Pour le 1er week-end d’automne du Festival Les Coups de coeur à Chantilly, le pianiste Iddo Bar-Shaï, directeur artistique, invite l’un des orchestres français sur instrument historiques parmi les plus convaincants de l’heure, Les Siècles sous la direction du chef Jakob Lehmann : retrouvailles en vérité car la phalange était déjà présente en 2021. Les 14 et 15 sept, le programme symphonique met l’architecture du Château et des Grandes Écuries au diapason des vertiges orchestraux, principalement au service des grands romantiques germaniques, de Schubert à Bruckner (pour son bicentenaire) sans omettre Fauré (pour le centenaire de sa mort)…
Pour (re)découvrir la sublime acoustique du Dôme des Grandes Écuries, le spectateur traverse d’abord les écuries encore occupées par les chevaux, puis rejoint l’espace colossal du Dôme, chef d’oeuvre architectural qui le temps du Festival révèle son aptitude à accueillir la musique, y compris comme ce week end, des effectifs importants.
Le 14 sept à 18h, Les Siècles y jouent deux symphonies romantiques viennoises parmi les plus puissantes du répertoire, puissantes mais enivrantes et toutes deux, laissées inachevées par leur auteur ; la 8è de Schubert (1822), ample portique romantique, certes inachevée mais spectaculaire et envoûtante; suivie dans la même soirée de la 9è de Bruckner, testament de toute une vie (en ré mineur, comme le Requiem de Mozart), portée par l’exemple de Wagner, une piété ardente et sincère, et la passion des conquêtes orchestrales… Sur instruments allemands classiques (Schubert) et instruments allemands et autrichiens de la fin du 19e siècle (Bruckner) – Les deux créations furent jouées post-mortem, les compositeurs n’ayant jamais eu l’occasion d’entendre leurs œuvres. Diptyque prometteur.
INFOS & RÉSERVATIONS : https://chateaudechantilly.fr/evenement/les-coups-de-coeur-a-chantilly/
L’intégralité du programme ici :
https://lescoupsdecoeurachantilly.com/les-siecles-a-chantilly-programme-2024/
SAMEDI 14 SEPTEMBRE 2024, à 18h
DÔME DES GRANDES ÉCURIES
Orchestre Les Siècles
Jakob Lehmann, direction
Schubert, Bruckner
Schubert : Symphonie n° 8 (Inachevée)
en si mineur, D. 759
Entracte
Bruckner : Symphonie n° 9 en Ré mineur,
WAB 109 (version 1894)
DIMANCHE 15 SEPTEMBRE 2024, à 17h
DÔME DES GRANDES ÉCURIES
Mozart, Hosokawa, Stravinsky, Fauré
Mozart : Concerto pour piano No. 23
en La Majeur, K.488
Hosokawa : Lotus Under the Moonlight
(piano et orchestre)
Entracte
Stravinsky : 3 Poésies de la lyrique japonaise
(soprano et orchestre)
Fauré : Requiem, Op. 48
Iddo Bar-Shaï, piano
Momo Kodama, piano
Julie Roset, soprano
Thomas Dolié, baryton
Ensemble vocal Aedes
Orchestre Les Siècles
Jakob Lehmann, direction
approfondir
Symphonie n°8 de Schubert
D’emblée, les grands chefs doivent concilier dans une conception équilibrée, les caractères mêlés (volcanique, primitif, chtonien…) des deux mouvements qui nous sont parvenus et qui font de l’opus 8, ce massif sublime « inachevé ». Chaque tutti est une morsure, chaque mesure de valse du premier mouvement (I. Allegro moderato), une caresse et …un adieu mélancolique ; mais ce qui séduit c’est l’immersion dans la profondeur et ce surgissement irrépressible d’une vérité terrifiante qui enfle et foudroie ; entre oubli et renoncement mais aussi clairvoyance, l’orchestre requis se doit d’éclairer la puissante architecture à la fois tragique et cynique, au souffle prométhéen grâce à laquelle le divin Schubert égale la vision de l’ombre tutélaire, son grand contemporain à Vienne, et figure incontournable de la musique moderne … Beethoven.
Entre le rugissement du volcan, son antre profond, et la tendresse qui rassure et rassérène, Schubert soigne l’écart des vertiges, l’éclat des profondeurs, les soleils noirs, les ténèbres, leurs insondables menaces (cordes acérées, vives, trépidantes) autant que l’ineffable oubli, la volonté d’effacement).
Dans l’Andante con moto (II), face souterraine et mystérieuse du portique précédent, Schubert convoque les mêmes proportions du colossal, élargi encore grâce à l’assise des basses, couplée à une parfaite lisibilité des cuivres et la tendresse des bois et des vents…
Le bénéfice des instruments historiques se révèle toujours bénéfique, en particulier pour les œuvres spectaculaires : les contrastes et les dialogues entre les pupitres gagnent une définition précise, des arêtes plus vives, et globalement une caractérisation plus affûtée ; couleurs et timbres nuancent considérablement le spectre sonore soulignant, et la grandeur et le souffle beethovéniens, et la sensibilité mozartienne, une sincérité miraculeuse. Rien de mieux, pour exprimer et faire chanter toutes les tensions d’une partition à la fois somptueuse et volcanique
Symphonie n°9 de Bruckner
Elle aussi est inachevée et d’une genèse difficile et contrariée : amorcée à l’été 1887, puis abandonnée, repris enfin en1891, la 9è éprouve Bruckner, dévore ses dernières forces car il est atteint de pleurésie et s’éteint en 1896 à Vienne en laissant des ébauches pour le dernier mouvement (Finale)… L’œuvre est pensée comme un adieu et une récapitulation de toute une existence, Bruckner se citant lui-même, réservant pour chaque motif recyclé (« Benedictus » de la Messe en fa, entre autres) une amplification particulière. Plus que ses précédentes, Bruckner structure la 9è comme un parcours souterrain aux lueurs mystérieuses, cheminement parcouru de révélations à décoder et probablement très intimes (toujours en liaison avec sa profonde piété). Ainsi la ferveur ciselée du premier mouvement (I. Feierlich, misterioso : solennel et mystérieux. Cf les cuivres conclusifs qui enivrent littéralement en un appel à l’infini universel). Le Scherzo (mouvementé et vif) qui suit évoque sans filtre l’enfer des âmes perdues, indignes car ils ont refusé l’espérance… L’Adagio final (Sehr langsam, feierlich : très lent et solennel) rétablit la caractère du premier mouvement, auquel Bruckner ajoute clairement cet adieu à la vie (« Abschied vom Leben »), ample choral qui s’appuie sur la noblesse tellurique des tubas… en une ultime image, Bruckner semble évoquer la fin du monde, l’abolition de la terre tandis que s’affirme la percée céleste vers l’éternité de Dieu. On ne sautait écarter pour la compréhension de l’œuvre, son caractère éminemment spirituel.
Plus d’infos sur le site du Festival COUPS DE COEUR A CHANTILLY 2024 (Week end des 14 et 15 septembre 2024) :
https://chateaudechantilly.fr/evenement/les-coups-de-coeur-a-chantilly/
Plus d’infos sur le site de l’Orchestre Les Siècles : https://www.lessiecles.com/
Programme Schubert / Bruckner, repris à TOURCOING, Théâtre Raymond Devos, le 29 sept 2024, 15h30 : https://www.lessiecles.com/events/schubert-bruckner-tourcoing/