samedi 20 avril 2024

Renée Fleming: verismo (Armiliato, 2009) 1 cd Decca

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Diva vériste
Elles sont toutes désespérées, sacrifiées, douloureuses, misérables créatures qu’un destin contraire ou inflexible aime à éprouver jusqu’à la mort: ni Zaza, ni Manon, ni Gloria, ni Conchita, Stephana, ou Mimi ne sont des héroïnes heureuses et éclatantes. Même la courtisane entretenue dans les ors de La Rondine, Magda, ne peut cacher son désespoir de vivre… Toutes renoncent in fine, face à la barbarie de l’existence. Diva jusqu’au bout des ongles, Renée Fleming sait éviter la mignardise comme les affèteries. Comme inspirée davantage qu’hier par les pauvres amoureuses, les Madeleines de la scène vériste, la cantatrice s’impose par son sens de la nuance, son style mesuré, sa musicalité rayonnante. Même en robe de soirée (voyez la couverture) « La Fleming » irradie par sa grâce opérante. Une icône jet set, incontournable dans les rôles de Cendrillon douloureuse: un comble qui sur le plan artistique, permet se nouvel accomplissement.

Depuis plusieurs années, Renée Fleming sait ciseler album après album, au studio comme sur la scène, des portraits de femmes mis en perspective avec les divas qui l’ont précédée. Ici, c’est donc une interprète engagée soucieuse de dévoiler la féminité dramatique des personnages de la scène lyrique, qui s’adresse à l’auditeur. Depuis ses débuts, la cantatrice édifie une oeuvre cohérente qui doit sa pertinence à sa propre culture et au soin apporté à chaque prise de rôles: Manon (de Massenet), Thaïs (du même), La Maréchale ou la Comtesse Madeleine de Strauss, mais encore Russalka… démontrent une détermination exceptionnelle, menée pas à pas, qui sert et le chant et l’approfondissement théâtral des personnages incarnés.
Evidemment, il était naturel pour la soprano américaine de dédier un album entier aux héroïnes de Puccini, lui-même mis en dialogue avec ses contemporains « véristes »: Mascagni, Catalani, Leoncavallo, Zandonai, Cilea, Giordano… soit les ardents protagoniste de cette giovane sculoa que l’on dit vérisme…
Comment définir l’art de Renée Fleming à l’aune de ce nouvel album? Intensité vocale, mais aussi projection naturelle du texte auxquelles la diva outre-atlantique apporte sa couleur spécifique: ce miel caressant qui se fait emblème d’une hyperféminité à la fois, mordante et hypnotique.
Les amateurs seront comme nous comblés par ce nouveau titre, aussi convaincant que furent ses précédents enregistrements, consacrés aux femmes de Richard Strauss (Four last songs et arias extraits des opéras Hélène d’Egypte ou Ariadne auf Naxos, 1 cd Decca 2008), aux rôles défendus par ses aînées (« Homage, the age of the diva » 1 cd Decca, 2006)

Phrasés onctueux et soyeux, justesse et style sans affect ni pathos, Renée Fleming apporte une compréhension du texte et du chant puccinien, indiscutable. Senza mamma de Suor Angelica (1918:prière d’une religieuse à son enfant mort) inscrit dans un pianissimo maîtrisé et expressif (piano appassionato, ailleurs oxymore schubertien)…

La voix articule et sait jusqu’à l’incandescence animer le verbe: elle en sculpte chaque intention palpitante, construisant une architecture du mot d’un rare accomplissement.. Ecoutez « Ah! il suo nome! » de Lodoletta (1917) de Mascagni dont la diva défricheuse sait aussi nous rendre Iris, drame japonisant de 1898, bientôt défait par le grand rival de Mascagni, Puccini (et sa Butterfly); voyez encore cette Conchita de Zandonai (1911), femme objet soumise, ou pauvre fille de mauvaise vie qui raconte non sans saveur les attentions qu’elle prodigue à 3 hommes différents. C’est encore Zazà (1900) de Leoncavallo: un duo entre Renée Fleming (Zazà, véritable soprano spinto) et l’enfant (en voix parlée qui est la fillette de son amant, un homme marié par ailleurs) à l’intimisme franc; « O mia cuna, fiorita di sogni e di melodi » de Gloria (1907) de Cilea… qui est en nuances murmurées d’une émotion palpable, le dépit d’une amoureuse éprouvée, fatalement éprise de l’ennemie de sa ville, Sienne, ainsi trahie … autant de raretés qui méritent bien cet éclairage inespéré grâce au feu de la diva.

Le disque met en lumière les nombreux rivaux malheureux de Puccini, le seul qui perça réellement sur les planches, sa célébrité en témoigne encore. Le programme souligne la figure de Catalani, originaire de Lucques comme Puccini: mort avant 40 ans, Catalani connaît un grand succès avec La Wally (1892) dont Renée Fleming sait éviter le célébrissime air du I (Ebben? Ne andro lontana) mais recherche les couleurs ferventes du monologue au III: couleurs de l’interrogation, celles de la jeune femme qui se demande ce que signifie le baiser échangé avec le chasseur Hagenbach…: « Né mai dunque avro pace? »… graves ourlés dans un questionnement toujours au service de l’intense projection des affects. Ici comme ailleurs, la soprano excelle à exprimer la vulnérabilité de ses héroïnes accablées par le destin. Amoureuses incomprises, solitudes inquiètes…

Marco Armiliato dirige l’Orchestre Symphonique de Milan Giuseppe Verdi avec un tact racé et nuancé, sachant moduler avec la sauvagerie vériste, en parfait complice de la diva. Saluons tout autant la révérence du ténorissimo promis à une prochaine gloire, Jonas Kaufmann pour une réplique de fièvre et d’or, dans La Rondine de Puccini.

Renée Fleming, soprano. Verismo. Giacomo Puccini (1858-1924) : Suor Angelica, La Rondine, La Bohème, Manon Lescaut, Turandot. Pietro Mascagni (1863-1945) : Iris, Lodoletta. Alfredo Catalani (1854-1893) : La Wally. Ruggero Leoncavallo (1857-1919) : La Bohème, Zazà. Riccardo Zandonai (1883-1944) : Conchita. Francesco Cilea (1866-1950) : Gloria. Umberto Giordano (1867-1948) : Fedora, Siberia. Renée Fleming, soprano. Chœur et Orchestre Symphonique de Milan Giuseppe Verdi, direction : Marco Armiliato.
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