Télé. Brava HD. Vendredi 21 aout 2015 : à Stockholm, Mats Ek réécrit Roméo et Juliette. Juliette et Roméo par Mats Ek. Dans l’imaginaire du chorégraphe suédois Mats Ek, Roméo et Juliette » devient « Juliette et Roméo » : pour le Ballet royal suédois, en 2013, il présente sa propre version du drame shakespearien. Les danseurs du Ballet royal suédois dansent ici sur la musique de Tchaïkovski à la Royal Opera House de Londres. « Il est temps d’inverser les rôles, » dit Mats Ek. D’autant plus qu’avant le célèbre « Roméo et Juliette » de Shakespeare, il y avait « Giulietta e Romeo » de Luigi da Porto. Le regard du chorégraphe renoue ainsi avec les origines de l’histoire. En outre, pour le ballet de Tchaikovski, Ek préfère à la version Prokofiev, celle de Anders Högstedt. Les connaisseurs y retrouvent néanmoins la déchirante et violente confrontation de l’amour pur éprouvé par la barbarie environnante : et l’issue fatale, où l’amour triomphe mais en expirant… « Juliette et Roméo » est la première grande œuvre de Mats Ek depuis « La Belle au bois dormant » (1996) pour le Ballet de Hambourg. La production récente de Mats Ek a été présentée ensuite à Paris, Palais Garnier en janvier 2015 : hommage à un talent la fois lyrique et incisif qui souffle alors ses 30 ans de carrière dédiée à la danse.
Juliette et Roméo et la barbarie ordinaire
En homme de théâtre, d’une concision lapidaire, Mats Ek réécrit le drame de Juliette et Roméo qu’il restructure en deux actes : la mort des deux amants sur l’autel de la barbarie sociale, le meurtre de Mercutio, comme évacué au coin d’une rue ordinaire, prennent un relief saisissant à la lueur tragique du massacre perpétré contre Charlie Hebdo. Pourtant, le chorégraphe a pris appui sur une autre actualité, celle des mouvements libertaires et démocratiques du printemps arabe, où la seule volonté collective des peuples ont dressé une nécessité naturellement grossissante contre le pouvoir tyrannique. C’est aussi le choc des classes rivales : Capulets outrageusement arrogants par leur richesse affichée, Montagus dont Roméo et Benvolio, brossés en miséreux des rues, avec Mercutio, véritable paria survirilisé dont éblouit la nervosité animale; en scène, un antagonisme fratricide et maudit, condamné à la destruction de tous que rythme le déplacement des tôles en alu mat qui dessinent les frontières mouvantes d’un le abyrinthe urbain et politique, totalement étouffant : asphyxiant.
Dans cette fresque déshumanisée et cynique, la sensualité des deux amants, Juliette et Roméo est à peine développée ; déjà sacrifiée sur l’autel de la haine. La présentation du mariage arrangé / imposé à Juliette fait paraître le jeune époux Paris, aussi fragile et innocent que Roméo.
Percent dans cette galerie d’individualités sacrifiées (ou assassinées) : la Nourrice (rôle tenu par Ana Laguna, épouse à la ville de Mats Ek, en figure puissante et complice de Juliette) et le Prince désabusé usé, victime du pouvoir et des luttes incessantes qui ne cessent de martyriser chacune des deux tribus affrontées (Niklas Ek, frère ainé du chorégraphe a 72 ans impose une formidable présence, dont l’humanité éreintée fait sens par contraste dans ce jeu de destruction et de meurtres annoncés…).
Le vocabulaire et l’imaginaire de Mats Ek plient et contorsionnent les corps dans une course à l’abîme dont chaque mouvement marque les jalons de l’inéluctable chute collective. Portant un cycle d’expressions souvent doloristes, Ek a lui-même sélectionné ses musiques : un patchwork de morceaux signés Tchaikovski ; non pas le ballet que l’on connaît bien mais une combinaison réalisée à partir du Concerto pour piano N° 1, de la valse de La Belle au bois dormant, de Manfred ou de la Symphonie 1812 (aux déflagrations martiales bien dans le caractère sanguinaire et hargneux du sujet).
Juliette et Roméo, ballet de Mats Ek (2013)
Chorégraphe : Mats Ek
Solistes : Mariko Kida (Juliette), Anthony Lomuljo (Roméo), Arsen Mehrabyan (Lord Capulet), Marie Lindqvist (Lady Capulet) Niklas Ek (Le duc), Ana Laguna (La nourrice), Jérôme Marchand (Mercutio), Hokuto Kodama (Benvolio), Pascal Jansson (Tybalt), Oscar Salomonsson (Pâris), Daria Ivanova (Rosaline), Jörgen Stövind (Le serviteur)
Ballet royal suédois
Chef d’orchestre : Alexander Polianichko
Orchestre : Orchestre de l’Opéra royal de Suède
Réalisateur : Thomas Grimm – Lieu : Opéra royal de Stockholm, 2013