mardi 19 mars 2024

Stravinksy : le Sacre du PrintempsDossier spécial centenaire 1913 – 2013

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Le Sacre du printemps

Commentaires et présentation de l’action par épisode. Les sections ci-dessous commentées sont courtes voire fugitives et sont enchaînées. Dans la version autographe de Stravinsky enregistrée pour la Columbia en 1960 : L’introduction, Les Augures printaniers et Rondes printanières de la première partie voisinent les 3mn ; les autres séquences/tableaux sont plus courtes encore dont la conclusion, Danse de la terre, fait 1mn15 ! Dans la Seconde partie (Le Sacrifice), deux épisodes sont les plus longs du cycle : Introduction (3mn41) et surtout la scène finale (Danse sacrale : L’Elue) qui dépasse les 4 mn (4mn37). Dans cette version, l’ouvrage plus fulgurant que jamais dure 28 mn.
C’est dire la concision et la rapidité du geste stravinskien. Le compositeur a souligné la structure séquentielle de son œuvre où chaque section comme un  » bourgeon  » se déploie individuellement et renforce l’unité collective. Le compositeur cite aussi Pan, divinité primitive de la souveraine nature capable de forces indomptables voire terrifiantes… au moment du réveil des espèces au Printemps. C’est un cycle essentiellement païen et primitif qui permet outre son prétexte chorégraphique, l’essor de la musique pure voire totalement abstraite. Deux aspects qui fondent l’ambivalence et la richesse intrinsèque de l’ouvrage, son succès au concert comme partition pure, sa fascination comme oeuvre d’art total entre danse et musique (le chant mis à part).

première partie
I. Adoration de la Terre

1. Introduction
Les premières notes sont dévolues au solo du basson : ainsi surgit la fragilité dans la tessiture aiguë la plus extrême donc instable et surexpressive. Dès le début, Stravinsky ose pour chaque instrument une partie à la limite de ses possibilités. C’est une plainte solitaire puis étendue et partagée qui met en avant essentiellement les instruments à vent : hautbois, flûtes, bassons… chant d’oiseaux, mystère et sauvagerie d’une jungle ou d’une  » savane  » (le mot est de Cocteau témoin et défenseur de la création) féérique et opulente qui s’éveille soudain à la vie… en fait, le réveil d’une virée en enfer ou la vénéneuse mélopée d’une machinerie sans issue.

2. Augures printaniers
Syncopée, la prise de paroles des cordes est violente et barbare: la coupe est haletante et séquentielle, contrepointant l’hystérie des flûtes, le son clair et tranchant des cuivres (trompette, cornet à piston…). C’est le début de la transe : le son d’une frénésie progressive, jamais entendue auparavant… dont les accents exacerbés contrastent avec le chant plus tendre des cors.

3. Danses des adolescentes
De violents coup de timbales indiquent l’agitation qui règne chez les jeunes filles : fracas, ivresse et panique des adolescentes. La transe grandit, elle se communique à tout le groupe donc à tout l’orchestre.

4. Jeu de rapt
Duo clarinette et flûte : sur le tremolo constant de la flûte, émerge une marche grave et sombre presque lugubre aux cordes (comme si les entrailles de la terre s’ouvraient et laissaient passage à une cohorte d’ombres errantes), telle une procession mystérieuse voire terrifiante (cor, violon comme essoufflés)…

5. Rondes Printanières
Contrastant avec le tableau précédent, retour à la vivacité et aux déflagrations répétées (cors majestueux et impétueux, grosse caisse et timbales). La transe collective enfle peu à peu… Le groupe s’embrase, comme possédé collectivement.

6. Jeu des cités rivales
Stravinsky joue les étagements des pupitres et imagine des effets de spatialisation : vertiges sonores avec fanfare lointaine, appel ultime et tutti infernal.

7. Cortège du sage
C’est une nouvelle marche en forme de procession, où le sage semble n’être qu’une apparition fantomatique, énigmatique, brumeuse et flottante… mais terrible par ses imprécations et ses appels au meurtre final.

8. Danse de la terre
La fin de la première partie rassemble toutes les forces les plus sauvages de l’orchestre en une vague surgissante, tempête instrumentale, tsunami irrépressible : la panique règne sur tous les pupitres, la fosse est l’expression d’une machinerie infernale. Terreur et barbarie brutes. Son et cris de l’apocalypse. Expression des forces primitives et destructrices.

seconde partie
II. Le sacrifice

9. Introduction
Retour des instruments à vents avec bois en avant : l’épisode évoque une morne plaine, la dévastation après la bataille. Chant et plainte lugubre de toutes les souffrances humaines. C’est un ample paysage dévasté de presque 4 mn (longueur et développement remarquables pour le cycle). Plaintes lancinantes des trompettes… hantise et climat psychotique… menace sourde et conflit toujours vivace. La séquence se termine par le court et profond solo de violoncelle.

10. Cercles mystérieux des adolescentes
Tendresse désespérées des cordes, avec carillon, puis chant implorant ; déflagration syncopes et convulsions.

11. Glorification de l’élue
Déflagration hystérique, coupe nerveuse, animale, incandescente, fulgurance instinctive ; série de conflits explicites ; transe collective au rythme halluciné

12. Evocation des ancêtres
Nouvelle fanfare de moins de 1 mn : où s’affirment cuivres puis bassons

13. Action rituelle des ancêtres
Pulsion irrépressible : l’action en marche s’accomplit vers son issue inexorable. Souffle et transe reprennent de plus bel dans un climat d’hallucination collective, orchestration millimétrée et incisive : le collectif étouffe toute résistante individuelle.

14. Danse sacrale : le sacrifice de l’Elue
Aboutissement et but de tout le rituel, la mort de l’Elue, victime expiatoire se réalise dans les spasmes et les convulsions des coups de timbales et la transe syncopée des cordes. Eclats des trompettes, courts et d’une mordante ironie, cynisme des cuivres sardoniques, panique des flûtes, couperets répétés des cordes haletantes… convulsions des cuivres et spasmes des percussions en une vision cauchemardesque… c’est une descente aux enfers, avec déflagration préfigurant l’horreur absolue, celle de la guerre à venir l’année suivante (1914)… Tourbillon instrumental qui aspire, étouffe, contraint les êtres à l’anéantissement. La spirale infernale s’achève avec la petite phrase ascendante de la flûte (l’âme qui s’envole de la jeune fille sacrifiée) qui s’exhale avant le dernier tutti.


Musique pure, temps abstrait

L’auteur précise sa pensée dans une note écrite qui fut imprimée pour accompagner le soir de la création parisienne (le 29 mai 1913) : Stravinsky y parle d’un rituel païen qui au delà de son prétexte narratif avait pour objectif une musique abstraite et pure. Souvent, le créateur a revendiqué une posture plus conceptuelle et intellectuelle que strictement musicale (sa phrase un rien provocatrice :  » la musique n’exprime rien  » a été reprise partout et concentre il est vrai toute sa recherche musicale); homme des contradictions et des ouvertures polémiques sans réponses simples, Stravinsky soucieux d’être étiqueté avantgardiste et moderne, affectait de cultiver une musique essentielle, certainement pas anecdotique ni décorative, dont le fonds n’exprimait rien que la seule recherche formelle qui l’avait inspiré (!).
Anti romantique au sens du Groupe des 5 qui réinventaient le folklore russe vers un orientalisme certes séduisant mais pompier, Stravinsky s’est rangé du côté du solitaire Tchaïkovski affirmant la primat absolu du compositeur sur son œuvre : le musicien est le maître du temps et du monde. La musique ne doit pas singer la réalité mais la réorganiser selon sa mécanique propre. Voilà une posture qui contredit toute la musique germanique du sentiment, de Beethoven à Wagner, où les compositeurs inféodés au bavardage de l’émotion développent selon un ordre et un système rien que sentimental.

Ceci explique très certainement sa permanente inventivité selon les sujets et les formes choisies, son instinct de défricheur et d’explorateur comme Picasso en peinture, autre inventeur génial. Cela explique très certainement son engouement imprévu pour le langage de Webern dans les années 1950 (Agon, ballet de 1957 conçu avec le chorégraphe fidèle, Balanchine) : un attachement tardif pour l’atonalité qui cultive la recherche d’un art esthétique, formellement austère et déjà approché dans l’épure quasi mécanique mais admirablement néoclassique d’Apollon musagète de 1928 (premier ballet façonné avec Balanchine).

Sauvagerie païenne et scandaleuse pourtant prophétique

Mais en 1913, Stravinsky ouvre une porte visionnaire dont la justesse infaillible se montre prophétique : la modernité trouve un nouveau langage et toute une esthétique inédite qui réforme le rapport au temps, mais aussi reconsidère l’expérience du public confronté à un spectacle musical et dansé…
Le Sacre est construit comme une course infernale, une aspiration vers l’abîme… le format classique d’un temps construit et équilibré s’efface sous le pouls d’une action précipitée, construite par séquence, en rythme syncopé et convulsif où brille le chant ciselé des instruments. L’orchestration est d’un luxe inouï : une parure instrumentale de facture surtout française en 1913 que le chef François Xavier Roth et son orchestre Les Siècles mettent en lumière pour l’année 1913 du centenaire du Sacre (tournée événement : le centenaire du Sacre par Les Siècles et FX Roth). La folie sanguinaire submerge le collectif, emportant le groupe et l’humanité au bord d’un volcan… en somme les prémices du chaos, une vision prophétique de la première guerre mondiale qui allait plonger l’Europe dans l’horreur des armes.
dossier spécial
cd, dvd, livres dédiés à stravinsky et au Sacre du Printemps : lire notre dossier spécial Centenaire du Sacre du printemps d’Igor Stravinsky 1913 – 2013

télé
Mezzo, du 3 au 31 mai 2013 dédie 5 soirées au Sacre du printemps de Stravinsky: chorégraphies mutliples inspirées par la musique sauvage de Stravinsky ; à la suite du ballet originel (diffusion de la reconstitution le 3 mai), de Nijinsky, voici les versions modernes signées Béjart, Delente, Sholz et Galotta…
Arte diffuse le gala du centenaire depuis le TCE à Paris, le 29 mai 2013 à partir de 20h30 : ballet orignal de Nijinksy et sa version contemporain, commande du TCE, par Sasha Walz…

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