Arte. Jeudi 17 septembre 2015, 20h50. Donizetti : L’Elixir d’amour à l’aéroport de Milan. Pour l’Expo Milano 2015, La Scala s’invite à l’aéroport Malpensa de Milan et y représente devant les caméras d’Arte (et de la RAI), l’Elisir d’amore de Donizetti créé en 1832 à Milan mais au Teatro della Canobbiana. L’intrigue est mince mais remaniée pour les planches lyriques, par l’excellent Romani (le librettiste de Bellini, d’après Scribe). Dans un village basque, un jeune paysan timide Nemorino en pince pour l’ardente arrogante Adina. Histoire d’amour teintée de romantisme désuet, le garçon n’ose déclarer sa flamme alors que la jeune fille n’attend que cela. Elle feint d’en aimer un autre, le sergent Belcore qu’elle compte même épouser sans délai… pour mieux éprouver le cœur de Nemorino. Avant le Tristan de Wagner (1865), déjà ici Nemorino se fait rouler par le charlatan Dulcamara qui lui vend une bouteille de Bordeaux pour un philtre d’amour (l’Elixir) : s’il boit, il deviendra irrésistible et Adina ne pourra lui résister. Mais au II, on prépare déjà la noce d’Adina et de Belcore : pour acheter à Dulcamara une autre bouteille d’Elixir (et faire boire Adina), Nemorino s’engage dans la troupe militaire de Belcore… Adina apprend cela, rachète le brevet de son fiancé et l’épouse, d’autant qu’entre temps, Nemorino a hérité de son oncle richissime. Ils seront jeunes, fortunés et déjà célèbres…
La partition de Donizetti revisite et l’opéra bouffa napolitain (personnage de Dulcamara pour un baryton délirant et burlesque), mais aussi le seria et l’opéra comique français par la profondeur émotionnelle des protagonistes dont le lunaire et tragique Nemorino (son air Una furtiva lagrima au II exprime avec une exceptionnelle intensité lunaire, le désespoir d’un cœur abandonné qui se sent trahi…) ; les duos éblouissent par leur parure expressive, d’un lyrisme échevelé, éperdu : la musique, raffinée, mélodiquement prenante dépassent un simple exercice comique. Et le personnage d’Adina, comme celui de Norina dans Don Pasquale (1843), semble ressusciter les piquantes astucieuses finalement au grand cœur, une évolution des figures féminines si mordantes et palpitantes du buffa napolitain depuis Pergolesi (La Serva padrona) et Jommelli (Don Trastullo).
Notre avis. Alors qu’a à faire une comédie de Donizetti dans l’aéroport de Milan ? A l’heure du tout sécuritaire, depuis l’attentat déjoué du Thalys, et quand le renforcement des mesures de sécurité des avions est le sujet essentiel, ce dispositif filmé par les caméras de télé (Arte et la Rai) frôle l’ineptie surréaliste : on veut nous mettre de la légèreté dans un monde qui tourne sur la tête ; un nouvel effet du déni collectif dans lequel nous vivons… D’autant que l’opéra va très bien et n’a guère besoin de renouveler ses publics… non, un aéroport est un lieu idéal pour placer caméras et micros, faire jouer tout un orchestre et des acteurs chanteurs. Et dire que la réalisatrice de l’opération (Grischa Asagaroff) craint des interférences provoquant des dérèglements dans la tour de contrôle ! Qu’a à gagner l’opéra dans cette opération technicomédiatique ? L’aéroport Malpensa se refait une image (à l’italienne), mais tous ceux qui auraient pu découvrir l’opéra par un autre biais que la salle du théâtre si élitiste ou impressionnante… attendront leur tour.
Songeons à l’argent investi pour cette opération : il aurait été mieux dépensé dans les multiples actions pédagogiques auprès des scolaires ou d’autres publics. Artistiquement, la production affiche le ténor italien en vogue : Vittorio Grigolo en Nemrino qui donnera la réplique à l’Adina de Eleonora Buratto. Cette production tient l’affiche de La Scala du 21 septembre au 17 octobre 2015 ; l’opération Malpensa est donc une sorte de générale avant les soirées classiques sur la scène scaligène. On se souvient d’une précédente opération (La Bohème de Puccini en septembre 2009) dans la banlieue de Berne… action autrement plus bénéfique pour la démocratisation de l’opéra et pour toucher des spectateurs certainement déconcertés convaincus par cette confrontation bénéfique. Les théâtres d’opéra étant pour une bonne part subventionnés par l’Etat et les collectivités, il serait urgent que chaque action profitent surtout à ses principaux financeurs : les contribuables et les population (d’autant que le dispositif avait été une réussite largement relayée par classiquenews). Tout cela avait fait sens. L’Elixir à l’aéroport ne serait-il pas qu’une question d’opportunité marketing et de défi technique ? Les artistes, directeurs et scénographes feraient tout pour qu’on parle d’eux.
Les amateurs de Donizetti et de cette perle lyrique de 1832 seront eux ravis par un dispositif qui renouvellera peut-être la lecture de l’oeuvre…. A voir sur Arte, le 17 septembre 2015, à partir de 20h50.
Arte. Jeudi 17 septembre 2015, 20h50. Donizetti : L’Elixir d’amour à l’aéroport de Milan.
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