Parmi les compositeurs contemporains, Simone Tolomeo, élève de Nicolas Bacri à la Schola cantorum, trace un chant ample et profond, à l’éclectisme bouillonnant dont la concision de la forme, l’exigence dans l’architecture et la direction de chaque pièce suscitent l’admiration, d’autant qu’ici les instrumentistes expriment tous les registres sonores d’une imagination particulièrement féconde.
Son imaginaire crépite et inquiète ; il est doué de combinaisons sonores magnifiquement ouvragées (la fin du Quintette) comme de pièces idéalement structurées, dans le respect préservé des formes classiques, où perce souvent une fascination heureuse pour les motifs et rythmes argentins (début rythmique de la Sonatine pour piano).
En témoigne le programme généreux de ce premier recueil qui regroupent plusieurs pièces récentes composées de 2020 à 2023. S’y détachent surtout aux côtés de la Sonatine pour piano et de l’Étude pour bandonéon, deux œuvres chambristes, particulièrement denses et concises.
Le Quintette avec piano opus 6 – pièce la plus récente (2023) séduit dans ses 3 mouvements (Andante, Grave, Presto, respectivement sonate, lied, scherzo), de structure, assez proche du développement du Quatuor. La noblesse grave de l’andante initial mêle astucieusement Weinberg et Stravinsky en une sorte de cheminement suractif mécanisé dont le piano marque chaque avancée, avant la détente finale où s’émancipent alto puis violon. Beau contraste avec le plain chant énigmatique et sourd du début du lied central, tapis préalable au solo éperdu, hagard du violon, doublé par l’alto. Les instrumentistes expriment la texture même du doute voir d’une angoisse persistante tout au long de ce mouvement qui saisit par ses tensions exacerbées et finit au piano sur des notes martelées qui introduisent le scherzo lui aussi plus qu’échevelé, d’une rythmique parodique, à la fois tendue et délirante dont les éclairs inquiétants laissent surgir des séquences d’un pur onirisme. La fin est saisissante, travaillée en un murmure d’exténuation où les timbres superposés produisent une texture inédite, génialement expressionniste. A la fois râle et souffle.
D’emblée avouons notre affection particulière pour le Quatuor opus 5 (2021), d’une facture classique presque stricte, et tout autant passionnant par sa surexpressivité ciselée. Dédié à son professeur Nicolas Bacri, l’Opus 5 saisit par sa densité et ses couleurs aussi passionnées que contrastées. La partition en 3 mouvements suit un parcours parfaitement architecturé (forme sonate dont le développement formel dessine comme une déambulation à la fois onirique et sauvage qui se souvient de Weinberg, Ravel, Debussy, Bartók, Berg, Szymanowski, Janacek… et Bacri).
Immédiatement, l’étrangeté inquiète de l’Allegro cantabile exprime dans des eaux troubles, une course aux accents âpres, intranquille, comme une quête inextinguible ; passionnante, la sensibilité des membres du Quatuor Fenris, d’une très belle cohérence, exprime tous les contrechamps intérieurs, versant dans une rêverie aux vertiges oublieux, sans écarter les parties chantantes presque insouciantes où semblent percer un temps des rythmes argentins, une sorte de tango fugace. Tels accents lyriques enivrés – s’achèvent dans le murmure, une activité ténue, comme secrète, énoncée enfin en une dernière expiration mystérieuse.
L’Adagio captive tout autant par sa densité passionnée (référence pour nous à La nuit transfigurée de Schoenberg) – un lied, aux teintes irisées, post romantiques, qui mêle rancœur et ressentiment amoureux, désabusé (alto soliste) – tension sourde qui enfle et se retient dans l’ombre – climat de plénitude inquiète là encore (frère des meilleurs œuvres de Janacek et de Szymanowski déjà cités), qui affleure une obsession hypnotique. Remarquable, la sonorité du Quatuor, y compris dans le suraigu, énoncé comme sur le fil, comme un funambule ivre et incertain – s’achève aussi en expirant.
Aux allures d’un Scherzo, le Presto final, rythmique, énergique / – s’obstine par sa vitalité mécanique – danse, course à la fois qui avance enivré, dans une ivresse chostakovienne : pleine de fausse insouciance et de cris parodiques, en une course hallucinée, hagarde, électrique dont la légèreté ciselée est idéalement réalisée par les quatre instrumentistes du Quatuor – jusqu’à la fin, échevelée, comme une question sans réponse, une stridence qui blesse.
En complément, l’Étude pour Bandonéon (sept 2020) entraîne immédiatement par sa fulgurance, éclairs et crépitements sonores comme une flamme incandescente qui danse et provoque ; c’est aussi un excellent exercice pour les doigts de l’instrumentiste qui doit maîtriser les positions, tout en explorant à dessein, le langage polymodal-chromatique.
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CRITIQUE CD événement. ConTempo. SIMONE TOLOMEO : Quintette pour piano, Quatuor, Sonatine pour piano, … Ensemble ConTempo (1 CD Nowlands 2023). #TAC048 – parution : le 15 septembre 2023.
Quintette pour piano et quatuor à cordes, Op.6 25’03
1 – Moderato con moto 7:17
2 – Grave 9:28
3 – Presto – Tempo primo 8:18
Sonatine pour piano, Op.4 13’49
4 – Allegro molto 4:13
5 – Andante 4:55
6 – Prestissimo 4:38
Quatuor à cordes n.1, Op.5 19’49
7 – Allegro cantabile 7:23
8 – Adagio 5:23
9 – Presto 7:03
Étude pour bandonéon, Op.1 2’24
Quatuor Fenris
Pierre Alvarez, violon
Camille Labroue, violon
Vincent Verhoeven, alto
Florian Laforge, violoncelle
Fernando Viani, piano
Carmela Delgado, bandonéon
Enregistré en mars et juin 2023 au studio Malambo @ TAC, Bois-Colombes
PLUS D’INFOS sur le site du label NOWLANDS Music :
https://www.nowlands.fr/
CONCERT
ConTempo en concert à Paris
1er octobre 2023 à 17h30
au Temple des Batignoles
44 Bd. des Batignoles
réservez vos places à : [email protected]
LIRE aussi notre annonce du cd événement ConTempo / Simone Tolomeo : https://www.classiquenews.com/cd-annonce-contempo-quintette-quatuor-de-simone-tolomeo-1-cd-nowlands/
CD, annonce. CONTEMPO : QUINTETTE, QUATUOR… de Simone Tolomeo [1 cd Nowlands]
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