dimanche 6 octobre 2024

CD, critique. Rameau: Pièces de clavecin en concert (Bruno Procopio, label Paraty – 2012)

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Un CD événementRameau: Pièces de clavecin en concert (Procopio, 2012) –  critique de cd – Avec ses Pièces pour clavecin en concert, Rameau offre un aboutissement inégalé dans l’art de la musique de chambre mais selon son goût, c’est à dire avec impertinence et nouveauté: jamais avant lui, le clavecin, instrument polyphonique et d’accompagnement n’avait osé revendiquer son autonomie expressive de la sorte. Publié en 1741, voici bien le sommet du chambrisme français sous la règne de Louis XV: alors que Bach se concentre sur le seul tissu polyphonique, Rameau fait éclater la palette sonore du clavier central, qui de pilier confiné devient soliste concertant (avec les deux instruments de dessus: violon ou flûte, et viole ou 2è violon).

La prééminence du clavecin est déjà annoncée par les Sonates d’Elisabeth Jacquet de la Guerre et de Montéclair. Mais l’inventivité mélodique, le raffinement, la vivacité électrisante du style ramélien repoussent encore les limites du genre (ivresse concertante de l’Agaçante). Disons immédiatement ce qui nous gêne: la partie et l’acidité tendue du violon qui semble dire d’un bout à l’autre, je suis là et je revendique le premier plan mélodique (Le Vézinet): un contresens qui affecte le chant libre et si facétieux, fluide et si volubile du clavecin. Question de sonorité et de style, le violon contorsionne toujours, se pique de tournures affectées, semble régler un sort à chaque phrase. Que son Rameau est perruqué en petit marquis. L’option peut déranger. Elle s’avère particulièrement mordante dans le portrait charge de La Pouplinière (la La Poplinière): évocation aigre-douce du protecteur de Rameau, tracée, il est vrai, plus à l’acide qu’à l’encre respectueuse. Nonobstant, saluons la complicité des autres instruments: viole toute en nuances et expression (et de surcroît d’une difficulté monstre, Rameau y rend hommage par exemple à Forqueray, rien de moins!, en ouverture du Vème Concert) Et quand la flûte de l’excellent François Lazarevitch se joint au violon et à la viole (La Livri), la tonalité d’une douceur immédiatement rayonnante, entre tendre volupté et tristesse mélancolique, convainc sans réserves; les interprètes accordés trouvent le ton juste, voire envoûtant: on aimerait connaître ce Livri entre autres, dont la pièce éponyme brosse un portrait bien séduisant (en vérité l’un des protecteurs du compositeur mort récemment). Même constat pour la pudeur (autobiographique?) de La Timide où la flûte allemande atténue l’incisive agressivité du violon.

Et que dire pour clore le chapitre des réserves, du pincé sec du violon dans les Tambourins du IIIè Concert : aigreur acide bien peu enjouée et fidèle au soleil des danses qui ont la Provence pour origine…. Pour autant la vitalité de La Rameau (concession du maître à lui-même), l’engagement de La Forqueray, la berceuse secrète et mystérieuse de La Cupis, la grâce purement chorégraphique de La Marais accréditent pour les plus réservés la haute valeur musicale de cet album Rameau dont les options et partis divers ne manqueront pas de susciter réactions voire débats. le clavecin roi de Rameau Mais au cœur de ce programme des plus réjouissants, d’autant plus opportun pour la prochaine année Rameau 2014, s’affirme le clavecin de Bruno Procopio: l’ex élève des Rousset et Hantaï y confirme son immense talent, son intelligence interprétative, une finesse flamboyante qui éclaire le génie d’un Rameau touché par la grâce. Belle idée de souligner la place centrale dans l’œuvre du Dijonais en ajoutant 5 des 7 pièces composant la Suite en la du IIIè Livre de clavecin de 1728: ici se succèdent Allemande, Courante, Sarabande… d’une exaltante euphorie intimiste, où les doigts experts savent relever les défis techniques et poétiques du jeu des ” Trois mains ” et de la Triomphante finale, habilement et légitimement retenue en conclusion superlative. Le choix du clavecin (copie d’un Rückers avec petit ravalement dans le style français) ajoute à la perfection du jeu de Bruno Procopio: au timbre clair de l’instrument répondent aussi la puissance et la rondeur d’un son chantant, souvent bondissant. Faisons ainsi révérence à la superbe Sarabande, dont la noblesse et la tendresse sont magnifiquement exprimées: le claveciniste saisit tout ce en quoi l’écriture de Rameau sait s’enivrer d’un monde sonore pur qui place au dessus de tout le génie musical; la musique sans les paroles se fait chant, drame, tissu émotionnel…

Ramélien de cœur, Bruno Procopio réalise un acte de foi. Heureuse année 2013 qui voit aussi paraître presque simultanément un second cd Rameau, mais non pas intimiste celui-là, mais plutôt symphonique et chorégraphique, dédiée aux ouvertures et ballets de Rameau, de surcroît avec un orchestre peu familier du Baroque français, l’Orchestre Symphonique Simon Bolivar du Venezuela. Le claveciniste a troqué l’étoffe du concertiste pour la baguette du chef. Autre programme, autre défi… pleinement relevé là encore.

Jean-Philippe Rameau: Pièces de clavecin en concert (1741). Nouvelles Suites de pièces de clavecin (1728). Patrick Bismuth, violon? François Lazarevitch, flûtes allemandes. Emmanuelle Guigues, viole de gambe. 1 cd Paraty 412201. Durée: 1h19mn. Enregistré en 2012.

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