CLASSIQUENEWS : Comment avez-vous composé le programme de ce disque ? Comment avez vous sélectionné chaque œuvre pour transmettre quel sens ?
SIMONE TOLOMEO : Ce disque représente une partie de mes dernières années d’écriture. La rencontre et les études avec Nicolas Bacri m’ont ouvert les yeux à un univers stylistique de la musique contemporaine que je considérais perdu. Cela m’a permis de me redécouvrir en tant qu’artiste et de laisser la place à une vision personnelle du monde.
Ce disque est tout simplement le résultat de cette période de recherche. Les œuvres sélectionnées sont les plus représentatives de mes deux dernières années en tant que compositeur. Elles font toute référence à la musique populaire, le monde d’où je viens ; néanmoins, elles prennent forme dans la musique de tradition écrite qui conserve le concept de grande forme. Celle-ci nous permet de nous balader constamment vers des univers différents sans jamais perdre la référence d’unité.
CLASSIQUENEWS : Les deux œuvres chambristes sont aussi denses qu’éclectiques. Quelles en sont les sources d’inspiration (sujets, compositeurs précédents, …) ? Y a t il une direction, une architecture sous jacente pour chaque pièce (Quintette et Quatuor) ? Idem pour la Sonatine …
SIMONE TOLOMEO : Je pense que les trois œuvres (quintette, quatuor et sonatine) ont un point commun qui est la Sonate en si mineur pour piano de Liszt, peut-être la première pièce écrite où tous les matériaux thématiques sont profondément liés. En effet, lorsque je vais à un musée, j’écoute une œuvre symphonique, je vais au théâtre, j’ai le besoin très personnel de recherche de l’accomplissement d’unité. Une fois rentré dans le monde de l’artiste, de cette unité, je me laisse surprendre et mes ressentis peuvent voyager librement. Un autre aspect est lié au besoin de ne jamais m’ennuyer. Lorsque j’écoute les Quatuors à Cordes de Debussy, Ravel, Bartók, je ne m’ennuie jamais ; j’y découvre toujours des nouveaux aspects (ainsi que des nouvelles interprétations) qui me donnent de plus en plus envie d’écouter ces oeuvres.
Dans le cas spécifique du Quatuor à cordes, son écriture a commencé lors d’une période de découverte des quatuors à cordes de Weinberg et de Britten. Ces deux compositeurs m’ont particulièrement touché pour leur capacité à nous faire partager leur monde personnel tout en nous accompagnant avec un langage clair mais innovateur. Ils ont été un peu mon Virgile dans l’Enfer dantesque !
Après, on peut retrouver plein d’autres influences dans la musique du XX et XXI siècle. En effet, chaque fois qu’on s’assoie pour écrire quelques notes, l’imaginaire nous fait voyageur, mais aussi la mémoire des œuvres écoutées et analysées, nous aide à découvrir notre style personnel. Les idées existent dans la culture collective. Aucune composition, aucun artiste sont indépendants de ce qu’il y a autour ; la nouveauté est donnée dans la façon avec laquelle on transforme les idées, on les rend personnelles, vu qu’on a tous des expériences et des sensibilités différentes. Très clairement, le public est aussi partie active de ce processus.
C’est pour cela que je pourrais vous dire qu’on trouve aussi des influences de Berg, Szymanowski, Schostakovich, Bacri, Holmboe, Ginastera, Simpson, Bartok, mais si on me demande où exactement, dans quelles parties, je serais un peu perdu. Ce qui est sûr est que des fois des mélodies et des rythmes populaires ressortent, prennent place au sein des œuvres ; des fois de façon claire et d’autres fois de façon cachée.
Par rapport au Quintette pour piano et Quatuor à cordes, les influences ont été très variées. Des fois, il ressortait un côté tumultueux qui peut nous rappeler Stravinsky, ou le modalisme contrapuntique de Chostakovich et Weinberg, le rythme de Ginastera, mais aussi beaucoup de fois ressortaient la tristesse et la nostalgie des œuvres de Lili Boulanger, Franck et Vierne.
Pareil pour la Sonatine, où l’écoute des oeuvres de piano de Bartok, Barber, Ginastera, mais aussi Miaskovski s’est mélangée avec des rythmes populaires les plus variés, de l’Amérique Latine et de la Méditerranée.
CLASSIQUENEWS : Qu’avez vous en particulier travaillé aves les instrumentistes ? Quels points et aspects de l’écriture musicale ? Pour quels caractères ?
SIMONE TOLOMEO : Je dirais la mise en place (je rigole). Ben, en effet, des fois, vu que la polyrythmie et les modulations rythmiques sont des aspects que j’aime beaucoup lors de la dynamisation de la musique, nous avons beaucoup travaillé la mise en place. Cependant, j’ai eu la chance de travailler avec des musiciens totalement dévoués à la cause artistique (l’Ensemble ConTempo formé par Fernando Viani au piano, Carmela Delgado au bandonéon et le Quatuor Fenris) . En effet, le travail de création demande un investissement différent pour les interprètes, vu qu’aucune référence antérieure n’existe.
Un aspect que j’ai particulièrement aimé travailler a été la recherche de clarté du discours. La musique n’est dense, pas parce qu’elle n’est pas claire, mais parce qu’elle est vivante. Comme dans nos vies, il est très rare d’écouter un discours avec un silence absolu autour, même des fois, dans les endroits consacrées à l’écoute, on entend chuchoter, ou dans la nature, on entend toujours des sons autres qui interrompent notre pensée. Alors, imaginons dans la ville. Des fois, la musique est aussi urbaine, il faut aussi s’habituer à vivre avec ce chaos sonore ; par contre on est capable de choisir ce qu’on veut entendre. Le rôle des interprètes est de mettre en valeur des aspects plutôt que d’autres, mais après, c’est aussi à l’auditeur être partie active dans l’écoute.
CLASSIQUENEWS : Quel est votre regard sur la place et la diffusion de la musique contemporaine en France ? Quelle est votre expérience personnelle ?
SIMONE TOLOMEO : Je trouve que la scène de la musique contemporaine en France est très active. Malheureusement, le public s’est éloigné avec le temps. La sensation est que le public, les mélomanes, ne s’y retrouvent plus ; ils ont perdu leurs repères et cela ne contribue pas à l’image de la musique contemporaine dans notre société, alors que l’expérience d’un concert de création musicale est à conseiller à tout le monde. Les ressenties, la nouveauté, la découverte, la recherche de repères, bien que des sentiments antagoniques, nous font sentir vivants. Je trouve que la musique contemporaine doit continuer le processus de démocratisation, qui a déjà commencé il y a quelques années. Offrir l’accès, des clés d’écoutes, des formations, déjà aux gens, écoliers et étudiants des conservatoires, est fondamental, vu qu’ils seront les musiciens et les mélomanes du futur.
CLASSIQUENEWS : Comment définissez vous votre écriture ? Dans quelle « mouvance » vous inscrivez-vous ?
SIMONE TOLOMEO : Je crois que la mélodie a un aspect relevant dans mes œuvres, aussi le modalisme et la polytonalité. Mais le rythme aussi, ainsi que le contrepoint, la recherche de timbre. Vous voyez, il est difficile de se définir, je pourrais vous dire que peut-être mon écriture rentre dans le cadre du ‘modalisme-chromatique » mais je ne sais pas si le message est clair.
Je pense que dans le monde actuel, nous avons le besoin ainsi que le devoir de créer des œuvres nouvelles qui gardent un lien avec la tradition tout en offrant une nouveauté artistique. Le public conservera alors ses repères, mais découvrira aussi dans la musique contemporaine l’accomplissement de sa nécessité de primauté de la mélodie.
CLASSIQUENEWS : Avez-vous de nouveaux projets, sous d’autres formes ? Symphoniques, lyriques ? La voix vous inspire-t-elle ? Dans quelles réalisations ?
SIMONE TOLOMEO : À l’heure actuelle, j’ai plusieurs projets en route. Déjà, très prochainement, il va y avoir la création d’un Quintette pour bandonéon et quatuor à cordes, par l’Ensemble ConTempo (Carmela Delgado au bandonéon et le Quatuor Fenris). Le bandonéon est mon instrument principal et je suis très lié émotionellement à sa sonorité de « synthétiseur du XIX siècle ». Il a été conçu comme orgue pour les processions religieuses et il a terminé dans les bals de tango à Buenos Aires. Cet instrument a un potentiel énorme, au niveau du timbre, et son mélange avec les cordes crée des sonorités exceptionnellement attractives.
D’autres projets sont aussi en route, liés à des pièces symphonique : une ouverture dédiée à Gino Strada, fondateur d’Emergency, et une symphonie pour orchestre à cordes, inspiré en partie de l’oeuvre de Lili Boulanger.
Mais aussi des projets de concertos (pour piano, pour commencer) sont en route.
Par rapport à la voix, j’ai en tête une composition pour six voix seules, une pièce en plusieurs langues dédiée à la Méditerranée. Mais pour le moment n’existent que des brouillons … Comme vous voyez, il y a beaucoup d’idées, il faut juste avoir la patience et le temps de les réaliser !
Propos recueillis en septembre 2023
Photos : Simone Tolomeo (DR)
Approfondir
Visitez le site officiel du compositeur Simone Tolomeo :
Critique CD
CRITIQUE CD – LIRE aussi notre critique du CD ConTempo : Quatuor, Quintette, Sonatine… de Simone Tolomeo (CLIC de CLASSIQUENEWS automne 2023) : https://www.classiquenews.com/critique-cd-evenement-contempo-simone-tolomeo-quintette-pour-piano-quatuor-sonatine-pour-piano-ensemble-contempo-1-cd-nowlands-2023/
CONCERT
ConTempo en concert à Paris
1er octobre 2023 à 17h30
au Temple des Batignoles
44 Bd. des Batignoles
réservez vos places à : [email protected]
___________________________________________