Bordeaux, Opéra. Rameau : Dardanus. 18>26 avril 2015. 5 représentations pour un chef d’oeuvre musical que le génie de Rameau porte au sommet de l’inspiration baroque française. L’intrigue pose les jalons d’un huit clos amoureux composé de trois protagonistes : Iphise est aimée par deux prétendants : Anténor et Dardanus. Ce dernier ennemi de son père Teucer, est le seul aimé par la princesse. Comme toujours le surnaturel et le fantastique font la valeur des héros et révèlent leurs talents : Dardanus sauve des griffes du monstre Anténor qui laisse son rival épouser Iphise.
Depuis son premier opéra Hippolyte et Aricie en 1733, Rameau ne cesse d’attiser la haine des lullistes. .. avec le succès des Indes galantes puis des Fêtes d’Hebe, Dardanus propose un nouveau regard sur la tragédie lyrique, combinaison stimulante de l’amour, du merveilleux, du surnaturel fantastique et spectaculaire. En bien des points, Rameau d’ouvrage tragique en ballet enchanteur va toujours plus loin. Formellement, harmoniquement.
Le livret de Leclerc de la Bruère, jeune auteur à la mode, un temps favorisé par Voltaire, est plus digne d’un Opéra ballet que d’une tragédie. .. Son manque d’unité et de progression dramatique, son caractère décousu affaiblissent en vérité un ouvrage que seul le traitement musical élève au rang de chef d’oeuvre : fils de Jupiter, Dardanus fait basculer le prétexte mythologique vers le merveilleux et le pouvoir des enchantements. Mais la prose et la construction poétique de La Bruère n’a pas l’intensité ni la tension des livrets de Pirrhus (Royer, 1730), ou de Jephté de Montéclair (1732).
Les deux amants Iphise et Dardanus s’aiment contre la volonté des hommes : les obstacles inventés par La Bruère manquent de nécessité dramatique, ils tombent souvent à plat dans le flux du drame : autorité du père d’Iphise (Teucer), rivalité du guerrier Antenor (qui aime aussi Iphise), formidable monstre destiné à révéler la valeur de chacun. .. pire, les épisodes dansés et les tableaux merveilleux sont mal intégrés à l’action. Superposition plutôt que fusion. .. malheureuse.
Le merveilleux dans Dardanus
D’emblée, pourtant, ce qui frappe dans Dardanus, c’est la place du merveilleux et de la magie : présence du magicien Isménor dont le pouvoir accompagne Dardanus, et dévoile à ce dernier les vrais sentiments d’Iphise à son égard ; puis sommeil de Dardanus et songe du héros (avec divertissement dansé) soudainement libéré d’une prison où il était tenu prisonnier (superbes décors de Piranèse pour la reprise de l’opéra après sa création), enfin monstre affreux qui révèle Dardanus à sa vraie nature : un héros vainqueur promis à l’amour. .. Qu’il s’agisse de la version initiale de 1739 ou de celle de 1744, la partition captive par sa caractérisation musicale : le compositeur sait à l’inverse des divertissements dansés au prétexte totalement invraisemblable, approfondir la psychologie des protagonistes, concevoir des situations aux couleurs harmoniques inédites qui forcent l’admiration : le mode lugubre de la prière de Dardanus (Lieux funestes où tout respire la honte et la douleur) dans sa prison, reste un moment inoubliable dont la profondeur et la justesse émotionnelle égale la prière de Telaïre dans Castor et Pollux (Tristes apprêts, pâles flambeaux. ..). Si les vers de La Bruère sont indiscutablement bien trempés, le livret dans sa totalité n’a pas la même cohérence : le poète était bon pour la séquence non pour le drame dans sa continuité. Mais pour la création, Rameau a pu compter sur le tempérament virtuose du ténor Jéliotte, dont il fait son chanteur favori…
Le jeune ensemble Pygmalion et son chef Raphael Pichon ont fait de Rameau leur fond de commerce mais avec un verdeur encore perfectible : en témoigne encore leur récent enregistrement de Castor et Pollux, réalisé à Versailles : pas assez cohérent, poétiquement instable. En avril 2015, leur escale bordelaise pourrait indiquer une nouvelle maturité dans leur approche… A suivre donc.
Rameau : Dardanus à l’Opéra de Bordeaux
Mise en scène, Michel Fau
Décors, Emmanuel Charles
Costumes, David Belugou
Lumières, Joël Fabing
Maquillages et masques, Pascale Fau
Chorégraphe, Christopher Williams
Vénus, Karina Gauvin
Iphise, Gaëlle Arquez
Dardanus, Frédéric Antoun
Anténor, Florian Sempey
Teucer, Isménor, Nahuel di Pierro
Un songe, l’Amour, une phrygienne,
Katherine Watson
Un Phrygien, Etienne Bazola
Un Songe, Virgile Ancely
Un Songe, Guillaume Gutiérrez
Ensemble Pygmalion Chœur et Orchestre
Direction musicale, Raphaël Pichon
Les 18, 20, 22, 24 et 26 avril 2015, 20h (le 26 à 15h)
Illustrations : Rameau, Pierre Jéliotte / Jélyotte, les prisons de Piranèse (DR)