Guillaume Bouzignac
Ecce homo : l’œuvre sacrée
Lyon, 4, 5 et 9 mars 2008
Le Concert de l’Hostel Dieu
Un Languedocien du premier XVIIe, une œuvre religieuse mal connue, et la manière de mieux comprendre l’approche d’un style profondément original : le Concert de l’Hostel Dieu (F.E.Comte) donne à écouter motets et dialogues sacrés de ce « musicien-énigme ».
Romanciers, à vos plumes !
Quand vous voyez dans la notice d’un artiste « né vers… » et « mort vers… », suivis d’une date, c’est qu’il y a du souci à se faire sur l’intervalle biographique, même si on possède un bon nombre d’œuvres. Si vous cherchez Guillaume Bouzignac, musicien français du XVIIe, voilà ce qui vous arrivera. Encore possède-t-on la province de naissance, « avé l’assent » : en Languedoc, et précisément à Saint Nazaire-d’Aude, d’où il alla étudier à la cathédrale de Narbonne, et en repartir jouer le « Wanderer-Kapellmeister » de la France d’oc, et puis vers l’ouest – cathédrale d’Angoulême -, et à nouveau en Languedoc, et puis à Grenoble, et encore en quittant la France. Puis en retournant au cœur de la France – cathédrale de Bourges, il est même ordonné prêtre -, et en Languedoc pour la dernière partie de sa vie, avec pourtant un problématique séjour en Touraine, et une dernière étape à Clermont-Ferrand. Les derniers mois, on perd la trace. Romanciers, à vos plumes ! Vous êtes guidés, du côté de la musicologie, votre béquille scientifique, non par de l’imprimerie, mais seulement par un nombre minimal de manuscrits. Et vous pouvez penser que le Méridional languedocien n’a guère de sympathie pour la R.P.R. (Religion Prétendument Réformée, comme ils l’appelaient du côté du Pouvoir), puisqu’il a écrit un Cantate Domino en 1628 pour célébrer la prise de la Rochelle par la royauté très catholique.
Douceur salésienne ou éloquence très baroque ?
On conçoit en tout cas qu’un groupe comme le Concert de l’Hostel-Dieu et son patron Franck-Emmanuel Comte, qui aime chercher en bibliothèque, veuille faire connaître une musique dont les spécialistes soulignent par ailleurs qu’elle « est totalement affranchie des codes de la Renaissance, et située entre influences espagnoles et italiennes (pays où se situent ses voyages hors de France), tournée vers l’avenir, là où rhétorique, théâtralisation des formes liturgiques et mélange des sujets de l’Ecriture Sainte comme de l’actualité du temps » dessinent plutôt le baroquisme. On ajoutera que dans la France d’Henri IV puis de Louis XIII (tiens, Bouzignac meurt en même temps que son souverain…), le renouveau du catholicisme ne se limite pas à une réaction abruptement répressive contre ses ennemis de la RPR et bientôt du jansénisme. Tout un courant de « réforme intérieure » s’exprime, de la douceur salésienne (François de Sales et l’Amour de Dieu) à l’ardeur mystique (le cardinal de Bérulle) puis à l’ardente charité (Vincent de Paul). De même que Paris n’est pas toute la France, une province méditative ou austère – souvent classique sinon anti-baroque – s’exprime dans la peinture sacrée : Georges de la Tour évidemment, mais aussi un Toulousain comme Nicolas Tournier, quasi-contemporain de Bouzignac. En tout cas, par le langage, notre languedocien semble appeler plutôt les grands orateurs sacrés du second XVIIe, et pourquoi pas Bossuet – contre Fénelon et son « pur amour »-…Le Père Marin Mersenne, mathématicien, musicien, ami de Descartes et de Pascal, l’appréciait, et c’est un autre témoin d’immense qualité.
On en rajouterait donc, du moins en la 1ère décennie du XXIe, si on jouait à Bouzignac-l’inconnu. William Christie et ses Arts Flo l’ont enregistré (pour Harmonia Mundi), de même que Matthias Jung (pour Tacet). Mais le concert de l’Hostel Dieu reprend en titre l’ouvrage qui a été consacré au maître languedocien par Martial Leroux : « L’énigme musicale du XVIIe français » (Presses du Languedoc, 2002). F.E.Comte a choisi dans l’œuvre de Bouzignac des « scènes sacrées, des motets dramatiques autour de la vie et de la mort du Christ », qui rehaussent l’originalité puissamment expressive – et théâtrale – de Bouzignac. Les 3 concerts ont lieu à Saint Bruno des Chartreux, dont nous rappelions dans « évasion baroque lyonnaise » que le décor intérieur restait le plus baroquisant parmi les églises d’entre Rhône-et-Saône. Une visite complémentaire dominicale permettra d’établir des comparaisons stylistiques entre visuel et musical, et de mieux replacer Bouzignac dans l’esprit français si complexe du XVIIe.
Guillaume Bouzignac (1587 ? – 1643 ?) Scènes sacrées, motets, dialogues de la Passion. Concert de l’Hostel Dieu, dir. F.E.Comte (Atelier vocal et instrumental, consort de violes et orgue). Mardi 4 et mercredi 5 mars 2008 à 20h30 ; dimanche 9 à 17h . Eglise Saint Bruno des Chartreux, Lyon-4e. Visite guidée de Saint Bruno (Stéphanie Petit), dim. 9 mars à 15h. Information et réservation : T. 04 78 42 27 76 ; www.concert-hosteldieu.com
Illustrations
Simon Vouet: La Crucifixion, 2 détails: Marie-Madeleine et Marie au pied de la croix, 1636-1637 (Lyon, musée des Beaux-Arts)