OperaVision, opĂ©ra on line : Maria Stuarda de Donizeeti depuis l’Irish National Opera

maria-malibran-maria-stuarda-rossini-donizetti-opera-classiquenewsOPERAVISION, opĂ©ra on line : DONIZETTI : Maria Stuarda, depuis le Irish National Opera. Dès le 8 juil, 19h. EnregistrĂ© et filmĂ© le 11 juin 2022 – Londres, 1587. Deux reines sont contemporaines mais l’une d’elles doit se dĂ©mettre. L’une est catholique et Ă©cossaise : c’est Maria (Stuarda, soprano), l’autre est protestante et anglaise, c’est Elisabeth (Tudor, mezzo-soprano). Entre les deux : un homme partagĂ© entre amour et loyautĂ© (Leicester). L’une a fait emprisonner l’autre, qui la gratifie en retour (confrontation tendue de l’acte II) de « Vile bâtarde » : c’en est trop Elisabeth humiliĂ©e, signe l’arrĂŞt de mort de Maria. Car Elisabeth dĂ©cide la mort de sa cousine, quitte Ă  en faire une reine martyr. Le drame s’achève quand les gardes emmènent Maria sur de le chemin de l’échafaud…

L’opera seria en 3 actes de Donizetti est créé en 1834 au San Carlo de Naples, dans une version Ă©dulcorĂ©e (intitulĂ©e « Buondelmonte », dĂ©placĂ© Ă  la Renaissance !) qui devait plaire au Roi. Donizetti frustrĂ© obtient de la Scala la crĂ©ation de son opĂ©ra originel, avec Maria Malibran dans le rĂ´le-titre (cf portrait ci dessus, DR). Dans la caractĂ©risation sublime des portraits des deux femmes, – leur violente altercation Ă  l’acte II, point d’orgue de toute l’action, Donizetti annonce le rĂ©alisme franc, direct, hautement dramatique de Verdi.

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VOIR Maria Stuarda depuis le Irish National Opera
sur operavision, dès le 8 juil et jusq’8 janv 2023 :
https://operavision.eu/fr/performance/maria-stuarda

La CrĂ©ation affichĂ©e en 1834 doit ĂŞtre reportĂ©e et la partition, modifiĂ©e… L’insulte est si violente que la première reprĂ©sentation de la tragĂ©die lyrique de Donizetti Ă  Naples est annulĂ©e Ă  la dernière minute par une intervention royale. Une rĂ©vision Ă©dulcorĂ©e Ă©choue Ă  la Scala l’annĂ©e suivante, lorsque la grande Maria Malibran dĂ©cide de chanter les paroles originales. Il faudra plus d’un siècle pour que Maria Stuarda ne fasse enfin son entrĂ©e dans le monde de l’opĂ©ra. Pour les rĂ´les fĂ©minins principaux, Irish National Opera fait appel Ă  deux chanteuses irlandaises aux carrières brillantes et internationales : la mezzo-soprano Tara Erraught et la soprano Anna Devin. La nouvelle production de Tom Creed promet un aperçu contemporain de ce qu’il se passe lorsque les grands États impĂ©riaux empiètent sur leurs petits voisins et lorsque les Ă©motions viennent troubler la politique.

DISTRIBUTION
Maria Stuarda : Tara Erraught
Elisabetta : Anna Devin
Anna : Gemma NĂ­ Bhriain
Leicester : Arthur Espiritu
Cecil : Giorgio Caoduro
Talbot : Callum Thorpe
Chœurs : Irish National Opera Chorus
Orchestre : Irish National Opera Orchestra

Musique : Gaetano Donizetti
Texte : Giuseppe Bardari
Direction musicale : Fergus Sheil
Mise en scène : Tom Creed
Décors et costumes : Katie Davenport
Lumières: Sinéad McKenna
Chef de Chœur : Elaine Kelly

L’Elisir d’Amore Ă  Orange

L'Opéra de TOURS affiche l'ELISIR d'AMORE de DONIZETTIFRANCE MUSIQUE, en direct des Corégies d’Orange 2022. Vendredi 8 juillet 2022, 21h15. Pour la première fois à l’affiche des Chorégies, L’Elisir d’amore, opera buffa génial signé Donizetti lequel retrouve la vivacité facétieuse, pathétique de Rossini… Les Chorégies d’Orange réunissent pour se faire deux solistes prometteurs : Pretty Yende (Adina), René Barbera (Nemorino dont l’air « Una furtiva lagrima » reste la pièce maîtresse d’une partition à la fois touchante et tendre, cynique et délirante,… aux côtés du baryton Erwin Schrott en Dulcamara. Le chef Giacomo Sagripanti dirige les Chœurs des Opéras Grand Avignon et de Monte Carlo et les instrumentistes du Philharmonique de Radio France : superbe soirée d’opéra en perspective !
Concert donné en direct le 8 juillet 2022 au Théâtre antique d’Orange dans le cadre des Chorégies d’Orange 2022.

Gaetano Donizetti

L’Elisir d’amore
Opéra comique en 2 acte sur un livret de Felice Romani
crée au Teatro della Canob- biana de Milan le 12 mai 1832

René Barbera, ténor, Nemorino
Pretty Yende, soprano, Adina
Andrei Filonczyk, baryton, Belcore
Erwin Schrott, baryton, il Dottor Dulcamara
Anna Nalbandiants, soprano, Giannetta
Orchestre Philharmonique de Radio France
Direction : Giacomo Sagripanti

COMPRENDRE LA PARTITION, LES ENJEUX de L’Elisir d’amore…
L’écriture de Donizetti est l’une des plus diversifiée et subtiles qui soient. Encouragé par Simone Mayr, le jeune compositeur renforce sa vocation musicale ; il étudie ensuite à Bologne chez le père Stanislao Mattei, professeur de Rossini… de fait il y a de la finesse et un raffinement indiscutable chez Gaetano dont la majorité des interprètes font un auteur surexpressif et préverdien. En retrouvant l’esprit, l’intelligence et la facétie de Rossini chez Donizetti, beaucoup de productions valoriseraient leurs apports en servant mieux le caractère et l’intelligence d’un auteur, fin dramaturge, plus psychologique souvent que strictement narratif, et que l’on croit connaître…
Premier opéra à occuper sans la quitter l’affiche, L’Elisir d’amore, créé en 1832 à La Scala de Milan, est un chef d’oeuvre buffa, comme le sera Don pasquale (Paris, 1843), 20 ans plus tard. Une élégance exceptionnelle dans l’invention mélodique (bellinienne), la saveur de situations comiques piquantes (rossiniennes), et aussi un jeu formel qui interroge jusqu’aux limites expressives du genre : Donizetti est un génie dramatique, car même s’il s’agit d’un théâtre comique et bouffon, le profil des caractères, leur profondeur et leur trouble désignent non plus de types comiques, mais des individualités qui souffrent et désirent.
Ainsi l’opéra en deux actes, exploite toutes les possibilités comiques des contrastes : Nemerino (ténor) aime Adina (soprano), sans savoir si la jeune beauté l’aime en retour… Il est pauvre, ne sait pas lire ; elle est riche et cultivée (médite sur les pages de la légende de Tristan et Iseult). Mais très fière : jamais elle n’avouera un sentiment pour le jeune homme, de surcroit, rustre et maladroit… Pour susciter sa jalousie et l’inviter à se déclarer, Adina se fiance avec le sergent Belcore (baryton)… Survient un marchant bonimenteur, Dulcamara (basse), qui vend un elixir magique : en boire, permet de séduire tous les coeurs, c’est à dire être irrésistible. Après péripéties et faux semblants, à la fin du I, Adina pense épouser Belcore.
Toute action lyrique a son moment de bascule : le détail, la séquence habilement préparée par tout ce qui a précédé, et durant laquelle une métamorphose a lieu – magie du spectacle (quand les interprètes sont au diapason de cet accomplissement).
LARME ENCHANTERESSE… Au II, alors qu’elle retarde son mariage avec le soldat, et qu’elle apprend que Nemorino s’est lui-même enrôlé dans l’armée pour elle, Adina laisse s’écouler dune larme furtive (Una furtiva lagrima), découvrant dans la personne du jeune homme, celui qu’elle attendait. Sans mot dire, Nemorino a saisi le sens de cette goutte inespéré, d’un pur amour… en son air solo : « Una furtiva lagrima », d’une intensité elle aussi pure et sincère (l’un des airs pour ténor parmi les plus envoûtants de la littérature lyrique et qui a sacré les légendes tels Alfredo Kraus, Luciano Pavarotti, Carlo Bergonzi, José Carreras…), le jeune homme exprime la découverte d’un amour enfin réciproque : Adina l’aime. C’est bien le sommet – point maximal de l’émotion, subtilement dosée par un Donizetti qui se montre psychologue positif, avisé, tendre… du coeur et des sentiments humains.

ARTE. Don Pasquale Ă  l’OpĂ©ra de Hambourg

L'Elisir d'amor de DONIZETTI à l'Opéra de TOURSARTE, Dim 29 mai 2022, 23h50. DONIZETTI : Don Pasquale. Vieux filou encore vert, Don Pasquale entend déshériter son neveu Ernesto et s’entête à vouloir prendre femme au risque de perdre la paix et l’harmonie. Le barbon ne manque de toupet en prenant la fiancée de son neveu (Norina), sûr qu’il fait un bon tour… C’était mal évaluer l’intelligence des jeunes amants qui avec l’aide du Docteur Malatesta, se vengent en retournant la situation à leur avantage ; en fin d’action, Don Pasquale se sépare de l’incontrôlable épouse et supplie Ernesto de revenir chez lui. L’opéra de Hambourg en avril 2022 affiche l’opéra de Donizetti, sommet romantiquecréé en 1843, qui renouvelle l’intelligence des comédies déjantées de Rossini.

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OpĂ©ra bouffe en 3 actes – durĂ©e : 2h30)
Livret de Giovanni Ruffini
Orch Philharmonique de Hambourg
David Bösch, mise en scène
Matteo Beltrami, direction
Distribution :
Ambrogio Maestri (Don Pasquale)
  -  Danielle de Niese (Norina)  -  
Kartal Karagedik (Dottore Malatesta)  -  
Levy Sekgapane (Ernesto)  -  
Jóhann Kristinsson (Notario)

Sur ARTE, dim 29 mai 2022, 23h50
EN REPLAY sur ARTEconcert, dès le 29 mai 2022 à 18h jusqu’au 28 août 2022, ici :
https://www.arte.tv/en/videos/105456-000-A/gaetano-donizetti-don-pasquale/

 

 

 

 

 

 

Approfondir
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Un vieux barbon rêve de faire ” d’une pierre deux coups ” : déshériter son neveu trop rebelle à son goût et lui ravir sa jeune fiancée. Mais la belle a plus
d’un tour dans son sac… elle se montre même d’une violence insupportable
pour ce vieillard devenu son époux et qui pensait gouter pour ses vieux
jours au miel d’une jeune beauté tout à fait soumise. 
Le trio vocal principal emprunte à la tradition du Buffa italien le plus classique.
L’intrigue puise directement son inspiration dans la commedia dell’arte : Don 
Pasquale figure ainsi Pantalone, son neveu Ernesto le Pierrot amoureux,
Malatesta le rusé Scapin et Norina, la douce Colombine.
Donizetti compose l’oeuvre en un temps record, onze jours si l’on en croit sa
correspondance, non sans mettre à contribution plusieurs de ses ouvrages
précédents. Le résultat est sans conteste l’une des plus éblouissantes
illustrations du genre bouffe au XIXe siècle.
 Tous les ingrédients semblent rassemblés pour servir au mieux le génie de Donizetti.
Sur le sujet remâché de celui qui est pris à son propre piège (comme Falstaff de Verdi, d’après Shakespeare), Donizetti revisite Rossini et brosse une exquise galerie de portraits. C’est comme toujours une subtile guerre des classes ou la femme fausse proie facile, se fait puissante dominatrice, sirène manipulatrice prête à tout pour triompher …. et vaincre le phalo qui se cache en tout homme: Don Pasquale qui pensait tout connaitre du sexe dit “faible” l’apprend à ses dépends.
Pourquoi ce Don Pasquale ? Créé au Théâtre des Italiens à Paris en 1843, le Don Pasquale donizettien approfondit plus encore la veine comique de Rossini en brossant un portrait de vieux troublant et magnifique, blessé et bouleversant jamais vu ailleurs, et bientôt accompli chez le vieux Verdi, celui de Falstaff. Le barbon devient figure de la désolation, âme crépusculaire impuissante et si naïve, véritable Don quichotte domestique.

 

 

 

 

 

 

COMPTE-RENDU, opéra. TOULOUSE, Capitole, le 27 janv 2019. DONIZETTI : Lucrezia Borgia. Massis, Pancrazi… Caiani / Sagripanti

COMPTE-RENDU, opĂ©ra. TOULOUSE, Capitole, le 27 janv 2019. DONIZETTI : Lucrezia Borgia. Massis, Pancrazi… Caiani / Sagripanti : Le bel canto romantique remis au goĂ»t du public par seulement quelques grandes voix (Callas, Sutherland, CaballĂ©) est assez rarement prĂ©sentĂ© au public en dehors de quelques titres dont Ă©merge Lucia de Lamermoor. Ainsi la très rare Lucrezia Borgia fait l’Ă©vĂ©nement Ă  Toulouse. La soprano française Annick Massis au sommet d’une carrière bientĂ´t trentenaire fait une prise de rĂ´le risquĂ©e. Elle ne dĂ©mĂ©ritera pas vocalement. Prudente dans le prologue, elle Ă©volue lentement vers plus d’engagement et sait garder une marge de progression pour un final très abouti. Les exigences vocales sont sauves et la voix d’Annick Massis garde homogĂ©nĂ©itĂ© et brillant. La souplesse des phrasĂ©s fait merveille et les nuances  vocales sont dĂ©licates. Mais les emportements sont très maitrisĂ©s, peut ĂŞtre trop.

 

 

 

TOULOUSE, TEMPLE DU BEL CANTO

 
 
DONIZETTI BORGIA critique opera classiquenews Lucrèce Borgia - Annick Massis (Lucrèce Borgia) et Mert Süngü (Gennaro) - crédit Patrice Nin
 
 

Les vocalises fusent et les trilles sont admirables. Le bel canto est sauf dans sa dimension vocale mais souffre un peu scĂ©niquement ; nous y reviendrons car Annick Massis n’est pas seule dans cette Ă©trange galère. Le deuxième rĂ´le important est celui du tĂ©nor : le jeune Mert SĂĽngĂĽ fait merveille. Son Gennaro a la fougue de la jeunesse, ses emportements et ses excès. Vocalement le tĂ©nor a un timbre clair et une aisance vocale très apprĂ©ciable. Son chant s’Ă©panouit dans toute la vaste tessiture. Le mari, très antipathique, est parfaitement campĂ© par Andreas Bauer Kanabas avec un timbre mordant et des accents puissants. Mais c’est la mezzo-soprano ElĂ©onore Pancrazi qui avec panache et Ă©lĂ©gance campe un jeune Orsini tout Ă  fait admirable. Sa voix chaude et ses vocalises habiles font merveille. Avec un jeu de couleurs et de puissance très dramatiques, elle donne Ă  ce rĂ´le ambigu un statut de destin dĂ©terminant. Les comparses de Gennaro, les serviteurs du duc et de la duchesse, tous les petits rĂ´les, sont admirablement tenus et les solides extraits du choeur du Capitole tiennent leur part sans avoir Ă  rougir. Le choeur est vivant et plein d’Ă©nergie.
L’orchestre du Capitole est parfait ; la direction de Giacomo Sagripanti allie prĂ©cision, Ă©lĂ©gance, sens du drame. La mise en scène est sage, sans audace, dĂ©cors simples, bien habillĂ©s par les lumières. L’attention se concentre sur les chanteurs, fort bien costumĂ©s mais hĂ©las très, très mal dirigĂ©s. Au moment du “climax” qui oppose Lucrezia Ă  son Duc face Ă  Gennaro, la rĂ©alisation malgrĂ© le drame musical, fait penser Ă  la rencontre de la Castafiore et du gĂ©nĂ©ral Alacazar se disputant la vie de Tintin… Il est en effet très curieux d’avoir ainsi abandonnĂ© les chanteurs aux  pires banalitĂ©s d’un théâtre compassĂ© que l’on croyait disparu, sans parler des gestes convenus et dĂ©risoires… Le bel canto Ă©tait lĂ , mais avec un cĂ´tĂ© archaĂŻque et vieillot, et si la belle partition de Donizetti en sort indemne, le théâtre issu de Victor Hugo en sort ridiculisĂ©. Lui donnant finalement raison, lorsqu’il refusait que ses drames soient adaptĂ©s Ă  l’opĂ©ra. Ce soir, seules les voix et la musique ont gagnĂ© leur immortalitĂ©.

 
 
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COMPTE-RENDU, opĂ©ra.Toulouse. Théâtre du Capitole, le 27 janvier 2019. Gaetano Donizetti(1797-1848): Lucrezia Borgia,Opera seria en deux actes et un prologue sur un livret de Felice Romani d’après Victor Hugo. Production : Palau de les Arts Reina SofĂ­a, Valence ( 2Ă 17). Emilio Sagi : Mise en scène ; Llorenç Corbella : DĂ©cors ; Pepa Ojanguren : Costumes; Eduardo Bravo : Lumières. Avec : Annick Massis, Lucrezia Borgia ; ElĂ©onore Pancrazi , Maffio Orsini ; Mert SĂĽngĂĽ, Gennaro ; Andreas Bauer Kanabas, Alfonso d’Este, duc de Ferrare ; Thomas Bettinger, Rustighello ; Galeano Salas, Jeppo Liverotto ; François PardailhĂ©, Oloferno Vitellozzo ; JĂ©rĂ©mie Brocard, Don Apostolo Gazella ; Rupert GrĹ“ssinger , Ascanio Petrucci ; Julien VĂ©ronèse, Gubetta ; Laurent Labarbe*, Astolfo ; Alexandre Durand*, L’Échanson / L’Huissier ; Jean-Luc Antoine*,Une Voix (* Artistes du Choeur); Orchestre national du Capitole ; ChĹ“ur du Capitole, direction Alfonso Caiani ; Giacomo Sagripanti : Direction musicale.  Photos : © P.NIN

 
 
 
 

COMPTE-RENDU, opéra. GENEVE, le 21 déc 2018. Donizetti : Le Convenienze ed inconvenienze teatrali. Madaras / Pelly.

Compte rendu, opĂ©ra. Genève, OpĂ©ra des Nations, le 21 dĂ©cembre 2018. Donizetti : Le Convenienze ed inconvenienze teatrali. Gergely Madaras / Laurent Pelly. Cette farsa aura traversĂ© presque deux siècles en conservant sa jeunesse et son actualitĂ©.  Fruit de l’union des arts et des compĂ©tences, l’opĂ©ra fait maintenant, le plus souvent, l’objet d’un consensus de tous ses acteurs autour d’un projet partagĂ©. C’est oublier ses enjeux de pouvoir durant les siècles passĂ©s, particulièrement du XVIIIe au XIXe S. C’est prĂ©cisĂ©ment ce que nous rappelle Donizetti, après Mozart (Der Schauspieldirektor, K 486). Bien avant Sografi et Gilardoni, Goldoni  (L’impresario delle Smirne) avait laissĂ© une vision drĂ´le et fĂ©roce du monde lyrique. Le livret qu’illustre le compositeur ne l’est pas moins.

Dans une salle d’opéra d’une petite ville italienne doit être créé le dernier opera seria de Biscroma, qui va en diriger les répétitions. Six chanteurs et quatre acteurs incontournables (le librettiste, le chef, l’imprésario, le directeur du théâtre) vont nous initier aux mystères de la création lyrique. Une prima donna prétentieuse, capricieuse, méprisante à l’endroit de la seconda, chacune d’elles étant promue avec conviction, la première par son mari, Procolo, la seconde par sa mère, Mamma Agata, ajoutez un ténor germanisant bouffi d’orgueil,  Guglielmo, et Pipetto, le contre-ténor, et vous aurez une distribution au sein de laquelle les jalousies, les vanités vont susciter des affrontements constants.

 

 

 

Comédie humaine éblouissante

 

 

 

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L’entente n’est pas davantage de mise entre les autres acteurs. Avant les démissions successives et  la débandade finale, les multiples rebondissements auront permis  de stigmatiser les travers de ce joli monde et de brocarder l’opera seria.
C’est l’occasion pour Donizetti, dont ce n’était pas la première farsa,  d’Ă©crire la musique la plus variĂ©e, chargĂ©e d’humour comme de sensibilitĂ©, rĂ©alisant ainsi une sorte de condensĂ© des productions musicales de son temps. Les textes parlĂ©s de la version initiale ont Ă©tĂ© abandonnĂ©s au profit de rĂ©citatifs. Quelques greffes  opportunes (deux airs d’autres ouvrages de Donizetti et un de Mercadante) permettent de hisser cette bouffonnerie au rang supĂ©rieur, en offrant aux solistes des occasions supplĂ©mentaires de dĂ©monstration belcantistes.
Laurent Pelly, qui signe la mise en scène, jette un regard attendri  sur cette salle d’opéra un peu désuète devenue parking, regard  évidemment partagé par les spectateurs. Sa direction d’acteurs est admirable. Les décors de Chantal Thomas, découverts lors de la création lyonnaise, en juin 2017, sont toujours aussi séduisants et efficaces, servis par les éclairages de Joël Adam. Habilement, c’est à flash-back que nous sommes conviés, le rideau se levant sur le parking très contemporain aménagé dans cet ancien opéra, et se baissant sur l’épisode préalable : sa destruction par une équipe maniant les marteaux-piqueurs. Entre les deux, c’est à la répétition que nous sommes conviés.  La comédie et ses épisodes ne se décrivent pas : toujours juste, elle donne vie à chacun des protagonistes, bien caractérisé, avec son humanité et ses travers. C’est un tourbillon qui nous emporte, où tout concourt au sourire comme à l’émotion.

 

 

 

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A peine sortie du remplacement au pied levĂ© de Joyce di Donato dans Maria Stuarda (au TCE), Patrizia Ciofi retrouve Daria,  la prima donna capricieuse, insolente qu’elle campa si bien Ă  Lyon. La voix est toujours aussi magique, avec un engagement total qui force l’admiration. L’agilitĂ©, les modelĂ©s, les mezza voce, toutes les qualitĂ©s sont bien lĂ , auxquelles il faut ajouter un art consommĂ© de comĂ©dienne. Elle brĂ»lera les planches, campant Ă  merveille cette diva avec un sens singulier de l’autodĂ©rision. Mais la vraie vedette de ce soir, c’est cette Mamma Agata en laquelle s’est muĂ© Laurent Naouri, monumentale mĂ©gère, protectrice et possessive de Luigia, qu’il veut promouvoir au premier rĂ´le. Bien sĂ»r le travestissement participe au comique, mais la maĂ®trise vocale (avec changements de registres) comme dramatique est exceptionnelle.  On adore.  Sa fille,  chantĂ©e ce soir par Melody Louledjian, gauche et timide Ă  souhait, se mue en une authentique diva dans l’air ajoutĂ© de Fausta. La voix est souple, claire et bien timbrĂ©e, longue, et n’appelle que des Ă©loges.  Procolo, David Bizic,  dĂ©fend bien les intĂ©rĂŞts de son envahissante Ă©pouse. Si son premier air connaĂ®t quelques dĂ©calages, celui qui suit « Viva il gran Procolo » est remarquable.  Le Guglielmo de Luciano Botelho ne fait pas oublier Enea Scala, que nous avions apprĂ©ciĂ© Ă  Lyon. Pour autant, ce tĂ©nor, voulu prĂ©tentieux au fort accent germanique, est fort bien campĂ©. Le compositeur-chef d’orchestre, Pietro di Bianco, est remarquable, tout comme le poète, Enric Martinez-Castignani. Les rĂ©citatifs sont toujours animĂ©s par un piano-forte inventif. Les trois grands ensembles dĂ©bordent de vie. La prĂ©cision de l’émission en est exemplaire, malgrĂ© les tempi imposĂ©s par le chef. Le chĹ“ur d’hommes du Grand Théâtre de Genève, robuste, nous vaut des figurants hors du commun (spĂ©cialistes du maniement des hallebardes !), de la première Ă  la dernière scène. Chaque air, chaque duo (celui de Daria et Mamma Agata, tout particulièrement), le sextuor de la lettre, la parodie de l’air du saule (de l’Otello de Rossini) par Mamma Agata, tout sĂ©duit et jamais l’intĂ©rĂŞt ne flĂ©chit. Gergely Madaras, maintenant familier de l’OpĂ©ra des Nations, dirige avec efficacitĂ© l’orchestre de Chambre de Genève. De la lĂ©gèretĂ© pĂ©tillante Ă  la pompe de la marche funèbre comme Ă  la grandiloquence de l’opera seria, toutes les expressions sont justes.

Une réussite achevée,  servie par une distribution d’excellence,  particulièrement bienvenue en cette fin d’année.

 

 

 

 

 

 

 

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Compte rendu, opéra. Genève, Opéra des Nations, le 21 décembre 2018. Donizetti : Le Convenienze ed inconvenienze teatrali. Gergely Madaras / Laurent Pelly. Crédit photographique © Carole Parodi

Nouvelle ANNA BOLENA par Marina Rebeka

REBEKA marina soprano bel canto cd critique review cd par classiquenewsBORDEAUX, Opéra. DONIZETTI : ANNA BOLENA, 5>18 nov 18. Anne Boleyn (1500-1536), seconde épouse d’Henri VIII d’Angleterre, finit sa courte ascension politique et amoureuse, décapitée pour des actes qu’elle n’avait pas commis : ainsi se réalise la cruauté et le bon vouloir du prince le plus volage de son époque, collectionneurs de jupons, trop obsédé par l’idée, l’urgence d’une descendance mâle. Cynisme de l’histoire, c’est la fille de Boleyn, Elisabeth qui règnera à la succession de son père. Devenant à l’époque de Shakespeare, la souveraine la plus impressionnante de la fin du XVIè.
Gaetano Donizetti demande au librettiste Felice Romani (partenaire de Bellini avant lui), un nouveau texte lyrique, capable de suggérer (bel canto) et d’incarner la passion tragique et funèbre de la reine assassinée. C’est avant Marie-Antoinette au XVIIIè, la figure royale digne et sacrifiée, la plus troublante dans l’histoire des Reines massacrées… martyrs de l’Histoire européenne.

La création d’Anna Bolena, en 1830 à Milan, remporte un succès important ; pourtant il faut attendre le XXè pour que l’ouvrage qui nécessite une soprano coloratoure dramatique, actrice autant que cantatrice, ne s’impose sur les planches, grâce à l’incarnation qu’en donne Maria Callas, en 1957 : immense tragédienne et grande belcantiste.

REBEKA marina soprano bel canto cd critique review cd par classiquenewsAprès avoir chanté Norma au Met et Traviata à Paris, la soprano lettone Marina Rebeka effectue à Bordeaux ses débuts dans le rôle-titre. Un événement en soi attendu par le monde lyrique, et qui est déjà préfiguré dans son récent album discographique, édité par la cantatrice elle-même (elle a créé son propre label PRIMA classics) : le programme enregistré intitulé SPIRITO rend hommage à la passion des héroînes tragiques du bel canto italien, dont justement une scène d’Anna Bolena, vivante, habitée, voire hallucinée et bien sûr, hautement tragique. LIRE le compte rendu du cd SPIRITO par classiquenews.com («  CLIC » de CLASSIQUENEWS de novembre 2018)

La metteure en scène Marie-Louise Bischofberger, épouse et collaboratrice du regretté Luc Bondy réalise la nouvelle production présentée à Bordeaux.

 

 

 

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DONIZETTI : ANNA BOLENA
Nouvelle production Ă  l’OpĂ©ra de BORDEAUX
Du 5 au 18 novembre 2018
Avec Marina REBEKA dans le rĂ´le-titre
RESERVEZ ICI VOTRE PLACE
https://www.opera-bordeaux.com/opera-anna-bolena-10887

Production Opéra National de Bordeaux
Musique de Gaetano Donizetti
Livret de Felice Romani, d’après Anna Bolena d’Ippolito Pindemonte (1816), traduction de l’Henry VIII de Marie-Joseph Chénier (1791)
Opéra en 2 actes créé au Teatro Carcano à Milan le 20 décembre 1830

 

 

 

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REBEKA marina soprano bel canto cd critique review cd par classiquenewsCLIC D'OR macaron 200LIRE aussi notre compte rendu complet du cd SPIRITO de MARINA REBEKA (1 cd PRIMA classics, novembre 2018)…  Extase tragique et mort inéluctable… : toutes les héroïnes incarnées par Marina Rebeka sont des âmes sacrificielles…. vouées à l’amour, à la mort. Le programme est ambitieux, enchaînant quelques unes des héroïnes les plus exigeantes vocalement : Norma évidemment la source bellinienne (lignes claires, harmonies onctueuses de la voix ciselée, enivrante et implorante, et pourtant âpre et mordante) ; Imogène dans Il Pirata, – d’une totale séduction par sa dignité et son intensité, sa sincérité et sa violence rentrée ; surtout les souveraines de Donizetti : Maria Stuarda (belle coloration tragique), Anna Bolena (que la diva chante à Bordeaux en novembre 2018, au moment où sort le présent album). Aucun doute, le cd souligne l’émergence d’une voix solide, au caractère riche qui le naisse pas indifférent. Les aigus sont aussi clairs et tranchants, comme à vif, que le medium et la couleur du timbre, large et singulière.

 

 

 

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Lucia di Lammermoor Ă  Tours

Mai et juin 2014 : printemps Donizetti !TOURS, OpĂ©ra. Lucia di Lammermoor : 7,9,11 octobre 2016. Le sommet belcantiste de Donizetti de 1835 investit l’OpĂ©ra de Tours pour 3 dates incontournables. Sur un livret de Salvatore Cammarano, l’action expose la figure sacrifiĂ©e de Lucia Ashton, mariĂ©e contre son grĂ© par son frère Enrico, alors que le jeune femme palpite plutĂ´t pour Edgardo, hĂ©las membre de la famille ennemie des Ashton. Ravenswood, Ashton … voilĂ  une nouvelle guerre dynastique qui rappelle Capulets contre Montaigus, ici et lĂ , c’est le coeur pur de deux amants sincères qui est broyĂ© pour sauvegarder l’immoralisme de guerres fratricides. Ainsi Lucia Ă©pousĂ©e malgrĂ© elle par Arturo Bucklaw, sombre dans la dĂ©pression et la folie ; tue son mari non dĂ©sirĂ© et meurt dans une fabuleuse scène de folie Ă©veillĂ©e au III. Comme pour Elvira des Puritains de Bellini (créé aussi en 1835), toutes les divas belcantistes dignes de ce nom se confrontent tĂ´t ou tard Ă  ce rĂ´le nĂ©cessitant tendresse, intensitĂ©, incandescence incarnĂ©es par une vocalitĂ  virtuose et flexible aux phrasĂ©s filigranĂ©s. Hier, Joan Sutherland, aujourd’hui la sud africaine Pretty Yende, irradiante irrĂ©sistible par son feu juvĂ©nile et acrobatique, confirmĂ© dans un superbe cd nouvellement paru (A Journey / Pretty Yende, Ă©ditĂ© en septembre 2016, CLIC de CLASSIQUENEWS)… chaque cantatrice colore par leur timbre spĂ©cifique et leur agilitĂ© mesurĂ©e, le profil tragique de Lucia. Pour rĂ©ussir ce Donizetti, arbitre du bon goĂ»t belcantiste – alliant raffinement, expressivitĂ©, Ă©lĂ©gance et noblesse, il faut un orchestre et des solistes de premier plan. Qu’en sera-t-il Ă  Tours en octobre 2016 ?

 

 

 

Lucia di Lammermoor Ă  l’OpĂ©ra de TOURS, OpĂ©ra sĂ©ria en trois actes
Livret de Salvatore Cammarano
Création le 26 septembre 1835 à Naples

Coproduction Opéra de Marseille & Opéra de Lausanne

Direction musicale : Benjamin Pionnier
Mise en scène : Frédéric Bélier-Garcia
Décors : Jacques Gabel
Costumes : Katia Duflot
Lumières : Roberto Venturi

Lucia : Désirée Rancatore
Edgardo : Jean-François Borras
Enrico : Jean-Luc Ballestra
Raimondo : Wojtek Smilek
Arturo : Mark van Arsdale
Alisa : Valentine Lemercier
Normanno : Enguerrand de Hys

Choeurs de l’OpĂ©ra de Tours
Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours

Vendredi 7 octobre 2016 – 20h
Dimanche 9 octobre – 15h
Mardi 11 octobre – 20h

16,50 € – 19,50 € – 33 € – 59 € – 72 €
Tarif rĂ©duit accordĂ© sur prĂ©sentation d’un justificatif valide.

 

 

Conférence / Introduction à l’opéra Lucia di Lammermoor
Samedi 1er octobre – 14h30
Grand Théâtre – Salle Jean Vilar
Entrée gratuite

 

 

 

Infos, réservations, présentation sur le site de l’Opéra de Tours

Roberto Devereux en direct au cinéma

CinĂ©ma. Roberto Devereux, le 16 avril 2016, 18h55. En direct du Metropolitan Opera de New York, Roberto Devereux poursuit sa carrière sur les planches, affirmant en particulier le relief des caractères vocaux qui y conduisent l’action historico-tragique. L’opĂ©ra de Donizetti sur la dynastie Tudor, est créé en 1837 et son format ambitieux laissait espĂ©rer pour l’auteur, une carrière enfin reconnue, cĂ©lĂ©brĂ©e Ă  … Paris, alors temple europĂ©en du lyrique. Sur le plan artistique, Donizetti signe un Ă©blouissant portrait amoureux, intime de la Reine Elizabeth Ière. Son rĂŞve de gloire parisienne se rĂ©alisera avec les partitions Ă  venir : les Martyrs (1848), La Fille du rĂ©giment et La Favorite.

Lyre tragique et portrait d’Elizabeth

radvanovsky sondraLyrisme exacerbĂ©, force des rĂ©citatifs souvent accompagnĂ© (du vrai théâtre musical), tentation mĂ©lancolique (si opposĂ©e Ă  la nostalgie Ă©lĂ©gantissime d’un Bellini), voire profondeur tragique … que Verdi saura sublimer encore après la mort de Donizetti (1848). La première de Roberto Devereux a lieu d’abord Ă  Naples en 1837, puis est créé triomphalement Ă  Paris en dĂ©cembre 1838 avec un trio de stars lyriques : Grisi, Rubini, Tamburini… Elizabeth Ière aime le Comte d’Essex, Roberto Devreux. Mais l’amant magnifique est fiancĂ© Ă  Sara. Croyant Ă  cette union qui alimente sa dĂ©vorante jalousie, Elizabeth signe l’acte de mort contre Essex, mais elle se ravise, se montre clĂ©mente (Vivi, ingrato ! / Vis ingrat!). Pourtant le Duc de Nottingham, Ă©poux lĂ©gitime de Sara, orchestre un complot contre Devereux et sa femme infidèle. En espĂ©rant un dĂ©nouement (et une histoire de bague permettant de disculper les coupables dĂ©signĂ©s), qui ne vient pas, Elizabeth, impuissante, assiste dĂ©sespĂ©rĂ©e Ă  l’exĂ©cution de son amant, et sombre dans des visions lugubres et hautement tragiques (le scepticisme tragique de Donizetti), dans une cabalette (maestoso) hallucinĂ©e (scène 9, III), oĂą voyant sa mort et un bain de sang, renonce au pouvoir en faveur de Jacques Ier…

Grandiose et sombre, théâtre et huis clos presque trop Ă©touffant, soulignant l’impuissance de chacun (y compris la Reine, plus prisonnière de sa dignitĂ© royale et politique que femme libre et amoureuse…), l’opĂ©ra en trois actes de Donizetti cible très justement la vĂ©ritĂ© des coeurs ; il en explore et rĂ©vèle la lyre tragique des sentiments. L’ouvrage offre un dĂ©fi pour les deux chanteuses en prĂ©sence, Ă  la fois rivales et aussi proches – Elizabeth (soprano) et Sara (mezzo). Sur les planches du Met Ă  New York, après les Gencer et CaballĂ© – vraies divas marquantes pour un rĂ´le Ă©crasant par sa profondeur et ses trilles-, c’est la soprano Sondra Radvanovsky qui rĂ©vĂ©lera la sincĂ©ritĂ© de la Souveraine Elizabeth, femme de pouvoir et d’autoritĂ©, pourtant dĂ©truite : le chant d’un diamant noir. Face Ă  elle, le superbe mezzo de Elina Garanca incarne une Sara non moins crĂ©dible et mĂŞme grave. David McVicar signe la mise en scène.  OpĂ©ra diffusĂ© en direct au cinĂ©ma, Ă  ne pas manquer, le 16 avril 2016 Ă  partir de 18h55. Dans toutes les salles de cinĂ©ma partenaires de l’opĂ©ration.

Compte-rendu, opéra. Avignon, Opéra. Maria Stuarda de Donizetti, le 27 janvier 2016. Ciofi, Deshayes, Pertusi

MARIE-STUART-francois-clouet-portrait-François_ClouetCRÉATION DE MARIE STUART A l’OPERA D’AVIGNON. De Marie Stuart, on pourrait dire que sa fin tragique lui a laissĂ© une place dans l’Histoire que son histoire ne lui aurait pas accordĂ©e. Et pourtant… reine d’Écosse Ă  quelques jours de sa naissance, de 1542 Ă  1567, reine de France Ă  dix-sept ans de 1559 Ă  1560, considĂ©rĂ©e par les catholiques, reine lĂ©gitime d’Angleterre et d’Irlande contre sa cousine Élisabeth (1533-1603) reine « bâtarde » car nĂ©e d’Anne Boleyn après l’irrecevable divorce pour eux d’Henry VIII d’avec Catherine d’Aragon, et Ă©cartĂ©e de la succession par son père qui fit dĂ©capiter sa mère puis par son frère Édouard VI. Tout pour une grande vie de reine multiple. ÉlevĂ©e dès l’âge de six ans dans la cour de France, parĂ©e de toutes grâces et d’une belle culture pour une femme de son temps, Ă  la mort du jeune roi François, catholique fervente, elle rentre Ă  dix-huit ans dans son royaume d’Écosse protestant, rĂ©gi par son demi-frère en son absence.

 À partir de là, de moins de tête que de cœur, malgré de bonnes intentions, elle ne fait que de mauvais choix : sans consulter personne, jetant dans la révolte son demi-frère et les nobles, elle épouse, son cousin germain, catholique. Son mari la trompe et maltraite, fait assassiner son favori musicien Rizzio sous ses yeux. Un mari tueur, à tuer… Il le sera par son amant, l’aventurier Bothwell. Il organise un attentat dont on croit qu’elle a donné l’ordre ou l’accord : il étrangle le roi consort et fait exploser une bombe, et le scandale, pour camoufler —mal— le meurtre. Marie le fait acquitter du crime sacrilège de régicide, confirmant les présomptions contre elle et, un mois après l’attentat, épouse en troisièmes noces l’assassin de son mari, protestant, s’aliénant, cette fois à la fois les catholiques, les nobles et sa cousine Élisabeth de neuf ans son aînée, la Reine Vierge, célibataire, rétive à l’hymen : il est vrai que l’exemple légué par son père Henry VIII, avec ses familles recomposées, ou plutôt décomposées, trois enfants de trois mères différentes, six mariages, deux divorces et deux femmes décapitées, n’incitait guère à donner confiance en l’institution conjugale. Élisabeth, choquée par la désinvolture matrimoniale et ce divorce à l’écossaise, à la dynamite, de sa jeune cousine et rivale tranquillement déclarée pour son trône d’Angleterre, n’osant un procès sur le régicide, fera instruire une enquête sur l’assassinat du roi consort, son cousin aussi.

Création à Avignon, de Maria Stuarda de Donizetti...

À PERDRE LA TÊTE…

Défaite par les lords révoltés menés par son demi-frère, emprisonnée —déjà— Marie s’évade  et va chercher refuge auprès d’Élisabeth, la prudente anglicane : elle a les Écossais sur le dos et se jette dans les bras des Anglais. Embarrassant cadeau pour Élisabeth qui enferme de résidence surveillée en prison de plus en plus sévère son encombrante cousine, soutenue par la France et la très catholique Espagne, pour empêcher, vainement, ses conspirations contre son trône et sa vie. Le dernier complot, de Babington, dans lequel on l’implique, à tort ou a raison, signera son arrêt de mort. On portera au crédit d’Élisabeth au moins d’avoir hésité dix-huit ans à se débarrasser de l’empêcheuse de régner en rond car les Tudor ont la hache facile : son père a fait décapiter deux de ses femmes, Anne Boleyn et Catherine Howard, son frère Edouard VI fait décapiter la gouvernante de leur demi-sœur Marie Tudor et celle-ci, Jeanne Grey, mise sur le trône à sa place. Dernière de cette charmante famille, Élisabeth tranche finalement dans le vif du sujet,  royal, mais après un procès qui condamne Marie à l’unanimité. À quarante-cinq ans, dont dix-neuf de captivité avec la prison écossaise, la triple reine, née apparemment pour les plaisirs, meurt atrocement : le bourreau, ivre, s’y reprend à trois fois pour la décapiter. Sans laisser une œuvre politique comme reine, elle sort de l’Histoire pour entrer dans la légende.

De la tragédie à l’opéra. Après une pièce française du XVIIe siècle, c’est la légende que cultive la tragédie de Schiller que Donizetti et son librettiste ont vue dans la traduction italienne de 1830. Réduisant à six le nombre de personnages, contraintes déjà économiques de l’opéra baroque et romantique qui emploie tout de même un vaste chœur, condensant en un seul, Leicester, le personnage de Mortimer, l’amoureux et celui qui complote l’évasion de Marie.
Contrairement à la pièce de théâtre qui commence après le procès alors que Marie connaît déjà sa condamnation, l’œuvre en étire habilement l’angoissante attente jusqu’au dernier acte, en ménage le suspense après une montée dramatique qui culmine jusqu’au paroxysme de l’affrontement entre les deux femmes ; l’opéra élude le procès préalable et fait porter sur la seule reine Élisabeth la responsabilité de  la sentence finale de mort, et non pour des raisons de justice et de politique, mais plus humainement passionnelles : la jalousie. Élisabeth dispute à Marie l’amour de Leicester qui a juré de la délivrer, et tente vainement de réconcilier les deux femmes et d’éviter l’issue fatale, qu’il ne fait que précipiter comme Desdémone plaidant pour Cassio et le perdant aux yeux du jaloux Othello, tout ce qu’il dit en faveur de la reine d’Écosse se retourne contre elle.

Maria Stuart de Donizetti Ă  l’OpĂ©ra d’Avignon

L’histoire sublimĂ©e par une vocalitĂ© sublime

donizetti maria stuarda marie stuart opera avignon ciofi CanavaggiaEn musique et très beau chant, ces aménagements dramatiques ont l’intérêt d’opposer des personnages antithétiques, contraires (Talbot) ou défavorables (Cécil) à Marie, des duos parallèles très intenses entre les deux reines et leur commun amour Leicester, l’un avec des apartés dépités ou rageurs d’Élisabeth qui tente et sonde les sentiments de celui qu’elle aime en secret mais aime Marie, comme Amnéris testant et découvrant l’amour d’Aïda, l’autre, entre espoir et détresse, entre Marie et Leicester, enfin, le climax, le sommet, le duo entre les deux reines où Marie, tout humilité d’abord, précipite sa chute en traitant Élisabeth de « bâtarde ». Les ensembles s’inscrivent en toute logique et avec une grande efficacité dramatique comme témoins impuissants, intercédant en sentiments opposés entre les deux femmes. Le chœur exprime joie, pitié du sort de Marie et, dans sa dernière intervention, évoque l’échafaud, l’apprêt du supplice, rendant inutile leur présence scénique.
Et, on ne devrait pas le dire trop haut en ces temps oĂą l’opĂ©ra, par force, se fait concert, le spectacle disparaissant par la pĂ©nurie, c’est l’un des intĂ©rĂŞts de cette version « concertante », « concentrante », concentrĂ©e sur la musique et les voix. Mais quelles voix, et quels artistes ! On oserait dire que tout parut plus fort, plus intense dans cet alignement des chanteurs ne diluant, pas dans une scène en mouvement et un jeu spatialisĂ©, la puissance de leur expression vocale et dramatique. Et, si le mot n’était aujourd’hui aussi galvaudĂ©, on oserait dire aussi qu’ils nous offrirent une reprĂ©sentation oĂą le tragique de l’Histoire Ă©tait sublimĂ©, au vrai sens d’â€idĂ©alisé’, â€purifié’, par la beautĂ© sublime de leur voix et de leur interprĂ©tation.
Concentration dynamique, haletante, du chef, Luciano Accocella, qui ne délaye jamais la trame orchestrale toujours un peu lâche de Donizetti, la resserrant par un tempo qui participe de ce drame qui court vertigineusement vers son inéluctable fin, que l’on connaît tout en la rêvant différente, sachant tamiser en clair-obscur le chœur (Aurore Marchand) jubilant du début, passant à l’ombreuse prière à mi-voix de la requête de pitié. Contenant l’orchestre ou le stimulant, mais toujours attentif aux chanteurs, à leur souffle, au texte qu’il module silencieusement.
3 M S . Muriel Roumier jpgEn majesté, Karine Deshayes, dans le personnage ingrat, ici simplifié d’Élisabeth, déploie la générosité de son mezzo, qui semble s’être étoffé et unifié en tissu somptueux du grave à l’aigu facile, prêtant la volupté du velours de la voix à une virginale reine dont elle nous fait sentir, dans ce chant ardent, que toute cette glace sensuelle est prête à fondre, contrainte de confondre un évasif objet d’amour qui glisse entre ses doigts. Ses regards sur Leicester disent le dépit amoureux, la jalousie, la haine de l’autre, l’humiliation de la reine, la douleur de la femme : tout le rugissement d’un fauve à peine contenu par la politesse et politique de cour : la passion dévorante contrôlée apparemment par les tours et détours policés du bel canto. Face à elle, face à face, affrontée et même effrontée malgré le danger, Patrizia Ciofi, sur une tessiture moins vertigineuse que nombre de ses rôles habituels, un médium corsé, onctueux, assombri, fait planer des aigus rêveurs dans son évocation mélancolique des jours heureux de France, donnant un sens à chaque ornement, gruppetti égrenés telles des images vocales, des pétales effeuillés du bonheur d’autrefois : comme étrangère déjà à elle-même, elle dénoue avec une élégance nostalgique les rubans des vocalises comme elle délierait des liens qui l’entravent dans son ascension spirituelle vers la liberté : son adieu aux autres et un adieu à soi, elle fait poésie de la rondeur et douceur de son timbre mais, ses grands yeux bleus lançant des flammes, devant les provocations insultantes de la reine d’Angleterre, ose le déchirer du cri de l’injure impardonnable qu’elle sait payer de sa vie, défaite mais non vaincue.
Entre ces deux femmes, une qui l’aime, l’autre qu’il aime,  tentant vainement de ménager et de fléchir la reine triomphante, vouant à la reine prisonnière un amour digne à la fois de la courtoisie troubadouresque et du désir héroïque sacrificiel chevaleresque, Ismaël Jordi est un Leicester juvénile, perdu, éperdu, entre ces deux grands fauves politiques, et tout son visage, son corps autant que sa voix expriment son déchirement. Sa voix riche de ténor flexible, déjouant en virtuose tous les pièges vertigineux de la partition, traduit avec une émouvante expressivité le drame vécu par ce témoin impuissant devant le conflit passionnel à en perdre la tête qui prend le pas sur la raison des deux femmes.
Michele Pertusi prête sa grande et belle voix de basse, son élégance, sa noblesse, à un Talbot confident et confesseur ému mais non complaisant d’une Marie qu’il exhorte à mourir chrétiennement en avouant ses fautes qu’elle ne peut cacher à un dieu vengeur. À l’opposé, ennemi politique de la reine d’Écosse, Cecil, est chanté par le baryton Yann Toussaint qui en aiguise l’implacable Raison d’état d’une inflexible voix aux éclats d’acier qui en appellent à ceux de la hache. Dans le rôle sacrifié de la suivante désespérée, Anna Kennedy, qui bandera les yeux de la reine martyre, Ludivine Gombert, avec peine quelques phrases et des ensembles émouvants, fait entendreun soprano d’une pureté diamantine dans la pourriture politique et passionnelle.
Emprisonnée en mai 1568 par Élisabeth qui, en réalité, se refusera toujours à la rencontrer, Marie Stuart, poétesse également, avait brodé sur sa robe cette devise : « En ma Fin gît mon Commencement ». La légende, sinon l’Histoire lui donnent raison.

Compte-rendu, opĂ©ra. Avignon, OpĂ©ra. Maria Stuarda de Donizetti, le 27 janvier 2016 (version de concert). Maria Stuarda : Patrizia Ciofi . Elisabetta : Karine Deshayes ; Anna Kennedy : Ludivine Gombert. Leicester : IsmaĂ«l Jordi, Anna Kennedy : Ludivine Gombert ; Talbot : Michele Pertusi ; Cecil : Yann Toussaint. Orchestre RĂ©gional Avignon-Provence. ChĹ“ur de l’OpĂ©ra Grand Avignon. Direction musicale : Luciano Acocella. Direction des choeurs : Aurore Marchand. Etudes musicales : Kira Parfeevets.

Illustrations :
1. Les saluts : Gombert, Pertusi, Ciofi, Accocella, Deshayes, Jordi, Toussaint © Jean-François Canavaggia
2. Ciofi, Deshayes © Muriel Roumier

MARIA STUARDA, 1834
Drame lyrique en trois actes de Gaetano Donizetti
Livret de Giuseppe Bardari
D’après la pièce de Schiller (1801)

Compte rendu, opĂ©ra. Paris. OpĂ©ra National de Paris (Bastille), le 2 novembre 2015. Donizetti : L’Elisir d’Amore. Roberto Alagna, Ambrogio Maestri, Aleksandra Kurzak… Orchestre et choeurs de l’OpĂ©ra de Paris JosĂ© Luis Basso, chef des choeurs. Donato Renzetti, direction musicale.

donizetti opera classiquenews gaetano-donizettiLe plus chaleureux des bijoux comiques de Donizetti revient Ă  l’OpĂ©ra National de Paris ! L’Elisir d’Amore s’offre ainsi Ă  nous en cet automne dans une production signĂ©e Laurent Pelly, et une distribution presque parfaite dont Roberto Alagna et Aleksandra Kurzak forment le couple amoureux, aux cĂ´tĂ©s du fantastique baryton Ambrogio Maestri en Dulcamara. Les choeurs et l’orchestre de l’OpĂ©ra interprètent l’œuvre lĂ©gère avec un certain charme qui ne se perd pas trop dans l’immensitĂ© de la salle. Un melodramma giocoso succulent malgrĂ© quelques bĂ©mols !

 

 

 

La « comédie romantique » par excellence, de retour à Paris

 

En 1832, Donizetti, grand improvisateur italien de l’Ă©poque romantique, compose L’Elisir d’Amore en deux mois (pas en deux semaines!). Le texte de Felice Romani s’inspire d’un prĂ©cĂ©dent de Scribe pour l’opĂ©ra d’Auber « Le Philtre », dont la première a eu lieu un an auparavant. L’opus est une comĂ©die romantique en toute lĂ©gèretĂ©, racontant l’amour contrariĂ© du pauvre Nemorino pour la frivole et riche Adina, et leur lieto fine grâce Ă  la tromperie de Dulcamara, charlatan, et son “magico elisire”. Une Ĺ“uvre d’une jouissance infatigable, vĂ©ritable cadeaux vocal pour les 5 solistes, aux voix dĂ©licieusement flattĂ©s par les talents du compositeur.

En l’occurrence, s’impose un Roberto Alagna tout Ă  fait fantastique en Nemorino. Nous peinons Ă  croire que ce jeune homme amoureux a plus de 50 ans, tellement son investissement scĂ©nique et comique est saisissant. Mais n’oublions pas la voix qui l’a rendu cĂ©lèbre et ce suprĂŞme art de la diction qui touche les cĹ“urs et caresses les sens. VĂ©ritable chef de file de la production, il est rĂ©actif et complice dans les nombreux ensembles et propose une « Una Furtiva Lagrima » de rĂŞve, fortement ovationnĂ©e. A cĂ´te de ce lion sur la scène, la soprano Aleksandra Kurzak rĂ©ussit Ă  faire de son Adina, la coquette insolente que la partition cautionne. Elle prend peut-ĂŞtre un peu de temps pour ĂŞtre Ă  l’aise, mais finit par offrir une prestation tout Ă  fait charmante. Le Dulcamara d’Ambrogio Maestri est une force de la nature, et par sa voix large et seine, et par son jeu d’actor, malin et vivace Ă  souhait ! Si nous sommes déçus du Belcore de Mario Cassi (faisant ses dĂ©buts Ă  l’OpĂ©ra de Paris, comme c’est le cas de la Kurzak), notamment par sa piccola voce dans cette salle si grande et par une piètre implication dans sa partition, nous apprĂ©cions à  l’inverse, les qualitĂ©s de la Giannetta de Melissa Petit.

Les choeurs de l’OpĂ©ra sont comme c’est souvent le cas, dans une très bonne forme, et se montrent rĂ©actif et jouissifs sous la direction de JosĂ© Luis Basso. L’Orchestre de l’OpĂ©ra de Paris fait de son mieux sous la direction du chef Donato Renzetti. Quelques moments de grande beautĂ© instrumentale se rĂ©vèlent, par ci et par lĂ , mais l’enchantement ce soir naĂ®t de l’Ă©criture vocale fabuleuse plus que de l’Ă©criture instrumentale très peu sophistiquĂ©. Donizetti se distingue par son don incroyable de pouvoir imprimer des sensations et des sentiments sincères dans la texture mĂŞme de la musique. La caractĂ©risation musicale est incroyable et d’un naturel confondant (Ă  l’opposĂ© de la farce dĂ©licieuse d’un Rossini plus archĂ©typal). Dans ce sens, la production de Laurent Pelly datant de 2006 s’accorde Ă  ce naturel et Ă  cette sincĂ©ritĂ©, tout en mettant en valeur l’aspect comique voire anecdotique de l’œuvre. Une dĂ©licieuse reprise que nous recommandons vivement Ă  nos lecteurs ! A l’OpĂ©ra Bastille les 5, 8, 11, 14, 18, 21 et 25 novembre 2015.

Donizetti : Lucia di Lammermoor Ă  Limoges puis Reins

DONIZETTI_Gaetano_Donizetti_1Limoges, Reims. Donizetti : Lucia di Lammermoor. 1er novembre-1er dĂ©cembre 2015. A Limoges puis Reims, le sommet lyrique tragique de Donizetti (créé en 1835 au san Carlo de Naples) occupe le haut de l’affiche. Pour Donizetti (1797-1848), Lucia est une amoureuse extatique et ivre dont la fragilitĂ© Ă©motionnelle approche la folie hallucinĂ©e. Le compositeur qui fait Ă©voluer le bel canto bellinien vers un nouveau rĂ©alisme expressif annonçant bientĂ´t Verdi, signe le chef d’oeuvre de l’opĂ©ra romantique italien, quelques annĂ©es après la rĂ©volution berliozienne (crĂ©ation de la Symphonie fantastique en 1830). Victime d’une sociĂ©tĂ© phalocratique qui dĂ©cide de son destin contre son grĂ© et son amour (pour Edgardo), la belle Lucia, parti enviable, assassine ce mari dont elle ne veut pas : Ă  peine consciente, abandonnĂ©e Ă  la dĂ©raison psychique, la diva se doit Ă  la fameuse scène de reprise de conscience, oĂą meurtrière malgrĂ© elle, elle retrouve une raison bien Ă©phĂ©mère, après avoir compris l’acte qu’elle vient de commettre et avant de mourir. Avec Lucia, Donizetti atteint un sommet dans le registre pathĂ©tique noir et sanglant.

 

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En 1835, Donizetti compose le sommet romantique italien

Lucia / Juliette : visages de la folie amoureuse

 

Le frère de Lucia (Enrico Ashton) s’entĂŞte Ă  vouloir marier sa sĹ“ur contre sa volontĂ© : or l’amoureuse aime Ă©perdument le beau Edgardo (malheureux hĂ©ritier du clan rival aux Ashton, les Ravenswood). C’est un peu comme dans RomĂ©o et Juliette : les deux amants ne peuvent pas se marier car ils s’aiment a contrario de la loi fratricide qui oppose les deux clans adverses dont chacun est l’enfant. L’amour ou le devoir : les sentiments ou la famille. Tout l’acte I expose la force de leur amour pur et sans calcul.

Au II, Marieur pervers et terrible manipulateur, Enrico force donc Lucia Ă  Ă©pouser le mari qu’il a choisi : Arturo Bucklaw. Revenu de France, Edgardo humilie celle qui pourtant l’aimait… En un sextuor final, concluant le II, tous les protagonistes expriment chacun, son incomprĂ©hension et sa solitude dans un climat d’inquiĂ©tude oppressant.

Au III, la rivalitĂ© entre Enrico et Edgardo redouble. Pendant sa nuit de noce, la jeune mariĂ©e tue cet Ă©poux imposĂ© avant de tomber inconsciente et morte (au terme de sa fameuse scène de la folie) ; quant Ă  Edgardo, trop naĂ®f, trop manipulable, se donne lui aussi la mort sur le corps de son aimĂ©e après avoir compris qu’il avait Ă©tĂ© abusĂ© par Enrico…

Comme RomĂ©o et Juliette, Edgardo et Lucia sont deux flammes amoureuses, interdits de bonheur, victimes expiatoire d’un monde oĂą les hommes n’ont qu’une motivation, se faire la guerre et dĂ©fendre leur intĂ©rĂŞt. Une sĹ“ur est une monnaie d’Ă©change ou le moyen de contracter alliance. La barbarie Ă©crase le cĹ“ur des amants purs.

 

 

Limoges, Opéra
Les 1er, 3, 5 novembre 2015

Reims, Opéra
Les 27, 29 novembre puis 1er décembre 2015

Allemandi – Vesperini
Gimadieva, Lahaj, Pinkhasovitch, Vatchkov, de Hys, Casari

 

 

Illustration : robe ensanglantĂ©e, silhouette Ă©vanescente bientĂ´t abandonnĂ©e Ă  la mort, Lucia (ici la lĂ©gendaire Joan Sutherland) erre sans but après avoir assassinĂ© l’Ă©poux qu’on lui avait imposĂ©…

L’Elixir d’amour Ă  l’AĂ©roport de Milan

arte_logo_2013DONIZETTI_Gaetano_Donizetti_1Arte. Jeudi 17 septembre 2015, 20h50. Donizetti : L’Elixir d’amour Ă  l’aĂ©roport de Milan. Pour l’Expo Milano 2015, La Scala s’invite Ă  l’aĂ©roport Malpensa de Milan et y reprĂ©sente devant les camĂ©ras d’Arte (et de la RAI), l’Elisir d’amore de Donizetti créé en 1832 Ă  Milan mais au Teatro della Canobbiana. L’intrigue est mince mais remaniĂ©e pour les planches lyriques, par l’excellent Romani (le librettiste de Bellini, d’après Scribe). Dans un village basque, un jeune paysan timide Nemorino en pince pour l’ardente arrogante Adina. Histoire d’amour teintĂ©e de romantisme dĂ©suet, le garçon n’ose dĂ©clarer sa flamme alors que la jeune fille n’attend que cela. Elle feint d’en aimer un autre, le sergent Belcore qu’elle compte mĂŞme Ă©pouser sans dĂ©lai… pour mieux Ă©prouver le cĹ“ur de Nemorino. Avant le Tristan de Wagner (1865), dĂ©jĂ  ici Nemorino se fait rouler par le charlatan Dulcamara qui lui vend une bouteille de Bordeaux pour un philtre d’amour (l’Elixir) : s’il boit, il deviendra irrĂ©sistible et Adina ne pourra lui rĂ©sister. Mais au II, on prĂ©pare dĂ©jĂ  la noce d’Adina et de Belcore : pour acheter Ă  Dulcamara une autre bouteille d’Elixir (et faire boire Adina), Nemorino s’engage dans la troupe militaire de Belcore… Adina apprend cela, rachète le brevet de son fiancĂ© et l’Ă©pouse, d’autant qu’entre temps, Nemorino a hĂ©ritĂ© de son oncle richissime. Ils seront jeunes, fortunĂ©s et dĂ©jĂ  cĂ©lèbres…

donizetti-687La partition de Donizetti revisite et l’opĂ©ra bouffa napolitain (personnage de Dulcamara pour un baryton dĂ©lirant et burlesque), mais aussi le seria et l’opĂ©ra comique français par la profondeur Ă©motionnelle des protagonistes dont le lunaire et tragique Nemorino (son air Una furtiva lagrima au II exprime avec une exceptionnelle intensitĂ© lunaire, le dĂ©sespoir d’un cĹ“ur abandonnĂ© qui se sent trahi…) ; les duos Ă©blouissent par leur parure expressive, d’un lyrisme Ă©chevelĂ©, Ă©perdu : la musique, raffinĂ©e, mĂ©lodiquement prenante dĂ©passent un simple exercice comique. Et le personnage d’Adina, comme celui de Norina dans Don Pasquale (1843), semble ressusciter les piquantes astucieuses finalement au grand cĹ“ur, une Ă©volution des figures fĂ©minines si mordantes et palpitantes du buffa napolitain depuis Pergolesi (La Serva padrona) et Jommelli (Don Trastullo).

 

Notre avis. Alors qu’a Ă  faire une comĂ©die de Donizetti dans l’aĂ©roport de Milan ? A l’heure du tout sĂ©curitaire, depuis l’attentat dĂ©jouĂ© du Thalys, et quand le renforcement des mesures de sĂ©curitĂ© des avions est le sujet essentiel, ce dispositif filmĂ© par les camĂ©ras de tĂ©lĂ© (Arte et la Rai) frĂ´le l’ineptie surrĂ©aliste : on veut nous mettre de la lĂ©gèretĂ© dans un monde qui tourne sur la tĂŞte ; un nouvel effet du dĂ©ni collectif dans lequel nous vivons… D’autant que l’opĂ©ra va très bien et n’a guère besoin de renouveler ses publics… non, un aĂ©roport est un lieu idĂ©al pour placer camĂ©ras et micros, faire jouer tout un orchestre et des acteurs chanteurs. Et dire que la rĂ©alisatrice de l’opĂ©ration (Grischa Asagaroff) craint des interfĂ©rences provoquant des dĂ©règlements dans la tour de contrĂ´le !  Qu’a Ă  gagner l’opĂ©ra dans cette opĂ©ration technicomĂ©diatique ? L’aĂ©roport Malpensa se refait une image (Ă  l’italienne), mais tous ceux qui auraient pu dĂ©couvrir l’opĂ©ra par un autre biais que la salle du théâtre si Ă©litiste ou impressionnante… attendront leur tour.

Songeons Ă  l’argent investi pour cette opĂ©ration : il aurait Ă©tĂ© mieux dĂ©pensĂ© dans les multiples actions pĂ©dagogiques auprès des scolaires ou d’autres publics. Artistiquement, la production affiche le tĂ©nor italien en vogue : Vittorio Grigolo en Nemrino qui donnera la rĂ©plique Ă  l’Adina de Eleonora Buratto. Cette production tient l’affiche de La Scala du 21 septembre au 17 octobre 2015 ; l’opĂ©ration Malpensa est donc une sorte de gĂ©nĂ©rale avant les soirĂ©es classiques sur la scène scaligène. On se souvient d’une prĂ©cĂ©dente opĂ©ration (La Bohème de Puccini en septembre 2009) dans la banlieue de Berne…  action autrement plus bĂ©nĂ©fique pour la dĂ©mocratisation de l’opĂ©ra et pour toucher des spectateurs certainement dĂ©concertĂ©s convaincus par cette confrontation bĂ©nĂ©fique. Les théâtres d’opĂ©ra Ă©tant pour une bonne part subventionnĂ©s par l’Etat et les collectivitĂ©s, il serait urgent que chaque action profitent surtout Ă  ses principaux financeurs : les contribuables et les population (d’autant que le dispositif avait Ă©tĂ© une rĂ©ussite largement relayĂ©e par classiquenews). Tout cela avait fait sens. L’Elixir Ă  l’aĂ©roport ne serait-il pas qu’une question d’opportunitĂ© marketing et de dĂ©fi technique ? Les artistes, directeurs et scĂ©nographes feraient tout pour qu’on parle d’eux.

Les amateurs de Donizetti et de cette perle lyrique de 1832 seront eux ravis par un dispositif qui renouvellera peut-ĂŞtre la lecture de l’oeuvre…. A voir sur Arte, le 17 septembre 2015, Ă  partir de 20h50.

 

 

 

 

 

Arte. Jeudi 17 septembre 2015, 20h50. Donizetti : L’Elixir d’amour Ă  l’aĂ©roport de Milan.

Voir la page de La Scala L’Elixir d’amour / L’Elisir d’amore de Donizetti

 

Maria Stuarda de Donizetti

maria-stuarda-clouet-opera-de-donizetti-tce-paris-classiquenews-presentation-et-critique-de-l'opera-maria-stuardaParis, TCE. Donizetti : Maria Stuarda, 18>27 juin 2015. Après Bellini avant Verdi, Donizetti en traitant sous forme d’une trilogie opĂ©ratique la chronique des Tudor en particulier,  l’histoire d’Élisabeth 1ère, affirme une rĂ©elle maĂ®trise dramatique prĂ©cisĂ©ment dans le profil psychologique des deux hĂ©roĂŻnes royales,  dessinĂ©es avec un mĂŞme souci de vraisemblance psychologique. Le compositeur qui commence sa carrière Ă  Naples, ne connaĂ®t le succès que tardivement, justement gra^ce Ă  son triptyque tudorien : Anna Bolena ouvre le bal en 1830, puis Maria Stuarda (1835) enfin Roberto Devereux en 1837. Les 3 ouvrages relèvent donc de l’esthĂ©tique romantique italien, affirmant après Rossini et au moment oĂą s’Ă©teint l’Ă©blouissant et dernier Bellini (Les Puritains, Paris, 1835), l’âge d’or du bel canto. A la puretĂ© et au raffinement du style vocal, Donizetti apporte aussi ce rĂ©alisme expressif, annonciateur direct du Verdi Ă  venir.

 

 

 

Marie d’Ecosse, Elisabeth d’Angleterre
La Catholique et l’Anglicane : 2 portraits de femmes

 

Les deux reines sont finement brossĂ©es : Élisabeth souffre de la rivalitĂ© de Marie qui a failli perdre Ă  cause de la Stuart son cher Robert Dudley, comte de Leicester ; c’est sur l’insistance de celui-ci qu’elle consent Ă  la faveur d’une chasse Ă  revoir celle qui l’a fait languir : Marie l’Ă©cossaise catholique,  rĂŞve exaltĂ©e de la campagne de sa chère France cependant qu’elle exprime un orgueil blessĂ© dĂ» Ă  l inflexible Reine vierge : Elisabeth, autoritĂ© anglicane plutĂ´t distante …
MalgrĂ© le contexte politique et confessionnel qui les oppose, on sent dès le dĂ©but que les deux femmes sont de la mĂŞme veine : fières, dignes mais blessĂ©es …. leurs profils aiguisĂ©s,  subtilement portraiturĂ©s et dĂ©fendues par deux interprètes de bout en bout convaincantes laissent prĂ©sager que leur confrontation n’en laissera aucune indemne. Et de fait Donizetti dĂ©voile de façon inĂ©dite la double face de la reine Marie,  angĂ©lique et colĂ©rique,  amoureuse passionnĂ©e capable contre toute biensĂ©ance y compris pour le compositeur contre tout usage sur une cène de théâtre de la rendre … haineuse,  insultant mĂŞme sa cousine Élisabeth : ” vile bâtarde impure qui a profanĂ© le sol anglais “, il n’en fallait pas davantage pour que la Reine Tudor qui a du partager avec sa rivale son aimĂ© Leicester,  se dĂ©cide enfin Ă  signer la dĂ©capitation de sa cousine offensante Marie l’inflexible,  lorgueilleuse, l’ennemie politique et aussi la rivale amoureuse.

La force du livret exploite la confrontation des deux tempĂ©raments fĂ©minins (qui a aussi suscitĂ© de fameuses rivalitĂ©s rĂ©elles entre divas)… de fait les manuscrits autographes ne prĂ©cisent pas les deux tessitures respectives :  cette imprĂ©cision originelle laisse une grande libertĂ© interprĂ©tative : ce qui autorise un soprano angĂ©lique pour Marie, gĂ©nĂ©ralement prĂ©sentĂ©e comme la victime,  or la reine Élisabeth  est loin d’ĂŞtre aussi dure et froide : c’est toute la valeur de l’opĂ©ra que d’avoir brosser deux portraits de femmes. MĂŞme si la Reine anglicane s’impose par son autoritĂ©, son orgueil de femme qui peut tout avoir, Donizetti glisse des pointes subtiles de l’impuissance aussi, voire de l’inquiĂ©tude car Elisabeth sent bien qu’elle ne possède pas totalement et comme elle le voudrait le cĹ“ur de son beau Leicester… Cet amour lui Ă©chappe : voilĂ  qui la rend humaine, faillible, sensible.

On est loin des portraits compassĂ©s et lisses voire prĂ©visibles de reines dignes mais trop schĂ©matiques, soit figures sacrifiĂ©es soit vierges impassibles : avant Verdi, Donizetti fouille la psychologie de ses deux protagonistes auxquelles de façon Ă©gale,  il sait prĂ©server  les accents d’une touchante et juste sincĂ©ritĂ©. De quoi pour chacune d’elle, chanter et jouer comme au théâtre. RĂ©cemment l’ouvrage a permis entre autres Ă  Vienne, la confrontation de deux divas glamour parmi les plus convaincantes de l’heure : Anna Netrebko (le brune dans le rĂ´le de maria) et l’incandescente mezzo blonde Elina Garanca (dans le rĂ´le d’Elisabeth)…

 

 

 

Maria Stuarda de Donizetti au TCE, Paris
Les 18,20,23,25,27 juin 2015 Ă  19h30
5 représentations
Production déjà créée au Royal Opera Covent Garden de Londres, en juin 2014

Drame lyrique en deux actes (1835)
Livret de Giuseppe Bardari, d’après la tragédie éponyme de Friedrich von Schiller
Daniele Callegari,  direction
Moshe Leiser et Patrice Caurier,  mise en scène

Aleksandra Kurzak, Maria Stuarda, reine d’Ecosse
Carmen Giannattasio, Elisabeth, reine d’Angleterre
Francesco Demuro, Robert Dudley
Carlo Colombara, Talbot
Christian Helmer, Cecil
Sophie Pondjiclis, Anna Kennedy
Orchestre de chambre de Paris
Chœur du Théâtre des Champs-Elysées

Mercredi 10 juin 2015 à 18h

ConfĂ©rence-projection : 
Les Borgia et les Tudor dans les drames de Victor Hugo et dans leurs adaptations Ă  l’opĂ©ra par Arnaud Laster – EntrĂ©e libre – 
Inscription conseillĂ©e : conferences@theatrechampselysees.fr

 

 

Compte rendu, opĂ©ra. Marseille. opĂ©ra, le 23 dĂ©cembre 2014. Donizetti : L’Elisir d’amore. Roberto Rizzi Brignoli, direction. Arnaud Bernard, mise en scène.

DONIZETTI_Gaetano_Donizetti_1Pour les fĂŞtes de fin d’annĂ©e, l’OpĂ©ra de Marseille prĂ©sente L’elisir d’amore, â€L’elixir d’amour †de Gaetano Donizetti, les 23, 27 et 31 dĂ©cembre 2014 Ă  20 heures et les 2 et 4 janvier 2015 Ă  14h30. Ce melodramma giocoso, â€mĂ©lodrame joyeux’ (melodramma, en italien signifie un drame, une â€pièce en musique’ et c’est ainsi que Mozart appelait ses CosĂ­ fan tutte et Don Giovanni). C’est-Ă -dire que les situations y sont d’essence dramatique, cruelle, un dĂ©pit et un rejet amoureux en l’occurrence, mais traitĂ©es, sinon sur un mode exactement bouffe comme Rossini, sur un ton humoristique plutĂ´t que franchement comique.

L’œuvre : créé en 1832 à Milan, c’est un opéra en deux actes sur un livret en italien de Felice Romani, lui-même fidèlement tiré de celui d’Eugène Scribe pour Le Philtre (1831) de Daniel-François-Esprit Auber que notre Opéra a eu la bonne idée de présenter  au préalable dans le foyer, accompagné au piano, interprété par de jeunes chanteurs. Histoire simple, simpliste d’un jeune paysan pauvre, inculte, aimant au-dessus de ses moyens, une belle et riche propriétaire cultivée, indifférente et cruelle, sadique même. Désespérant de se faire entendre et aimer, il cherchera le secours d’un philtre d’amour offert par un charlatan, avec la péripétie d’un sergent paradant, bellâtre, cruellement érigé en rival par la cruelle jolie femme.

Style formulaire, technique de la rapidité. Comme dans ces production d’opéras que l’on dirait aujourd’hui industrielles, écrits rapidement pour satisfaire une grande demande comme au siècle précédent, un peu comme les films aujourd’hui, cherchant la rentabilité avec un minimum de frais, l’œuvre utilise toutes les ressources du style formulaire permettant une écriture rapide, musicalement et verbalement.
On y trouve ainsi tout le répertoire des clichés, formules, aux rimes près, qui sont le fond de l’opera buffa depuis ses débuts au XVIIIe siècle, qui traversent même les textes de da Ponte pour Mozart, jusqu’à l’obligatoire air de liste chanté à toute vélocité qui existe bien avant le catalogue de Leporello et bien après lui, ici dévolu, naturellement, au personnage bouffe de Dulcamara au débit vertigineux débitant les mérites mirobolants de son  mirifique « odontalgique,  sympathique, prolifique », etc. De la même façon, la musique utilise les recettes bien éprouvées, la découpe des airs avec cabalette après intervention du chœur, cadences virtuoses, ornements, passages d’agilité pour tous, codifiés depuis longtemps dans le genre, sublimés par Rossini. L’orchestration, l’instrumentation, entre aussi dans la typologie adaptée du genre adressé à un public qui ne cherche pas la surprise, la rupture, le renouveau, mais la reconnaissance  de situations, de types et d’épreuves lyriques obligées où les chanteurs devront faire leurs preuves. La surprise viendra cependant d’un air, « Una furtiva lagrima », qui dérogeant à ces codes par sa poésie élégiaque et sa douceur humaine humanise l’inhumanité cruelle des types bouffes, infraction au genre qui en assure sans doute la pérennité.
Par ailleurs, la version italienne du Philtre, l’elisir, se glisse dans la typologie, les stĂ©rĂ©otypes des situation, duperies, mĂ©prises et personnages de la Commedia dell’Arte : le jeune amoureux timide, la jolie coquette, le soldat matamore et le charlatan de foire. Peu de personnages donc, aux voix codifiĂ©es, Adina, riche et belle fermière, naturellement soprano, Nemorino dont le nom mĂŞme exprime le sentiment, l’amoureux, jeune paysan pauvre, et le baryton, le trouble-fĂŞte de ces amours, le sergent Belcore, nom aussi Ă©tiquetant sa fonction de galant, le sergent â€JolicĹ“ur’. On trouve aussi le deus ex machina involontaire de l’action, le docteur Dulcamara,  qui veut dire â€Doux amer’, le charlatan vendeur et doreur de pilules ou philtres d’amour magiques pour se faire aimer, une basse bouffe dans la tradition rossinienne et, enfin, inĂ©vitablement, une deuxième soprano Giannetta, jeune paysanne, faire valoir de la première, et qui apportera une information capitale qui renverse la situation : l’hĂ©ritage du jeune homme le rend digne, socialement, de sa belle.
Donizetti, cependant, prête à ses personnages, du moins au couple de jeunes premiers, une certaine densité, essentiellement à l’amoureux transi, cruellement éconduit par la belle, elle, dans la tradition de la Belle Dame sans merci, peut-être amoureuse à la fin par dépit ou intérêt (si elle a appris en coulisses son héritage) : la déception, la rivalité amoureuses, les malentendus, la rupture entre les amoureux, frôlent fatalement un drame, évité de justesse, et prêtent un ton doux amer à l’histoire, qui finit heureusement bien. Mais on n’est pas forcé d’y croire.

elisir-amore-adina-lisant-opera-marseille-donizetti-decembre-2014-janvier-2015Réalisation. Le sujet portant sur des situations archétypales et des sentiments généraux, la transposition du XVIIIe aux débuts du XXe siècle par la mise en  scène d’Arnaud Bernard ne gêne pas. Il y a une cohérence esthétique dans les costumes (William Orlandi qui signe aussi l’astucieuse scénographie) en camaïeux de beige foncé des gilets sur chemises et pantalons clairs, casquettes et melons pour les hommes, des touches blanc et noir, robes d’époque déjà sans carcan de corset excessif pour les dames en canotiers et autres jolis bibis pour les bourgeoises dans un monde apparemment plus citadin que rural. Cela joue joliment pour des fonds de paysages bistres, ou sépia dégradés en lavis délicats, dont on comprend, grâce à des panneaux coulissants créant divers espaces, larges ou confidentiels, avec la mise en abyme de l’appareil de Dulcamara également photographe avisé vendant sa camelote et ses clichés, que nous sommes dans une chambre photographique, par l’objectif final duquel il disparaîtra à la fin dans un effet grossi de cinéma muet.

 

 

 

 

Paradis perdu de la Belle Époque

 

C’est le temps de l’Art Nouveau, Modern style, Jugenstil, Modernismo ou Liberty selon le pays, l’aube d’un siècle où tout paraît encore nouveau, jeune, printanier, libre, bref, moderne, avec le progrès au service de l’homme : la bicyclette pour la femme presque émancipée, sinon amazone, cycliste, l’automobile, le téléphone, la photographie déjà assurée et le cinéma balbutiant, la pub industrielle débutante, bref, la Belle Époque qui ne paraîtra telle que rétrospectivement après l’atroce Grande Guerre à venir qui va mettre toute cette science optimiste —et la faire avancer— dans l’horreur de 14-18. Certes, sans que cela soit l’objectif de cette mise en scène datant de plus de dix ans, en cette année de commémoration du centenaire de la première Guerre mondiale, cela prend une résonance nouvelle de voir une joyeuse société inconsciente, au bord du gouffre, assurée d’un progrès qui va vite se tourner, sans qu’elle s’en doute, contre elle.

elisir-amore-donizetti-marseille-decembre-2014-dulcamara-582Interprétation. L’idée centrale de la photographie se traduit en magnifiques compositions picturales de groupes, dans une époque où, justement la photographie prétendait rivaliser avec la peinture, ou ne s’en était pas émancipée, avec des fonds artificiels, dans des ovales de cartes postales des plus esthétiques, aux couleurs fanées nimbées de nostalgique douceur par les délicates lumières de Patrick Méeüs. Le négatif du cliché, c’est que, prenant la pose, naturellement longue à l’époque où n’existe pas l’instantané, les « arrêts sur image », surexposent le jeu, imposent une rupture de l’action qui contrarie quelque peu la vive dynamique de la musique nerveuse de Donzetti, menée tambour battant par Roberto Rizzi-Brignoli à la tête de l’Orchestre de l’Opéra tonifié comme par l’élixir de jouvence et d’amour, sans ralentir le tempo, faisant pétiller, crépiter le feu de cette orchestration certes légère mais toujours allègrement adéquate au sujet.
Les chœurs, comme toujours parfaitement préparés par Pierre Iodice, entrent harmonieusement autant dans la partie du jeu que dans la partition, en partenaires égaux des acteurs chanteurs.
Il suffit de quelques mesures pour que Jennifer Michel nous abreuve de la source fraîche de son timbre, en Giannetta qui ne s’en laisse pas compter. En Dulcamara, Paolo Bordogna, sans avoir forcément la noirceur, est la basse bouffe parfaite, déployant une éblouissante agilité de camelot dans son air de propagande, premier nom de la pub, étourdissant de verbe et de verve, doublé d’un acteur de premier ordre, comme tiré d’une comédie italienne, de la Commedia dell’ Arte, endossant avec naturel le costume d’un Paillasse mâtiné d’Arlequin par sa dextérité sidérante auquel un acteur, Alessandro Mor donne une muette réplique de compère et complice. Entrée en fanfare du fanfaron effronté, le fringant Belcore et sa forfanterie : si on ne l’avait vu dans d’autres rôles, on croirait qu’il est taillé pour le baryton Armando Noguera qui se taille un succès en endossant avec panache (de coq cocorico) l’uniforme du versicolore et matamore sergent, roulant des mécaniques et les r des roulades et roucoulades frissonnantes de fièvre et d’amour, à l’adresse d’Adina et de toutes les femmes, joli cœur à aimer toute la terre comme un Don Juan à l’échelle villageoise : irrésistible, se riant des vocalises en nous faisant rire.

 

 

 

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Adina, mutine, primesautière, dansante et virevoltante, c’est Inva Mula, qui, capable de rôles bien plus lourds, démontre sa technique, sa maîtrise merveilleuse du bel canto, le chant orné, dans sa plus périlleuse et voluptueuse expression : sur une échelle, à bicyclette, sur le toit tanguant de l’auto, elle chante, vocalise de façon tout aussi acrobatique, avec un naturel confondant. Sa voix est si ronde, si mielleuse, si douce, qu’on a du mal à croire à la cruauté envers Nemorino du rôle, à moins que la rudesse de ses paroles ne le soit davantage par la douceur innocente de la voix. Nemorino, c’est une révélation : le jeune ténor, Paolo Fanale, campe avec vraisemblance un paysan rustaud, pataud, costaud, touchant par sa faiblesse amoureuse dans la force de ce corps, sa naïveté qui le fait la dupe rêvée de Dulcamara, obsédé et dépassé par cette femme d’un autre rang, voix large et pleine, au solide médium bronzé dont on se demande même comment il abordera la légèreté poignante de son fameux air. Et c’est un miracle de finesse, de douceur déchirée et d’espoir qu’il met dans « Una furtiva lagrima », qui manque de nous en arracher, par ces sons en demi-teinte, pastel, ce passage de la voix de poitrine à la voix mixte, jouant, sans jeu, mais avec une émouvante vérité, avec le fausset. Par ce seul air, la bouffonnerie ambiante verse dans l’humanité : sous le rire, il y avait les larmes d’une âme blessée. La salle, mais aussi ses partenaires, bouleversés, lui rendent un juste hommage.

 

 

 

L’Elisir d’amore de Gaetano Donizetti (1832), Ă  l’OpĂ©ra de Marseille,
les 23, 27, 31 décembre 2014, 2, 4 janvier 2015.
Livret de Felice Romani, d’après Le Philtre (1831) d’Eugène Scribe, musique de Daniel-François-Esprit Auber.

Chœur et Orchestre de l’Opéra de Marseille.
Direction musicale de Roberto Rizzi Brignoli ;
Mise en scène d’Arnaud Bernard réalisée par Stefano Trespidi ; décors et costumes de William Orlandi ; lumières de Patrick Méeüs.
Distribution :
Adina : Inva Mula ; Giannetta : Jennifer Michel ; Nemorino : Paolo Fanale ; Belcore : Armando Noguera ; Dulcamara : Paolo Bordogna ;
Assistant Dulcamara : Alessandro Mor.

Illustrations : © Christian Dresse

 

 

Vienne : Anna Netrebko reprend Anna Bolena

Vienne, Opéra (Staatsoper) : Anna Netrebko chante Anna Bolena, les 10,13,17, 20 avril 2015. Depuis 2011 sur la scène du Metropolitan Opera de New York et aussi à l’Opéra de Vienne la même année, Anna Netrebko a fait sien le personnage digne et sacrifié d’Anna Bolena (Anne Boleyn), l’épouse autant adulée que finalement humiliée par Henry VIII. Bel cantiste et actrice née, voire tragédienne d’une expressivité mordante, Maria Callas assure en 1957, la résurrection d’Anna Bolena (à La Scala de Milan et dans la mise en scène de son mentor Visconti), un ouvrage qui était tombé dans l’oubli aussitôt après sa création en 1830. A sa suite, en 2011, sur les planches new yorkaises, Anna Netrebko réactive la magie Bolena et affirme une prestance aussi convaincante que celle de son aînée légendaire. Quatre années après sa prise de rôle, la reine Anna répètera-t-elle en avril 2015, son succès premier ?

donizetti anna bolena anna netrebko elina garancaSur le livret de Felice Romani, l’opĂ©ra Anna Bolena est créé au Teatro Carcano Ă  Milan, en dĂ©cembre 1830. L’oeuvre, en deux actes et six tableaux, remporte un succès honorable. A Londres en 1536, l’épouse d’Henry VIII, Anna Bolena Ă©choue Ă  donner un hĂ©ritier mâle au souverain caractĂ©riel. Certaine de sa mort inĂ©luctable, Anna se laisse prendre dans le filet tendu par son Ă©poux, d’une perversitĂ© rare, prĂŞt Ă  tout pour dĂ©sormais favoriser sa nouvelle compagne, Giovanna (Jane Seymour) : il accuse la Reine Anne d’adultère, profitant de la prĂ©sence de son ancien fiancĂ© Lord Richard Percy Ă  la Cour de Londres. La machine d’Ă©tat entraĂ®ne avec elle Anna sans autre alternative que la mort par dĂ©capitation, pour la Reine et son “amant”…

 

 

Vienne, mars 2015 : Anna Netrebko reprend le rĂ´le d'Anna Bolena

 

 

Cette production (avec une distribution diffĂ©rente) est retransmise au cinĂ©ma les 21 et 28 mai 2015 dans le cadre du programme de Viva l’OpĂ©ra

 

LIRE la critique complète du DVD Anna Bolena de Donizetti avec Anna Netrebko (Anna Bolena) et Elina Garanca (Giovanna Seymour) (Vienne, 2011)

 

 

CD, annonce. La Lucia de Diana Damrau (début février 2015 chez Erato)

2564621901CD, annonce. Diana Damrau chante Lucia di Lammermoor (2 cd Erato Ă  paraĂ®tre dĂ©but fĂ©vrier 2015). Sur un fond dĂ©coratif qui cite l’Ecosse baroque de la fin du XVIIè, – châteaux dans la brume et fontaine hantĂ©e (2è tableau du I)-, le drame de Lucia prĂ©pare pour la chanteuse qui s’expose un rĂ´le particulièrement Ă©prouvant, qu’elle soit amoureuse enivrĂ©e mais inquiète (Ă  la fin du II pour l’échange des anneaux du serment avec son aimĂ© Edgardo), ou surtout dĂ©truite et humiliĂ©e (fin du II, par le mĂŞme Edgardo qui assiste impuissant mais haineux aux noces de sa fiancĂ©e avec un autre, Arturo). Le III est l’acte de la sublimation des passions : le sacrifice de cette soeur donnĂ©e pour sauver l’honneur et la fortune des Ashton par un frère bien peu avenant (Enrico, le baryton mĂ©chant), inspire Ă  l’hĂ©roĂŻne une scène entre l’horreur et l’inconscience. Lucia qui a tuĂ© ce mari rĂ©cent qu’elle n’aimait pas (Arturo, imposĂ© par son frère) dĂ©ambule en une scène de folie inoubliable… (2ème tableau du III), avant qu’Edgardo fou de douleur, apprenant la mort de Lucia, se suicide : les amants romantiques Ă  l’opĂ©ra n’ont jamais eu d’issue positive.

Entre la jeune femme encore fière et combattive surtout enamourée du II, puis la sacrifiée devenue criminelle et folle dans le second tableau du III, le soprano tendre et intense de Diana Damrau assure idéalement les défis du rôle, l’un des plus difficiles du bel canto préverdien. En plus de la ligne bellinienne de sa scène de folie, il faut aussi ajouter une dose de réalisme plus brutal et direct, propre à Donizetti.

Enregistré sur le vif à Munich en juillet 2013, cette nouvelle version fera date sous la baguette de Jesus López-Cobos : aux côtés de la bouleversante Diana Damrau (si époustouflante l’an dernier dans La Traviata à la Scala de Milan, dans la mise en scène du provocateur rebelle Dmitri Tcherniakov), Ludovic Tézier dans le rôle du frère froid et cynique, et de Joseph Caleja dans celui de l’amant héroïque confirment la haute tenue vocale de cette nouvelle production annoncée au disque début février 2015. Critique complète du double cd Lucia di Lammermoor de Donizetti par Diana Damrau dans le mag cd dvd livres de classiquenews, au moment de la sortie du coffret.

Gaetano Donizetti : Lucia di Lammermoor. Diana Damrau (Lucia), Ludovic Tézier (Enrico Ashton), Joseph Calleja (Edgardo Di Ravenswood), David Lee (Lord Arturo Bucklaw), Nicolas Testé (Raimondo Bidebent), Marie Mclaughlin (Alisa) & Andrew Lepri Meyer (Normanno). Munchener Opernorchester. Jesus Lopez-Cobos, direction (enregistrement réalisé en juillet 2013 à Munich). 2cd Erato 2564621901.

Compte rendu, opéra. Toulon, le 14 novembre 2014. Donizetti : Anna Bolena. Direction musicale : Giuliano Carella. Mise en scène : Marie-Louise Bischofberger

donizettiLa folie dans l’opéra (1) … Le premier tiers du XIX e siècle, de l’Italie à la Russie, l’Europe se penche sur la folie, dans la littérature  (Gogol Le Journal d’un fou, 1835) et le théâtre. Mais on assiste à une véritable épidémie, une contagion de la folie chez les héroïnes lyriques. A l’opéra, en effet, les folles font courir les foules, une vraie folie, littéralement.  Remarquons d’abord que nos héroïnes folles, plutôt que folles héroïnes, semblent pratiquement toutes venir du froid, du nord : Ophélie d’Hamlet de Shakespeare est danoise par le lieu de la scène mais anglaise par la langue ; Ana Bolena de Donizetti, Anne Boleyn, anglaise ; Elvira des Puritains de Bellini, est aussi anglaise, Élisabeth d’Angleterre, cela va de soi, et, dans Roberto Devereux de Donizetti de 1837, la reine, prompte à couper des têtes, perd un peu la sienne, un accès de délire, à la mode romantique et Maria Stuarda, sa rivale, est reine d’Écosse, ainsi que lady Macbeth. Lucia di Lammermoor est également écossaise. Amina, de la Somnambule de Bellini est suisse et Marguerite, tirée du Faust de Goethe, est Allemande et il y aura une version française de Berlioz, une autre de Gounod et deux autres encore, italienne dans Mefistofele de Boïto, et italo-allemande avec Busoni. Voilà donc des héroïnes romantiques des brumes du nord mais des opéras du sud dans des opéras qui montrent non comment l’esprit vient aux filles comme dirait Colette, mais comment elles le perdent, pratiquement toutes par amour.

 

A perdre la tête…

La première à ouvrir la ban est l’Imogène de Il pirata de Bellini (1827), œuvre inspirée d’une pièce française du XVIIIe siècle, mais traduite d’une pièce d’un auteur irlandais de 1816 (nous ne quittons pas le nord). Contrariée dans ses amours, mariée de force, son amant  et son mari la croient infidèle, mais l’amant ayant tué son époux est mis à mort, elle perd ses deux hommes et la raison.

La scène de folie, grande et longue scène entremêlée de chœurs avec d’abord partie lente et douce dans les grandes arabesques belliniennes, puis la cabalette avec toute une folle pyrotechnie vocale, grands écarts, notes piquées, trillées, gammes montantes, descendantes, etc,  fit grand effet et la cantatrice se paya un triomphe.

Naturellement, toutes les autres cantatrices réclament aux compositeurs un air de folie pour pouvoir y briller. Giuditta Pasta, grande vedette et vocaliste se voit vite offrir par Donizetti, confrère et rival de Bellini, le rôle d’Anna Bolena (1830), Anne Boleyn, la malheureuse épouse d’Henri VIII d’Angleterre qui, désireux de changer encore de femme après avoir divorcé de Catherine d’Aragon, entraînant le schisme d’Angleterre, la rupture avec le pape et le catholicisme. Dans la Tour de Londres, attendant son tour sur l’échafaud, Anna perd la tête avant d’être décapitée.

Le sujet : un roi en mal de mâle. Felice Romani, le librettiste, loin des outrances et invraisemblances romantiques d’un Victor Hugo jouant avec l’Histoire, tisse un livret solide, près de la vĂ©ritĂ©, oĂą l’action, le sort de la reine Anne Boleyn est pratiquement scellĂ© dès le lever du rideau, en cette an qu’on ne peut dire de grâce de 1536. Il met en valeur les rapports de la suivante Jane Seymour avec sa souveraine qu’elle trahit sans le vouloir vraiment, sĂ©duite par le volage Henri VIII, frustrĂ© d’un hĂ©ritier mâle avec ses deux Ă©pouses, la passĂ©e et la prĂ©sente pesante. Jane refuse une liaison de l’ombre, exigeant un mariage dont elle sait pourtant qu’il signe la mort de la souveraine rĂ©gnante, le roi ne pouvant s’offrir le luxe d’un autre divorce, comme l’avait exigĂ© Boleyn, qui joua aussi longuement de sa fausse virginitĂ© pour obtenir la main du roi.

L’épée et non la hache, faveur royale, tranchera dans le vif du sujet, en l’occurrence, le cou de la reine Anne. Le Roi fomente réellement un complot pour instruire un inique procès et accuser sa femme d’adultère, probablement faux pendant leur union, avéré si l’on considère le temps de ses longues et chastes « fiançailles » où la coquette Boleyn batifolait de très près avec son ancien amant, Percy, qu’elle n’hésitera pas à sacrifier pour conquérir le monarque enflammé, désireux d’enfanter un enfant mâle. L’adultère avec Percy, ne suffisant pas, on y ajoute celui avec son page musicien, Stemton, et l’inceste avec son frère Rochefort pour faire bonne mesure. On comprend que, emprisonnée dans la Tour de Londres, antichambre de la mort, la reine perde la tête avant de la perdre littéralement. Du moins dans l’opéra car il semble, historiquement, qu’Anne, comme Marie-Antoinette, repentie de son passé, se montra fort digne à l’heure de son exécution priant même le peuple de prier pour le roi… Il en avait sans doute bien besoin.

Réalisation et interprétation… On aime cette frise ou fresque de courtisans ombreux, assis sur le sol et commentant à voix basse la situation précaire de la reine, les cols blancs frôlés de lumière ; puis la guirlande des femmes déplorant plus tard son inéluctable sort et, enfin, hommes et femmes réunis, tournant le dos au passé, Anne Boleyn disgraciée, faisant ingratement des grâces au roi et à Jane Seymour qui dansent cyniquement leur joie de s’être débarrassés de l’encombrante souveraine.

donizetti-anna-bolena-toulon-hommes-frise-guerriersLa mise en scène de Marie-Louise Bischofberger, a de la sorte des effets picturaux intéressants, mais s’attache surtout régler, non sans raisons, les rapports des deux femmes, la reine en disgrâce et la favorite de l’ombre pour l’heure dans l’éclat de sa maîtresse, l’une ignorant la trame, l’autre déjà dans le drame et déchirée de scrupules et de remords : c’est la vérité de l’œuvre, on leur doit les plus beaux moments. Après les soli, les soliloques troublés des deux héroïnes, Seymour, la suivante, Anne, la reine, qui nous dévoilent leur âme et leurs remords (l’une de trahir la reine, l’autre d’avoir trahi son amour d’autrefois) et, par la beauté physique de ces chanteuses et par leur chant, par la perfection technique, on ne départage pas les deux rivales, la reine en fin de course et la reine en devenir : les deux sont souveraines dans leur art. Après ces prises de conscience douloureuse, les duos des deux cantatrices, la soprano et la mezzo, Jaho et Aldrich, rivalisant de virtuosité vocale expressive, mêlant le tissu somptueux de leur timbre, brillante soie de la soprano et velours chaud de la mezzo, à l’inverse de la robe rouge de la première et bleue nuit de la seconde.  Premier duo d’autant plus dramatique que nous en savons plus que la principale intéressée qui ignore encore qu’elle joue sa tête.

Altière, froide au début, Ermonela Jaho, en Boleyn, semble  au début dangereusement se hausser du col, de ce cou si mince à l’épée du futur bourreau comme elle le dira elle-même. On sent en elle la morgue de l’intrigante arrogante, aussi rugueuse avec la cour qu’elle fut rusée avec le roi : elle avait réussi, suivante insinuante, à évincer une rivale légitime, la malheureuse reine injustement répudiée, Catherine d’Aragon. Juste retour des choses, elle va être payée de la même monnaie par sa propre suivante, mais tourmentée des scrupules qu’elle n’a apparemment pas connus dans l’ivresse de la conquête du pouvoir d’un roi à la chair faible auquel elle aura tenu la dragée haute d’un abandon de sa fausse virginité (elle était maîtresse de Percy) contre le mariage au prix d’un divorce forcé aux conséquences historiques incalculables. Le personnage figuré par Jaho, drapé dans les oripeaux de la royauté, de la puissance, l’est autant dans la draperie et la broderie des ornements vocaux dont elle semble royalement se jouer mais va progresser en intériorité douloureuse au fur et à mesure de la compréhension de sa disgrâce, jusqu’à devenir, brisée mais non domptée, la voix toujours fraîche, cette jeune femme fragile qui déroule si délicatement la fine dentelle de sa voix au souvenir délirant des jours passées heureux : elle arrache des larmes par sa douceur de victime résignée.

Cette hauteur, cette distance puis cette faiblesse de la reine mettent en valeur, justement, les remords de Jeanne Seymour, servie avec une passion convaincante par Kate Alfrich, séduisante (et on comprend le roi), mais si humaine (et on comprend la reine) partagée entre son amour pour le roi et sa fidélité à la souveraine qu’elle trahit, protestant hautement, avec émotion, son refus de sa mort. La joyeuse danse finale avec le roi alors qu’Anne va marcher vers l’échafaud, ce qu’elle refusait, semble une contradiction avec le personnage, mais il est vrai qu’exigeant du roi le mariage, elle exigeait implicitement la mort de sa maîtresse.

donizetti-anna-bolena-toulon-operaBelle trouvaille, dans le quintette,  la reine tenue, tendue par la main entre son ancien amant et le roi comme une figure de proue au bord du gouffre ou un insecte dans la toile d’araignée de ces bras. Bel effet, aussi, d’une dame d’atours en noir, fraise blanche, immobile, un cierge à la main, comme sortie d’une toile du Greco. Mais on peut regretter le minimalisme ou la pauvreté des temps de la scénographie (Décors Erich Wonder), un vague banc doré pour trône ou piédestal, un impensable miroir rond Art déco (le miroir plat et modeste en dimensions ne date que de la fin du XVIe siècle) devant une vaste trouée découpée en carton-pâte est un écrin trop maladroitement abstrait pour le concret des sentiments que tente d’exprimer le jeu des affects. Malgré tout, les habiles lumières de Bertrand Couderc, dans ce fond, fondent les figures, créent des cadres dramatiques et angoissants et le décor se fermant en noirs chevrons ou lames triangulaires de haches est saisissant avec le roi au milieu, en ordonnateur des fastes sanglants de ses noces, un Simón Orfila à la voix de baryton basse, sombre, puissante mais un peu brute, ce qui convient à la brutalité d’Henry VIII, hachant les vocalises comme il hache menu ses épouses. Face à lui, Ismaël Jordi, allure et figure de jeune premier, de ténor léger rossinien passant au lyrisme dramatique mais toujours virtuose de l’œuvre, émeut par la vérité qu’il met dans ce personnage d’amoureux romantique et héroïque, osant le luxe de nuances en demi-teintes en voix mixte mais toujours virile. Face à lui, avec des effets de symétrie réussis, séparés par les gardes, en Rochefort, Thomas Dear, dans la convention de l’opéra romantique, offre un amical et élégant contrepoint vocal de basse sombre à la lumière du timbre du ténor.  L’espion et perfide Hervey est bien campé par la voix affûtée du ténor  Carl Ghazarossian, tandis qu’en page mal et ridiculement travesti Smeton, Svetlana Lifar, malgré ce handicap, déploie la beauté et la puissance d’un mezzo rond, chaleureux, digne d’un meilleur sort.

À la tête de son docile et ductile Orchestre de Toulon, Giuliano Carella est doublement chez lui dans cet opéra romantique et nous y mène et promène avec bonheur, dessinant des lignes, même rarement complexes, estompant des chœurs (excellemment préparés) en murmures feutrés de courtisans, faisant fleurir avec précision des couleurs instrumentales, des timbres, sans jamais rien perdre d’une continuité musicale et d’une solidarité sans faille envers les chanteurs dans une œuvre vocalement impondérable souvent où toute erreur défaille et déraille l’ensemble.

Les costumes (Kaspar Glarner) de la reine et de la suivante sont très beaux et les autres, sombres, le sont aussi quand ils sont temporels, avec la belle frise de leurs fraises ou cols colorés de blancheur sans ces longs manteaux inutilement intemporels, dans l’académisme déjà cinquantenaire de la soi-disant modernisation des œuvres anciennes, comme les signes naïfs, lunettes modernes pour Rochefort, cigarette désinvolte de l’espion et bourreau sadique et cynique, inexistante à l’époque si le tabac, était connu grâce aux Espagnols. Qu’y a-t-il, d’ailleurs, à moderniser une histoire si ancrée dans l’Histoire à notre époque où l’on divorce chez les têtes couronnées sans être obligé de les couper ?

 

 

 

Opéra de Toulon, le 14 novembre 2014.  Anna Bolena de Donizetti,

A l’affiche à Toulon, les 14, 16 et 18 novembre 2014

Orchestre et chœur de l’Opéra de Toulon

Production Opéra National de Bordeaux

Direction musicale : Giuliano Carella

Mise en scène :  Marie-Louise Bischofberger

Décors :  Erich Wonder

Costumes : Kaspar Glarner

Lumières :  Bertrand Couderc

Distribution :

Anna Bolena : Ermonela Jaho ; Giovanna Seymour : Kate Aldrich ; Smeton : Svetlana Lifar ; Enrico VIII : Simón Orfila ; Lord Riccardo Percy : Ismael Jordi ; Lord Rochefort :  Thomas Dear ; Sir Hervey : Carl Ghazarossian.

Photos : © Frédéric Stéphan.

 (1) Je reprends ici quelques éléments d’une émission de France-Culture sur La Folie dans l’opéra à laquelle j’ai longuement participé.

 

 

Berlin, Deutsche Oper. Pretty Yende chante Lucia di Lammermoor

une-evasion-deutsche-oper-berlin-580-570Berlin, Deutsche Oper. Donizetti : Lucia di Lammermoor :  les 1er, 6 fĂ©vrier 2015. L’annĂ©e oĂą meurt Bellini, sur le mĂ©tier des Puritains pour la scène parisienne, Donizetti son challenger livre Lucia di Lammermoor créé au San Carlo de Naples le 26 septembre 1835. Le compositeur gagne ainsi ses lettres de noblesse, s’affirmant avant Verdi, tel le champion du romantisme lyrique Ă  l’italienne. Walter Scott donne l’intrigue inspirĂ©e d’une histoire authentique : celle de Janet Dalrymple qui en 1668 assassine son mari pendant leur nuit de noces et le paye fort au prix de sa raison. Edgardo fait figure de bon, opposĂ© Ă  Enrico, le mĂ©chant manipulateur contre lequel doit lutter la riche hĂ©ritière Lucia. Modèle des hĂ©roï¨nes romantiques sacrifiĂ©es, Lucia s’immole en perdant la raison dans la fameuse scène de la folie, martyr et embrasement extatique Ă  l’acte III. Le rĂ´le de Lucia offre au soprano coloratoure, de style bellinien obligĂ©, une palette de sentiments nuancĂ©s et profonds, exprimĂ©s avec une rare justesse : dĂ©sir d’une jeune âme juvĂ©nile, d’autant plus exacerbĂ©e face Ă  un frère sadique et noir et un amant Ă©trangement distanciĂ©, absent, aimant mais si peu complice.

 

Lucia, un sommet du bel canto romantique

 

lucia-deutsche-oper-berlin-580-380-pretty-yendeLucia est encore une adolescente au dĂ©sir ardent, d’un romantisme entier et passionnel : les vocalises de sa partie s’intensifient Ă  mesure que la souffrance ou la frustration se dĂ©ploient. Elle affronte directement la brutalitĂ© d’une sociĂ©tĂ© phallocratique qui traite les femmes comme des marchandises, Ă  Ă©pouser ou Ă  renier. La figure de l’Ă©pouse sacrifiĂ©e, comme immolĂ©e par son propre frère marque les esprits des contemporains de Donizetti dont Ă©videmment Flaubert : Emma Bovary, la protagoniste tragique de son roman fameux, assiste Ă  la reprĂ©sentation de Lucia en français : Emma voit alors dans Lucia, sa propre image, une prĂ©monition de son propre destin dĂ©sormais vouĂ© Ă  la mort. C’est Maria Callas la première qui en 1955 restitue en bellinienne accomplie la force Ă©motionnelle du personnage, les aspirations de la jeune femme affrontĂ©e malgrĂ© elle et jusqu’Ă  la mort, Ă  l’esprit Ă©troit et roublard d’une sociĂ©tĂ© d’hommes hostiles…

 

 

 

2 raisons pour ne pas manquer La Lucia de Berlin

l’Ă©valuation de classiquenews.com

CLIC D'OR macaron 2001- la mise en scène classique promet de respecter la gradation de plus en plus pathétique et tragique du drame, en particulier la scène de la folie de Lucia au III

CLIC_macaron_20142- dans le rĂ´le de Lucia, la jeune soprano sud africaine Pretty Yende fait ses dĂ©buts attendus dans un grand rĂ´le romantique tendu et nuancĂ© ; de la grâce juvĂ©nile et adolescente Ă  la folie de la femme sacrifiĂ©e et criminelle, la cantatrice, couronnĂ©e par le Grand Prix Bellini en 2010 (avant sa distinction par le prix Operalia l’annĂ©e suivante en 2011) devrait Ă©blouir l’audience par sa ligne vocale, son timbre diamantin taillĂ© pour les hĂ©roĂŻnes angĂ©liques, mais aussi son intelligence des coloratoures, non plus mĂ©caniques mais finement expressives. Classiquenews suit la carrière de Pretty Yende depuis ses dĂ©buts et l’obtention de son Grand Prix au 1er Concours Bellini 2010.

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Temps forts de la partition, acte par acte :
Ce qu’il ne faut pas manquer, les Ă©pisodes du drame les plus dĂ©cisifs…

En Ecosse, les Ashton (Enrico et sa soeur Lucia) vouent une terrible haine à leur rival, Edgardo, hériter de la famille Ravenswood.
Au I : Les deux amants. EnivrĂ©s par leur amour, Edgardo et Lucia s’abandonnent Ă  la langueur extatique (duo Sulla tomba)
Au II : Le mariage forcĂ©. C’est l’acte de la manigance, celle du frère sadique Enrico et de son complice Raimondo qui forcent Lucia Ă  Ă©pouser un bon parti : Arturo Bucklaw. Les deux intrigants rĂ©alisent leur projet en faisant croire Ă  Lucia qu’Edgardo l’a trahie pour une autre. Le sextuor final est le plus impressionnant : face aux agents du complot (Enrico, Raimondo, Arturo) se dressent les amants hier unis, Ă  prĂ©sent dĂ©sunis : Edgardo jette l’anneau que lui avait remis Lucia au I.
Au III : La folie de Lucia. Alors qu’Edgardo et Enrico se sont donnĂ© rendez vous pour se battre, surgit Lucia dĂ©mente, errant dans le château encore animĂ© par les murmures de la fĂŞte nuptiale : elle vient de tuer Arturo, sa robe maculĂ©e de sang (scène de la folie : Il dolce suono…). Alors qu’il allait se battre avec Enrico, Edgardo en apprenant la mort de Lucia, se poignarde.

 

 

Lucia di Lammermoor au Deutsche Oper de Berlin :
Vendredi 6 fĂ©vrier – Berlin, 19h30


Ivan Repusic, direction musicale
Filippo Sanjust, mise en scène

Simone Piazzola, Enrico
Pretty Yende, Lucia
Joseph Calleja, Edgardo
Matthew Newlin, Arturo
Andrew Harris, Raimondo
Ronnita Miller, Alice

Orchestre et choeur de la Deutsche Oper
Visiter le site du Deutsche Oper Berlin

A l’affiche les 1er, 6 fĂ©vrier 2015
Consulter la page Lucia di Lammermoor sur le site du Deutsche Oper Berli

 

 
 

 

Organisez votre séjour à Berlin : les 6 et 7 février 2015

Profitez de la reprĂ©sentation du vendredi 6 fĂ©vrier 2015 au Deutsche Oper pour rester Ă  Berlin, et voir le lendemain samedi 7 fĂ©vrier : Macbeth de Verdi au Staatsoper de Berlin, 18h. Daniel Barenboim, direction. Avec Placido Domingo, Macbeth. RenĂ© Pape, Banquo. Liudmyla Monastyrska, Lady Macbeth, Rollando Villazon, Macduff… Peter Mussbach, mise en scène. LĂ  aussi le plateau vocal promet un grand moment musical et lyrique (Placido Domingo en Macbeth) d’autant plus convaincant sous la baguette de Barenboim et dans la mise en scène de Peter Musbach (homme de théâtre dont le travail scĂ©nique et visuel demeure toujours passionnant).

Week end Ă  Berlin : Lucia et Macbeth, les 6 et 7 fĂ©vrier 2015. Destination voyage culturel et lyrique proposĂ© par Europera La Fugue. A partir de 250 euros par personne… toutes les infos, les modalitĂ©s de rĂ©servation sur le site www.europera.com

Anna Netrebko chante Anna Bolena sur Mezzo (2011)

BOLENA Netrebko 2landscapemezzo_logoMezzo : Donizetti : Anna Netrebko chante Anna Bolena, 1830, 4 > 21 octobre 2014. Après avoir chanté Elvira des Puritains de Bellini en 2007, dans les même conditions, -direct retransmis dans les salles des cinémas du monde entier, revoici la divine Netrebko en 2011, dans un rôle taillé pour elle, pour son timbre angélique et blessée d’héroïne tragique sacrifiée : Anna Bolena. Un personnage finement portraituré qui balance entre trouble amoureux (pour Percy son ancien amant…), inquiétude angoissé, langueur douloureuse et finalement folie… au point de tomber morte… dans la Tour de Londres, avant que l’on vienne la chercher pour être exécutée avec ses soit disants amants : Percy, et le musicien Mark Smeaton… Premier des volets du feuilleton lyrique dédié par Donizetti à la chronique des Tudor, Anna Bolena offre à la cantatrice dans le rôle titre, un personnage à la blessure tragique, racinienne, et aussi dans l’étoffe des deux tessitures précisées par le compositeur, une très belle confrontation de femmes, entre Anna (soprano) et sa rivale, la nouvelle favorite en titre qu’Henri VIII veut épouser, Giovanna (Jeanne Seymour, mezzo) : mais ici, subtilité de la conception donizettienne, l’affrontement n’a pas lieu car Giovanna est éblouie et touchée par le sort de la Reine Anna dont elle ne veut pas que la condamnation lui soit imputée. Deux portraits de femmes aimantes donc, qui des deux côtés confirment le génie psychologique, plutôt fin et nuancé d’un Donizetti que l’on ne connaît toujours pas à sa juste valeur dramatique.

AnnaBolena1112.32Les chemins et la mĂ©canique de l’amour sont traĂ®tres et retors. Pour Ă©pouser Giovanna, Henri VIII doit prendre au piège la Reine Anna, souveraine en titre, en rĂ©vĂ©lant ses amours adultĂ©rines : de fait, il favorise le rapprochement de Percy (un ancien soupirant d’Anna avant qu’elle ne soit couronnĂ©e) et le jeune musicien manipulable Mark Smeaton… les 3 seront surpris en Ă©panchement et effusion partagĂ©e, dont Smeaton qui ayant volĂ© le portrait de la Reine par passion secrète, se retrouve dĂ©noncĂ© par son propre acte… Si Anna rĂ©siste, – Donizetti lui rĂ©serve de superbes scènes dont la plus touchante dans la prison qui prĂ©cède l’annonce de son exĂ©cution, Giovanna tente toujours d’inflĂ©chir la cruautĂ© barbare du Roi, lequel frappe par sa brutalitĂ© virile de lion inflexible. Dans la rĂ©alitĂ©, Anne Boleyn sera dĂ©capitĂ©e dans la Tour de Londres pour adultère en 1536, première dĂ©capitation publique de l’histoire britannique.

img_vignette_ficheprogramme_OPE_13044Notre avis. Evidemment, la production diffusĂ©e par Mezzo en octobre 2014 ne bĂ©nĂ©ficie pas du casting royal de l’OpĂ©ra de Vienne avec l’incomparable et très attractive ElÄ«na GaranÄŤa dans le rĂ´le de Giovanna la nouvelle favorite (dvd Deutsche Grammophon, un titre mĂ©morable de ce fait oĂą La GaranÄŤa est affrontĂ©e Ă  la mĂŞme Anna Netrebko) : deux tempĂ©raments fĂ©minins s’imposent ici, tissĂ©s dans le plus noble bel canto, tout au moins sur le plan de l’expressivitĂ© car souvent avouons que comme pour son Elvira, Anna Netrebko manque parfois d’une prĂ©cision claire dans l’architecture des vocalises. Sa coloratoura manque de dĂ©tail et de stabilitĂ©, mais l’expressivitĂ© et la couleur du timbre convient idĂ©alement au portrait de la Reine suspectĂ©e, bafouĂ©e, piĂ©gĂ©e, et finalement dĂ©truite par la perversitĂ© de son Ă©poux Enrico, l’infâme Henry VIII. Peu Ă  peu, Anna sombre dans le dĂ©sordre mental : c’est une martyr amoureuse sacrifiĂ©e, un rĂ´le parfait que le romantisme aime dĂ©voiler, exalter, sublimer d’acte en acte jusqu’à la folie finale. De toute Ă©vidence, la prĂ©sence vocale et la plastique cinĂ©matographique de la diva font des atouts toujours aussi irrĂ©sistibles : offrant d’Anna Bolena, un portrait très attachant. A ses cĂ´tĂ©s tous les rĂ´les sont dĂ©fendus avec style et panache dans les costumes somptueux de McVicar : Henry VIII est brutal et despotique ; Giovanna, presque aussi dĂ©chirĂ©e qu’Anna et Riccardo Percy l’aimĂ© d’Anna est particulièrement ardent, enflammĂ© (on comprend qu’Anna se laisse peu Ă  peu succomber au charme de leur amour passé…). Donizetti a vĂ©cu une rĂ©surrection tardive : ce n’est qu’en 1957 sur la scène de le Scala de Milan que la distribution rĂ©unissant Maria Callas et Giulietta Simionato dans les rĂ´les de Anna et de Giovanna (mise en scène de Visconti) contribua Ă  rĂ©vĂ©ler les beautĂ©s de l’ouvrage tragique.

 

 

 

Donizetti : Anna Bolena, 1830 sur Mezzo.

Anna Netrebko (Anna Bolena)
Ekaterina Gubanova (Giovanna Seymour)
Ildar Abdrazakov (Enrico VIII)
Stephen Costello (Riccardo Percy)
Tamara Mumford (Mark Smeaton)
Keith Miller (Lord Rochefort)
Eduardo Valdes (Sir Hervey)

The Metropolitan Opera House Orchestra, Marco Armiliato (direction)

David McVicar (mise en scène)
Robert Jones (décors)
Jenny Tiramani (costumes)
Paule Constable (lumières)
Andrew George (chorégraphie)

Enregistré au Metropolitan Opera House, New York, en 2011
Réalisé par Gary Halvorson

 

 

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Grille des diffusions sur Mezzo Live HD :

 
04 / 10 – 09h00
05 / 10 – 20h30
06 / 10 – 17h00
07 / 10 – 00h00
07 / 10 – 13h45
18 / 10 – 09h00
19 / 10 – 20h30
20 / 10 – 17h00
21 / 10 – 00h00
21 / 10 – 13h0

Compte rendu, opéra. Saint Céré. Halle des sports, le 8 août 2014. Donizetti : Lucia di Lammermoor. Burcu Uyar, Lucia; Gabriele Nani, Enrico; Svetislav Stojanovic, Edgardo ….. Orchestre et choeur Opéra Éclaté, Gaspard Brécourt, direction. Olivier Desbordes, mise en scène; Ruth Gross, décors et costumes; Patrice Gouron, lumières.

Mai et juin 2014 : printemps Donizetti !Parmi les dizaines d’opĂ©ra (- plus de soixante-dix en tout-) que Gaetano Donizetti (1797-1848) a composĂ©, Lucia di Lammermoor est l’un des plus cĂ©lèbres. Pour son livret, Salvatore Cammarano (NDLR : l’auteur du livret du Trouvère de Verdi en 1857) s’est inspirĂ© du livre de l’Ă©crivain Ă©cossais Walter Scott, lequel s’Ă©tait inspirĂ© d’un fait divers rĂ©el remontant du XVIIème siècle. A cause du mauvais temps annoncĂ©, la seconde reprĂ©sentation de Lucia di Lammermoor s’est dĂ©roulĂ©e Ă  la Halle des sports de Saint-CĂ©rĂ©. Olivier Desbordes reprend le chef d’oeuvre de Donizetti dans une nouvelle production co-produite avec le Centre Lyrique de Clermont-Auvergne. Pour l’occasion une distribution et un chef d’orchestre jeunes ont Ă©tĂ© rĂ©unis pour donner vie aux personnages et Ă  la musique du drame Donizettien.

Lucia de fureur et de sang, entre deux coups de tonnerre

Concernant la mise en scène, Olivier Desbordes place Lucia dans une Écosse intemporelle : ce qui s’avĂ©rerait ĂŞtre une excellente idĂ©e si les costumes fĂ©minins de Ruth Gross n’Ă©taient aussi vilains, tristes, dĂ©finitivement inesthĂ©tiques. Quel dommage en effet que les choristes et Alisa ne soient perçues que comme des paysannes et non comme des jeunes nobles; quant Ă  la pauvre Lucia, qui est dĂ©jĂ  une victime, exceptĂ©e la robe de mariĂ©e, elle est affublĂ©e d’ensembles assez ternes. Le module central sert Ă  la fois de fontaine (dans laquelle Lucia devenue folle finira par rejoindre le fantĂ´me qui l’effrayait tant), de forĂŞt puis de salle de rĂ©ception. Ce sont les très belles lumières de Patrice Gouron qui font passer la grande tristesse des costumes.

UYAR soprano Burcu UyarLe plateau vocal rĂ©uni est dans l’ensemble assez jeune, grandement dominĂ© par la soprano franco-turque Burcu Uyar. La voix, certes claire, mais large et chaleureuse de la jeune femme colle parfaitement au rĂ´le de Lucia; bonne comĂ©dienne, la cantatrice rend bien les sentiments d’une jeune fille sacrifiĂ©e sur l’autel de la politique ; elle souligne l’écrasante domination des hommes sur leurs filles ou leurs soeurs. Et d’ailleurs Olivier Desbordes a une excellente idĂ©e en faisant aller et venir Lucia sur une charrette telle la victime expiatoire de l’ambition dĂ©mesurĂ©e et inhumaine d’Enrico. Gabriele Nani qui chante Enrico est retors et mĂ©chant Ă  souhait prenant le dessus, accablant sa pauvre soeur avec d’autant moins de scrupules qu’il est obnubilĂ© par son avenir politique sans se prĂ©occuper d’autre chose. Un seul regret, que son entrĂ©e pendant la folie de Lucia ait Ă©tĂ© coupĂ©e : Olivier Desbordes ayant souhaitĂ© que Lucia reste seule dans son dĂ©lire mortel. Face Ă  Burcu Uyar et Gabriele Nani, le jeune tĂ©nor serbe Svetislav Stojanovic campe un bel Edgardo; la voix est chaleureuse et souple mais, est-ce dĂ» au stress, parfois peu sĂ»re dans les aigus notamment. Si Christophe Laccassagne assume crânement le rĂ´le de Raimondo sur un plan strictement scĂ©nique, la voix du baryton français est solide mais nous semble cependant un peu lĂ©gère pour la tessiture du personnage. Il est le seul dont on ne sache pas vraiment qui de Lucia ou d’Enrico, il soutient vraiment tant il va de l’un Ă  l’autre sans rĂ©ellement se dĂ©voiler complètement. Saluons la belle Alisa d’Hermine Huguenel, le Normano aussi retors que son maĂ®tre, de Laurent Galabru (parent Ă©loignĂ© du comĂ©dien Michel Galabru) et le solide Arturo d’Éric Vignaud. A noter que l’orage qui se dĂ©chainait dehors, accompagnĂ© d’Ă©clairs et de coups de tonnerre rĂ©guliers accompagnait particulièrement bien la lente descente aux enfers de Lucia mĂŞme si nous aurions prĂ©fĂ©rĂ© ĂŞtre au château de Castelnau plutĂ´t qu’Ă  l’intĂ©rieur de la salle du repli. Dans la fosse, l’orchestre, en effectif rĂ©duit, est tenu avec Ă©nergie par le jeune chef Gaspard BrĂ©court; attentif Ă  ce qui se passe sur le plateau, BrĂ©court pilote parfaitement ses musiciens et ne couvre jamais les chanteurs. Ayant retenu les leçons de l’Ă©dition 2014 au cours de laquelle une partie des musiciens avaient failli se retrouver engloutis par des rideaux, les responsables avaient pris soin de mettre une sĂ©paration nette entre lesdits rideaux et l’orchestre. Souhaitons une belle carrière Ă  ce jeune chef prometteur.

C’est une belle production de Lucia di Lammermoor que nous prĂ©sente Olivier Desbordes; production qui aurait pu ĂŞtre superbe si la costumière avait pris autant soin des femmes que des hommes en donnant aux premières des costumes dignes de ce nom. Fort heureusement le plateau vocal et l’orchestre dĂ©fendent la partition avec panache, voire excellemment : la Lucia de Burcu Uyar demeure l’argument le plus convaincant du spectacle de Saint-CĂ©rĂ© 2014.

Saint CĂ©rĂ©. Halle des sports, le 8 aoĂ»t 2014. Gaetano Donizetti (1797-1848) : Lucia di Lammermoor opĂ©ra en trois actes sur un livret de Salvatore Cammarano d’après l’oeuvre Ă©ponyme de Walter Scott. Burcu Uyar, Lucia; Gabriele Nani, Enrico; Svetislav Stojanovic, Edgardo; Christophe Lacassagne, Raimondo; Éric Vignau, Arturo; Laurent Galabru, Normano; Hermine Huguenel, Alisa; Orchestre et choeur OpĂ©ra ÉclatĂ©, Gaspard BrĂ©court, direction. Olivier Desbordes, mise en scène; Ruth Gross, dĂ©cors et costumes; Patrice Gouron, lumières.

Compte rendu, opĂ©ra. Bordeaux. OpĂ©ra National de Bordeaux, le 27 mai 2014. Donizetti : Anna Bolena. Elza van der Heever, Keri Alkema, Sasha Cooke… Orchestre National Bordeaux Aquitaine. Leonardo Vordoni, direction. Marie-Louise Bischofberger, mise en scène.

annabolena0Bordeaux, OpĂ©ra. Touchante Anna Bolena… Fin de saison lyrique belcantiste Ă  l’OpĂ©ra National de Bordeaux avec la nouvelle production d’Anna Bolena de Donizetti, dans une mise en scène de Marie-Louise Bischofberger. La distribution rĂ©unit de jeunes chanteurs, plutĂ´t investis, dont en première place la soprano Elza van der Heever dans le rĂ´le-titre. L’Orchestre National Bordeaux Aquitaine est Ă  son tour dirigĂ© par le chef italien invitĂ© Leonardo Vordoni. Donizetti, grand improvisateur italien de l’Ă©poque romantique, compose Anna Bolena en 1830, Ă  l’âge de 33 ans. L’opĂ©ra seria sur le livret de Felice Romani inspirĂ© de l’histoire d’Anne Boleyn, Reine d’Angleterre, sinspire en rĂ©alitĂ© en fait de deux pièces de théâtre : l’Anna Bolena de Pepoli et l’Enrico VIII de Marie-Joseph de ChĂ©nier (dans une traduction italienne d’Ippolito Pindemonte). Comme souvent dans les opĂ©ras belcanto, le texte n’est que prĂ©texte pour les envolĂ©es lyriques.

 

BeautĂ© touchante d’un destin tragique 

L’histoire est celle d’Anne Boleyn, deuxième femme du Roi d’Angleterre Henri VIII, auparavant favorite du Roi. C’est grâce Ă  leur mariage, après l’annulation du prĂ©cĂ©dent avec Catherine d’Aragon, que le Royaume Uni rĂ©alise le schisme de l’Église d’Angleterre avec le Vatican. Sa fortune durera peu, puisqu’elle est condamnĂ©e Ă  la guillotine et remplacĂ©e par l’une de ces dames de compagnie, Jeanne Seymour. Le succès glorieux de l’oeuvre dans toute l’Europe fait de Donizetti une vĂ©ritable cĂ©lĂ©britĂ©, il s’agĂ®t en effet de son premier opĂ©ra de maturitĂ©, qui, tout en Ă©tant moins personnel que Lucia di Lamermoor, demeure une tragĂ©die lyrique flamboyante. La performance des interprètes s’inscrit ainsi parfaitement dans la nature de l’ouvrage. Ils ont tous un bel investissement qui est remarquable dès le dĂ©but de la prĂ©sentation. Le trio des femmes est extraordinaire.

Elza van der Heever dans le rĂ´le-titre fait penser et fait songer Ă  … Giuditta Pasta (cantatrice crĂ©atrice du rĂ´le), par sa prestance sur scène, par la force dramatique de ces gestes, par l’humanitĂ© imposante et altière qu’elle dĂ©gage. C’est une Anna Bolena troublĂ©e, belle, appassionata, sincère. Elle dĂ©ploie ses talents vocaux et théâtraux d’une façon captivante. Son duo avec Giovanna Seymour au deuxième acte : « Dal moi cor punita io sono » est un sommet dramatique et musical. La rivale Seymour est interprĂ©tĂ©e par Keri Alkema, soprano au chant plaisant et souvent dramatique. Sa complicitĂ© avec van der Heever est Ă©vidente, elle est d’ailleurs beaucoup plus touchante et mĂ©morable dans ses Ă©changes avec Anna Bolena qu’avec le Roi Enrico VIII. Avant d’aborder la performance des hommes, moins heureuse, remarquons Ă©galement la fabuleuse prestation de la mezzo-soprano Sasha Cooke dans le rĂ´le travesti de Smeaton, page et musicien de la Reine : belle agilitĂ© vocale tout Ă  fait belcantiste et timbre corsĂ© très sĂ©duisant. Sa prestation est un mĂ©lange de mĂ©lancolie et de bravoure, sans prĂ©tention : excellente.

Nous sommes plus partagĂ©s face aux solistes masculins. Le tĂ©nor Bruce Sledge dans le rĂ´le de Percy fait de son mieux avec sa partie, d’une difficultĂ© redoutable. Il reste pourtant affectĂ© par une mise en scène plutĂ´t superficielle et ne dĂ©passe pas vraiment les difficultĂ©s du rĂ´le. Matthew Rose dans le rĂ´le du Roi Enrico VIII, rĂ©ussit, lui, Ă  captiver la salle. Certes, la musique est flatteuse pour sa voix sans ĂŞtre particulièrement sophistiquĂ©e ni difficile, mais c’est surtout au niveau dramatique oĂą il excelle. Sa caractĂ©risation du monarque a quelque chose de grossier, de rustique ; sa mĂ©chancetĂ© ne laisse pas le public insensible.

Sur le plan artistique, les crĂ©ations de l’Atelier de costumes de l’OpĂ©ra de Bordeaux sont ravissantes. Les habits sont d’inspiration historique et les matĂ©riaux paraissent très riches rehaussĂ©s par la noblesse des interprètes qui les portent. L’opĂ©ra Ă©tant axĂ© sur les destins de ses personnages fĂ©minins, nous trouvons la mise en scène de Marie-Louise Bischofberger entièrement pertinente mais avec une grande rĂ©serve. Elle arrive Ă  faire d’Enrico VIII un enragĂ© crĂ©dible, et d’Anna Bolena, l’incarnation de la classe et de la vĂ©racitĂ© Ă©motionnelle. Son travail est beau et efficace, mais paraĂ®t peu profond et manquant de caractère. L’Orchestre National Bordeaux Aquitaine est, quant Ă  lui, en grande forme. Le chef Leonardo Vordoni offre une ouverture pleine de pompe et d’hĂ©roĂŻsme. La partition est souvent martiale, parfois monotone. Si la direction aurait pu gagner en dynamisme, nous avons aimĂ© cependant les nombreux effets spĂ©ciaux de la baguette de Vordoni, avec le frĂ©missement des cordes, la candeur pĂ©tillante des bois, la sonoritĂ© idyllique de la harpe. Remarquons Ă©galement la performance du ChĹ“ur de l’OpĂ©ra, très sollicitĂ©, dirigĂ© avec intelligence par Alexander Martin.

Ouvrage extraordinaire Ă  l’OpĂ©ra National de Bordeaux ! Il s’agĂ®t aussi presque d’un avant-goĂ»t des moments forts de la saison prochaine, qui se terminera aussi avec un bijoux du belcanto italien romantique, la Norma de Bellini, avec Elza van der Heever Ă©galement dans le rĂ´le-titre. Vous pouvez encore voir Anna Bolena de Donizetti Ă  l’affiche les 2, 5 et 8 juin 2014.

Illustration : Elsa van den Heever, Anna Bolena à Bordeaux en 2014 © Frédéric Desmesure

 

Donizetti : Anna Bolena Ă  Bordeaux

donizettiDonizetti: Anna Bolena Ă  Bordeaux (27mai>8juin 2014). heureux hasard du calendrier lyrique de mai et juin. Contemporain de Bellini, sous-estimĂ© en comparaison Ă  Rossini auquel il succède et Ă  Verdi qu’il prĂ©figure, Donizetti incarne cependant un style redoutablement efficace, comme en tĂ©moigne ses deux ouvrages inspirĂ©s de l’histoire des Tudor (Anna Bolena, 1830 et Maria Stuarda, 1834). Les deux opĂ©ras, cĂ©lèbres parce qu’ils osent confronter chacun deux portraits de femmes hĂ©roĂŻques et pathĂ©tiques (Anna Bolena, Giovanna Seymour – Maria Stuarda, Elisabetta), se rĂ©vèlent convaincants par la violence des situations comme le profil psychologique qu’ils convoquent sur la scène. Liège accueille Maria Stuarda et Bordeaux, Anna Bolena.

Nommé directeur musical des théâtre royaux de Naples, Gaetano Donizetti profite avant l’avènement irrépressible de Verdi, de l’absence de Rossini en Italie (au profit de la France). Anna Bolena est son premier grand succès en 1830 au Teatro Carcano avec le concours des vedettes du chant, Giuditta Pasta et Giovanni Battista Rubini. Son inspiration ne semble plus connaître de limites, produisant ouvrages sur ouvrages avec une frénésie diabolique, malgré ses ennuis de santé liés à la syphilis contractée peu auparavant… Suivent de nouveaux jalons de sa carrière lyrique dont surtout dans la veine comique pathétique, L’Elixir d’amorce (Milan, 1832 : le premier joyau annonçant dix années avant l’autre sommet qui demeure Don Pasquale de 1843 pour le Théâtre-Italien de Paris), puis Lucrezia Borgia (sur le livre de Felice Romani, l’ex librettiste de Bellini)… Comme un nouvel avatar de ce drame gothique anglais qu’il semble aimer illustrer, Donizetti compose après Anna Bolena, Maria Stuarda créé à Naples en 1834. Marino Faliero triomphe ensuite en 1835 sur la scène parisienne, la même année où il produit aussi Lucia di Lammermoor, alors que son confrère Bellini meurt après avoir livré I Puritani. Donizetti souffre toujours d’une évaluation suspecte sur son œuvre : moins poète que Bellini, moins virtuose et délirant que Rossini, moins dramatique et efficace que Verdi… l’artisan inspiré synthétise en vérité toutes ses tendances de l’art lyrique, proposant de puissant portraits lyriques à ses interprètes. Car il ne manque ni de finesse psychologique ni de sens théâtral propice aux situations prenantes.

 

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Donizetti : Anna Bolena
Opéra de Bordeaux
Du 27 mai au 8 juin 2014

boleyn_anne_tour_londres-anne-boleyn-portraitOpera seria, (tragédie lyrique en deux actes-), Anna Bolena profite de la coupe dramatique très efficace du librettiste Felice Romani (habituel complice de Bellini). Giuditta Pasta crée le rôle immense lyrique et dramatique d’Anna Bolena (soprano dramatique ample), en particulier exigeant pendant la scène de la folie (Al dolce guidami castel natio) au III (dans la tour de Londres où est retenue prisonnière l’ancienne idole royale suspectée de tromper le Roi avec son ancien amant Percy), une intensité vocale et dramatique égale. C’est le sommet de l’opéra et pour la diva requise, l’obligation de se dépasser comme tragédienne, pour convaincre. L’opéra tient aussi sa force voire sa violence de l’opposition des deux femmes, Anna Bolena et Giovanna Seymour (Jane Seymour), la nouvelle favorite d’Henry VIII. En 1957, à la Scala de Milan, Maria Callas et Giuletta Simionato, soprano et mezzo dramatique, défendait la rivalité des deux favorites d’Henry avec une flamme inédite. Plus proche de nous (Opéra de Vienne, avril 2011), le duo Elina Garanca et Anna Netrebko ont vaillamment incarné l’une et l’autre héroïnes (Giovanna, Anna) avec le même aplomb vocal, la même force dramatique (DVD Deutsche Grammophon).

Donizetti : Anna Bolena à l’Opéra de Bordeaux. Nouvelle production
Opera seria en 2 actes de Donizetti ; livret de Felice Romani.
Créé à Milan, au teatro Carcano, le 26 décembre 1830

A Bordeaux, le rôle-titre est interprété par Elza van den Heever, récemment applaudie à Bordeaux dans Ariane à Naxos (le Compositeur) et Alcina (rôle-titre).
Direction musicale, Leonardo Vordoni
Mise en scène, Marie-Louise Bischofberger

Enrico VIII, Matthew Rose
Anna Bolena, Elza van den Heever
Giovanna Seymour, Keri Alkema
Lord Rochefort, Patrick Bolleire
Lord Riccardo Percy, David Lomeli (les 27, 30 mai et 5 et 8 juin), Bruce Sledge (2 juin)
Smeton, Sasha Cooke
Sir Hervey, Christophe Berry
Orchestre National Bordeaux Aquitaine
Chœur de l’Opéra National de Bordeaux

Bordeaux, Opéra
Les 27, 30 mai, puis 2,5 et 8 juin 2014

 

Donizetti : Maria Stuarda Ă  l’OpĂ©ra royal de Wallonie, Liège (16>24mai)

donizettiDonizetti : Maria Stuarda Ă  Liège (16>24mai 2014). Contemporain de Bellini, sous-estimĂ© en comparaison Ă  Rossini auquel il succède et Ă  Verdi qu’il prĂ©figure, Donizetti incarne cependant un style redoutablement efficace, comme en tĂ©moigne ses deux ouvrages inspirĂ©s de l’histoire des Tudor (Anna Bolena, 1830 et Maria Stuarda, 1834). Les deux opĂ©ras, cĂ©lèbres parce qu’ils osent confronter chacun deux portraits de femmes hĂ©roĂŻques et pathĂ©tiques (Anna Bolena, Giovanna Seymour – Maria Stuarda, Elisabetta), se rĂ©vèlent convaincants par la violence des situations comme le profil psychologique qu’ils convoquent sur la scène. Liège accueille Maria Stuarda et Bordeaux, Anna Bolena.

Nommé directeur musical des théâtre royaux de Naples, Gaetano Donizetti profite avant l’avènement irrépressible de Verdi, de l’absence de Rossini en Italie (au profit de la France). Anna Bolena est son premier grand succès en 1830 au Teatro Carcano avec le concours des vedettes du chant, Giuditta Pasta et Giovanni Battista Rubini. Son inspiration ne semble plus connaître de limites, produisant ouvrages sur ouvrages avec une frénésie diabolique, malgré ses ennuis de santé liés à la syphilis contractée peu auparavant… Suivent de nouveaux jalons de sa carrière lyrique dont surtout dans la veine comique pathétique, L’Elixir d’amorce (Milan, 1832 : le premier joyau annonçant dix années avant l’autre sommet qui demeure Don Pasquale de 1843 pour le Théâtre-Italien de Paris), puis Lucrezia Borgia (sur le livre de Felice Romani, l’ex librettiste de Bellini)… Comme un nouvel avatar de ce drame gothique anglais qu’il semble aimer illustrer, Donizetti compose après Anna Bolena, Maria Stuarda créé à Naples en 1834. Marino Faliero triomphe ensuite en 1835 sur la scène parisienne, la même année où il produit aussi Lucia di Lammermoor, alors que son confrère Bellini meurt après avoir livré I Puritani. Donizetti souffre toujours d’une évaluation suspecte sur son œuvre : moins poète que Bellini, moins virtuose et délirant que Rossini, moins dramatique et efficace que Verdi… l’artisan inspiré synthétise en vérité toutes ses tendances de l’art lyrique, proposant de puissant portraits lyriques à ses interprètes. Car il ne manque ni de finesse psychologique ni de sens théâtral propice aux situations prenantes.

 

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Donizetti : Maria Stuarda
Opéra royal de Wallonie, Liège
Du 16 au 24 mai 2014

Depuis plusieurs annĂ©es, Maria Stuarda, reine d’Ecosse, est prisonnière et assignĂ©e Ă  rĂ©sidence au château de Fortheringhay par sa cousine Elisabetta, la reine d’Angleterre. Celle-ci doit Ă©pouser le roi de France, mais elle aime en secret le comte de Leicester qui aime en secret… Maria Stuarda. Entre les deux femmes, le conflit politique se double d’un conflit amoureux : un affrontement spectaculaire et dramatique entre la reine souveraine et la reine dĂ©chue; autour d’elles, les intrigues de la cour, les complots, la cruautĂ©. Maria Stuarda finira dĂ©capitĂ©e…

MARIE-STUART-francois-clouet-portrait-François_ClouetMaria Stuarda, la tragĂ©die de 1834, qui met en scène les reines ennemies Marie Stuart et Elisabeth Ire, est l’oeuvre la plus connue de la trilogie de Donizetti sur les reines de l’époque Tudor (avec Anna Bolena et Roberto Devereux). DĂ©jĂ  Anna Bolena, ouvrage plus ancien, créé en 1830, opposait deux femmes rivales (soprano et mezzo : Anna et Giovanna soit Anne Boleyn et Jane Seymour). Dans l’ouvrage de Donizetti, les deux femmes ne s’affrontent pas tant pour le pouvoir que pour l’amour d’un homme, le comte de Leicester. Leur altercation culmine au II.
Parmi les moments les plus poignants figurent le dialogue entre les deux reines Ă  l’acte II, le duo entre Maria et Talbot Ă  l’acte III, l’air dĂ©chirant de Maria avant son exĂ©cution (alors que Donizetti imagine un Ă©vanouissement fatal pour Anna Bolena). L’opĂ©ra fut interdit par le roi de Naples Ă  cause d’une dispute qui Ă©clata lors des rĂ©pĂ©titions entre les prime donne qui incarnaient les reines d’Ecosse et d’Angleterre. L’une traita l’autre de “vile bâtarde”, conformĂ©ment au texte mais avec tellement de conviction, qu’il fallut les sĂ©parer de force…
Outre l’anecdote, l’opéra qui répond à une commande du San Carlo de Naples fut créé dans une version tronquée. C’est la Scala de Milan qui en 1835 accueillit Maria Stuarda avec Maria Malibran dans le rôle-titre, laquelle en méforme chanta très mal. Qu’importe, la confrontation entre les deux reines opposées au II redouble d’impact et de surenchère dramatique, dont Verdi se souviendra. Le dramatisme de Donizetti atteint là un paroxysme particulièrement réussi par ce qu’il dévoile non deux types politiques, mais deux âmes bataillant, échevelées, portées par une passion égale pour le même homme (Roberto : Robert de Leicester). En traitant Elisabeth de « bâtarde », Maria Stuarda signe son arrêt de mort.

Direction musicale: Aldo Sisillo
Mise en scène et costumes: Francesco Esposito
Chef des chœurs: Marcel Seminara
Orchestre & Chœurs: Opéra Royal de Wallonie-Liège

Maria Stuarda: Martine Reyners*
Elisabetta: Elisa Barbero*
Roberto comte de Leicester: Pietro Picone
Talbot: Pierre Gathier
Cecil: Ivan Thirion
Anna Kennedy: Laura Balidemaj

* pour la première fois à l’Opéra royal de Wallonie, Liège

5 dates événements
Les 16, 18, 20, 22, 24 mai 2014, Ă  15h ou 20h

 

Compte rendu, opéra. Toulouse. Théâtre du Capitole, le 6 février 2014. Donizetti : La Favorite. Vincent Boussard, mise en scène; Ludovic Tézier… Antonello Allemandi, direction.

D59P3788_3pGaetano Donizetti a, comme tout compositeur d’opéra du XIX ème siècle, obtenu des commandes à Paris, ville centrale de l’opéra romantique. La Favorite a d’ abord été commandée pour le Théâtre de la Renaissance et le titre en était l’ange de Nisida, mais a finalement été crée à l’Opéra de Paris. De ce fait le compositeur ambitieux a souscrit aux exigences de cette institution. Il a rajouté un premier acte -qui n’est pas de sa meilleure plume- ; a réécrit la partie de Léonore pour la très célèbre contralto  Rosine Stoltz.  L’opéra a connu un succès public entretenu ensuite par sa proximité avec le style d’Halévy et de Meyerbeer. Ce grand rôle de mezzo a aussi beaucoup fait pour la diffusion de l’ouvrage.

Le Capitole, pour cette nouvelle production a choisi la version française originale. Il a dû engager une distribution internationale pas toujours à l’aise avec le français. Sophie Koch initialement prévue s’est désengagée et c’est l’américaine Kate Aldrich qui relève le défi avec des moyens très différents. Sa Léonore est énergique et engagée. Scéniquement elle manque de tendresse dans les duos amoureux et vocalement elle ne dose pas très bien une voix de poitrine, certes sonore, mais manquant d’élégance. Les aigus sont tendus et passent en force. Son français est un peu vague. Fernand, rôle écrit pour Adolphe Nourrit, styliste impeccable,  est défendu avec audace par Yijie Shi, ténor né à Shanghaï. Certes la voix est claire et la puissance ne lui est pas impossible. Mais cette émission si en avant tend vers le métal le plus agressif sur un timbre banal. Elle a ainsi pu  froisser des oreilles délicates. Il tire le rôle de cet ambitieux vers une sorte de vaillance générale et gomme le bel canto et la tendresse qu’il contient. Scéniquement l’acteur est efficace. Il faut remercier le ténor chinois pour son implication dans la langue française mais ce n’est pas limiter son mérite que de dire qu’il n’y est pas très à l’aise. Le couple vedette manque donc un peu du poli belcantiste structurel de la partition  de Donizetti et bascule plutôt vers le grand opéra pompier.

Succès toulousain pour La  Favorite

C’est donc Ludovic Tézier qui leur vole la vedette, et haut la main. Il est charismatique  en roi de Castille, tendre en amoureux comblé, puissant dans la violence de la rage de la jalousie. Il  gagne en noblesse dans le choix final du pardon ambigu. L’acteur est parfait dans ce rôle de puissant qui veut se contrôler et en devient un peu distant. Vocalement le moelleux de la voix et la beauté du timbre font merveille, les lignes de chants sont ciselées, les trilles précisément réalisées. Le style belcantiste est présent avec de belles nuances et des colorations variées de la voix. Du grand art!  Le grand rôle de basse est un peu emphatique mais Giovanni Furlanetto l’humanise et chante à merveille tout du long. Marie-Bénédicte Souquet est une Ines sensible et émouvante avec une voix de soprano passant très facilement dans les ensembles. Cette présence forte est une qualité qu’elle partage avec Alain Gabriel en Don Gaspar.

La mise  en scène est sage. Conscient de la grande faiblesse du livret, Vincent Boussard  ne cherche pas à y suppléer.  Les costumes de Christian Lacroix étaient très attendus. Ils sont merveilleux de couleurs et la beauté des étoffes ravit l’œil. Les aspects décalés des costumes (manque de fini), d’ asymétrie systématique et de manche de tee shirt,   sont comme un clin d’œil à la faiblesse de l’opéra lui-même.  Les lumières de Guido Levi  animent admirablement un décor très simple et modulable de Vincent Lemaire. Dans la fosse, l’Orchestre du Capitole brille de mille feux. La direction engagée d’Antonello Allemandi est très théâtrale,  insufflant une belle énergie aux musiciens, choristes et solistes, tout particulièrement dans les grands ensembles avec choeurs. L’émotion du final de l’opéra, la plus belle musique de l’ouvrage, lui doit bien plus que les chanteurs solistes. Les choeurs sont vocalement  présents avec efficacité et grandeur,  tout en étant beaux  à voir.

La partition écrite pour séduire le public français a été bien défendue à Toulouse. D’autres partitions plus subtiles de Donizetti sur des meilleurs livrets sont attendues, le Capitole en a les moyens.

Toulouse. Théâtre du Capitole, le 6 février 2014. Gaetano Donizetti ( 1797-1848) : La Favorite, Opéra en quatre actes, version originale française sur un livret d’Alphonse Royer et Gustave Vaëz créée le 2 décembre 1840 à l’Académie royale de musique, salle Le Peletier ; nouvelle production. Vincent Boussard : Mise en scène; Vincent Lemaire : Décors; Christian Lacroix : Costumes; Guido Levi : Lumières. Avec : Kate Aldrich, Léonor de Guzman; Yijie Shi , Fernand; Ludovic Tézier, Alphonse XI, roi de Castille; Giovanni Furlanetto, Balthazar; Alain Gabriel, Don Gaspar; Marie-Bénédicte Souquet,  Inès; Chœur du Capitole , Alfonso Caiani,  direction ; Orchestre national du Capitole; Antonello Allemandi : direction.

Illustration : © P. Nin 2014

Hubert Stoecklin

Compte rendu, opéra. Marseille. Opéra, le 31 janvier 2014. Donizetti : Lucia di Lammermoor. Alain Guingal, direction. Frédéric Bélier-García, mise en scène.

A la Folie… À l’occasion de cette reprise de la production d’avril 2007 de l’Opéra de Marseille, je reprends ici, en complément culturel, contextuel, à la suite de la critique sur le spectacle, mes notes sur « La folie dans l’opéra»  dans l’émission ancienne de France-Culture, Les Chemins de la musique de Gérard Gromer, en partie utilisées pour mon émission de  Radio Dialogue, « Le blog-note de Benito », les lundis 12h45 et 18h45, le samedi, 19 heures (Marseille : 89.9 FM ; Aix-Étang de Berre : 101.9).

 Hommes et femmes en folie
lucia_marseille_garcia_opera_donizetti    Je rappelle simplement que, dans l’opéra, la folie semble d’abord masculine : l’Orlando furioso de l’Arioste, mis en musique par Lully, Hændel, Vivaldi, Haydn, et des dizaines d’autres compositeurs, est aussi le modèle de l’héroïsme déchu. Xerxès, Serse, de Cavalli ou Hændel, et de tant d’autres sur le livret de Métastase, est un général et roi des Perses fou qui chante son amour à un platane dans le célèbre « Largo ». Mais il faut attendre la fin du XVIIIe siècle et Mesmer, le célèbre magnétiseur, puis Ségur au début du XIXe, pour attirer l’attention sur le somnambulisme féminin, référé à la folie et provoqué par la musique, l’harmonica en l’occurrence. (Voir plus bas).
La folie féminine est donc un thème à la mode lorsque Walter Scott publie en 1819 son roman, The bride of Lammermoor , qui fait le tour de l’Europe, inspiré d’un fait réel, histoire écossaise de deux familles ennemies et de deux amoureux, autres Roméo et Juliette du nord, séparés par un injuste mariage qui finit mal puisque Lucy, lors de sa nuit de noces, poignarde le mari qu’on lui a imposé et sombre dans la folie. Les grandes cantatrices, qui remplacent désormais les castrats dans la plus folle virtuosité, requièrent des compositeurs des scènes de folie qui justifient les acrobaties vocales les plus déraisonnables, libérées des airs à coupe traditionnelle mesurée. Bref, sur scène, la femme perd la raison qu’on lui dénie souvent encore à la ville : à la fin du XIX e siècle, des savants, des phrénologues, concluent encore sérieusement que le moindre poids du cerveau de la femme explique son infériorité naturelle à l’homme.
Peut-être n’est-il pas indifférent de rappeler que, juste avant sa mort, Donizetti fut enfermé dans un asile d’aliénés à Ivry…

La réalisation
Après ses superbes Verlaine Paul et Don Giovanni ici même, avec presque la même équipe (Jacques Gabel pour les décors, Katia Duflot pour les costumes mais aujourd’hui Robert Venturi pour les lumières) Frédéric Bélier-Garcia reprend, affinée, raffinée encore sa mise en scène exemplaire d’intelligence, de profondeur, de subtilité et de sensibilité : ensemble et détail y font sens, sans chercher le sensationnel, avec un naturel sans naturalisme comme je disais alors.
Une scĂ©nographie unique justifiĂ©e par l’histoire et la symbolique des noms : Ă©voquĂ©e sinon visible, mais sensible, la tour en ruine de Wolferag (â€loup loqueteux’) d’Edgardo, ruinĂ©, est le prĂ©sent et sans doute le futur de ceux qui l’ont ruinĂ© et se sont emparĂ©s du château de Ravenswood (†bois des corbeaux’) des charognards, Ă  leur tour menacĂ©s de ruine : deux faces d’un mĂŞme lieu ou milieu social, façade encore debout pour le second, incarnĂ© par Enrico, nĂ©cessitĂ© de maintenir le rang, de redorer le blason, quitte Ă  sacrifier la sĹ“ur, Lucia, Juliette amoureuse de l’ennemi ancestral, le trait d’union humain et lumineux entre les lieux et les hommes, victime du complot des mâles. Toujours semblable mais variant selon les lieux divers du drame, la scĂ©nographie symĂ©trique des ennemis dit la symĂ©trie des destins, la vanitĂ© des luttes civiles, des duels, car tout retourne au mĂŞme : Ă  la ruine, Ă  la mort.
L’espace global, apparemment ouvert, pèse sur toute l’œuvre comme un paysage mental de l’enfermement, intérieur d’une indécise conscience, d’un esprit fragile sinon déjà malade, assiégé par l’ombre et les fantasmagories. Une nocturne et vague forêt de branchages enchevêtrés, brouillés, gribouillés sur un sombre horizon qui ferme plus qu’il n’ouvre, qui opprime et oppresse et se teint de rouge d’un sang qui va couler. Vague horloge détraquée ou lune patraque. On songe aux encres fantomatiques de Victor Hugo, à quelque cauchemar de Füssli, cohérence esthétique avec l’univers romantique fantastique de W. Scott, époque référée par les costumes de Duflot, mais aussi, par ces lumières signifiantes, à Caravage, à Rembrandt, peintres de la lumière et de l’ombre. Règne du « clair-obscur », au vrai sens du mot, mélange de clair et d’obscur, de l’ombre, de la pénombre, de l’angoisse de l’indéfinition ; un vague rayon diagonal, presque vertical, arrache du noir des groupes plastiques d’hommes sur des lignes diagonales et horizontales, flots confluents de corbeaux morbides, prêts au combat à mort. Des ombres deviendront immenses, menaçantes. Seule lumière pour Lucia, astre lumineux de cette nuit, une écharpe rouge, le sang de la fontaine, prémonition du meurtre final de l’époux imposé : une passerelle, balcon sur le vide amoureux ou le gouffre où plonge la folie. Un étrange nuage flotte parfois vaporeusement sur un fond incertain. Des signes remarquables marquent la décadence : meubles sous des housses, déjà des fantômes pour l’encan des enchères, un lustre immense, au sol, déchu, enveloppé, se lèvera comme une lune de rêve pour les noces de cauchemar.
Les costumes, sombres comme l’histoire, sanglent les hommes de certitudes meurtrières, adoucissent les femmes de voiles et de teintes plus tendres ; le manteau clair de Lucia est un sillage de pureté qui prolonge son innocence.

L’interprétation
À la tête de l’Orchestre de l’Opéra en pleine forme, Alain Guingal l’est moins ; de la musique, on ne sent pas la fièvre, mais lui en souffre : sa battue est celle d’un homme abattu, qui s’est battu vaillamment contre la grippe pour sauver la représentation mais qui s’abat à bout de force lors de la seconde, hospitalisé en urgence. Pierre Iodice, chef et homme de c(h)œur relève le défi et la baguette et conduira les deux suivantes, il saura, nous dira-t-on, dans l’urgence et l’improvisation, élaguer les langueurs romantiques et ciseler le drame. Le chœur, qu’il a, comme toujours, excellemment préparé, chante, bouge, joue, armée de l’ombre inexpiable ou attendrie, jamais monolithique bloc, et offre de beaux effets plastiques de masses, de groupes divers, existe individuellement.
Marc Larcher, lumineux ténor, est un beau Normanno, à la fois servile et presque révolté de l’autoritarisme et de la violence d’Enrico,  beau contraste, sombre et brutal baryton de bronze noir, incarné par Marc Barrard avec une force de chef de clan despotique qui règne sur ses hommes plus par la terreur que par le cœur : couple d’opposés, composé par la complicité mais fragile. Le pasteur, qui participe aussi à la conjuration des hommes contre Lucia, c’est encore Wojtek Smilek, timbre d’ombre, d’outre-tombe, grandiose et inquiétant homme prétendu de Dieu. Le rôle bref et ingrat d’Arturo, l’époux assassiné est tenu avec un charme avantageux par Stanislas de Barbeyrac. Dans le rôle du romantique  et suicidaire Edgardo, Giuseppe Gipali a quelque accents héroïques bien qu’affligé d’une trachéite, mais ne perd pas son habitude de ne jamais regarder ses partenaires et d’aller d’un côté à l’autre de la scène pour chercher le soutien d’un pilier porteur.
Avec élégance et allure, Lucie Roche incarne une Alisa tendre et amicale de sa belle voix de mezzo sombre. Prévue pour la seconde distribution, remplaçant la Cubano-américaine Eglise Gutiérrez souffrante aussi, la jeune Tchèque Zuzana Marková sera une révélation : belle, grande, d’une minceur diaphane de mannequin peut-être anorexique comme dira Bélier-García qui saura lui en faire un atout pour ce rôle, elle a donc déjà, malgré un magnifique sourire, une allure éthérée, être d’un autre monde, entre deux mondes, presque spectrale à la fin, rendant plausible sa fragilité physique et psychique. La voix, bien assise sur un médium solide, grimpe et voltige sur les aigus épanouis avec une aisance admirable, vocalises perlées, gammes descendantes, glissandi comme dans une défaillance de l’âme et du corps : un être de chair meurtri plus que meurtrière. La technique, irréprochable, se cache pour laisser place à un personnage dont les plus folles acrobaties vocales servent le son et le sens. Elle entre d’un coup dans le grand et rare catalogue des Lucia d’exception.

Gaetano Donizetti
Lucia de Lammermoor
Direction musicale : Alain Guingal.
Mise en scène : Frédéric Bélier-García ; décors : Jacques Gabel ; costumes : Katia Duflot
 ; lumières : Roberto Venturi.
Distribution :
Lucia : Zuzana Marková (31 janvier, 2, 4, 6 février), Burçu Uyar (1, 5 février) ; 
Alisa : Lucie Roche ; Enrico : Marc Barrard (31 janvier, 2, 4, 6 février)
,  Gezim Myshketa (1, 5 février)
 ; Edgardo : Giuseppe Gipali (31 janvier, 2, 4, 6 février)
, Arnold Rutkovski (1, 5 février)
 ; Raimondo : Wojtek SMILEK (31 janvier, 2, 4, 6 février)
, Nicolas Testé (1, 5 février)
 Arturo : Stanislas de Barbeyrac ; 
Normanno : Marc Larcher.

NOTES SUR LA FOLIE DANS LA CULTURE, L’OPÉRA

La folie, des civilisations l’ont cĂ©lĂ©brĂ©e, d’autres marginalisĂ©e ; d’autres ont aussi tentĂ© de la soigner, souvent par la musique comme David calmant SaĂĽl de sa cithare. Dans l’AntiquitĂ©, le fou Ă©tait assimilĂ© parfois au voyant. Il passait parfois pour l’éducateur des hommes par une sagesse inversĂ©e. Quant Ă  la folle, c’était souvent une devineresse, une pythie, une prophĂ©tesse grâce Ă  ses transes ; au Moyen Ă‚ge, le fol passait pour l’envoyĂ© de Dieu ou du Diable : on Ă©tait suspendu Ă  sa bouche mais il dĂ©bouchait souvent sur le bĂ»cher quand c’était une femme, une sorcière Ă©videmment.

RENAISSANCE
La Renaissance, avec le retour du rationalisme antique, va s’intéresser à la folie. Un texte qui va lancer une mode en littérature, en peinture : Das Narrenschiff (1494) de Sebastian Brant, un Strasbourgeois, poète humaniste et poète satirique (1457-1521) qui embarque dans sa fameuse nef des fous, roman en vers, toutes sortes de personnages représentants les vices humains : à chacun sa folie. Albrecht Dürer illustre cet ouvrage qui va courir l’Europe, et faire des émules. Ainsi, La Nef des folles, de Josse Bade qui lui, embarque les Vierges folles et les vierges sages de la parabole biblique. Avec gravures, desseins, peintures conséquentes de grands peintres tels Holbein, Bosch (Le jardin des délices avec le fou coiffé d’un entonnoir qui aura de l’avenir).
On croyait que la folie était une maladie due à une pierre que l’on pouvait extraire, ce qui explique le tableau l’Extraction de la pierre de folie de Bruegel le Vieux. Thomas More, auteur de la célèbre Utopie (1516) inspire à son ami Érasme de Rotterdam, grand humaniste, son Éloge de la Folie (1511) qui aura une grande influence dans la Réforme.
En 1516, la mĂŞme annĂ©e que l’Utopie, l’Arioste, Ludovico Ariosto, publie son poème Ă©pique Orlando Furioso, â€Roland furieux’, fou furieux : Eh oui, le preux chevalier, le paladin Roland, comme une faible femme, perd le « sens froid » comme l’on Ă©crivit longtemps, le « sang froid », devient l’insensĂ©, fou par amour pour AngĂ©lique, qui ne l’est guère, qui aime MĂ©dor. Il sera une source inĂ©puisable de livrets de l’époque baroque.

ÉPOQUE BAROQUE
C’est le XVIIe siècle déjà bourgeois, « raisonnable », à vocation rationaliste qui, faisant de la folie le contraire de la raison, la décrétant déraison, en généralise l’enferment dans des hospices, des asiles que l’on visite, faute de pouvoir les rentabiliser. La folie devient spectacle, qui se danse, se peint, se chante, s’écrit : Folies d’Espagne (au nom espagnol mal compris, qui n’a rien à voir avec  « folie » !), Nef des Fous. Don Quichotte, dont une époque aveugle à sa générosité humaniste ne voit pas la grandeur, est le fou qui fait rire plus que rêver l’Europe.
Car les XVIIe et XVIIIe siècles mettent en scène la folie, mais généralement des hommes. La scène, exceptée Ophélie, offre des galeries d’hommes fous, le Roi Lear de Shakespeare, Oreste chez Racine, Don Quichotte et tous ces nombreux Roland, Orlando tirés de l’Orlando furioso, mis en musique et en voix.
À cette époque, moitié et fin du Siècle des Lumières mais qui a plus d’ombres que de lumière, on s’intéresse à l’occultisme, aux psychologies étranges. En 1784, Puységur publie un ouvrage sur le somnambulisme, assimilé à la folie, traité par le magnétisme de Messmer. En France, deux ans après, Nicolas Dalayrac donne le ton avec sa Nina, ou la folle par amour, en 1786, comédie mêlée de quelques airs, en un acte, qui devient, sous la plume italienne de Giovanni Paisiello un véritable opéra, Nina, ossia la pazza per amore, en 1789, l’année de la Révolution qui  va faire, sinon tourner, valser les têtes.
On le voit, le pré-romantisme vers la fin du XVIIIe siècle, semble faire de la folie l’apanage des femmes. Dont la folie triomphera sur scène au XIXe.

XIXe SIĂCLE
Folie des femmes
A l’opéra, en effet, les folles font courir les foules, une vraie folie, littéralement. Mais à voir les dates, 1835 (Journal d’un fou de Gogol) et 1827, la première folle à l’opéra (Il pirata de Bellini), le premier tiers du XIXe siècle, de l’Italie à la Russie, se penche sur la folie, dans la littérature, le théâtre et l’opéra. Mais, dans l’opéra,  on assiste à une véritable épidémie, une contagion de la folie chez les héroïnes lyriques.

Héroïnes venues du froid
Nos héroïnes folles, plutôt que folles héroïnes, semblent pratiquement toutes venir du froid, du nord : Ophélie d’Hamlet de Shakespeare est danoise par le lieu de la scène mais anglaise par la langue ; Ana Bolena de Donizetti, Anne Boleyn, anglaise ; Elvira des Puritains de Bellini, est aussi anglaise, Élisabeth d’Angleterre, cela va de soi, et Maria Stuarda est reine d’Écosse, ainsi que lady Macbeth. Lucie de Lammermoor est également écossaise ; Amina, de la Sonnambula de Bellini est suisse et Marguerite, tirée du Faust de Goethe, est Allemande et il y aura une version française de Berlioz, une autre de Gounod et deux autres encore, italienne dans Mefistofele de Boïto, et italo-allemande avec Busoni. Voilà donc des héroïnes romantiques des brumes du nord mais  dans des opéras du sud qui montrent non comment l’esprit vient aux filles comme dirait Colette, mais comment elles le perdent, pratiquement toutes par amour.
La première Ă  ouvrir la ban est donc l’Imogène d’Il pirata de Bellini (1827), Ĺ“uvre inspirĂ©e d’une pièce française du XVIIIe siècle, mais traduite d’une pièce d’un auteur irlandais de 1816 (nous ne quittons pas le nord qu’elles perdent). La scène de folie, grande et longue scène entremĂŞlĂ©e de chĹ“urs avec d’abord partie lente et douce dans les grands arabesques belliniens, puis la cabalette avec toute une folle pyrotechnie vocale, grands Ă©carts, notes piquĂ©es, trillĂ©es, gammes montantes, descendantes, etc,  fit grand effet et la cantatrice se paya un triomphe. Naturellement, toutes les autres cantatrices rĂ©clament aux compositeurs un air de folie pour pouvoir y briller. Giuditta Pasta, grande vedette et vocaliste se voit vite offrir par Donizetti, confrère et rival de Bellini, le rĂ´le d’Anna Bolena, Anne Boleyn, la malheureuse Ă©pouse d’Henri VIII d’Angleterre qui, dĂ©sireux de changer encore de femme après avoir divorcĂ© de Catherine d’Aragon, entraĂ®nant le schisme d’Angleterre, la rupture avec le pape et le catholicisme, la condamne pour un adultère non prouvĂ©. Anna perd la tĂŞte avant d’être dĂ©capitĂ©e.
Nous sommes en 1830. On vient de découvrir le somnambulisme provoqué, notamment chez les filles, associé à la folie. Et Bellini réplique en 1831 en donnant aussi à la Pasta La sonnambula, la somnambule, rôle où triomphera aussi la Malibran, mezzo capable de chanter aussi les soprani. Amina, affligée de somnambulisme, le matin de ses noces, est retrouvée dans la chambre non de son fiancé, mais d’un comte. Conte à dormir debout, mais on imagine le résultat : folie. Ces opéras courent l’Europe.
1834 : Donizetti compose Maria Stuarda, héroïne qui perd aussi la raison avant de donner son cou à la hache d’Élisabeth d’Angleterre. Janvier 1835, à Paris : Bellini encore, qui mourra en septembre de la même année à 34 ans, donne cette fois-ci à Giulia Grisi, qui voulait aussi son opéra et sa folie, I puritani, Les Puritains. La même année 1835, mais en septembre, trois jours après la mort de Bellini, à Naples, Donizetti donne le modèle indépassable de l’air de la folie avec Lucia de Lammermoor, tiré d’un roman historique de Walter Scott (1819), basé sur un fait divers réel de 1668 où, mariée de force, une femme tue son marie le soir des noces.
On pourrait encore parler de l’Azucena du Trovatore de Verdi, de Dinorah (1859) de Meyerbeer, en français, de la douce Ophélie de l’Hamlet d’Ambroise Thomas (1868), de la Kundry de Parsifal de Wagner.

   Folie lyrique des hommes
Certes, on trouvera plus tard dans le siècle quelques fous dans l’opéra. En 1869, Modeste Moussorgski dote son Boris Godounov d’une belle scène d’hallucinations rédemptrice pour le tsar, mais l’autre fou de l’œuvre, l’Innocent, est en fait une sorte de prophète qui annonce et déplore les malheurs de la Russie. La même année, en littérature, son compatriote Dostoïevski publie L’Idiot, histoire du prince Mychkine qui finira à l’asile, mais c’est une belle figure christique qui tente de sauver la pécheresse Nastassia Filippovna.
Nous trouvons encore Parsifal, héros de Wagner dans l’opéra du même nom (1882), le Perceval des légendes de la Table Ronde, du Moyen-Âge. Mais le héros de ce « festival scénique sacré », est celui qui va retrouver le saint Graal, la coupe d’or dont la légende dit qu’elle contint le sang du Christ : on ne peut trouver mieux comme preux et vertueux chevalier, tout de même confronté à Kundry, sorte ce Madeleine pécheresse et contrite, plus folle que ce « chaste fol » de Parsifal comme on l’appelle.
Bref, au siècle du positivisme, les hommes fous portés à la scène, même le Woyzeck de Büchner (1837) dont Alban Berg tirera son Wozzeck mais en 1925, victime de manipulations scientifiques, même dans leur folie, ont une grandeur, une mission presque religieuse et sacrificielle que l’on ne concède pas à la femme. En effet, celles-ci, si elles sont folles ou le deviennent, c’est pour une cause bien légère : par amour contrarié, déçu. Donc, à chacun, homme ou femme une folie à sa mesure, à sa démesure, dans une hiérarchie de valeurs qui confine la femme à l’échelle la plus basse.
Le XIXe siècle a beau avoir l’exemple d’hommes fous ou sombrant dans la folie, souvent pour cause de syphilis, Gérard de Nerval le poète, Schumann le musicien, Maupassant l’écrivain, Nietzsche le philosophe, Van Gogh le peintre, c’est la folie de la femme, sans doute plus décorative si elle est moins noble, qui fait les beaux jours de l’opéra. Et l’on oublie la géniale sculptrice Camille Claudel, scandaleuse pour ses amours tumultueuses avec Auguste Rodin que son frère, si pieux, Paul Claudel, poète et dramaturge, n’hésitera pas à faire interner  en 1913, grande oubliée de l’histoire artistique.
Mais il est vrai aussi qu’à la même époque, de grands savants pèsent, mesurent le cerveau de la femme, moins gros et lourd que celui des hommes, pour en conclure que c’est la cause de l’absence des femmes dans l’ordre de la science et de la création. Dont la société des hommes les avaient exclues…

Illustration : © Christian Dresse 2014

Donizetti : Anna Bolena Ă  Bordeaux

Bordeaux_anna-bolenaOpĂ©ra. Bordeaux : Anna Bolena de Donizetti, du 27 mai au 8 juin 2014   ...  Femme tragique. Si l’on connaĂ®t, parmi l’abondante production de Donizetti, Lucia di Lammermoor, L’Elixir d’amour, Don Pasquale, figurent aussi Ă  son catalogue des opĂ©ras tout aussi passionnants, tragiques, intenses, psychologiques. Evoquant l’un des destins fĂ©minins les plus singuliers de l’Histoire, Anna Bolena est un incontestable chef-d’oeuvre. S’il excelle dans la veine comique et lĂ©gère, – voyez son Don Pasquele aussi fin et subtile qu’une comĂ©die rossinienne-, Donizetti s’impose Ă  Paris dans la veine tragique. Certes il s’agit de faire Ă©voluer le bel canto de Bellini (d’ailleurs le livret de Anna Bolena est signĂ© du poète librettiste favori de Bellini : Felice Romani), ainsi Donizetti traite l’intelligence du texte avec un rĂ©alisme et une franchise de ton et de style qui prĂ©vĂ©riste, se rapproche de Verdi… Anna Bolena marque en 1830, la maturitĂ© du compositeur qui grâce Ă  lui, connaĂ®t une renommĂ©e europĂ©enne… Les français connaissent toujours mal une partition ardente et fiĂ©vreuse, Ă  l’issue tragique qui inaugure sa trilogie anglaise qui se poursuit avec Maria Stuarda puis Roberto Devereux (lire ci-après). A Bordeaux, en mai et juin 2014, le rĂ´le-titre est interprĂ©tĂ© par  Elza van den Heever, rĂ©cemment applaudie Ă  Bordeaux dans Ariane Ă  Naxos (le Compositeur) et Alcina (rĂ´le-titre).

Opéra de Bordeaux
Donizetti : Anna Bolena
Du 27 mai au 8 juin 2014
5 dates, les 27, 30 mai puis 2, 5 et 8 juin 2014

 

nouvelle production
Opera seria en 2 actes de Donizetti ; livret de Felice Romani.
Créé à Milan, au teatro Carcano, le 26 décembre 1830

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Leonardo Vordoni, direction
Marie-Louise Bischofberger, mise en scène

 

Gaetano Donizetti. Avec Bellini et avant Verdi, Gaetano Donizetti (1797-1848) incarne l’essor du bel canto italien romantique. Avec Bellini, Donizetti impose Ă  la scène lyrique le système dĂ©sormais emblĂ©matique du romantisme triomphant, de la cavatine-cabalette, tremplin vocal qui met en avant les qualitĂ©s interprĂ©tatives des grands solistes… Le compositeur qui meurt fou lui-mĂŞme, dĂ©voile une disposition nouvelle Ă  l’expression ultime et radicale des passions humaines.

donizettiPassion radicale oĂą la folie guette… SubtilitĂ© et finesse dans la caractĂ©risation des personnages, conception dramatique de l’orchestre, ce autant dans la veine seria, semi seria ou comique, Donizetti sait captiver son audience grâce au raffinement mĂ©lodique confiĂ© Ă  l’orchestre, l’Ă©criture virtuose rĂ©servĂ©e aux chanteurs, l’Ă©quilibre des tableaux capable d’exprimer sans temps morts ni faiblesses, une intrigue scĂ©nique…
Scène de folie ou de dĂ©mence dĂ©vorante, scène de somnambulisme oĂą la raison s’Ă©gare et sombre… de Lucia di Lammermoor Ă  La Sonnambula, Donizetti ne finit pas de nous captiver par cette hantise de la perte des facultĂ©s vitales. La musique et le chant rĂ©alisent avec une intensitĂ© irrĂ©sistible une faille inĂ©dite qui dĂ©vore les protagonistes. Sa trilogie “anglaise” Ă©laborĂ©e autour d’Elisabeth Ière et d’Henry VIII: Anna Bolena (1830), Maria Stuarda (1834, d’après Schiller qui offre Ă  la scène lyrique l’une des confrontations de reines parmi les plus virulentes de l’histoire lyrique) et Roberto Devereux (1837), surtout Lucia di Lammermoor (1835, qui offre Ă  toutes les cantatrices dignes de ce nom, un personnage d’amoureuse sacrifiĂ©e sombrant dans la folie et le crime… ), mais aussi ses buffa d’une dĂ©licieuse Ă©motivitĂ© tels que L’Elisir d’Amor et son chef-d’oeuvre de la fin, Don Pasquale (partition dans laquelle Donizetti sait Ă©mouvoir sans caricature en brossant le portrait d’un vieux libidineux finalement pathĂ©tique et Ă©mouvant par sa dĂ©risoire et impuissante sincĂ©ritĂ©) … autant d’ouvrages qui imposent le gĂ©nie de Donizetti comme l’un des plus grands compositeurs italiens romantiques. D’ailleurs, Strauss quand il regarde du cĂ´tĂ© de la comĂ©die italienne, c’est ouvertement le climat et la trame dramatique de Don Pasquale qu’il revisite pour sa comĂ©die Ă©crite avec Zweig, La Femme silencieuse …
Donizetti, entre Bellini et Verdi demeure mĂ©sestimĂ©. Secondaire après le premier, pas toujours constant et pertinent comparĂ© au second… On l’a trouvĂ© Ă  torts, passionnel rugueux voire dramaturge vulgaire aux accents appuyĂ©s sans mesure ni dĂ©licatesse (plutĂ´t propre Ă  Bellini). C’est oubliĂ© que sous les tĂ©nèbres d’une inspiration volontiers portĂ©e vers la folie se cache un vrai tempĂ©rament soucieux du sentiment et de la vĂ©ritĂ© Ă©motionnelle. Or les chefs et les interprètes confondent comme souvent pathos (et maniĂ©risme) et expressivitĂ©.

 

 

RADIO. Donizetti:La Favorite. Le 23 février 2013,19h30

RADIO. Donizetti:La Favorite. Le 23 février 2013,19h30

France Musique diffuse une nouvelle production de La Favorite de Donizetti

Gaetano Donizetti

La Favorite, 1840

Créée pour Paris (donc conçue en français) en décembre 1840, avec la légendaire Rosine Stoltz dans le rôle clé de Léonor de Guzman, La Favorite de Donizetti est un ouvrage, noble, sérieux, tragique et historique (l’action se déroule en Castille au XIVè siècle sur l’île de Léon et à Séville), et demeure l’aboutissement de la carrière de Donizzetti à Paris. Après Rossini et Bellini, et comme Verdi, Gaetano entend inscrire son nom en lettres d’or sur le boulevard parisien, tout auréolé d’une gloire non usurpée depuis ses précédents triomphes dont surtout La Fille du régiment, dans la veine plutôt comique et légère. Mais l’incarnation de Rosine Stoltz dans le rôle de Léonor fut si marquant que beaucoup de peintres, photographes (dont Nadar) et illustrateurs de l’époque (en couverture le duo Léonor et Fernand par Lépaulle) firent le portrait de l’interprète inspirée.

Aborder le grand opéra français

stoltz_favorite_donizettiAprès Les martyrs (en italien) Donizetti aborde et réussit le grand opéra français. C’est pour l’auteur de La Favorite une acceptation mieux assumée de sa part sombre et mélancolique… A partir des sources historiques espagnoles, Donizetti réécrit le profil des personnages clés, – ceux de l’histoire amoureuse du jeune Alphonse XI avec Leonor de Guzman-, afin de nourrir et sublimer son propre drame romantique au point de ciseler en particulier leurs accents pathétique et tragiques… De toute évidence, le génie du musicien vient d’un traitement fluide et naturel du genre historique: il a su créer des figures humaines et individuelles d’une intense vérité ; il est en cela très proche de Verdi. A Paris, Donizetti est prêt à affronter toutes les difficultés et obstacles pour monter dans le sein des sein, la “grande boutique ” dont a parlé Verdi, son opéra… L’unité et la cohérence de l’ouvrage tiennent pour leur part au fait que les librettistes de La Favorite, Royer et Vaëz au travail, ont bénéficié du concours d’Eugène Scribe soi-même… Le succès à l’opéra s’écrit aussi grâce aux chanteurs, ainsi le quatuor vocal de la création est porté par l’étoile lyrique, Rosine Stoltz dans le rôle de l’héroïne romantique, véritable perle et torche vocale capable de susciter l’enthousiasme du public… et en particulier celle de Berlioz qui dans Les Grotesques de la Musique, ne cache pas son admiration pour la finesse et l’expressivité de l’interprète.

Lire aussi le numéro spécial La Favorite de Donizetti publié par L’Avant Scène Opéra n°271 (novembre 2012)

Diffusion France Musique le 23 février 2013, 19h30
Donizetti: La Favorite, nouvelle production
Paris, TCE, Théâtre des Champs Elysées
Valérie Nègre, mise en scène
Paolo Arrivabeni, direction
Orchestre National de France
Avec Alice Coote, Celso Albelo, Ludovic Tézier, Carlo Colombara, Loïc Félix, Judith Gauthier…nouvelle production présentée à
Paris, TCE, en février 2013

Illustration: Rosine Stoltz, diva romantique adulée de son vivant…

Donizetti: La Favorite,1840

OPERA. Donizetti:La Favorite. Paris,TCE,7-19 février 2013

Gaetano Donizetti

La Favorite, 1840

Créée pour Paris (donc conçue en français) en dĂ©cembre 1840, avec la lĂ©gendaire Rosine Stoltz dans le rĂ´le clĂ© de LĂ©onor de Guzman, La Favorite de Donizetti est un ouvrage, noble, sĂ©rieux, tragique et historique (l’action se dĂ©roule en Castille au XIVè siècle sur l’Ă®le de LĂ©on et Ă  SĂ©ville), et demeure l’aboutissement de la carrière de Donizzetti Ă  Paris. Après Rossini et Bellini, et comme Verdi, Gaetano entend inscrire son nom en lettres d’or sur le boulevard parisien, tout aurĂ©olĂ© d’une gloire non usurpĂ©e depuis ses prĂ©cĂ©dents triomphes dont surtout La Fille du rĂ©giment, dans la veine plutĂ´t comique et lĂ©gère. Mais l’incarnation de Rosine Stoltz dans le rĂ´le de LĂ©onor fut si marquant que beaucoup de peintres, photographes (dont Nadar) et illustrateurs de l’Ă©poque (en couverture le duo LĂ©onor et Fernand par LĂ©paulle) firent le portrait de l’interprète inspirĂ©e.

Aborder le grand opéra français

stoltz_favorite_donizettiAprès Les martyrs (en italien) Donizetti aborde et rĂ©ussit le grand opĂ©ra français. C’est pour l’auteur de La Favorite une acceptation mieux assumĂ©e de sa part sombre et mĂ©lancolique… A partir des sources historiques espagnoles, Donizetti réécrit le profil des personnages clĂ©s, – ceux de l’histoire amoureuse du jeune Alphonse XI avec Leonor de Guzman-, afin de nourrir et sublimer son propre drame romantique au point de ciseler en particulier leurs accents pathĂ©tique et tragiques… De toute Ă©vidence, le gĂ©nie du musicien vient d’un traitement fluide et naturel du genre historique: il a su crĂ©er des figures humaines et individuelles d’une intense vĂ©ritĂ© ; il est en cela très proche de Verdi. A Paris, Donizetti est prĂŞt Ă  affronter toutes les difficultĂ©s et obstacles pour monter dans le sein des sein, la “grande boutique ” dont a parlĂ© Verdi, son opĂ©ra… L’unitĂ© et la cohĂ©rence de l’ouvrage tiennent pour leur part au fait que les librettistes de La Favorite, Royer et VaĂ«z au travail, ont bĂ©nĂ©ficiĂ© du concours d’Eugène Scribe soi-mĂŞme… Le succès Ă  l’opĂ©ra s’Ă©crit aussi grâce aux chanteurs, ainsi le quatuor vocal de la crĂ©ation est portĂ© par l’Ă©toile lyrique, Rosine Stoltz dans le rĂ´le de l’hĂ©roĂŻne romantique, vĂ©ritable perle et torche vocale capable de susciter l’enthousiasme du public… et en particulier celle de Berlioz qui dans Les Grotesques de la Musique, ne cache pas son admiration pour la finesse et l’expressivitĂ© de l’interprète.

Lire aussi le numĂ©ro spĂ©cial La Favorite de Donizetti publiĂ© par L’Avant Scène OpĂ©ra n°271 (novembre 2012)

Donizetti: La Favorite, nouvelle production
Paris, TCE, Théâtre des Champs Elysées
Valérie Nègre, mise en scène
Paolo Arrivabeni, direction
Orchestre National de France
Avec Alice Coote, Celso Albelo, Ludovic TĂ©zier, Carlo Colombara, LoĂŻc FĂ©lix, Judith Gauthier…6 reprĂ©sentations parisiennes
Paris, TCE, les 7,9,12,14,17,19 février 2013
Diffusion France Musique le 23 février 2013, 19h30
Illustration: Rosine Stoltz, diva romantique adulĂ©e de son vivant…