samedi 20 avril 2024

Qui est Luigi Cherubini?Entretien avec Alexandre Dratwicki

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Festival Cherubini
Qui est Cherubini?


Organiser un premier festival Luigi Cherubini (1760-1842)
permet de percer le mystère d’une esthétique propre, celle du romantisme français alors naissant, tout au moins en devenir. Rôle d’un étranger en France, compositeur révolutionnaire puis institution « statufiée » (et détestée par… Berlioz), artisan d’une écriture nouvelle italienne, allemande, et donc française, puis figure conservatrice au service des Rois de France sous la Restauration, Cherubini ne laisse pas de surprendre et de captiver. C’est tout l’intérêt du Festival Cherubini présenté par le Palazzetto Bru Zane à Venise, Centre de musique Française (du 2 octobre au 3 novembre 2010) qui organise de nombreux concerts et opéras en Italie et en Europe à l’occasion des 250 ans de la naissance du compositeur florentin. Alexandre Dratwicki, directeur scientifique au Palazzetto nous rappelle la place singulière de Chérubini et les enjeux du nouveau festival d’octobre et de novembre 2010…

Pourquoi mettre l’accent sur Luigi Cherubini aujourd’hui?

Alexandre Dratwicki: Cherubini doit le peu de notoriété qu’il possède à la volonté de Maria Callas d’interpréter Médée il y a plusieurs décennies. Il a en revanche contre lui les anecdotes assassines rapportées par Berlioz dans ses écrits. Nature cosmopolite, homme mystérieux, probablement austère, Cherubini offre un parfait exemple de la double problématique de « l’influence » et de « l’acclimatation » lorsqu’on évoque les échanges artistiques internationaux. A-t-il imposé un style italien à Paris ? A-t-il copié un style français dans sa musique ? Ou a-t-il imposé une esthétique personnelle propre ? C’est à ces questions qu’il s’agit de répondre en organisant le festival d’automne du Palazzetto, en laissant la musique s’exprimer elle-même plutôt qu’en favorisant des débats théoriques qui peinent à décrire – à priori – le véritable style de Cherubini une fois écartées les quelques œuvres jouées périodiquement.
Et Cherubini est aussi l’occasion d’un clin d’œil à la « double nationalité » du Palazzetto Bru Zane, fondation italienne œuvrant sur le patrimoine français…


Qu’apporte t il concrètement de pertinent à l’essor d’un romantisme proprement français?

Compositeur italien, figure de proue de la grande période des transferts culturels franco-italiens du règne de Louis XVI (Piccinni, Salieri, Sacchini, Viotti, etc.), Cherubini est sans doute le seul compositeur à avoir banni sa manière italienne au profit non pas d’une simple assimilation du langage français (de Gluck), mais de la radicalisation d’un langage « révolutionnaire », que l’on pourrait considérer autant comme du « Sturm und Drand » tardif que du pré-romantisme expérimental. Le seul qui puisse lui être comparé de ce point de vue est Beethoven… qui l’admirait considérablement.
Cherubini a surtout œuvré dans le domaine de l’opéra. On sait que c’est presque toujours dans ce genre que les expérimentations les plus osées ont eu lieu. Cherubini s’est également illustré dans la musique religieuse, à une époque où la Chapelle des Tuileries disposait d’effectifs considérables, et laissait au compositeur le choix de structurer ses messes de manière très souple. Moins prolixe dans le domaine de la musique instrumentale, il a laissé plusieurs quatuors et quintettes et une symphonie qui montre une personnalité tournée vers l’esthétique noble de la musique allemande plutôt qu’italienne.


Sur quels aspe
cts de son oeuvre la programmation du Festival Cherubini met-elle l’accent justement?

Faire découvrir un individu comme Cherubini oblige à l’objectivité, autrement dit à ne pas favoriser un genre plutôt qu’un autre, ce qui peut fausser considérablement le jugement. Il aurait été souhaitable de programmer davantage d’opéras de l’auteur, mais les problématiques de production ont obligé à se concentrer sur Lodoïska et sur Pimmalione. En revanche – en extraits – sont abordés Faniska, Les Deux Journées, Médée, Eliza, Démophon, La Prisonnière. Parmi les raretés, signalons en particuliers les cantates Circé et Clytemnestre (pour le Concert spirituel de Paris), les airs italiens composés pour le théâtre de Monsieur, la Symphonie rarement jouée, quelques pièces de musique religieuse et le très beau Chant sur la mort de Haydn.
Il était également important de remettre Cherubini « en contexte ». D’où l’intitulé complet du festival : « Cherubini ET LES PREMIERS ROMANTIQUES ». Sont ainsi convoqués Hérold, Kreutzer, Reicha, Méhul, Grétry, Jadin, Onslow, Gluck, Vogel, Arriaga, Pleyel, Rossini, Spontini, Boëly, etc. D’ailleurs, certains « événement » de ce premier festival portent sur d’autres compositeurs de la même période. On attend beaucoup – par exemple – de la recréation de La Mort d’Abel de Rodolphe Kreutzer et d’Amadis de Gaule de Johann Christian Bach…
Lire notre présentation Festival Cherubini et les premiers romantiques. Du 2 octobre au 2 novembre, présenté par le Palazzetto Bru Zane, à Venise et en Europe…

Le Festival Luigi Cherubini
présenté par le Palazzetto Bru Zane Centre de musique romantique
française à Venise réhabilite un compositeur clé dont l’oeuvre ouvre de
nouvelles perspectives pour mieux comprendre l’éclosion du romantisme
français pré-berliozien, entre 1800 et 1830. Le programme annoncé
comprend pages connues et oeuvres rares, signées par Cherubini et ses
contemporains. Quelques temps forts: Quatuors
(Cherubini, Boccherini, Cambini, Quatuor Mosaïques, le 2 octobre 2010 à
Venise Palazzetto Bru Zane, puis le 2 décembre à l’Opéra de Limoges);
choix de cantates dramatiques: Pimmalione, Clytemnestre, Circé et Médée de Cherubini à la Scuola Grande San Giovanni Evangelista, le 3 octobre (Les Nouveaux Caractères, Sébastien d’Hérin); Lodoïska de Cherubini au Teatro La Fenice, le 13 octobre 2010 (au TCE à Paris, le 11 octobre); musique de chambre
(Cherubini, Rossini, Méhul, Pleyel, A Venti, Concervatoire Benedetto
Marcello à Venise, le 2 novembre 2010; à Paris, Invalides, le 15 octobre
et à Dijon, le 3 décembre). Autre rareté particulièrement éloquente aux
côtés des ouvrages de Cherubini et propice à l’éssor d’un opéra
romantique français, La mort d’Abel, tragédie lyrique de 1810 de Rodolphe Kreutzer
par les Agrémens, le choeur de chambre de Namur. Guy van Waas,
direction (avec comme solistes entre autres: Yumiko Tanimura, Méala;
Sébastien Droy, Abel; Jennifer Borghi, Eve…), le 14 novembre 2010 à
Liège (Salle Philharmonique à 16h).

Festival Luigi Cherubini (1760-1842) et les premiers romantiques, à Venise et dans le monde, du 2
octobre au 2 novembre 2010.

Illustration: Portrait de Luigi Cherubini par Ingres, vers 1842. Cherubini jeune (DR)

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