂ© du 3è acte oĂą OrphĂ©e Ă©tait dĂ©vorĂ© par les mĂ©nades. Comme chez Monteverdi, le dĂ©but met en scène des nymphes charmantes bientĂ´t apitoyĂ©es par le deuil qui Ă©treint et dĂ©vore OrphĂ©e ayant perdu Eurydice, Charpentier excelle dans l’évocation des bocages tendres. Pourtant une tension enfle très vite – nervositĂ© propre au baroque français, car tous invectivent l’inflexibilitĂ© des dieux. Le mordant du choeur s’enflamme et perce directement au choeur, tandis que l’OrphĂ©e de Reinoud van Mechelen se languit dans la perte d’une insondable douleur. Charpentier suit les Italiens et son maĂ®tre Ă  Rome Carrissimi et aussi Monteverdi, tout inspirĂ© par la figure du poète blessĂ©, atteint au coeur.

Charpentier aime s’alanguir et respirer dans une volupté élastique dont la courbe expressive et la flexibilité se dévoilent idéalement dans la couleur et la cohérence indiscutable du chœur des Nymphes & des Bergers, incarnés par les chantres magistraux de Vox Luminis, collectif de luxe et de passion maîtrisée (qualité de leur effusion lacrymale dans le chœur final du premier acte).
La seconde partie qui est celle de la Descente aux enfers proprement dite vaut surtout pour le choeur là encore, aux accents et nuances picturales, et pour la Proserpine à la fois intense et franche de la soprano Stéphanie True. Dans l’articulation qui mène de la terre pastorale des bergers au gouffre infernal, Charpentier articule et s’électrise même à la Lully, évoquant le drame mais aussi la volonté d’Orphée d’en découdre (intermède entre les deux actes, très investi et au relief expressif).
Lénifiant, suave voire un peu lisse, Orphée sait adoucir les tourments des trois torturés rencontrés ici bas (Ixion, Tantale, Titye) vraie préfiguration dans le lugubre infernal, des trois Parques à venir chez Rameau (Hippolyte et Aricie). On y détecte la même tension pour le rictus (de douleur), l’imprécation exacerbée, sans les audaces harmoniques raméliennes.
Dans l’empire de la mort, Orphée sait infléchir et toucher le coeur de Proserpine, meilleure entrée pour vaincre et adoucir la rigueur de Pluton : de fait, s’il réclame la résurrection de son aimée Eurydice, Orphée souligne combien sa requête est fugace ; il reviendra mortel avec sa belle, se soumettre à Pluton… Ainsi vivent et meurt les hommes, mais sur terre, l’amour leur est capital.

En dépit des beautés chorales de cette lecture très esthétique, on reste moins convaincu par l’accentuation du vieux françois, où « souviens-toi » devient « souviens touè », intégrant une saveur rustique dans l’air charmant et séducteur d’Orphée : « Ah, Ah, laisse touè toucher… » ; rien à reprocher au chant ondulant et flexible du soliste Reinoud van Mechelen. Mais c’est décidément les couleurs profondes, intérieures du continuo (A Nocte temporis, collectif fondé par le ténor flamand) et de l’admirable chœur qui atteint souvent l’homogénéité expressive des Arts Flo, qui nous charment ici, avant toute chose (dernier choeur des Ombres heureuses, avec lequel Charpentier achève sa partition). En descendant aux enfers, Orphée les a pacifiés. Divin pouvoir du chant. Voici certainement, malgré quelques réserves, les piliers de la nouvelle génération baroque.

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CD, critique. ORPHEE AUX ENFERS (Vox Luminis, A Nocte temporis, 1 cd Alpha, 2019)

 

ACHETER le programme : https://lnk.to/Orphee_CharpentierYV

 

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TEASER VIDEO :

 

 

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CD, événement critique. MONTEVERDI : VESPRO. La Tempête. Simon-Pierre BESTION (2 cd Alpha)

MONTEVERDI vespro tempete simon pierre bestion cd critique concert classiquenews la critique cd concert 5d7f7d2c3db53CD, Ă©vĂ©nement critique. MONTEVERDI : VESPRO. La TempĂŞte. Simon-Pierre BESTION (2 cd Alpha) – Comme un laboratoire collectif, La TempĂŞte insuffle souvent aux partitions choisies une nouvelle dynamique, un nouvel Ă©clairage voire une nouvelle signification ; d’autant plus rĂ©ussis et convaincants ici que le geste qui dĂ©cortique sans attĂ©nuer, qui enrichit sans diluer, offre une recontextualisation du monument montĂ©verdien ; les pièces ajoutĂ©es soulignent en rĂ©alitĂ© combien l’écriture de Claudio est moderne et en rĂ©alitĂ©, d’une sensualitĂ© irrĂ©sistible (nuance Ă  peine pensable alors dans un contexte « romain », liturgique). Cette comparaison implicite renforce le caractère audacieux de l’œuvre de 1610/11 dont l’esprit et la conception, telle une mosaĂŻque Ă©clectique, devait surtout convaincre sa cible (le pape lui-mĂŞme, Paul V) que Monteverdi Ă©tait bien le plus grand compositeur de l’époque ; peine et dĂ©fis perdus car Rome ne sera jamais le foyer du MaĂ®tre CrĂ©monais, … plutĂ´t la fastueuse et sensuelle VENISE, qui en fera son maĂ®tre de chapelle Ă  San Marco (1613).

Ainsi prenons pour exemple le cd2 : il s’ouvre par le « Sancta Maria Ricercar » de Frescobaldi : incertain, instable, d’une volubilité irrésolue. Tout cela prépare mieux à ce qui suit. L’autorité sensuelle, déclamée avec ampleur dans un souffle opératique qui rappelle Orfeo s’affirme dans l’Audi Caelum où le baryton soliste est doublé dans la coulisse par un ténor… effet de perspective et d’étagement propre au génie montéverdien et auquel les interprètes sans maîtriser totalement la souplesse et la précision des mélismes, expriment la courbe majestueuse (sur le mot « Maria »).
Aux options vocales nettement défendues répondent aussi les nuances et caractérisations apportées au continuo : le chef a ajouté le serpent ou le chitarrone, dont la vibration grave et souple, fortifie l’assise ; ce bourdonnement continu, fraternel.
« Omnes » est conçu comme un éclair, le coup de conscience qui rassemble toutes les troupes telle une armée d’anges armés, inspirés par une ardeur sensuelle renouvelée. Ce jaillissement collectif est alors conçu comme une ample arche sensuelle qui retourne dans l’ombre du mystère, comme un retable que l’on recouvre.
Le chef et ses interprètes jouent sur les climats contrastés, les différentes nuances de la ferveur mariale grâce ainsi aux
pièces intercalaires (antiennes grégoriennes, faux-bourdons du XVIIè,…) sur le même thème sacré (hymne virginal) et d’un caractère de profond recueillement.
La pertinence de ces combinaisons relance la tension sans atténuer les pièces montéverdiennes. L’éclat et le contraste qui en découlent, enrichit encore la réception du cycle montéverdien ; Ils soulignent sa géniale architecture qui creuse le mystère de Marie. Ces inclusions rétablissent aussi la réalisation du Vespro dans la réalité d’une messe et d’un rituel liturgique. Elles s’appuient entre autres sur la style des polyphonies orales encore manifestes en Corse, en Sardaigne, en Géorgie. Elles apportent une résonance populaire liée aux pratiques traditionnelles, toujours vivaces.

Les interprètes savent aussi jouer avec la liberté de certains tempos, dans, entre autres la « Sonata sopra Sancta Maria » où le choeur féminin sur les mêmes mots répétés déclament presque imperturbablement malgré la grande diversité des coupes rythmiques des cuivres par exemple qui frappent et martèlent la réalisation de la pièce, affectant (en apparence) l’ascension irrépressible de leur élan vers les hauteurs… C’est mieux exprimer en réalité le souffle de la prière et la lutte aussi pour l’affirmer, impénétrable et inexorable.

CLIC_macaron_2014Cette fusion du populaire et du sacrĂ©, soit du verbe incarnĂ© se rĂ©alise formellement dans 12 sĂ©quences du Magnificat qui referme le prodigieux Vespro : relief du continuo, particulièrement maĂ®trisĂ© et abouti, aux rythmes chorĂ©graphiques – ; vagues chorales qui plongent dans la poĂ©sie et le mystère, allant naturel et souple… le geste du groupe, portĂ© par une vision gĂ©nĂ©rale claire et fĂ©dĂ©ratrice, – celle du maestro fondateur du collectif, Simon-Pierre Bestion, restitue l’esprit de la crèche, le recueillement collectif, comme une Ă©piphanie simple et d’une Ă©tonnante vivacitĂ©.
Les conversations enchantées de « Esurientes » et de « Suscepit Israel » ; lumineuse chevauchée dans « Sicut locutus »… ) s’accomplissent ici avec une intelligence globale très touchante. Le « Gloria » qui s’ouvre dans une perspective infinie, vocalement par vagues successives (initié par le baryton soliste très souple) apporte une jubilation d’une ampleur qui berce, exalte, saisit. La Tempête atteint son meilleur dans cet ultime célébration de Marie. CLIC de CLASSIQUENEWS de l’automne 2019.

CD, événement, critique. MONTEVERDI : VESPRO (1610). La Tempête, Simon-Pierre Bestion (2 cd Alpha).

 

 

 

 

 

 

Extrait vidéo sur YOUTUBE :

 

 

 

Cd, critique. Si j’ai aimé… Sandrine Piau, soprano : Massenet, Vierne, Guilmant, Saint-Saëns (1 cd Alpha classics)

PIAU-classiquenews-cd-critique-piau-si-j-ai-aime-concert-loge-critique-concert-critique-cd-par-classiquenews-mai-2019-critique-opera-classiquenewsCd, critique. Si j’ai aimé… Sandrine Piau, soprano (1 cd Alpha classics / mars 2018). Ce programme rĂ©jouissant exhume plusieurs mĂ©lodies françaises avec orchestre dont celles intactes et graves de Camille Saint-SaĂ«ns, dĂ©cidĂ©ment touchĂ© par la grâce quand il s’agit d’exprimer le sentiment amoureux, porteur lui-mĂŞme de souvenirs et de langueur, entre nostalgie et dĂ©sir. 
On ne peut en dire de mĂŞme des mĂ©lodies de ThĂ©odore Dubois, très datĂ©es et rien qu’acadĂ©miques, c’est Ă  dire dĂ©coratives et sucrĂ©es. Pourtant l’une d’entre elles, a donnĂ© son titre au recueil, lĂ  oĂą une pièce de Saint-SaĂ«ns eut Ă©tĂ© mieux rĂ©habilitĂ©e… (Si j’ai parlé… si j’ai aimé… sonne un rien mièvre : trop frĂŞle offrande pour une réévaluation de la mĂ©lodie française orchestrĂ©e, fin de siècle). Quelques impressions prĂ©alables, signes d’une apprĂ©ciation en demi teintes quant Ă  la sĂ©lection des pièces retenues ici : « Aux Ă©toiles » de Duparc, instrumental capable de douceur tendre et de gravitĂ© ; Dubois rien que bavard (« Chanson de Marjolie ») ; mais la sensibilitĂ© d’Alexandre Guilmant (« Ce que dit le silence ») et L’empressement et dĂ©sir de « l’Enlèvement » de Saint-SaĂ«ns, très au dessus de ses confrères….

 

Perles oubliées de la mélodie française

 

 

Que n’a-t-on choisi, profitant d’une telle interprète soliste, deux mĂ©lodies parmi les plus bouleversantes du rĂ©pertoire s’agissant de la mĂ©lodie française : L’EnamourĂ©e / Ma colombe de Reynaldo Hahn (superbement rĂ©exhumĂ©e par Anna Netrebko et dont le thème colle pile poil au thème de ce cd ; et La mort d’OphĂ©lie de Berlioz ? Invraisemblable oubli qui se fait avec le recul, faute impardonnable en vĂ©ritĂ© (cf notre playlist en fin d ‘article de l’EnamourĂ©e de HAHN).
Rare coloratoure encore suractive, mais voix mûre, Sandrine Piau affiche crânement l’expérience et les années, étincelant par son style suprême, une distinction du timbre, et un sens de la couleur comme de la ligne qui suscitent l’admiration. Pourtant, la seule ombre à notre avis reste l’articulation et l’intelligibilité : on perd souvent 70% du texte. Dommage qui paraît vétille avec le recul tant la justesse et l’intelligence du chant, ailleurs, se révèle superlatif. C’est que la soprano maîtrise sa voix comme un instrument : usant de toutes les nuances de l’émission comme de l’intonation, avec une subtilité qui avait déjà fait la valeur de ses incarnations baroques, ou romantiques françaises.
Pourtant les poèmes ici de Hugo, Verlaine, Gautier, Banville, régnier, Barthélémy ou Courmont méritent le meilleur soin : on jugera sur pièces ainsi, les deux extraits des Nuits d’été de Berlioz, en comparaison avec ce que réalise sa consœur Véronique Gens… dans Villanelle ou Au cimetière, d’emblée le caractère est là, caractérisé, superbement incarné… aussi profond voire bouleversant que le texte est inintelligible pour partie.
On se dit quand même que le programme eut été idéal si la chanteuse soignait davantage la déclamation et l’articulation dans les aigus. Nonobstant cette mince réserve, le programme est superbe.
Le genre de la mélodie renaît ainsi grâce à un travail de recherche récent sur l’activité de la Société nationale de musique à la fin du XIXè qui favorise les compositeurs hexagonaux évidemment ; d’autant que les teintes et équilibres affinés de l’orchestre sur instruments d’époque, ainsi requis, ajoute à la qualité allusive de l’approche. La mélodie gagne ses lettres de noblesse et de subtilité ainsi défendue ; parmi plusieurs pépites, désormais à écouter et réestimer, citons surtout les œuvres de Camille Saint-Saëns : Extase, Papillons, Aimons-nous, L’enlèvement… Curieux choix d’avoir intercalé un extrait de la Symphonie gothique de Godard, qui tombe un peu comme un chevaux dans la soupe. Mais on s’incline avec bienveillance et gratitude devant Le poète et le fantôme de Massenet comme les subtils Papillons blancs de Louis Vierne (lui aussi bien oublié). Très beau programme.

 

 

 

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CLIC D'OR macaron 200Cd, critique. Si j’ai aimé… Sandrine Piau, soprano (1 cd Alpha classics) – enregistrĂ© en mars 2018 Ă  Metz. MĂ©lodies avec orchestre de Saint-SaĂ«ns, Massenet, Dubois, Vierne… Le Concert de la loge / J. Chauvin, direction.

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Le prĂ©sent recueil souffre d’une absence de taille : la mĂ©lodie de Reynaldo HAHN, L’EnamourĂ©e / perle / joyau sur le thème de l’amour / en total connexion avec la thĂ©matique de ce recueil frustrant donc :

VIDEO CLIP audio L’EnamourĂ©e de Reynaldo HAHN par Anna Netrebko :

https://www.youtube.com/watch?v=kUZPljVpWak

 

VIDEO CLIP L’EnamourĂ©e de HAHN par Anna Caterina Antonacci
https://www.youtube.com/watch?v=NAyeGq4qUM0

 

VIDEO CLIP L’EnamourĂ©e de Reynaldo HAHN par l’excellent baryton Bruno Laplante :

https://www.youtube.com/watch?v=vSXhPH_HGtQ 

 

VIDEO CLIP (2014) L’enamourĂ©e de Reynaldo HAHN par Solene Le Van

https://www.youtube.com/watch?v=JiiF6pvYXw4

 

VIDEO : 6 mélodies de Reynaldo HAHN par Solen Le Van, Young Musicians Foundation, Los Angeles 2014

CD événement, critique. ERNEST CHAUSSON : Poème de l’amour et de la Mer, Symphonie opus 20 (Orchestre National de Lille, Alexandre Bloch / Véronique Gens – 1 cd Alpha 2018)

chausson poeme amour et mer alexandre bloch gens orchestre national de lille cd annonce critique cd review cd classiquenewsCD Ă©vĂ©nement, critique. ERNEST CHAUSSON : Poème de l’amour et de la Mer, Symphonie opus 20 (Orchestre National de Lille, Alexandre Bloch / VĂ©ronique Gens – 1 cd Alpha 2018). Comme une houle puissante et transparente Ă  la fois, l’orchestre pilotĂ© par Alexandre Bloch sculpte dans la matière musicale ; en fait surgir la profonde langueur, parfois mortifère et lugubre, toujours proche du texte (dans les 2 volets prosodiĂ©s, chantĂ©s du « Poème de l’amour et de la mer » opus 19) : on y sent et le poison introspectif wagnĂ©rien et la subtile texture debussyste et mĂŞme ravĂ©lienne dans un raffinement inouĂŻ de l’orchestration. D’une couleur plus sombre, d’un medium plus large, la soprano VĂ©ronique Gens a le caractère idoine, l’articulation naturelle et sĂ©pulcrale (« La mort de l’amour » : dĂ©tachĂ©e, prĂ©cise, l’articulation flotte et dessine des images bercĂ©es par une voluptĂ© brumeuse et cotonneuse, mais dont le dessin et les images demeurent toujours prĂ©sent dans l’orchestre, grâce Ă  sa diction exemplaire : quel rĂ©gal).

 

 

 

L’Orchestre National de Lille et Alexandre Bloch

CHAUSSON sublimé
Parure chatoyante du symphonisme romantique et tragique

 

 

 

L’intelligibilité de la cantatrice, le poids qu’elle préserve et assure à chaque vers poétique (réagencé par Chausson à partir des textes de Bouchor) sert admirablement le flux orchestral, ses enchantements harmoniques qui bercent et hypnotisent, jusqu’à l’extase et l’abandon. Remarquable équilibre entre suggestion et allant dramatique. « Le temps des Lilas et le temps des roses ne reviendra plus … » regaillardit à la fin une succession de paysages mornes et éteints mais d’une sourde activité. Le beauté fragile qui s’efface à mesure qu’elle se déploie et se consume trouve une expression caressante et sensuelle dans le chant de l’orchestre, résigné mais déterminé (« Et toi que fais-tu ? »). Chausson offre un prolongement à la langueur endeuillée du Wagner tristanesque : sa fine écriture produit une grâce assumée qui contient aussi sa propre rémission dans sa conscience de la mort. L’élan mélancolique et le deuil des choses éteintes font le prix de leur évocation qui les ressuscite toujours indéfiniment, dans une sorte de réitération magique, comme ritualisée, mais jamais artificielle.
Toujours très articulĂ© et d’une intonation simple, le chef dĂ©ploie les mĂŞmes qualitĂ©s qui avaient fondĂ© sa lecture des PĂŞcheurs de perles du jeune Bizet (opĂ©ra jouĂ© et enregistrĂ© Ă  l’Auditorium du Nouveau Siècle Ă  Lille / mai 2017).

 

Même geste nuancé pour le flux de la Symphonie en si bémol majeur (1891) qui délivre le même sentiment d’irrépressible malédiction. Le premier mouvement saisit par son souffle tragique (tchaikovskien : on pense à la 4è symphonie) et évidemment l’immersion dans la psyché wagnérienne la plus sombre et la plus résigné (avant l’essor de l’Allegro vivo). Chausson est un grand romantique tragique qui cependant égale par son orchestration scintillante et colorée, ses éclairs rythmiques, les grands opus de Ravel comme de Debussy.

VoilĂ  qui inscrit le compositeur fauchĂ© en 1899, – trop tĂ´t, dans un sillon prestigieux, celui des grands symphonistes romantiques français : Berlioz, Lalo, Ă©videmment Franck, mais aussi Dukas… Le « Très lent », volet central, s’immerge dans le pur dĂ©sespoir, fier hĂ©ritier des prĂ©ludes de Tristan und Isolde de Wagner (mĂŞme couleur d’une douleur foudroyĂ©e), lĂ  encore. Comme s’il reprenait son souffle et sa respiration avec difficultĂ© (en un « effet » volontaire, maĂ®trisĂ©), l’orchestre, clair et prĂ©cis, fluide et ondulant, plonge en eaux profondes. Lamento de la douleur inĂ©narrable, l’épisode de presque 9 mn, Ă©tire sa langueur dĂ©sespĂ©rĂ©e que la parure orchestrale recharge et Ă©nergise cependant constamment : en cela, la direction du chef se montre très efficace : jamais Ă©paisse, toujours transparente : elle fait respirer chaque pupitre. DĂ©voilant des trĂ©sors d’harmonies rares, et d’alliages de timbres… d’une ivresse gĂ©niale.
Alexandre Bloch et l’Orchestre National de Lille ouvrent de larges perspectives dont l’ampleur nous terrifie comme elle nous captive : faisant surgir les guirlandes mélodiques sur un nuage brumeux de plus en plus menaçant et létal (après le motif du « temps des lilas » au cor anglais, réminiscence de Tristan). Le III applique à la lettre le principe cyclique de son maître Franck, récapitulation des motifs précédents mais harmonisés différemment, et dans un climat d’agitation voire de panique au début primitif. Alexandre Bloch exprime l’énergie brute, comme à vif, comme incandescente, son ivresse primitive, sa noirceur large et enveloppante (wagnérienne), tout en se souciant de l’intelligibilité de la texture (bois, cordes, cuivres sont d’une couleur toute française).
L’architecture des fanfare, érigées comme de vastes portiques de plus en plus majestueux (dans l’esprit d’un choral) est énoncée avec clarté et une rigueur presque luthérienne. Et le miracle du dernier épisode,- salvateur, rasséréné (formulé comme la clé du rébus précédent, comme dans la Symphonie en ré de Franck), peut s’accomplir en un geste d’une formidable hauteur (énoncée comme l’ascension sur l’arche évoquée ou comme le repli des eaux), et d’une noblesse infinie qui garde son secret. Magnifique réalisation : riche, trouble, ambivalente, grave et lumineuse : l’écriture de Ernest Chausson y gagne un surcroît d’éloquence, d’intelligence, de prodigieuse activité. Porté par son directeur musical, l’Orchestre national de Lille confirme une étonnante et salutaire compréhension du grand symphonisme romantique français. A suivre. CLIC de CLASSIQUENEWS de mars 2019. Les intéressés poursuivent actuellement un cycle majeur dédié aux 9 symphonies de Gustav Mahler (tout au long de l’année 2019).

 

 

 

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CLIC D'OR macaron 200CD Ă©vĂ©nement, critique. ERNEST CHAUSSON : Poème de l’amour et de la Mer, Symphonie opus 20 (Orchestre National de Lille, Alexandre Bloch / VĂ©ronique Gens – 1 cd Alpha – enregistrĂ© Ă  Lille en novembre 2018)

 

 
 

 

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LIRE aussi notre annonce du CD événement. ERNEST CHAUSSON : Poème de l’amour et de la Mer, Symphonie opus 20 (Orchestre National de Lille, Alexandre Bloch / Véronique Gens – 1 cd Alpha)

https://www.classiquenews.com/cd-evenement-annonce-ernest-chausson-poeme-de-lamour-et-de-la-mer-symphonie-opus-20-orchestre-national-de-lille-alexandre-bloch-veronique-gens-1-cd-alpha/

CD, critique. Sibelius : Symphonie n°1, En saga (Gothenburg Symphony, Santtu-Matias ROUVALI, 1 cd Alpha 2018)

SIBELIUS ROUVALI symphoni 1 en saga critique cd review cd classiquenews CLIC de classiquenews actus cd musique classique opera concerts festivals annonce 5c41f9e9847d2CD, critique. Sibelius : Symphonie n°1, En saga (Gothenburg Symphony, Santtu-Matias ROUVALI, 1 cd Alpha 2018). Voilà un vrai travail d’orfèvre tissant une tapisserie de timbres, à la fois lyrique et rageuse. Si certains continuent d’estimer l’œuvre comme la célébration par Sibelius de sa Finlande chérie, alors menacée par l’Empire russe (création en avril 1899), inspiré et plus universel, le chef finlandais Santtu-Matias ROUVALI sait traduire une dimension qui sait dépasser l’occurrence politique : il insinue dans l’écriture cette énergie première, gorgée d’éclairs naturels et de sursauts organiques. D’emblée, grâce au chef, nous sommes dans la matrice bouillonnante des éléments. Sur le motif.

Ainsi au début de la Symphonie n°1, la clarinette, au tragique pastorale, d’une intense dignité, chante les souffrances et l’éternité inatteignable de la Nature. Le chef creuse tout ce qui rend à cette partition princeps, sa profondeur et son introspection.
Cordes exaltées, bois parfois âpre (bassons),tutti tendus, vitalité ardente et portés par une énergie éperdue… Rouvali prend à bras le corps l’activité primitive des éléments qui semblent traverser les pupitres en élans faussement incontrôlés.

Sibelius : le premier écologiste
Santtu-Matias ROUVALI, chantre de la prière sibélienne

L’écriture est une prière exacerbée face à la Nature dans toute sa sauvagerie ; Sibelius exprime son admiration parfois inquiète, surtout animé par un désir supérieur, une exaltation qui se hisse au diapason de la tempête victorieuse. Sibelius observe et comprend de l’intérieur l’immensité de la Nature (cor et harpes, flûte) : son mystère, son essence miraculeuse. Une connivence s’inscrit et s’enfle au fur et à mesure de l’avancée du premier mouvement qui passe d’Andante non troppo… à Allegro energico.
Ici règne la gravité du dernier Tchaikovski (dernière mesure au contrebasses), avant l’émergence des cimes et des hauteurs plus mélancoliques du second mouvement.

Ainsi l’Andante (ma non troppo lento) est articulé avec une rondeur mordante, une belle sincérité qui vient elle aussi des replis du cœur, telle une chanson ancienne qui fait vibrer le sentiment d’une nature enchantée… en une cantilène instrumentalement détaillée qui montre tout ce que l’éloquence enivrée de Sibelius doit aux… russes. Ce qui est prenant c’est le sentiment d’une tragédie en cours, celle d’une nature sacrifiée et pourtant d’une ineffable beauté. Cette vision, et tragique et épique, prend corps dans les fabuleux arpèges des cordes, bouillonnants, éperdus.

Le Scherzo est abordé pour ce qu’il est : une scansion et une frénésie superbement mécanique, dont la verdeur ici captive. Enfin
le dernier mouvement plus agité, radical, dramatiquement très marqué par Tchaikovski là encore, exprime une inquiétude presque angoissée (lugubre des bassons, romances éperdues des cordes graves…)
Il y met une touche d’humanité, un panthéisme blessé : Sibelius souffre avec la Nature en son sein, et non à l’extérieur, comme en une distanciation asséchante. Au contraire, nous sommes au cœur des éléments. Dans le vortex où se jouent les transformations irréversibles ; comment ne pas inscrire cette vibration et cette conscience affûtée dans le chaos climatique qui est le nôtre, causé par la folie humaine ?

Sous la baguette intense mais nuancée et très détaillée de Rouvali, Sibelius semble réussir là où Tchaikovski nous avait laissés ; les lumières permises par le finnois font espérer une clarté filigranée et très vacillante chez le Russe (Pathétique, n°6) ; l’andante final de Sibelius autorise une issue difficile mais présente. Mais dans la difficulté et la souffrance. La fin est une rémission presque arrachée ; pas une victoire. Une vraie question laissée en suspens.

En saga : orchestration et couleurs se rapprochent plutôt de Moussorgski mais mâtiné d’impressionnisme ravélien. Là encore Sibelius exprime une activité invisible secrète, au souffle prenant. La narration qu’en offre Rouvali saisit par sa précision, et un vrai travail d’orfèvre sur le plan de la texture instrumentale, tout en soignant l’éclat et la vitalité des séquences plus rythmiques.
Moins lyrique que Bersntein peut-être, Rouvali n’oublie pas aux côtés de sa précision, un souffle et une tension qui enflamment chaque tutti, révélant aussi dans cette activité flamboyante, des accents wagnériens. Le chef exprime le mystère sauvage et la force de la nature, la beauté grandiose et fragile, c’est à dire inexprimable de l’animal (un lynx sur un arbre dans le paysage de neige peint sur le même titre par son beau-frère Eero Järnefelt ?).
CLIC D'OR macaron 200En 1893, Sibelius est encore très narratif, mais dans cette très fine et scintillante écriture, à partir de 13’, il sait transmettre le cycle éternel, la transe primitive du miracle naturel. A l’homme de savoir en mesurer l’énergie rédemptrice, matricielle. De toute évidence, dans ce crescendo final, d’une intensité irrépressible, Rouvali l’a bien compris. Le chef fait entendre cette vibration première. Jusque dans le chant conclusif de la clarinette, extinction énigmatique. Superbe lecture et belle compréhension de l’univers symphonique de Sibelius. On souhaite une suite et on rêve d’une intégrale des Symphonies de Sibelius par ce chef et cet orchestre… aux qualités évidentes. Leur sincérité nous touche. Voilà qui préfigure le meilleur ? A suivre…

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Cd, critique. Sibelius : Symphonie n°1, En saga (Gothenburg Symphony, Santtu-Matias ROUVALI, 1 cd Alpha 2018 - Orchestre Symphonique de Gothenburg / Enregistrement réalisé à Gothenburg, en mai 2018.

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CD critique. GIOVANNI LORENZO LULIER : CANTATE E SONATE – Francesca Boncompagni, soprano. Accademia Ottoboni, Marco Ceccato (violoncelle et direction) / 2017 – 1 cd Alpha

CD critique. GIOVANNI LORENZO LULIER : CANTATE E SONATE – Francesca Boncompagni, soprano. Accademia Ottoboni, Marco Ceccato (violoncelle et direction) / EnregistrĂ© en novembre 2017 (Italie) – 1 cd Alpha 406

lulier giovanni lorenzo cantates ottoboni cd ALPHA review critiqie cd par classiquenews compte renduALPHA nous régale en entretenant cette flamme pour l’exploration intacte de partitions et de compositeurs baroques oubliés. Voyez ce Lulier actif à Rome à l’époque des cénacles patriciens, quand au début du XVIIIè, Corelli marque un âge d’or musical… qui attire aussi le jeune Haendel. Probable pilier de l’activité artistique privée à Rome, GL Lulier dit « Giovanni del Violone », s’affirme comme compositeur pour la voix (et ici la musique concertante d’où ses Sonates pour violon, violoncelle et continuo).
Les quatre cantates révélées dans ce programme réjouissant (propres aux années 1690) attestent d’un tempérament fort, original, qui aime évidemment la ligne vocale, un certain esthétisme languissant, mais aussi une expressivité qui suit très scrupuleusement les méandres du texte. Lulier sert alors le Cardinal Ottoboni. Comme le peintre Caravage a su répondre au goût réaliste et ténébriste des cardinaux romains un siècle auparavant (dans les années 1590), pour le cardinal Del Monte alors, Lullier, 100 ans plus tard, réchauffe encore ce goût raffiné d’une élite particulièrement cultivée : appréciant fusionner musique et poésie.

Rien n’est négligé. La forme donc, et aussi le sens. Le verbe poétique, à plusieurs lectures évidemment occupe l’écriture de Lulier, familier des nombreuses Académies / Accademie romaines (dont la plus prestigieuse, l’Accademia dell’Arcadia, fondée entre autres par Ottoboni), qui stimulent les amateurs, souvent patriciens, voraces quand à l’idéal esthétique qui associe le mot, le sens, la note. Le sentiment d’amour (Cantate 1 : « Amor, di che tu vuoi »), la passion trahie qui mène au suicide (Cantate 4 : « La Didone » de 1692) sont les sujets qui passionnent la bonne société lettrée réunie en son cénacle ou plutôt académie par le Cardinal Ottoboni.
RĂ©vĂ©lĂ© par ce programme ardemment dĂ©fendu, Lulier a servi la cour du cardinal Benedetto Pamphili, et a commencĂ© comme violoniste dans l’orchestre de Corelli. Il fournit aux sĂ©ances acadĂ©miques d’Ottoboni, et aussi Ă  ses conversazioni hebdomadaires, cantates et sonates (dans le style corellien… forcĂ©ment) pour la dĂ©lectation des auditeurs, une Ă©lite bien nĂ©e. Lulier sĂ©duit car il sait expĂ©rimenter (Ă©crivant certaines cantates pour voix… et violoncelle, ainsi la cantate dĂ©jĂ  citĂ©e : « Amor, di che tu vuoi », prière Ă  l’élue dont le poète Ă©pris, languissant voire en souffrance car captif, loue la beautĂ© des « yeux noirs » qui l’ont ensorcelĂ© : d’oĂą le visuel de couverture…). Lulier inspirĂ© par le poème de Fiduro Maniaco, membre de l’Arcadia, Ă©voque la passion solitaire et fatale de la reine de Carthage, qu’abandonne EnĂ©e, Ă  travers un ample lamento, au caractère dĂ©ploratif et grave. Didon se lamente, maudit puis se suicide (dans l’ultime rĂ©citativo).

« Ferma alato pensier, ferma il tuo volo » / Suspend, penser ailé ton vol…, créé par le sopraniste castrat du pape le célèbre Andrea Adami, devant Ottoboni en septembre 1693, mêle arioso (au début) et arias majoritairement da capo. La voix articulée, engagée est accompagnée par le continuo avec violoncelle. Le texte évoque les souffrances d’un cœur lui aussi envoûté / emporté, qui supplie Amour / Cupidon d’être offert enfin à … Tircis. L’écriture est habile, ses figuralismes servent étroitement parcours et labyrinthe amoureux des textes. Voilà une remarquable « révélation » qui justifie totalement le présent cd.

 

 

 

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CD critique. GIOVANNI LORENZO LULIER : CANTATE E SONATE – Francesca Boncompagni, soprano. Accademia Ottoboni, Marco Ceccato (violoncelle et direction) / EnregistrĂ© en novembre 2017 (Italie) – 1 cd Alpha 406

CD. Rovetta : Messe vénitienne pour la naissance de Louis XIV (Galilei Consort, Chénier, 2015, 1 cd Alpha)

louis XIV galant armureCD. Rovetta : Messe vénitienne pour la naissance de Louis XIV (Galilei Consort, Chénier, 2015, 1 cd Alpha). Passionnante restitution d’une Messe à la Basilique (palladienne) de San Giorgio Maggiore (sur l’autre rive face au Palazzo dei Dogi), célébrant un événement dynastique en l’occurrence non pas lié à l’histoire de Venise mais à la Couronne française, car en ce mois de novembre 1638 naissait le Grand Dauphin (« il gran delfino »), Louis Dieudonné, futur Louis XIV, réalisation inespérée (après 23 ans de mariage quand même) des noces d’Anne d’Autriche et de Louis XIII (qui il est vrai préférait au lit de sa femme, la compagnie des hommes, du luth, dans son château de Versailles, alors réservé à ses proches masculins…).
Roi déjà fatigué et malade, bien que « jeune » père, Louis XIII entend célébrer cet événement dans sa vie personnelle et résolution inespérée autant que salutaire pour la monarchie française : la naissance doit faire écho dans toutes les Cours d’Europe car c’est le moyen de communiquer la grandeur politique de la France comme le prestige de la Couronne de France en sa splendeur et sa continuité ainsi assurée.

Le collectif de musiciens, instrumentistes et chanteurs réuni autour de Benjamin Chénier, restitue donc cette Messe opus IV de Rovetta de 1639, ils en sculptent surtout l’apparat et le mouvement polychoral propre à la Venise du premier baroque, celui perfectionné par Monteverdi, maître de chapelle de San Marco à la mort duquel en 1643, succède son très estimable adjoint, Giovanni Rovetta (en réalité vice montre de chapelle à San Marco depuis 1627) dont le présent disque entend communiquer le feu d’une écriture foisonnante et fervente : majesté et recueillement, activité chorale, couleurs instrumentales, et piété solennelle. Ainsi a été livrée et créée in coco la « Missa per la nascita del gran delfino », cérémonie comme il en exista de nombreuses alors à Venise en liaison avec le calendrier politique.
Louis XIV_enfantPour complĂ©ter les parties manquantes, le chef ajoute des pièces d’autres compositeurs comme le fameux motets d’essence purement cĂ©lĂ©brative et bien dans le thème Ă©clatant du Roi-Soleil, signĂ© Bassano (conclusion du programme : « Omnes gentes plaudite manibus » ) ; comme des sections d’autres compositeurs, en rĂ©fĂ©rence directe au culte marial, Louis XIII ayant dĂ©diĂ© son règne Ă  la Vierge, l’annĂ©e prĂ©cĂ©dant la naissance de son fils (cf Le vĹ“u de Louis XIII)… A l’origine de la commande de cette cĂ©lĂ©bration fastueuse qui permet alors Ă  la SĂ©rĂ©nissime RĂ©publique d’honorer la France, c’est l’ambassadeur Ă  Venise, Hamelot de la Houssaye qui commande Ă  Rovetta, la matière d’une messe de cĂ©lĂ©bration, point d’orgue de 4 jours de fĂŞtes. Ainsi se cristallise les liens privilĂ©giĂ©s entre les deux nations les plus raffinĂ©es alors : France et Venise ; Ă©changes fructueux oĂą progressivement les VĂ©nitiens Ă©duquent le goĂ»t du Roi (Louis XIV) – et concrètement dans l’acquisition progressive d’un style français : c’est encore un VĂ©nitien Cavalli qui sera invitĂ© Ă  Paris pour cĂ©lĂ©brer l’autre Ă©vĂ©nement dynastique liĂ© Ă  la vie du Roi-Soleil, son mariage… en 1660 (composition d’un nouvel opĂ©ra : Ercole Amante, reprĂ©sentĂ© devant la Cour, dans le cadre des festivitĂ©s organisĂ©s par Mazarin). avant Ercole Amante, Cavalli avait reprĂ©sentĂ© Ă  Paris, son ancien ouvrage Xerse, novembre 1660- acclimatĂ© au goĂ»t français (rĂ´le titre pour baryton, en conformitĂ© avec l’image royale)… C’est dire l’influence de Venise et de l’opĂ©ra vĂ©nitien dans la conception de la tragĂ©die en musique française, inventĂ©e par Lully en 1673.

La richesse des effets spatialisés, le jeu savant et naturel des voix mêlées aux instruments font s’élever le recueillement jusqu’à l’extase, en une suavité collective qui passe aussi par une très convaincante articulation du texte. Retenez donc le nom de ce nouvel ensemble « spécialisé » dans l’interprétation du baroque italien : Galilei Consort… A suivre.

CD, compte rendu critique. Giovanni Rosetta (1596-1668) : Messe pour la naissance de Louis XIV. Gabrielli, Rosetta, Rigatti, Monteverdi, Bassano… Galilei Consort. Benjamin ChĂ©nier, direction (1 cd Alpha 965, collection “Château de Versailles”) — enregistrement rĂ©alisĂ© en dĂ©cembre 2015 Ă  Versailles.

Détail du programme de la Messe inédite de Rosetta, Venise, 1638 :
Galilei Consort, direction : Benjamin Chénier

Intrada

Giovanni Rovetta (1596-1668)
Kyrie (Venise, 1639)
Gloria (Venise, 1639)

Giovanni Antonio Rigatti (1613-1648)
Canzona Ad Graduale (Venise, 1640)

Giovanni Rovetta
Pulcra (Venise, 1625)
Credo (Venise, 1639)
Salve Regina (Venise, 1626)

Giovanni Antonio Rigatti
Sanctus (Venise, 1640)

Anonyme
Sonata per l’Evatio

Giovanni Antonio Rigatti
Agnus dei (Venise, 1640)

Claudio Monteverdi (1567-1643)
Christe adoramus te (instrumental, Venise,1620)
Adoramus te Christe (Venise, 1620)

Giovanni Rovetta
In Caelis Hodie (Venise)
Bassano, Venezia 1599
Omnes gentes plaudite manibus

CD, compte rendu critique. 7 Peccati Capitali. Capella Mediterranea, Leonardo Garcia Alarcon (1 cd Alpha)

alarcon cd capella mediterranea cd 7 peccati review critique complete CLIC de CLASSIQUENEWSCONTRASTES DES PASSIONS PROJETEES & DECLAMEES… Dès le premier air (duo Poppea et son nourrice Arnalta extrait de l’Incoronazione di Poppea) tout est dit et tout est magistralement annoncĂ© dans un contraste des passions fiĂ©vreusement articulĂ© (d’un dramatisme ardent, linguistiquement rĂ©jouissant): arrogance de l’amoureuse certaine d’ĂŞtre protĂ©gĂ©e par le destin  (Amour et Fortune) Ă  laquelle s’oppose les craintes de sa nourrice inquiète quant Ă  la sagesse de sa jeune maĂ®tresse… soupçons vains dans l’opĂ©ra de Monteverdi car toute l’action y cĂ©lèbre la rĂ©ussite arrogante de la jeune aimĂ©e de Neron jusqu’Ă  la pourpre impĂ©riale : amor vincit omnia et le dĂ©sir de jouissance Ă©crase tout (mĂŞme surenchère lascive dans l’autre duo fragment du mĂŞme opĂ©ra : l’Incoronazione fusionnant avec une mĂŞme ivresse sensorielle entre Nerone / Lucano  (illustrant l’avarice).

Mariana Flores, nouvelle sirène cavallienneSoulignons de part en part cette savoureuse opposition parfois mĂŞme trucculente par une rageuse plasticitĂ© du verbe ici dramatique et très projetĂ©e  : l’excellent Emiliano Gonzalvez Toro se montre Ă  la hauteur du redoutable rĂ©cit accompagnĂ© oĂą chant vocal et instrumental Ă  part Ă©gal doivent ĂŞtre ciselĂ©s en une prière ardente et mordante qu’expose idĂ©alement l’air d’Orfeo  (Ă©vocation de la CharitĂ© plage 12) : le tĂ©nor au mĂ©dium barytonant projette avec intensitĂ© et vrai souffle la langue musicale ; rĂ©alisant ce geste vocal en un chant inspirĂ© par l’humaine prière;  sa tendresse mesurĂ©e, nuancĂ©e, tempère l’excès d’intonation que ses partenaires parfois outrepassent vers une fureur privilĂ©giĂ©e au dĂ©triment de phrasĂ©s totalement subtils. VoilĂ  notre seule rĂ©serve d’un collectif dans les airs lyriques idĂ©alement articulĂ©s et caractĂ©risĂ©s : leur approche manque dans les madrigaux choisis, cette attĂ©nuation intĂ©rieure, si bĂ©nĂ©fique qui a fait toute la grâce de la plus rĂ©cente intĂ©grale des Livres de madrigaux de Monteverdi dĂ©fendu par le plus allusif Paul Agnew, complice et maĂ®tre d’ouvrage pour cette intĂ©grale des Arts Florissants.
Ici, les somptueux solistes rĂ©unis pour l’Ă©blouissement du Livre III  (plage 13 : “Vattene pur, crudel” ) certes ne manquent pas d’individualitĂ© mais il leur manque cette Ă©coute spĂ©cifique oĂą toutes les voix s’accordent et s’enivrent littĂ©ralement au service de l’Ă©toffe linguistique. Ainsi, en une théâtralitĂ© trop superficielle, tout y est souvent forcĂ©, sans cette interrogation profondeur et mystĂ©rieuse qui est la clĂ© des grands Monteverdiens. alarcon leonardo garcia maestro concert review annonce concert classiquenewsL’expressivitĂ© ardente ne fait pas tout. Tout cela n’Ă´te rien de l’engagement premier de tous : mais les qualitĂ©s exposĂ©es sont par ailleurs si nombreuses que l’on souhaitait le meilleur et mĂŞme l’excellence : Leonardo Garcia Alarcon difffuse une furiĂ  Ă©ruptive, indiscutable, pourtant souvent trop soulignĂ©e dont l’intensitĂ© confine Ă  la prĂ©cipitation (dernière partie d’Altri Canti d’Amor : plus projetĂ©e et dĂ©clamĂ©e que rĂ©ellement inspirĂ©e et nuancĂ©e); pour nous ce canto teatrale ou secunda prattica – qui ne doit jamais sacrifier le verbe, travail d’un Monteverdi idĂ©alement inspirĂ©, Ă©gale en finesse requise et technicitĂ© – prĂ©cisĂ©ment: agilitĂ© et prĂ©cision des vocalisations-, ce bel canto bellinien, rĂ©fĂ©rence absolue du chanteur…

VocalitĂ  du verbe dramatique
1001 accents de Cappella Mediterranea

Dans les  faits, tout le programme est globalement jubilatoire par son énergie, son relief expressif, finement structuré par le jeu des contrastes passionnels, moralement enviables ou condamnables : le titre l’annonce : 7 peccati capitale / 7 péchés capitaux, soit un théâtre des vertus et des vices intelligemment orchestrés.

Ici au dĂ©but du voyage, toute Ă  son espĂ©rance et Ă  sa certitude de favorite confirmĂ©e, PoppĂ©e jubile d’un sentiment vertueux et adorable qui fait oublier le propos  outrageusement cynique, presque Ă©coeurant de tout l’ouvrage de 1642, la dernier opĂ©ra de Monteverdi Ă  Venise.
Pour rompre cet Ă©lan du dĂ©sir obscène, Leonardo Garcia Alarcon place Ă  sa suite l’Ă©clat intime de la prodigalitĂ© telle qu’elle surgit incandescente et d’une sobre articulation du “Si dolce è’l tormento”, extrait du Quarto scherzo delle ariose vaghezze  (Venise 1624). La constance et la fidĂ©litĂ© qui Ă©manent du chant tout en simplicitĂ© et prĂ©cise articulation de Marianna Flores, soulignent l’intensitĂ© et pourtant la pudeur d’une prière oĂą le chant amoureux ne cesse d’affirmer une fidĂ©litĂ© inexorable et sublime Ă  force de sacrifice et de contrĂ´le.

Ainsi tout le programme est-il idĂ©alement contrastant,  composant une carte des passions contraires, oĂą chaque extrait monteverdien revĂŞt un sens spĂ©cifique offrant une claire et Ă©loquente dĂ©monstration des vices les plus emblĂ©matique de l’espèce humaine soit les 7 pĂ©chĂ©s capitaux : prĂ©cisĂ©ment, paresse  (deux soldats tirĂ©s du sommeil au dĂ©but de l’Incoronazione) ; envie  (acte I d’Ulisse); puis orgueil, avarice, gourmandise, luxure et colère  (ces deux derniers sont tirĂ©s des Livres IV et III de madrigaux). Chaque sĂ©quence parfaitement sĂ©lectionnĂ©es illustre avec une exceptionnelle plasticitĂ© linguistique et instrumentale, l’Ă©nergie passionnelle en jeu. Les solistes sont tous engagĂ©s et souvent Ă©lectrisĂ©s par un chef prĂ©occupĂ© par le relief de chaque rĂ©citatif  (saisissant duo fĂ©minin de la ChastetĂ© oĂą dans l’extrait du VIII ème Livre de madrigaux, les deux cantatrices comme en urgence projettent le texte moralisateur d’un amoureux transi qui canalise tout dĂ©sir au prix d’une indicible souffrance : langueur et hallucination diffusent leur pouvoir exemplaire.
L’auditeur aura donc compris le jeu d’une rhĂ©torique en rĂ©sonance : Ă  chaque pĂ©chĂ© capital  (illustrĂ© par une sĂ©quence extraite d’un opĂ©ra, Poppea et Ulisse principalement ou d’un madrigal),  rĂ©pond une qualitĂ© morale contraire; ainsi au fil des alternances embrasĂ©es s’imposent espĂ©rance et prodigalitĂ© en ouverture puis chastetĂ©, humilitĂ©, tempĂ©rance, charitĂ© et enfin courage qui clĂ´t le programme.

Parmi les accents d’un cycle hautement théâtral qui rend hommage au gĂ©nie lyrique de Monteverdi : soulignons la parfaite perversitĂ© du Nerone agile, expressivement juste du jeune haute contre amĂ©ricain Christopher Lowrey;  la gouaille sensuelle des deux tĂ©nors superbe diseurs impliquĂ©s : Mathias Vidal et Emiliano Gonzalez-Toro  (duo lascif de L’avarice, – dĂ©jĂ  citĂ©, extrait de L’Incoronazione /  Nerone et Lucano, vĂ©ritable extase Ă  deux voix viriles).

leonardo garcia alarcon capella mediterranea cavalli review critique cd Cavalli classiquenewsPLASTIQUE ARDEUR DU CHANT MONTEVERDIEN… Dans ce programme théâtral, Leonardo Garcia Alarcon redouble de plasticitĂ© expressive,  affirmant en particulier une surenchère dĂ©lectable dans le style langoureux lascif;  les qualitĂ©s du chef baroque jouant du relief des contrastes Ă©motionnels parfaitement structurĂ©s, soigne aux cĂ´tĂ©s d’un continuo toujours raffinĂ©, l’articulation palpitante du verbe;  lui rĂ©pondent en cela tous les chanteurs, tous parmi les meilleurs solistes actuels que la notion d’expression linguistique concerne particulièrement ; les habituels partenaires de Cappella Mediterreanea, tels la soprano Mariana Flores  (Ă  la ville Ă©pouse du maestro), ou Emiliano Gonzalez-Toro;  tout autant ardent et habitĂ©s par une fièvre rare : Mathias Vidal sans omettre les deux  jeunes tempĂ©raments  de plus en plus convaincants au fil du voyage : Francesca Aspromonte et Christopher Lowrey.

CLIC_macaron_2014En accordant la vitalitĂ© de chaque soliste au flux et reflux d’un tissu instrumental des plus opulents, Leonardo Garcia Alarcon confirme sa flamboyante capacitĂ© Ă  caractĂ©riser chaque figure en situation, portĂ© par un instrumentarium idĂ©alement souple et investi. Après son rĂ©cent double album dĂ©diĂ© aux Heroines du Baroque VĂ©nitien – majoritairement consacrĂ© aux opĂ©ras de Cavalli, le meilleur Ă©lève de Monteverdi, le chef poursuit ainsi son exploration de l’opĂ©ra vĂ©nitien avec une gourmandise Ă©loquente ; Ă  suivre encore… en ce mois de septembre 2016 oĂą chef et instruments Ă©lectrisĂ©s souhaitons-le, se retrouvent dans la fosse de l’OpĂ©ra Garnier Ă  Paris pour la rĂ©crĂ©ation d’un opĂ©ra jamais jouĂ© du vivant de Francesco Cavalli : Eliogaballo. … autre gĂ©nie de l’opĂ©ra vĂ©nitien et ici tout autant engagĂ© dans la rhĂ©torique des passions humaines. De sorte qu’aujourd’hui, il n’est pas d’autres meilleurs interprètes des passions vĂ©nitiennes que les musiciens de Capella Mediterranea.

CD, compte rendu critique. 7 Peccati Capitali. Capella Mediterranea, Leonardo Garcia Alarcon (1 cd Alpha). CLIC de CLASSIQUENEWS de septembre 2016.

APPROFONDIR : LIRE notre compte rendu critique complet du double cd HĂ©roĂŻnes du Baroque VĂ©nitien, opĂ©ras de Cavalli (extraits) par Cappella Mediterranea, Leonardo Garcia Alarcon (2 cd Ricercar, CLIC de CLASSIQUENEWS d’octobre 2015)

 

CD, compte rendu critique. HAYDN 2032 : Il Giardino Armonico. Giovanni Antonini (1 cd Alpha — 2015)

haydn-2032-solo-e-pensoso-il-giardino-armonico-francesca-aspromonte-cd--alpha-review-compte-rendu-critique-cd-CLIC-de-classiquenews-juillet-2016CD, compte rendu critique. HAYDN 2032 : Il Giardino Armonico. Giovanni Antonini (1 cd Alpha — 2015). SUPERBE PROGRAMME HAYDNIEN. Haydn devient un dĂ©fi nouveau pour tous les ensembles sur instruments d’Ă©poque : c’est que la vivacitĂ© Ă©lĂ©gantissime et souvent facĂ©tieuse, brillante mais hyper subtile de l’Ă©criture haydnienne est aussi un formidable champs d’expĂ©rimentation pour les couleurs instrumentales, dĂ©fi Ă  relever entre autres, pour toute formation digne de ce nom, outre l’articulation et la prĂ©cision rythmique requises. Chaque orchestre souhaite tĂ´t ou tard revenir Ă  Haydn, source inĂ©puisable du classicisme viennois. Tous les chefs depuis Norrington, BrĂĽggen, ou le plus rĂ©cent Ottavio Dantone (LIRE la critique complète du rĂ©cent coffret Decca de l’intĂ©grale Haydn sur instruments d’Ă©poque, CLIC de classiquenews de juin 2016) cherchent le bon tempo, la pulsation heureuse, Ă  la fois vibrante et mordante, mais jamais creuse, la juste palette de couleurs justement ; le geste prĂ©cis et ciselĂ©, Ă  la fois profond, fluide et surtout très expressif.
antonini giovanni portrait_antoniniCLIC_macaron_2014Dans ce programme, la sĂ©lection retenue par le chef d’Il Giardino Armonico donne raison au maestro Giovanni Antonini, sa sensibilitĂ© poĂ©tique et dramatique, soucieuse de cohĂ©sion comme de contrastes : le nerf, la subtilitĂ© des nuances rĂ©alisĂ©es, la vitalitĂ© gĂ©nĂ©rale aux cĂ´tĂ©s de l’opulence sonore et la sĂ»retĂ© expressive de chaque instrumentiste font toute la valeur de ce Haydn, digne crĂ©ateur Ă  la fois classique aux cotĂ©s de Mozart, et dĂ©jĂ  romantique en bien des aspects – sturm und drang du largo d’ouverture de L’Isola disabitata Hob XVIII:9 : comme dans la Symphonie n°42, chef et instrumentistes se dĂ©lectent Ă  ciseler chaque sĂ©quence en une urgence souple et justement expressive. Ce travail du dĂ©tail et aussi de l’architecture dramatique d’ensemble est superlatif : rien de pompeux, ni de creux, mais au contraire une vitalitĂ© qui fait jaillir pour chaque sĂ©quence, une vĂ©ritĂ© de l’instant, idĂ©ale et prenante. La Symphonie n°64 regorge de saine allure rythmique qui Ă©blouit dans le menuet, entre autres, avec en prime propre aux instrumentistes italiens, cette âpretĂ© mesurĂ©e, d’une finesse souple admirablement canalisĂ©e. Distinguons ce lâcher prise de l’excellente corniste Anneke Scott (la musicalitĂ© incarnĂ©e), soliste superlative qui vient d’ailleurs de participer Ă  la rĂ©ussite de la rĂ©cente tournĂ©e de la Messe en si mineur de JS Bach sous la direction de William Christie Ă  Cuenca, Barcelone, Leipzig entre autres en juin 2016. Son niveau atteste aujourd’hui de l’exceptionnelle maĂ®trise sur instrument ancien, y compris les cuivres d’Ă©poque, pourtant si dĂ©licats Ă  contrĂ´ler…

 

 

 

De Pétrarque au Sturm un Drang
Antonini signe un Haydn éclectique, génial, inspirant

 

 

aspromonte francesca soprano haydn penso solo haydn 2032 portrait_aspromonteDonnant son sous-titre Ă  l’album, l’air Solo e pensoso hob XIV B:20 est un chef d’oeuvre de mesure intĂ©rieure, c’est Ă  dire d’Ă©quilibre proprement viennois, comme un crĂ©puscule d’une ivresse enchantĂ©e. La voix de la claire et subtile soprano Francesca Aspromonte (nĂ©e en 1991) en cisèle vocalement chaque arĂŞte vive, chaque Ă©clat d’un texte qui rappelle combien tout marcheur en pleine nature fut-il solitaire et recueilli, ne peut que reconnaĂ®tre la silencieuse comprĂ©hension de la nature, miroir et Ă©cho naturel de ses tourments amoureux. Une rĂ©flexion musicale qui dĂ©bute introspective et sereine puis se dĂ©ploie en un ravissement plus conquĂ©rant et brillant, motif d’une virtuositĂ© Ă©lĂ©gantissime pour la soliste. Les qualitĂ©s de naturel et d’articulation de la soprano confirment ici notre impression dans un prĂ©cĂ©dent album, oĂą elle participait Ă  un cycle nouveau de rĂ©surrection dĂ©diĂ© aux oratorios de Stradella (LIRE notre critique complète du cd Santa Editta de Stradella, CLIC de classiquenews de mai 2016).
La Symphonie n°4 qui conclue le programme souligne ce parfum d’Ă©loquence lĂ©gère voire d’insouciance bien Ă©loignĂ© des contrastes plus dramatiques et tendus des 42 et 64. La souplesse que parviennent Ă  dĂ©ployer et colorer chef et instrumentistes convainc totalement. En somme, Giovanni Antonini aux cĂ´tĂ©s d’Ottavio Dantone s’affirme comme un Haydnien de premier ordre. VoilĂ  qui augure de belles rĂ©alisations Ă  venir puisque ce volume s’inscrit dans un cycle plus vaste dĂ©diĂ© Ă  Haydn, et intitulĂ© “Haydn 2032″. Volet majeur d’une collection thĂ©matique Ă  suivre dĂ©sormais pas Ă  pas sur classiquenews. Alpha annonce en effet une intĂ©grale Haydn par Giovanni Antonini, d’ici 2032, annĂ©e faste qui marquera les 400 ans de la naissance du compositeur.

 

 

CD, compte rendu critique. HAYDN 2032 : Il Giardino Armonico. Giovanni Antonini (1 cd Alpha — 2015)

 

 

CD, compte rendu critique. Mozart : L’Enlèvement au sĂ©rail (JĂ©rĂ©mie Rhorer, Jane Archibald, septembre 2015 – 2 cd Alpha)

mozart die entfuhrung aus dem serail cercle de l harmonie jeremie rhorer cd outhere presentation review critique CLASSIQUENEWS mai juin 2016CD, compte rendu critique. Mozart : L’Enlèvement au sĂ©rail (JĂ©rĂ©mie Rhorer, Jane Archibald, septembre 2015 – 2 cd Alpha). Sous le masque lĂ©ger, exotique d’une turquerie créée Ă  Vienne en 1782, se prĂ©cise en vĂ©ritĂ© non pas la confrontation de l’occident versus l’orient, occidentaux prisonniers, esclaves en terres musulmanes, mais bien un projet plus ample et philosophique : la lutte des fraternitĂ©s contre le despotisme et la barbarie cruelle (la leçon de clĂ©mence et de pardon dont est capable Pacha Selim en fin d’opĂ©ra reste de nos jour d’une impossible posture : quels politiques de tout bord est-il capable de nos jours et dans le contexte gĂ©opolitique qui est le nĂ´tre, d’un tel humanisme pratique ?). Cette fraternitĂ©, ce chant du sublime fraternel s’exprime bien dans la musique de Mozart, avant celle de Beethoven.

rhorer jeremie enlevement au serail mozart tce jane archibaldD’AIX A PARIS… de la scène lyrique au théâtre sans dĂ©cors. A Aix prĂ©alablement et dans la rĂ©alisation scĂ©nique de l’autrichien Martin Kusej (non pas allemand comme on le lit habituellement), cet Enlèvement, retransposĂ© sans maquillage et en rĂ©fĂ©rence direct aux Talibans et Ă  Daech avait marquĂ© les esprits de l’Ă©tĂ© 2015, par sa radicalitĂ© souvent brutale (des textes réécrits, donc actualisĂ©s, et parfois, une foire confuse aux actualitĂ©s contemporaines) dĂ©naturant cependant l’Ă©lĂ©gance profonde du Mozart originel. C’Ă©tait de toute Ă©vidence exprimer l’acuitĂ© polĂ©mique brĂ»lante de l’opĂ©ra de Mozart, tout en lui Ă´tant sa part d’onirisme, de rĂŞve Ă©perdu. Presque un an plus tard, le disque sort et avec lui, la magie de la direction musicale et des incarnations vocales, alors saisies sur le vif en un concert sans mise en scène, au TCE Ă  Paris en septembre 2015 : le rĂ©sultat est au delĂ  de nos attentes, et rĂ©vèle l’engagement irrĂ©sistible du chef quadra JĂ©rĂ©mie Rhorer. Sans les images (et la vacuitĂ© anecdotique de la mise en scène aixoise), la force et la grandeur de la musique nous Ă©claboussent Ă  plein visage (ou pleine oreille). Alors qu’Ă  Aix, il dirigeait le Freiburger BarokOrchester, JĂ©rĂ©mie Rhorer dans ce live parisien de lĂ©gende retrouve ses chers instrumentistes, de son propre orchestre, Le Cercle de l’Harmonie. La direction fourmille d’Ă©clairs, d’Ă©clats tĂ©nus, de scintillements sourds et raffinĂ©s qui montrent combien Mozart en peintre du coeur humain est inatteignable car la grâce sincère que nous fait entendre alors JĂ©rĂ©mie Rhorer, exprime au plus près le gĂ©nie de l’Ă©ternel Wolfgang : une langue qui parle l’ivresse et le dĂ©sir des cĹ“urs, l’aspiration Ă  cet idĂ©al fraternel qu’incarne toujours, le pacte libertaire du quatuor Belmonte/Constanze, Pedrillo/Blonde. La vitalitĂ© continuement juste de l’orchestre saisit de bout en bout. Et depuis Aix, le chef retrouve Ă  Paris les chanteurs du Quatuor : Norman Reinhardt / Jane Archibald, David Portillo / Rachele Gilmore… AssurĂ©ment son carrĂ© d’as, tout au moins pour les 3 derniers, d’une suprĂŞme vĂ©ritĂ©.

De quoi s’agit-il prĂ©cisĂ©ment ? Formidable profondeur et jutesse poĂ©tique ce dès l’ouverture qui tout en Ă©grennant Ă  la façon d’un pot-pourri, les motifs les plus essentiels de l’action qui va suivre, dĂ©voile la saisissante fluiditĂ© Ă©nergique du seul vĂ©ritable acteur : l’orchestre Le Cercle de l’Harmonie ; les instrumentistes dĂ©ploient et diffusent une rondeur suractive que le chef sait ciseler et exploiter jusqu’Ă  la fin en une Ă©nergie rĂ©ellement irrĂ©sistible, live oblige. L’attention de JĂ©rĂ©my Rhorer est de chaque instant, d’une finesse dramatique, qui bascule vers l’intĂ©rioritĂ©, rendant compte de tous les accents, nuances, couleurs, chacun exprimĂ© par leur charge Ă©motionnelle, prĂ©cisĂ©ment calibrĂ©e. C’est d’autant plus juste pour un ouvrage qui reste du cĂ´tĂ© de l’espĂ©rance et de la force des opprimĂ©s. L’amour reconstruit une espĂ©rance humaine contre la barbarie d’un emprisonnement arbitraire. D’emblĂ©e, La vitalitĂ© des caractères s’affirme : la Blonde de Rachele Gilmore a certes une voix petite, parfois tirĂ©e mais elle demeure très engagĂ©e et Ă  son aise d’un chant affĂ»tĂ©, vif argent, fragile mais tenance.

 

Saisi sur le vif en septembre 2015, L’Enlèvement au sĂ©rail de JĂ©rĂ©mie Rhorer confirme la direction du maestro français;

Live captivant au diapason du sentiment,
Justesse de l’orchestre, palpitation des femmes

 

 

archibald janePar ses 3 grands airs, la soprano en vedette (“La Cavalieri” – Caterina Cavalieri, Ă  l’Ă©poque de Mozart) peint très subtilement le portrait d’une femme amoureuse : Constanze, affligĂ©e mais digne. C’est d’abord solitude et fragilitĂ© de l’ĂŞtre dĂ©semparĂ© (seule mais pas dĂ©munie : premier air “Durch Zärlichkeit…” acte I) bientĂ´t gagnĂ©e par l’esprit de rĂ©sistance, la lumière des justes contre l’oppression et la torture… (grand air quasi de concert, de forme fermĂ©e : “Martern aller Arten“…, le pivot dramatique du II, magnifiquement portĂ© par l’engagement incarnĂ© de la soprano Jane Archibald qui chante toutes les variations : saluĂ©e Ă  ses dĂ©buts français Ă  Nantes dans un somptueux et onirique (voire vaporeux) Lucio Silla, la soprano captive par la vĂ©ritĂ© de son chant impliquĂ©, intense, qui s’expose sans rĂ©serve pour tenir fièrement malgrĂ© la violence de son geĂ´lier, Selim : en elle, pointe la noblesse hĂ©roĂŻque de la future Fiordiligi, cĹ“ur ardent, âme inflexible de Cosi fan tutte : une vraie rĂ©sistante prĂŞte Ă  mourir (duo final avec Belmonte, oĂą les deux amants se croient condamnĂ©s sans perdre leur courage). Saluons surtout chez Archibald, le caractère de la souffrance aussi, cultivant le lugubre saisissant (prĂ©sence de la mort), dans les colonnes des bois, aux lueurs maçonniques telles qu’elles scintilleront 9 ans après L’Enlèvement, dans La FlĂ»te enchantĂ©e (1791) oĂą Ă  la solitude de Constanze rĂ©pond, comme sa sĹ“ur en douleur, la prière de Pamina…

Sommets dramatiques  Sturm une Drang… Au cours de l’enchaĂ®nement des actes I puis II, qui fait se succĂ©der les deux airs si dĂ©cisifs de Contanze, l’orchestre et sa sculpture instrumentale si bien affĂ»tĂ©e dessinent en contrepoint de la sensibilitĂ© radicale de la jeune femme, un climat tendu et raffinĂ©, d’essence Sturm und Drang, tempĂŞte et passion effectivement-, dont les Ă©clairs et tonnerre Ă©motionnels sont d’autant plus renforcĂ©s par contrastes / renfort que la succession des sĂ©quences du I au II, alors, oppose le cĹ“ur noble mais indĂ©fectible de Constanze Ă  la fureur Ă©lectrique (hystĂ©rique animale) du Pacha, puis de la non moins intense confrontation Pedrillo / Osmin. Terrifiante confrontation des ĂŞtres en vĂ©ritĂ©. Il n’est que la tendresse plus insouciante de Blonde (air d’une fĂ©minitĂ© angĂ©lique aĂ©rienne : “Durch Zärlichkeit...” qui ouvre le II). Et Ă  travers les confrontations occidentaux / musulmans, l’exhortation au dĂ©passement des rivalitĂ©s, par l’amour et par la clĂ©mence prĂ©cise, suprĂŞme leçon d’humanisme, l’espĂ©rance de la musique de Mozart, sublime par la justesse de son invention. On aura rarement Ă©coutĂ© pareille rĂ©alisation associant chant des instruments, prières vocales.

 

Moins convaincant reste Norman Reinhardt : il ne donne aux soupirs de Belmonte amoureux, qu’un chant moins propre, contournĂ©, assez imprĂ©cis, souvent maniĂ©rĂ©, moins percutant que le brio de ses partenaires, voire carrĂ©ment gras et Ă©pais (Wenn der Freude Tränen fliessen… escamotĂ© par un manque persistant de simplicitĂ©).

David_Portillo_High_Res_4_credit_Kristen_HoebermannAu III, la prĂ©paration de l’Ă©vasion / enlèvement pilotĂ© par l’ingĂ©nieux Pedrillo (excellent et racĂ© David Portillo), puis l’enlèvement proprement dit (In Mohrenland entonnĂ© sur un orchestre guitare aux pizzicati enchanteurs…), forment des ensembles triomphants comme une dĂ©licieuse marche militaire, qui dit la certitude et la complicitĂ© solidaire des prisonnières et de leurs libĂ©rateurs inespĂ©rĂ©s…. tout cela est toujours portĂ© par l’ivresse et une frĂ©nĂ©sie scintillante Ă  l’orchestre d’une activitĂ© prodigieuse ; JĂ©rĂ©mie Rhoroer laisse chaque accent de cette humanitĂ© exaltĂ©e, respirer, s’Ă©panouir avec une classe magistrale.
La vision du chef organise et Ă©difie peu Ă  peu tout ce que la mise en scène aixoise n’atteignait que rarement : le formidable Ă©lan progressif qui en fin d’action aiguise le dernier chant mozartien ; fustigeant les haineux caricaturaux (Osmin et sa cruautĂ© sadique), sublimant la lyre Ă©perdue, mais tristement non triomphante du dernier ensemble oĂą chacun dit sa libertĂ©, avant d’ĂŞtre probablement Ă©gorgĂ© par le bourreau qui mĂŞme s’il en est le serviteur, passe outre la clĂ©mence proclamĂ©e de son maĂ®tre. Saisissante perspective.

TRAVAIL D’ORCHESTRE. L’enregistrement live de septembre 2015 suit les reprĂ©sentations scĂ©niques aixoises de juillet prĂ©cĂ©dent, ainsi l’on peut dire donc (et constater que Rhorer possède son SĂ©rail : tout cela coule dans ses doigts et jusqu’Ă  l’extrĂ©mitĂ© de sa baguette, offrant une leçon de direction fluide, raffinĂ©e, prĂ©cise et vivante, Ă©tonnamment active et suggestive, imaginative, naturelle, vrai miroir des sentiments sous-jacents. En rĂ©alitĂ©, la valeur de ce coffret d’autant plus attendu que le moment du “concert” Ă  Paris avait marquĂ© les esprits, confirme l’impression du public de ce 21 septembre 2015 : le chant de l’orchestre – des instruments d’Ă©poque, rĂ©tablit la proportion originelle de la sensibilitĂ© mozartienne, oĂą chaque phrase instrumentale, qu’il s’agisse des solos piano ou des tutti rugissants orientalisants, s’accorde naturellement Ă  la voix humaine, dont la vĂ©ritĂ© et la sincĂ©ritĂ© sont constamment prĂ©servĂ©s. Le sommum Ă©tant atteint ici dans les Ă©pisodes oĂą les trois meilleurs chanteurs donnent tout, en complicitĂ© avec un orchestre ciselĂ©, dramatiquement superbe et parfaitement canalisĂ© : Jane Archibald (Constanze troublante), David Portillo (Pedrillo ardent, ingĂ©nieux, tendre), Mischa Schelomianski (Osmin noir et barbare) fusionnent en sensibilitĂ© sur le tapis orchestral… La rĂ©alisation voix / orchestre tient du prodige et, sous la coupe sensible, fièvreuse du chef JĂ©rĂ©mie Rhorer, confirme (s’il en Ă©tait encore besoin), l’irresistible poĂ©sie expressive des instruments d’Ă©poque. C’est dit dĂ©sormais : plus de Mozart sans instruments d’Ă©poque, ou alors avec intĂ©gration totale du jeu “historiquement informĂ©”. La corde du sentiment y vibre dans toute sa magicienne vĂ©ritĂ©. Magistral. Un must absolu Ă  Ă©couter et réécouter sur les plages de cet Ă©tĂ© 2016.

 

 

 

CLIC-de-classiquenews-les-meilleurs-cd-dvd-livres-spectacles-250-250CD, compte rendu critique. Mozart : L’Enlèvement au sĂ©rail. Jane Archibald, David Portillo, Rachele Gilmore, Mischa Schelomianski, … Le Cercle de l’Harmonie. JĂ©rĂ©mie Rhorer, direction. Live rĂ©alisĂ© Ă  paris au TCE en septembre 2015 – 2 cd Alpha, collection “Théâtre des Champs ElysĂ©es”). CLIC de CLASSIQUENEWS de juin 2016.

 

 

CD. JS BACH : Le Clavier bien tempéré. Céline Frisch (2 cd Alpha)

frisch celine js bach clavier bien tempere cd critique review classiquenews compte rendu 5620beaea5f57CD. JS BACH : Le Clavier bien tempĂ©rĂ©. CĂ©line Frisch (2 cd Alpha). 15 ans après ses Variations Goldberg (1999), CĂ©line Frisch rempile confrontĂ©e Ă  la complexitĂ© et l’hĂ©donisme textuel du Clavier bien tempĂ©rĂ©, -somme conceptuelle, formelle, esthĂ©tique et aussi didactique, emportĂ© ici avec une Ă©vidente facilitĂ© technique. Le digitalitĂ© percutante et vive, voire acĂ©rĂ©e de la claviĂ©riste rend justice Ă  l’Ĺ“uvre de Bach, en particulier en soignant l’arĂŞte brĂ»lante du rythme, nerf de tout l’Ă©difice en particulier dans ses sĂ©quences fuguĂ©es. C’est un Bach moins thĂ©oricien du contrepoint que formidable fĂ©lin percussif qui est argumentĂ© et prĂ©cisĂ© ici dans une lecture agile, efficace, qui joue astucieusement du sablier. En injectant dans chaque partie / ligne du chant rhĂ©torique, le nerf et l’acuitĂ© expressive spĂ©cifique, CĂ©line Frisch parcourt l’ensemble des Ă©pisodes avec une versatilitĂ© continĂ»ment caractĂ©risĂ©e ; parfois bavarde mais toujours animĂ©e. D’une inĂ©puisable verve qui relance les accents d’un geste surtout bondissant, l’interprète affirme au delĂ  des rĂ©serves et critiques sur son style, un tempĂ©rament bien trempĂ©; ce Clavier n’a au fond rien de “tempĂ©rĂ©” : il rĂ©sume toutes les possibilitĂ©s, expressives, poĂ©tiques, d’un Bach gĂ©nial, inatteignable, dont la pensĂ©e universelle, pense la totalitĂ© de la musique depuis sa syntaxe au clavecin : c’est de toute Ă©vidence une lecture Ă  connaĂ®tre pour tout ceux qui douterait encore que le Clavier bien tempĂ©rĂ© s’Ă©carte d’un théâtre des passions mesurĂ©es. Le feu continu de Frisch dĂ©ment une partition que l’on a tendance Ă  dĂ©jĂ  trop musĂ©aliser au dĂ©triment de la diversitĂ© des approches.

 

 

 

 

 

CD. JS BACH (1685-1755): Le Clavier bien tempĂ©rĂ©, Livre I. CĂ©line Frisch, clavecin (copies d’après modèles allemands de Anthony Sidey) 2 cd Alpha, enregistrĂ© en octobre 2014. DurĂ©e : 1h42.

 

 

CD, compte rendu critique. Leclair : Scylla & Glaucus (d’Hérin, 2014, 3 cd Alpha)

leclair cd glaucus et scylla sebastien d herin les nouveaux caracteres cd review cd critique compte rendu classiquenews decembre 2015CD, compte rendu critique. Leclair : Scylla  & Glaucus (d’HĂ©rin, 2014, 3 cd Alpha). Sommet du tragique baroque français, Glaucus de Leclair  (1746) affirme au cĂ´tĂ© de Rameau un gĂ©nie dramatique puissant qui s’affirme surtout par le souffle symphonique de la partition : qu’il s’agisse de l’imprĂ©cation infernale de CircĂ© dans le IV, surtout de la mort bouleversante de Scylla au V puis l’adieu dĂ©chirant des amants qui en dĂ©coule (et qui impose le triomphe final de l’enchanteresse Ă©cartĂ©e), tout conspire  pour l’Ă©mancipation exceptionnelle de la texture orchestrale car or de tout prĂ©texte chorĂ©graphique, l’orchestre nouvellement sollicitĂ© exprime la grandeur spectaculaire des Ă©lĂ©ments ou l’intensitĂ© tragique et sombre des situations psychologiques. Une telle dramatisation contrastĂ©e, resserrĂ©e, d’une cohĂ©rence impressionnante relève d’un cerveau supĂ©rieur.  Cette esthĂ©tique d’une modernitĂ© folle et impĂ©tueuse affirme Leclair comme le seul rival de Rameau. C’est dire.

Et si Scylla et Glaucus de Leclair était un chef d’oeuvre mésestimé ?

Scylla et Glaucus, l’opéra tragique et symphonique

Que pensez de l’interprétation offerte à l’Opéra royal de Versailles en novembre 2014 ? Hélas, le déséquilibre de la réalisation n’est pas à la hauteur de ce chef d’oeuvre absolu, incroyablement ignorée des salles de théâtres (comme c’est le cas aussi des opéras du génial mais minoré Rameau).

Leclair_Jean_Marie2Saluons cependant le geste impĂ©tueux et intensĂ©ment dramatique du chef des Nouveaux Caractères : la tenue des instruments se montrent Ă  la hauteur d’une partition symphonique ; en cela la lecture mĂ©rite un très bon accueil : les ballets sont finement enlevĂ©s et vifs ; les interludes, ouverture, prĂ©ludes sont intensĂ©ment suggestifs. On sera nettement plus rĂ©servĂ©s sur le travail du chĹ“ur (mou et parfois dĂ©calĂ©). De mĂŞme le plateau vocal ne dĂ©ploie pas les mĂŞmes qualitĂ©s. DĂ©ception constante pour la CircĂ© de Caroline Mutel : trop lisse et linĂ©aire dans la caractĂ©risation des Ă©pisodes, aux aigus mal tenus, vibrĂ©s, tirĂ©s, difficiles, souvent faux. Quel dommage car son rĂ´le est l’un des plus captivants et noirs du théâtre baroque : figure emblĂ©matique des personnages Ă  baguettes, sorcière amoureuse pleine de haine et de ressentiments, une entitĂ© entre la Cybèle d’Atys, et les futures MĂ©dĂ©e ou Armide brossĂ©e par Sacchini ou Cherubini, quarante ans plus tard. Mieux tenu le rĂ´le en opposition avec la chaste et pure Scylla aurait renforcĂ© l’attrait de cette version : et dans ce rĂ´le, mĂŞme si son intonation trouve de superbes accents sombres et prenants dans qu mort au V, Emöke Barath déçoit elle aussi car son français est paresseux et alĂ©atoire: une faute impardonnable pour une nouvelle lecture de Leclair.

Reste le Glaucus bien articulĂ© du tĂ©nor Anders J. Dahlin, toujours chantant et placĂ© quoique parfois sonnant petit, serrĂ© voire prĂ©cieux. Mais les petites dĂ©faillances ainsi relevĂ©es n’empĂŞchent pas de repĂ©rer ici une partition Ă©poustouflante, prenante, littĂ©ralement gĂ©niale, si bien Ă©quilibrĂ©e entre les registres dĂ©veloppĂ©s (pathĂ©tique, tragique, spectaculaire, fantastique). Un modèle d’opĂ©ra français Ă  l’époque baroque que les dĂ©fenseurs actuels et leurs programmateurs devraient replacer sous les projecteurs. Saluons donc l’audace des Nouveaux Caractères de rĂ©tablir la place et la valeur d’une oeuvre ailleurs Ă©cartĂ©e, somme somptueuse d’un auteur de 49 ans (que l’ont dit Ă  juste titre fondateur de l’Ă©cole française de violon), en son unique et splendide opĂ©ra.

CD, compte rendu critique. Leclair : Scylla & Glaucus (Sébastien d’Hérin, 2014, 3 cd Alpha)

CD, compte rendu critique. Véronique Gens : Néère, mélodies de Hahn, Duparc, Chausson (1 cd Alpha, 2015)

gens veronique melodies duparc hahn chausson alpha cd critique compte rendu review account of CLASSIQUENNEWS CLIC de classiquenews octobre 2015CD, compte rendu critique. VĂ©ronique Gens : Néère, mĂ©lodies de Hahn, Duparc, Chausson (1 cd Alpha, 2015). MaturitĂ© rayonnante de la diseuse. Le timbre s’est voilĂ©, les aigus sont moins brillants, la voix s’est installĂ©e dans un medium de fait plus large… autant de signes d’un chant mature qui cependant peut s’appuyer sur un style toujours mesurĂ© et nuancĂ©, cherchant la couleur exacte du verbe. ProphĂ©tesse d’une Ă©mission confidentielle, au service de superbes poèmes signĂ©s Leconte de Lisle, Goethe, Gautier, Louise Ackermann, Viau, Verlaine, Maurice Bouchor, Baudelaire et Banville…, VĂ©ronique Gens captive indiscutablement en diseuse endeuillĂ©e, sombre et grave, d’une noblesse murmurĂ©e et digne. L’expressivitĂ© n’est pas son tempĂ©rament mais une inclination maĂ®trisĂ©e pour l’allusion, la suggestion parfois glaçante (propre aux climats lugubres et funèbres d’un Leconte de Lisle par exemple quand il Ă©voque le marbre froid de la tombe). La nostalgie gĂ©nĂ©rale de Néère de Hahn pose d’emblĂ©e l’enjeu de ce programme façonnĂ© comme une subtile grisaille : les milles nuances du sentiment intĂ©rieur. De notre point de vue, le piano est trop mis en avant dans la prise, dĂ©sĂ©quilibre qui nuit considĂ©rablement Ă  la juste perception de la voix versus l’instrument (dĂ©sĂ©quilibre criard mĂŞme dans Trois jours de vendange d’après Daudet). De Hahn, La Gens sait exprimer l’ineffable, ce qui est derrière les mots.

1000 nuances de l’allusion vocale : la mĂ©lodie romantique française Ă  son sommet

Chez Duparc, Hahn, Chausson, Véronique Gens subjugue

En accord avec l’instrument seul, la soprano peut tisser une Ă©toffe chambriste somptueuse, feutrĂ©e, jamais outrĂ©e prĂ©cisĂ©ment chez Duparc : douceur grave de Chanson triste (mais que le piano trop mis en avant lĂ  encore perce et dĂ©chire un Ă©quilibre et une balance subtile dont Ă©tait fervente la voix justement calibrĂ©e : carton jaune pour l’ingĂ©nieur du son indĂ©licat ; une faute de goĂ»t impardonnable car aux cĂ´tĂ©s du clavier, la soprano mesure, distille cisèle), un rĂŞve vocal qui rĂ©tablit le songe du Duparc. C’est un enchantement vĂ©cu il y a longtemps dont la sensation persistante fait le climat diffus, vaporeux, brumeux (wagnĂ©rien?) de Romance de Mignon (et son apothĂ©ose du lĂ -bas d’après Goethe) oĂą la tenue et le soutien comme la couleur des sons filĂ©s rappellent une autre diseuse en Ă©tat de grâce (RĂ©gine Crespin) : quel art du tissage de la note et du verbe habitĂ©, hallucinĂ©, poĂ©tique. EnivrĂ©e, intacte malgrĂ© la perte, l’Ă©vocation elle aussi endeuillĂ©e nostalgique de PhidylĂ© (1882) dĂ©ploie sa robe caressante et voluptueuse grâce au medium crĂ©meux, rond, repliĂ© et enfoui de la voix melliflu qui appelle Ă  la paix de l’âme : voici assurĂ©ment le sommet de la mĂ©lodie romantique française, Ă©cho original du Tristan wagnĂ©rien, une rĂ©sonance extatique d’une subtilitĂ© enivrante.

Leconte de Lisle, magicien fantastique et dĂ©jĂ  symboliste, fait le lien entre le texte de ce Duparc et la première mĂ©lodie des 7 de Chausson qui suivent : le chant est embrasĂ© et hallucinĂ©, bien que perdant parfois la parfaite lisibilitĂ© des voyelles – problème rĂ©gulier pour les voix hautes, mais l’intelligence dans l’articulation Ă©motionnelle des vers oscille entre prĂ©cision, allusion, incantation. La tension des Ă©vocations souvent tristes et mĂŞme dĂ©pressives trouve dans la SĂ©rĂ©nade italienne d’après Paul Bourget, une liquiditĂ© insouciante soudainement rafraĂ®chissante.

CLIC_macaron_2014Des Hahn suivant, plus linguistiques, VĂ©ronique Gens semble Ă©claircir la voix au service de voyelles plus lumineuses structurant les phrases (superbe Rossignol des lilas, hommage au volatile), ciselant lĂ  encore le versant mĂ©taphorique des vers. EnoncĂ© comme une romance mozartienne (malgrĂ© un piano trop prĂ©sent), Ă Chloris a la dĂ©licatesse d’une porcelaine française usĂ©e Ă  Versailles : l’Ă©mission endeuillĂ©e enveloppe la mĂ©lodie d’une langueur suspendue qui fait aussi rĂ©fĂ©rence au Bach le plus tendre. C’est Ă©videmment une lecture très incarnĂ©e et personnelle de la mĂ©lodie de Hahn, autre sommet de la mĂ©lodie postromantique française et mĂŞme clichĂ© ou pastiche Ă©tonnamment rĂ©ussi (1916). Le temps des Lilas de Chausson hypnotise par la justesse des couleurs, la prĂ©cision allusive de chaque mot vocal : prière extatique et dĂ©pressive, voici un autre sommet musical (1886) du postwagnĂ©risme français. Le chant exprime sans discontinuer la profonde et maudite langueur des âmes irradiĂ©es. Le tact et le style de La Gens affirme une remarquable acuitĂ© dans l’allusion. MĂŞme finesse de style et richesse de l’intonation dans l’exceptionnelle Au pays oĂą se fait la guerre de Duparc (1870), prière retenue, pudique d’une femme de soldat : Duparc annonce le dĂ©sespoir intime de Chausson. Le feu ultime que la soprano sait offrir au mot “retour” finit de saisir. AssociĂ© Ă  l’Invitation au voyage de la mĂŞme pĂ©riode (d’après Baudelaire), ce premier Duparc gagne un regain de splendeur poĂ©tique : tragĂ©dienne subtile et intĂ©rieure, la cantatrice atteint ici un naturel linguistique magicien, imprĂ©cation, dĂ©clamation, rĂ©vĂ©lation finale dans le recto tono Ă©noncĂ© comme la dĂ©brouillement d’une Ă©nigme  “ordre et beautĂ©, luxe, calme et voluptĂ©”. Il aurait fallu que le rĂ©cital s’achevât sur ce diptyque Duparc lĂ . Aucun doute, Ă  l’Ă©coute de ses sommets mĂ©lodiques, VĂ©ronique Gens affirme un talent envoĂ»tant, entre allusion et pudeur (mĂŞme si ici et lĂ , quelques aigus sonnent serrĂ©s, Ă  peine tenus).

Sans la contrainte d’un orchestre dĂ©bordant, hors de la scène lyrique, le timbre dĂ©licat, prĂ©cieux de VĂ©ronique Gens au format essentiellement intimiste gagne ici en studio un somptueux relief : celui qu’affirme son intuition de soliste tragique et pathĂ©tique. Si le tempĂ©rament indiscutable de la coloriste diseuse s’affirme, on regrette vivement la prise de son qui impose le piano sans Ă©quilibre en maints endroits. Oui, carton jaune pour l’ingĂ©nieur du son.

CD, compte rendu critique. VĂ©ronique Gens, soprano : Néère, mĂ©lodies de Hahn, Duparc, Chausson. Susan Manoff, piano. 1 cd Alpha 215. EnregistrĂ© au studio Teldex en mars 2015. CLIC de classiquenews d’octobre 2015.

DVD, compte rendu critique. Molière / Lully : Le Bourgeois Gentilhomme. Denis Podalydès (1 dvd Alpha)

Moliere-Lully-bourgeois-gentilhomme-290-406-1-dvd-ALPHADVD, compte rendu critique. Molière / Lully : Le Bourgeois Gentilhomme. Denis Podalydès (1 dvd Alpha). Avant l’invention de la tragĂ©die en musique (1673), la Cour de France s’enthousiasme pour les comĂ©dies ballets dont Le Bourgeois Gentilhomme (Chambord, 1670). Le duo Molière et Lully font une farce mordante qui Ă©pingle la vanitĂ© d’un parvenu bien ridicule. Tel un dindon qui use et abuse jusqu’à l’indigestion d’une « farce » bien garnie… (dans les deux sens du terme), Monsieur Jourdain joue les aristos, se paie à grands frais divers “maĂ®tres”  … de musique et Ă  danser, d’armes et de philosophie sans omettre le tailleur comme les cuisiniers qui offrent bonne chère au maĂ®tre de maison flanquĂ© de son parasite flatteur Dorante qui amant de Dorimène, fait croire Ă  son riche ami que cette dernière en pince pour lui…. s’il la couvre de cadeaux et de bijoux (dont surtout un beau diamant scintillant). Sans flatteurs et escrocs, il n’est pas de dindon magnifique et ce Bourgeois Gentilhomme a tout du parfait nigaud qu’on trompe et qu’on dĂ©pouille.

La pièce mise en scène par Denis Podalydès prĂ©sente au public la cohorte des flagorneurs, si inspirĂ©s en flatteries payantes, rĂ©glĂ©es en sĂ©quences successives tel un grand ballet social. La comĂ©die amoureuse pointe son nez aussi grâce aux personnages de ClĂ©onte et de Lucile…. Les deux jeunes âmes s’aiment mais le premier non gentilhomme ne peut prĂ©tendre Ă©pouser la fille Jourdain. C’est alors que Covielle (en vrai cerveau du clan et Ă©galement serviteur de ClĂ©onte) Ă©labore un stratagème pour que ClĂ©onte, devenu  « le fils du Grand Turc » demande la main Ă  Jourdain qui … accepte illico trop flattĂ© d’ĂŞtre devenu mamamouchi , c’est Ă  dire Paladin  (grand final de l’acte IV). Finauds, Molière et Lully se sont entendus à cĂ©lĂ©brer l’art et le goĂ»t authentiques qui ne s’apprennent pas, au contraire de ce Jourdain ridicule qui s’entĂŞte Ă  les maĂ®triser sans y rien entendre …jusqu’Ă  la fin.

 

 

 

Denis Podalydès met en scène un Bourgeois Gentilhomme truffé de gags délirants qui ayant trouvé son public continue de tourner…

Double farce pour Jourdain

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Alors que Jean Vilar en 1954, souhaitait défendre un Molière brut, économe, sans effet parasite : c’est à dire « jouer la réplique et rien d’autre », sans ornements qui dénaturent, Denis Podalydès, lui, en 2012 (première de sa production entre autres présentée au festival off d’Avignon), opte pour une surenchère de gags : le « bazar » plutôt que la simplicité primitive du texte. Mais un bazar chic, dont le luxe visuel s’appuie bien sûr sur les formidable costumes signés Christian Lacroix. Cela hurle et crie beaucoup, en un délire de grandiloquence, servant le ridicule magnifique de ce Monsieur Jourdain, qui se pique de grandeur noble. A trop imiter le paon, Jourdain le caricature sans le comprendre. Tel serait la vision d’un Podalydès, généreux en parures, mouvements rapportés, surenchère comique mais parfois hélas gags outrés (les mimiques des instrumentistes appelés à départager musique et danse dans l’acte I…, comme les perruques Grand Siècle systématiquement portées de travers, ou la répétition de la boucle amoureuse des couples associés, boudeurs et boudeuses alternés (Acte III) : Cléonte / Lucile, d’un côté ; le valet de Cléonte : Covielle et Nicole, de l’autre. Répéter c’est prendre le risque de l’exagération voire de la lourdeur épaisse. Autre faiblesse de notre point de vue, la chorégraphie des danseurs, sorte  de mixte inabouti entre langage contemporain et gesticulation décalée.

Dans ce dispositif, le personnage de Jourdain, bien qu’incrédule et bon enfant qui s’émerveille, n’est qu’un benêt qui veut dépasser sa classe et effacer le noir étriqué, mais plein de bon sens, de son épouse.
Par contre la délicieuse et insolente mais juste servante Nicole (épatante jeune Manon Combes) perce infailliblement par sa sincérité
.

FilmĂ© en novembre 2012  (dĂ©jĂ  et Ă  l’OpĂ©ra royal de Versailles : noblesse oblige), la production en costumes d’époque prĂ©sente l’avantage de jouer tous les divertissements et intermèdes chantĂ©s et instrumentaux comme les entrĂ©es de ballets dĂ©lirants et poĂ©tiques conçus  par Lully : ballet des tailleurs habillant Jourdain (fin du II); intermède de danses des cuisiniers  (fin du III); cĂ©rĂ©monie turque de l’anoblissement de Jourdain (conclusion du IV)… enfin le ballet des Nations pour conclure le drame.  Le jeu des comĂ©diens soulignent la farce et le comique des situations dont le cocasse dĂ©janté  (le chaos barbare voire quasi transe collective de la cĂ©rĂ©monie de Jourdain en mamamouchi reste le grand moment dramatique et…. musical).
Évidemment en petit effectif instrumental, la bande de musiciens pilotĂ©e par le violoncelliste Christophe Coin n’Ă©gale pas les fastes d’un vrai grand orchestre aussi scintillant que celui de la version de Benjamin Lazar et du Poème Harmonique de 2004 (de surcroĂ®t sur instruments  anciens, version de rĂ©fĂ©rence Ă©galement Ă©ditĂ©e par Alpha). L’articulation affleure souvent le vocifĂ©rĂ© systĂ©matique (ainsi le personnage de Dorante agace Ă  force de surjouer) mais l’intensitĂ© des acteurs rend le texte de Molière toujours aussi incisif et moderne.

CLIC D'OR macaron 200Nonobstant ces rĂ©serves de « spĂ©cialiste théâtreux qui boude son plaisir », le rythme de la performance, son caractère entier et parfois potache ont sĂ©duit le plus grand public. Au Bourgeois Gentilhomme, on vient rire et se fendre la panse. Podalydès l’a bien compris. Il nous en donne pour notre argent. Et le DVD Ă©ditĂ© par Alpha vient Ă  point nommĂ©, souligner la grande cohĂ©rence d’une vision théâtrale directe, franche, dĂ©jantĂ©e. Car nonobstant nos rĂ©serves de dĂ©tail, la production a du rythme, ne cherche pas la poĂ©sie ni l’alanguissement (vers lequel tant la musique de Lully) mais un certain Ă©tat d’urgence habilement mesurĂ© et canalisĂ© qui explique 3 ans après sa crĂ©ation et au moment de nouvelles reprises aux Bouffes du nord en juin 2015, du 26  juin au 26  juillet 2015, son attractivitĂ© globale persistante. Après le ridicule des actes I,II et III, le spectateur dĂ©couvre la nouvelle intrigue et l’intelligence de Covielle qui permet au jeune ClĂ©onte  d’Ă©pouser en fin d’action, sa belle Lucille Ă  la barbe du père, le dindon Jourdain.

Molière et Lully : Le Bourgeois Gentilhomme
Chambord, 1670.

Mise en scène : Denis Podalydès
Scénographie : Eric Ruf
Costumes : Christian Lacroix
Chorégraphie : Kaori Ito

Monsieur Jourdain : Pascal Rénéric
Madame Jourdain : Emeline Bayart
Le Maître de musique / Dorante : Julien Campani
Le Maître à danser / Cléonte : Thibault Vinçon
Le Maître tailleur / Covielle : Alexandre Steiger
Le Maître d’armes : Nicolas Orlando
Le Maître de philosophie : Francis Leplay
Le garçon tailleur / Lucile : Leslie Menu
Nicole : Manon Combes
Dorimène : Bénédicte Guilbert
Deux laquais : Hermann Marchand, Laurent Podalydès
Danseuses : Jennifer Macavinta, Artemis Stavridi

Cécile Granger, soprano
Romain Champion, haute-contre
Marc Labonnette, basse taille

Instrumentistes baroques dirigés par Christophe Coin

EnregistrĂ© Ă  l’OpĂ©ra royal de Versailles en novembre 2012. 1 DVD Alpha 707 – 2h45 minutes

CD, coffret. Compte rendu critique. Louis XIV : les musiques du Roi-Soleil. Collection Château de Versailles (3 cd Alpha)

louis-XIV-houasse-cd-alpha-3-cd-les-musiques-du-roi-soleil-critique-classiquenews-juin-2015CD. Louis XIV : musiques du Roi-Soleil (3 cd Alpha). Louis XIV (1638-1715) : le roi est mort (le 1er septembre 1715 Ă  8h15 du matin): vive le roi. La formule est connue et prĂ©serve la fonction de la rupture, mais la personnalitĂ© individuelle et le goĂ»t du Souverain dĂ©cĂ©dĂ© vivent Ă©ternellement autrement, par les manifestations de leur propre reprĂ©sentation du pouvoir, manifestations culturelles que le Roi-Soleil porta jusqu’Ă  un degrĂ© inĂ©dit jusque lĂ , prolongeant certes les fastes royaux de François Ier et avant eux, d’Anne de Bretagne. Trois souverains qui surent accorder et mĂŞme fusionner politique et art, exercice du pouvoir et crĂ©ation artistique. Mais c’est assurĂ©ment le Bourbon qui organisa et centralisa le mieux toutes les initiatives de son règne.
Pour cĂ©lĂ©brer le tricentenaire de son dĂ©cès en 1715, le CMBV, Centre de musique baroque de Versailles et Château de Versailles rassemble dans ce nouvel opus de la collection “Château de Versailles”, 3 volets manifestant l’Ă©clat du règne : l’opĂ©ra est prĂ©sent par extraits Ă©vocateurs d’une productivitĂ© locale inouĂŻe (mais non enregistrĂ© au Château comme le volume 1 dĂ©diĂ© aux Lully et Charpentier sacrĂ©s (Te Deum), faits du compositeur officiel et de son “rival” apprĂ©ciĂ© par Louis.
Autant dire que le disque et les concerts ambitieux produits au Château depuis quelques annĂ©es ressuscitent ce goĂ»t musical du Souverain le plus inspirĂ© dans l’art du spectacle monarchique,Ă  la Chapelle, Ă  la Chambre, Ă  l’OpĂ©ra… comme Ă  l’Ecurie.

CD1. L’exceptionnel sacrĂ© est rythmĂ© par quelques pièces musicales d’un Ă©clat spĂ©cifique, accordĂ© aux dimensions et retentissements politiques de l’Ă©vĂ©nement de la Cour : ainsi les Te Deum de Lully et Charpentier expriment la gloire et la ferveur de la Cour rĂ©unie autour de son Souverain : acte d’hommage, manifestation Ă©clatante de la cohĂ©sion collective qui s’exprime par l’art. Les 2 Te Deum abordĂ©s ici en 2013 par Le Poème Harmonique (Ă  la Chapelle royale) soulignent ce prodige de l’art français : palpitants par leurs inflexions instrumentales et vocales, qui concilient dans cette approche vivante et mĂŞme dansante parfois, l’individuel et le collectif, le martial et la rondeur du théâtre glorieux, surtout enchantĂ©, en particulier dans le Te Deum de Charpentier (H.146), le plus complet, juste et profond, Ă  la fois exaltĂ© et recueilli. Le Te Deum de Lully (LWV.55) est d’une mĂ©canique certes ici assouplie mais d’un esprit de dĂ©monstration spectaculaire un rien tĂ©lĂ©guidĂ© que viennent alanguir les sections plus profondes parfois nostalgiques inaugurĂ©es avec Patrem immensae majestatis.

CD2. Les Grands Motets de Dumont personnalitĂ© incontournable de la Chapelle royale Ă  Versailles avec De Lalande (son successeur) et bien sĂ»r Lully, manifestent le goĂ»t du Roi pour l’ordinaire de la Messe, ici grâce Ă  FrĂ©dĂ©ric DĂ©senclos et l’ensemble Pierre Robert (2004), cet Ă©quilibre entre ferveur franche et sensualitĂ© Ă  la fois collective et individuelle, sertie d’une prononciation informĂ©e percutante. Le texte demeure primordial et ses temps de rĂ©flexion comme de distance mĂ©ditative sont cultivĂ©s par l’orgue seul en l’alternance comme le plain chant.

CD3. EnregistrĂ© en 2001 Ă  Paris, le programme “Divertissements” de Skip SempĂ© Ă©voque le gĂ©nie Ă  Versailles du Roi et de ses doubles artistiques dont surtout Lully. Le jeune Souverain des annĂ©es 1660, plus galant et sensuel que bientĂ´t raidi et solennelisĂ© par l’ampleur de la charge, exprime sa badinerie Ă©videmment fastueuse en 1664, dans la fĂŞte la plus prestigieuse du règne alors : Les Plaisirs de l’Ă®le enchantĂ©e oĂą il orchestre et met en scène ses propres amours sous couvert d’un prĂ©texte romanesque empruntĂ© Ă  L’Arioste et son labyrinthe sentimental (Roland furieux) : les chevaliers et Roger sur l’Ă®le de la fĂ©e Alcine, envoĂ»tĂ©s par l’amour. Officiellement, la fĂŞte consacre les deux reines : anne d’Autriche et Marie-ThĂ©rèse. Dans le cĹ“ur du Roi, c’est sa maĂ®tresse Louise de la Vallière qui règne sans partage. Voici donc le Louis XIV Ă©pris, enivrĂ©, sensualisĂ© (“Je mourrai de plaisir …” de Lambert) qui rĂŞve dans son Ă©crin de Versailles, aux dĂ©lices d’un jardin enchantĂ©, le sien. En 1664, Lully n’a pas encore inventĂ© l’opĂ©ra et la tragĂ©die en musique (1673), mais SempĂ© imagine un parcours Ă  l’orchestre et au clavecin oĂą les thèmes du bosquet nostalgique, de l’Ă®le ensorcelant (et emprisonnant donc) les sens, diffusent leur magie active et musicale : ballets, rires, intermèdes, mais aussi airs de cour… rythment un grand divertissmeent, le plus grand et le premier du genre Ă  Versailles. Le rire et l’humour, une Ă©lĂ©gance comique, celle surtout du Bourgeois Gentilhomme de Lully et Molière (dans le genre comĂ©die-ballet : badinerie chambriste piquĂ©e d’un certain maniĂ©risme théâtral pour les reprises de la marche pour la cĂ©rĂ©monie turque) alternent donc ici avec des pièces pour clavecin de Champion de Chambonnières, Danglebert, Le Roux, Louis et François Couperin, oĂą perce aussi le gĂ©nie indiscutable de Lully dans l’expression de cette langueur amoureuse qui se fait danse de l’envoĂ»tement comme le dernier Ă©pisode la Chaconne d’Amadis. Tendre adieu (plutĂ´t aurevoir) aux plaisirs injustement fugaces.

CD, coffret. Compte rendu critique. Louis XIV : les musiques du Roi-Soleil. Collection Château de Versailles (3 cd Alpha 961). Charpentier / Lully : Te Deum (Le Poème Harmonique, 2013) ; Grands Motets de Henry Du Mont (Ensemble Pierre Robert, 2005) ; Divertissements (Capriccio Stravagante, 2001). Rééditions.

CD, compte rendu critique. Campra : Tancrède, version 1729 (3 cd Alpha, Schneebeli, 2014)

campra-tancrede-cd-alpha-olivier-schneebeli-isabelle-druet-critique-du-cd-CLIC-de-classiquenews-mai-2015CD, compte rendu critique. Campra : Tancrède, version 1729. Orchestre Les Temps PrĂ©sents & les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles. Olivier Schneebeli, direction. Travail exceptionnel sur l’articulation du texte, l’un des livrets les plus forts et “viril” du compositeur (signĂ© Antoine Danchet) qui renoue ainsi avec la coupe noble et hĂ©roĂŻque de son aĂ®nĂ© et modèle Lully (aidĂ© du poète Quinault). Tous les chanteurs excellent dans la projection naturelle et souple du français et Olivier Schneebeli ajoute les inflexions dramatiques et sensuels d’un orchestre destinĂ© Ă  exprimer les passions de l’âme, en particulier la passion naissante des deux guerriers opposĂ©s : le chrĂ©tien Tancrède et la Sarrazine Clorinde. Ici l’opĂ©ra français Ă©gale sinon dĂ©passe l’impact expressif du théâtre classique parlĂ© et dĂ©clamĂ© de Racine. S’y glissent et triomphent aussi les divertissements, instants de grâce qui alliant choeurs, ballets, et sĂ©quences portĂ©s par les seconds rĂ´les, apportent ces dĂ©tentes propices, vĂ©ritables temps de pure poĂ©sie entre des tableaux Ă  l’Ă©pure tragique d’une tension irrĂ©sistible. Saluons dans ce sens les deux dessus au verbe ciselĂ© autant qu’au jeu d’une solide justesse (Anne-Marie Beaudette et en particulier Marie Favier au timbre rond et palpitant). Chacune de leur prestation fait mouche, les divertissements gagnent un surcroĂ®t de profondeur. Tout concourt Ă  tisser le lent et inĂ©luctable fil tragique vers la mort de la sublime guerrière, Clorinde.

 

 

 

Olivier Schneebeli réalise un sommet tragique et poétique dans ce Tancrède de 1702

Tristan et Isolde baroque

 

CLIC_macaron_2014Le couple noir et jaloux : Argant / Herminie exalte de pulsations haineuses et pourtant d’une sincĂ©ritĂ© magicienne (Alain Buet et Chantal Santon) : leurs personnages surtout celui d’Herminie s’expose sans Ă©paisseur, avec la mĂŞme finesse prosodique au dĂ©but du III. Pour les rĂ´les de Clorinde et de Tancrède, les deux protagonistes Isabelle Druet et BenoĂ®t Arnould ont la jeunesse, la justesse et la sincĂ©ritĂ© de deux timbres admirablement engagĂ©s. On se dĂ©lecte dans leurs oppositions, confrontations successives, le point d’orgue de leur union pudique admirablement exprimĂ©e sur la scène demeurant le duo d’une Ă©conomie souveraine et d’une grande poĂ©sie du IV (” Gloire inhumaine, hĂ©las ! que tu troubles nos coeurs ” : sommet de la lyre tragique vĂ©cue par les deux 2 coeurs blessĂ©s).
Une rĂ©serve cependant pour la tenue vocale du baryton : s’il a le timbre idĂ©alement sombre et virile, sa ligne vocale manque parfois de justesse comme de simplicitĂ©.
L’acte IV, celui de la haine active (sous le feu d’Herminie et du mage IsmĂ©nor) est aussi surtout celui de la confession amoureuse quand (scène 6), Clorinde avoue son amour pour lui Ă  Tancrède. Quand au V, la gloire toute acquise Ă  Tancrède est le sujet de sa profonde douleur car il y perd Clorinde qui s’Ă©puise et meurt dans ses bras en un duo tristanesque d’un lugubre digne qui est un autre absolu poĂ©tique.
clorinde isabelle druet tancredeC’est fidèle Ă  la poĂ©sie sombre et lugubre du Tasse que Danchet et Campra brossent un portrait noir des amours guerriers : la pompe victorieuse, la gloire qui jaillit et Ă©tincelle sur l’armure de Tancrède sombre immĂ©diatement dans le gouffre de la douleur quand le ChrĂ©tien dĂ©couvre son aimĂ©e Clorinde, touchĂ©e au coeur expirante. La noblesse, le raffinement, la suavitĂ© mesurĂ©e et allusive des divertissements, le chant perpĂ©tuellement soucieux de son intelligibilitĂ© font toute la qualitĂ© de cet enregistrement pris sur le vif Ă  l’OpĂ©ra royal de Versailles, les 6 et 7 mai 2014. VOIR. Les camĂ©ras de classiquenews Ă©taient fort heureusement prĂ©sentes lors de la performance : visionner notre reportage vidĂ©o Tancrède de Campra, recrĂ©ation de la version de 1729.
Voici au disque le meilleur enregistrement de la collection Château de Versailles. CLIC de classiquenews de mai 2015.

CD, compte rendu critique. Campra : Tancrède, version 1729. Orchestre Les Temps Présents & les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles. Olivier Schneebeli, direction. Avec Benoît Arnould, Tancrède. Isabelle Druet, Clorinde. Chantal Santon, Hermoinie. Alain Buet, Argant. Eric Martin-Bonnet, Isménor. erwin Aros, Anne-Marie Beaudette et Marie Favier (seconds rôles divers). 3 cd Alpha baroque Outhere music 2h46mn. Référence : 3 760014 199585

CD, compte rendu critique. The Tempest, inspirĂ© par Shakespeare. Musiques de Locke, Martin, Hersant, PĂ©cou, Purcell… La TempĂŞte. Simon-Pierre Bestion (1 cd Alpha, 2014)

the-tempest-locke,-purcell,-martin-hersant-pecou-alpha-the-tempest-simon-pierre-bestion-1-cd-critique-complete-compte-rendu-CLIC-de-classiquenews-avril-2015CD, compte rendu critique. The Tempest, inspirĂ© par Shakespeare. Musiques de Locke, Martin, Hersant, PĂ©cou, Purcell… La TempĂŞte. Simon-Pierre Bestion (1 cd Alpha, 2014). The Tempest de 1611 de Shakespeare inspire La TempĂŞte, projet collectif portĂ© par son crĂ©ateur Simon-Pierre Bestion (ex crĂ©ateur d’Europa Barocca et de Luce Del Canto) : un cercle variable d’artistes dont les individualitĂ©s associĂ©es composent une manière d’arène vivante, une compagnie cohĂ©rente et pourtant fourmillant de personnalitĂ©s distinctes. Joignant toujours le geste et le mouvement Ă  la prĂ©cision très habitĂ©e du chant, accompagnĂ© par un groupe d’instrumentistes remarquablement mordants et palpitants, le groupe La TempĂŞte nouvellement nĂ© (1er janvier 2015) subjugue ici de facto dans un spectacle oĂą c’est essentiellement la vie et l’exclamation agissante qui s’affirment. La rĂ©ussite de l’offre s’appuie sur un formidable groupe de chanteurs : percutants, diseurs inspirĂ©s et donc un continuo qui est prĂ©cisĂ©ment ce que le jeune chef annonce dans sa note d’intention sur son projet : ambassadeurs de sons chauds, colorĂ©s, incarnĂ©s. C’est donc en plus de son expressivitĂ©, une esthĂ©tique sonore spĂ©cifique. Ajoutons surtout la prĂ©sence du théâtre : tout l’enregistrement tend vers la scène, et l’auditeur pense constamment au prolongement visuel – incarnĂ©- de la sĂ©lection de partitions ainsi assemblĂ©e.

 

 

 

Associant Purcell, Pécou, Locke , Hersant et Martin, Simon-Pierre Bestion réécrit the Tempest de Shakespeare

Mask des temps mêlés

 

CLIC_macaron_20dec13La suggestion des atmosphères, l’approfondissement des situations nourrit un goĂ»t pour la caractĂ©risation par le groupe : chef et chanteurs alternent tout en suivant l’intrigue de The Tempest, pièces chantĂ©es surtout choralement, baroques ou contemporaines. Le chant solo n’est pas le fil conducteur, plutĂ´t un chĹ“ur qui expire, s’alanguit, peint constamment des paysages sonores dramatiquement ciselĂ©s. L’auditeur suit les enchantements du mage Prospero sur son Ă®le, d’abord inspirĂ© par l’esprit de vengeance ; puis, dĂ©voilant une Ă©tonnante leçon d’humanitĂ©. Entre temps, le profil captivant d’Ariel dont il a fait sa crĂ©ature dĂ©moniaque et aĂ©rienne, alterne avec la figure plus tendre de Miranda, jeune cĹ“ur d’amour Ă©pris dont la puretĂ© casse le fil des fatalitĂ©s fratricides.
On passe par exemple dans l’acte I, des superbes climats de Matthew Locke (Curtain tune), de l’hallucination purcellienne au Songs d’Ariel de Frank Martin (1950), ou Falling star de Philippe Hersant (2005). Ce passage d’un siècle Ă  l’autre, accusant les contrastes poĂ©tiques, confirment la disposition stimulante des interprètes ; tout l’enchaĂ®nement ensuite du V, associant Purcell, Frank Martin, Locke s’avère tout autant exaltant; et le chant soliste n’est pas exclu comme l’atteste au III, entre autres, Dorinda’s song du baroque James Hart par le soprano clair de Chantal Santon, accentuĂ© encore par le traverso qui lui est associĂ©… Sans omettre comme final du mĂŞme III, le veloutĂ© sombre de la mezzo Lucile Richardot et son formidable potentiel dramatique (Remember de You are three men of sin…).

Nostalgie chorĂ©graphique des baroques (Locke, Purcell, au final si lullystes dans cet abandon raffinĂ©), percutantes suggestions des “modernes” : Martin (dĂ©fenseur du baroque), PĂ©cou (aux accents amĂ©rindiens…), Hersant (et son goĂ»t pour l’anglais) font un formidable parcours sonore qui aiguise l’imaginaire et la conscience, excite l’esprit et le goĂ»t.

La justesse du chant collectif, le murmure enchanteur des instrumentistes, la conception mĂŞme du spectacle dans l’enchaĂ®nement des tableaux des 5 actes ainsi reconstituĂ©s comme s’il s’agissait d’un pasticcio, forment ce mask contemporain des temps mĂŞlĂ©s ; des qualitĂ©s qui affirment bel et bien la maturitĂ© originale d’un nouvel ensemble dĂ©sormais Ă  suivre : La TempĂŞte ; sa proposition et son esprit titillent notre conception de la musique et du concert. Un collectif qui fait bouger les lignes, en somme. Ne manquez pas La TempĂŞte version spectacle cette fois, Ă  l’affiche en avril 2015 : lundi 11 mai 2015, 20h30 aux Bernardins Ă  Paris.

The Tempest, inspirĂ© par Shakespeare. Musiques de Locke, Martin, Hersant, PĂ©cou, Purcell… La TempĂŞte. Simon-Pierre Bestion. 1 cd Alpha, enregistrĂ© en juillet 2014 en France (Choisy le roi). DurĂ©e : 1h20mn.

DVD. Purcell : Didon et Enée (Dido and Eneas, Vincent Dumestre, mai 2014 1 dvd Alpha)

purcell dido and Aeneas le poeme harmonique vincent dumestre deception pour classiquenews 1 dvd alpha vivca genauxDVD. Purcell : Didon et EnĂ©e (Dido and Eneas, Vincent Dumestre, mai 2014 1 dvd Alpha) Belle dĂ©sillusion. L’esprit troupe anime chaque production du Poème Harmonique. Après Le Bourgeois gentilhomme, Cadmus et Hermione de Lully, puis Egisto de Cavalli, Vincent Dumestre retrouve une complice (Le Carnaval baroque), la chorĂ©graphe, CĂ©cile Roussat pour cette illustration du mythe de Didon inspirĂ© de Virgile. Triple hĂ©las, la laideur indigne des costumes (et des coiffes !!), qui semble recycler une vieille production d’Europe de l’Est matinĂ©e de rĂ©fĂ©rences mais en plus misĂ©reux, du Cinquième Ă©lĂ©ment de Besson, affecte une vision que l’on souhaitait poĂ©tique. DĂ©jĂ  envisagĂ©e par le dĂ©but de l’action et sa plage marine (les rives de Carthage), aux naĂŻades flottantes Ă©vanescentes : l’onirisme disparaĂ®t très vite. La palme de l’horreur absolue revient Ă  l’apparition de la magicienne au II, – sorte de pieuvre humaine Ă©crasĂ©e sur un rocher miteux, expectorant des membranes filandreuses au rendu organique douteux, et les sirènes volantes agitant mollement leur queue ne relèvent en rien le niveau. OĂą est la magie, la suggestion, la noble sensualitĂ© d’un spectacle baroque parmi les plus emblĂ©matiques de Purcell ? La narration anecdotique et tout aussi pauvre en suggestivitĂ© est atteinte dans l’idĂ©e d’exprimer l’amour d’EnĂ©e (fils de VĂ©nus) et de la belle reine carthaginoise, flanquĂ©s dans une conque gĂ©ante qui flotte tant bien que mal sur un ocĂ©an de papier bleu.

Même la tempête où Jupiter rappelle au héros troyen son devoir, même la foule des marins prêts à embarquer pour leur nouveau destin (fonder Rome) s’essoufflent ici. Agitation n’est pas souffle ni fascination théâtrale.

Or ni les instrumentistes du Poème ni les chĹ“urs d’Accentus n’apportent la tension et la magie attendue : c’est malheureusement terne et lisse, appliquĂ© parfois, mais toujours linĂ©aire. La dĂ©ception la plus notable vient de la mezzo de Fairbanks, si agile Ă  exprimer le chant virtuose et acrobatique alla Farinelli : Vivica Genaux n’est pas Didon ; aucun phrasĂ© subtil, ni de souffle murmurĂ© digne des grandes diseuses tragĂ©diennes, et son lamento funèbre final est parasitĂ© par un vibrato envahissant et incontrĂ´lable qui nuit Ă  l’expression de la profondeur solitaire. Quelle erreur de casting. Le style ne convient pas. Et ce n’est pas l’EnĂ©e, droit, carrĂ©, sans nuances de Henk Neven qui compense les manques de sa partenaire. A leurs cĂ´tĂ©s, la Belinda d’Ana Quintans se distingue Ă  peine par son chant plus proche des enjeux dramatiques. Finalement, seule la sorcière habitĂ©e, tourmentĂ©e – vraie autoritĂ© haineuse et malsaine -,  du baryton Marc Mauillon, ailleurs familier des rĂ©alisations de William Christie, tire son Ă©pingle : le geste est sans chichi, et juste comme le chant naturellement projetĂ© et puissamment expressif. Un chanteur sauve ici la production du naufrage. De toute Ă©vidence, la production purcellienne n’est pas la meilleure rĂ©alisation signĂ©e par Le Poème Harmonique / Vincent Dumestre. Nous attendions peut-ĂŞtre trop de cette production qui cependant ne souffre aucune faute de goĂ»t. Un dvd … Ă  oublier.

Henry Purcell : Dido and Aeneas
1 dvd Alpha. Enregistré en mai 2014 à Rouen.

Opéra en trois actes. Livret de Nahum Tate d’après
sa tragédie Brutus of Alba, tirée de l’Énéide de Virgile, livre IV
Création en décembre 1689 au Pensionnat de jeunes filles de Chelsea

Cécile Roussat, mise en scène, costumes, chorégraphie, décors…
Chœur Accentus
Le Poème Harmonique
Vincent Dumestre, direction

Didon : Vivica Genaux
Énée : Henk Neven
Belinda : Ana Quintans
Magicienne, un Marin : Marc Mauillon
Première sorcière : Caroline Meng
Deuxième sorcière : Lucile Richardot
Esprit : Nicholas Tamagna
Dame d’honneur : Jenny Daviet

DVD événement. Rameau, maître à danser par William Christie (1 dvd Alpha)

Rameau enchantĂ©DVD. Rameau, maĂ®tre Ă  danser : Daphnis et EglĂ©, La naissance d’Osiris (William Christie, Les Arts Florissants, 1 dvd Alpha). Pour l’annĂ©e Rameau 2014, son plus fervent et convaincant champion, William Christie et ses Arts Florissants, surprennent lĂ  oĂą nous ne les attendions pas : ni tragĂ©die lyrique ni grand ballet mais deux pièces intimistes, des opĂ©ras miniatures dont le charme et la lĂ©gèretĂ© nous sont astucieusement restituĂ©s par un ” Bill ” plus inspirĂ© que jamais. Les deux actes de ballet sont mĂŞme astucieusement reliĂ©s l’un Ă  l’autre en une totalitĂ© musicale, dramatique, dansante d’une belle cohĂ©rence. Ce dvd rĂ©alisĂ© Ă  Caen en juin dernier (2014), confirme les impressions vĂ©cues sur le vif et dont tĂ©moigne aussi notre compte-rendu complet rĂ©digĂ© au moment de la crĂ©ation de la production Ă©vĂ©nement : LIRE Rameau, maĂ®tre Ă  danser par William Christie et Les Arts Florissants, nouvelle production pour l’annĂ©e Rameau 2014. Pour faire simple et court, Bill renoue avec la rĂ©ussite de son enregistrement rĂ©cent, Le jardin de Monsieur Rameau : mĂŞme Ă©cole de la grâce collective, mĂŞme orchestre ciselĂ©, taillĂ© et assoupli au diapason de la tendresse la plus allusive… Au XVIIIè, la France de Louis XV sait s’alanguir des dĂ©lices tendres et sensuels de divertissements dĂ©licieusement aimables. C’est Ă©videmment le cas de ces deux actes de ballet : Daphnis et EglĂ© puis La naissance d’Osiris-, dont Rameau revivifie la tension dramatique grâce au seul gĂ©nie de sa musique que Bill divin interprète dans ce rĂ©pertoire, rĂ©tablit dans son raffinement tendre le plus enchanteur. En musicien savant et lettrĂ© respectant la tradition de la cour de France,  le compositeur ajoute le ballet,  c’est Ă  dire cette ” belle danse ” que la chorĂ©graphe complice, Françoise Denieau aborde avec une verve rafraĂ®chissante au diapason d’une mise en scène subtile et très prĂ©cise (signĂ©e de l’ex chanteuse Sophie Daneman) dans l’esprit d’une troupe de comĂ©diens dont le jeu collectif apporte une cohĂ©rence imprĂ©vue entre les deux divertissements.

Rameau enchanté

CLIC D'OR macaron 200Pour illustrer notre enthousiasme, ne prenons que l’exemple du premier ballet : le plus enchanteur Ă  notre avis : Daphnis et ÉglĂ©. Les pas des danseurs se mĂŞlent astucieusement au mouvement des acteurs chanteurs plutĂ´t Ă  l’aise sur la scène du Manège de la GuĂ©rinière spĂ©cialement amĂ©nagĂ© pour l’occasion. Le principe est sĂ©duisant : il rappelle que sous Louis XV nombre de spectacles ne disposaient pas d’un théâtre en dur mais Ă©taient accueillis dans le théâtre du Manège de la Grande Ă©curie Ă  Versailles : un esprit “trĂ©teaux et troupe de comĂ©diens” que le regard et la conception de Sophie Daneman ont su magnifiquement exploiter dans la rĂ©alisation de ce spectacle nouveau signĂ© Les Arts Flo.

La dĂ©licatesse des sentiments abordĂ©s, – amitiĂ© / amour -, s’accorde au raffinement de l’orchestre.  Tout y est aimable entre les bergers radieux et souriants,  EglĂ© et DaphnĂ© jusqu’Ă  la scène du temple oĂą le ministre des autels exprime le courroux des dieux en un Ă©clair et un tonnerre opportuns, superbe coup de théâtre faisant rupture avec l’harmonie idyllique qui avait cours depuis le dĂ©but : ces deux bergers lĂ  ne s’aiment pas comme des amis, ils s’aiment d’un amour vĂ©ritable.  RĂ©vĂ©lĂ©s Ă  eux-mĂŞmes,  Daphnis et EglĂ© peuvent enfin s’exprimer librement non sans avoir auparavant dit leur dĂ©sarroi.  Sincères,  justes,  d’une pudeur continĂ»ment prĂ©servĂ©e, les interprètes joignent leur Ă©lĂ©gance tendre au chant de l’orchestre enchanteur dont le pastoralisme final affirme son indĂ©niable tendresse.  Il revient Ă  William Christie d’exprimer pas Ă  pas ce glissement poĂ©tique, de l’amitiĂ© Ă  l’amour, en une direction vive et mesurĂ©e, fine et dĂ©licate, mais souple et vive, en autant de nuances suavement rĂ©alisĂ©es : l’aveu de Daphnis troublĂ© comme ÉglĂ©, tous deux dĂ©masquĂ©s par Cupidon lui-mĂŞme est un grand moment de puretĂ© Ă©motionnelle. Plus de masques ni d’identitĂ© feinte alors, mais le jaillissement saisissant d’un sentiment pur qui passe Ă©videment par chant, la musique puis la danse, idĂ©alement accordĂ©s.
Le raffinement et l’Ă©lĂ©gance du chef,  le soutien des instrumentistes tout en accents murmurĂ©s et finement nerveux qui dĂ©coulent de sa direction souple et onctueuse,  l’accord des danseurs,  le chant fin et subtile des deux protagonistes (Elodie Fonnard et Reinoud van Mechelen : deux laurĂ©ats du Jardin des Voix et depuis lors associĂ©s aux grands projets de la famille des Arts Flo), l’unitĂ© scrupuleuse de la mise en scène composent le plus tendre tableau ramĂ©lien :  une pastorale Ă  la Boucher, aux vives couleurs d’un Frago, auxquelles le chef subtil esthète, ajoute aussi en facĂ©tieux connaisseur, des touches plus nuancĂ©es et palpitantes – vaporeuses -, … Ă  la façon de Watteau (musette conclusive).
C’est dire combien le Rameau des Arts florissants sait scintiller et charmer par cet Ă©quilibre constant entre la vie et l’Ă©lĂ©gance. L’enchaĂ®nement dernier est un festival de sĂ©quences d’un exquise intelligence : l’ air  ” Oiseaux, chantez ” entonnĂ© par Daphnis amoureux qui rappelle ce sentiment enivrĂ© de la nature que sait affirmer Rameau jusque dans ses plus grandes tragĂ©dies (Rossignols amoureux d’Hippolyte et Aricie de 1733), synthĂ©tise la perfection d’un art savant qui sous la direction de Bill, sait pourtant nous toucher par son infinie tendresse.  L’orchestre regorge de teintes amoureuses et enivrĂ©es : une prouesse dont William Christie est dĂ©cidĂ©ment le seul Ă  dĂ©tenir le secret. La pantomime amoureuse espiègle et suave, qui  prolonge le solo de Daphnis ajoute encore Ă  la totale rĂ©ussite de l’ensemble. On n’en attendait pas moins des Arts Flo en cette annĂ©e Rameau 2014 :  sur le mode lĂ©ger, badin,  le geste est touchant, la sensibilitĂ© des Arts Flo, dĂ©licieusement bouleversante. Superbe apport du plus grand ramĂ©lien actuel. Courrez voir et Ă©coutez ce Rameau enchanteur parmi les dates et les lieux de la tournĂ©e de cet automne (dont les 21 et 22 novembre Ă  la CitĂ© de la musique Ă  Paris)…

Tournée de Rameau, maître à danser
Daphnis et EglĂ©, la Naisance d’Osiris

Philharmonie de Luxembourg
le mardi 4 novembre 2014 Ă  20h

Théâtre Bolchoï de Moscou
les jeudi 6 et vendredi 7 novembre 2014 Ă  19h

Opéra de Dijon
le vendredi 14 novembre 2014 Ă  20h

Barbican Centre de Londres
le mardi 18 novembre 2014 Ă  19h30

Cité de la musique à Paris
les vendredi 21 et samedi 22 novembre 2014 Ă  20h

DVD. Blow : Venus & Adonis (Cuiller, 2012)

DVD. John Blow : Venus & Adonis (Cuiller, 2012) 1 dvd Alpha. Présentée en octobre 2012 à Caen, voici une très intéressante production du seul opéra de John Blow (1649-1708), Venus et Adonis qui daté de 1683, serait bien le premier opéra anglais baroque avant Didon et Énée de son élève, Henry Purcell (1684).
Masque Ă©crit pour la Cour de Charles II (sa maĂ®tresse Mary Davies et leur fille Mary Tudor, 10 ans,  y chantaient respectivement les rĂ´les centraux de VĂ©nus et Amour), il s’agit d’une partition toute en nuances de gris voire de noir lacrymal et tragique qui Ă©voque les liens amoureux de la dĂ©esse de l’amour pour le jeune et bel Adonis, mortellement blessĂ© après une chasse par le sanglier EudĂ©lien.

 

 

Opéra des illusions et de la mort

 

blow_venus_adonis_dvd_alpha_cuiller_scheen_mauillonL’esthĂ©tisme des costumes et dĂ©cors, le sens du temps suspendu voire extatique, soulignant l’essence funèbre de ce drame musical Ă©clairĂ© aux bougies selon une formule dĂ©sormais bien connue fait mouche, malgrĂ© une certaine monotonie qui confine souvent Ă  la rĂ©pĂ©tition. Le film lui aussi s’alanguit sur les mĂŞmes poses (focus sur les mains des chanteurs, danseurs, du chef…), insiste (trop) sur les purs instants de dĂ©ploration, faisant de chaque Ă©pisode finalement des momento mori, des vanitĂ©s Ă©clairĂ©es Ă  la manière de Caravage ou de La Tour… VanitĂ©, tout et vanitĂ© semble nous dire et nous rĂ©pĂ©ter John Blow, dont la musique envoĂ»te littĂ©ralement, comme pĂ©trifiĂ© lui-mĂŞme par la mort (comme son Ă©lève Purcell). Dans ce théâtre des illusions et des fragilitĂ©s Ă©noncĂ©es Ă  demi mots, oĂą mĂŞme une dĂ©esse Ă©prouve la perte et le dĂ©chirement le plus atroce, (le III est un tableau funèbre et tragique d’un indĂ©niable souffle poĂ©tique), la VĂ©nus lumineuse et tendre de CĂ©line Scheen se distingue comme le chant parfois maniĂ©rĂ©e de Marc Mauillon : tous deux incarnent pourtant Ă  la perfection la finesse arachnĂ©nenne du couple amoureux.
Par contre, faire chanter Amour par un garçon (et fort mal au demeurant, manquant et d’assurance et dĂ©cevant par un chant mou et dĂ©simpliquĂ©) est un contre sens pour un rĂ´le tenu Ă  l’origine par une fillette…  AttentionnĂ©, plus prĂ©cis que vif, mais riche en nuances et dynamiques maĂ®trisĂ©es, le claveciniste Bertrand Cuiller dirige les troupes de l’ensemble fondĂ© par le baryton Alain Buet, Les Musiciens du Paradis : chef et musiciens s’engagent sans compter et avec infiniment de tact pour la dĂ©fense de ce premier opĂ©ra anglais. Si la mise en scène aux rĂ©fĂ©rences picturales et sa nonchalance esthĂ©tisante parfois trop marquĂ©e, comme manquant de nerf et semblant tourner Ă  vide, n’Ă©tait pas aussi statique souvent (malgrĂ© une multitude de gestuelles empruntĂ©es aux tableaux d’histoire), nous tiendrions lĂ , un spectacle rĂ©ellement fascinant. Mais le travail qui interroge l’illusion du théâtre, son essence Ă©phĂ©mère et si fugace rentre parfaitement en rĂ©sonance avec la fascination et la dĂ©ploration de la mort , thĂ©matique centrale du théâtre de Blow qui saisit dans une partition intimiste (que deux chanteurs principaux), courte, efficace.

DĂ©plorons le format NTSC du dvd qui provoque de fait une perte de qualitĂ© de l’image : un comble pour un spectacle si visuel, au fini si pictural. N’eĂ»t-il pas Ă©tĂ© plus juste de recourir au format PAL ?

Vénus et Adonis, de John Blow. Avec Céline Scheen, Marc Mauillon, Louise Moaty (mise en scène), Adeline Caron (scénographie), Alain Blanchot (costumes), Christophe Naillet (lumières), la Maîtrise de Caen, Les Musiciens du Paradis, Bertrand Cuiller (direction). 1 dvd Alpha.