jeudi 28 mars 2024

Grétry: Andromaque. Hervé Niquet Livre disque Glossa (2 cd)

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Joyau tragique

Le voici enfin cet enregistrement d’Andromaque de Grétry (1780), attendu, espéré après la révélation de l’ouvrage, vécue au moment des représentations en version de concert, à Paris et à Bruxelles (octobre 2009). L’enregistrement réalisé en Belgique (Bozar de Bruxelles) fait suite aux représentations assumées par Hervé Niquet et son équipe: il profite donc de l’apprentissage et des répétitions préalables. Le drame, joué dans sa continuité avait été un choc: veine imprévue chez Grétry, ailleurs, roi des ariettes légères et courtoises dans l’opéra-comique. La fureur et les tourments tragiques néo grecs, équivalents à ce que réalise le peintre David en peinture profitent à l’inspiration du compositeur doué d’une exceptionnelle sensibilité, efficace, franche, âpre et concise. Le choeur final résonne d’une terreur digne et majestueuse digne des reliefs antiques, avec cette épaisseur sanguine qui donne la vérité des sentiments exprimés. D’ailleurs, cette alliance de la grandeur « classique » et cette profondeur du sentiment, que l’on ressent pré romantique, constitue évidemment le génie lyrique de Grétry.
En 1780, avant la Révolution, Grétry, compositeur en cour, favori de Marie-Antoinette, comme David, passe du délicat divertisant (L’Amant Jaloux, 1778) à l’épure édifiante et morale de la scène tragique: il réinvente le genre de la tragédie en musique, sur les traces du grand Racine, source inépuisable des vertiges émotionnels, avec un sens éloquent de la catastrophe: tout conspire pour l’exacerbation des caractères.
Sauvagerie, violence, et même exhibitionnisme de la folie éclatent avec une franchise inédite. Mais le musicien sait préserver la grâce d’une écriture mesurée: la mort par suicide d’Hermione n’est pas exprimée par la princesse, rivale d’Andromaque mais narré, en vois indirecte, par le choeur et Oreste. Souffle d’une narration distanciée qui renforce la puissance suggestive de la musique et du choeur (véritable voix collective qui palpite et se lamente, commente et prend à témoin comme chez les grecs anciens). L’effet est total, et l’intelligence de Grétry ainsi confirmée.

L’enregistrement met en lumière l’Hermione articulée, engagée de Maria Riccarda Wesseling, mezzo digne et nuancée, au français admirable, comme l’est celui de Véronique Gens qui dans son album Tragédiennes 2 (1 cd Virgin classics) avait dévoilé le génie dramatique et linguistique de Grétry. Quel tempérament! Sa folie s’embrase: c’est une amoureuse désespérée, impuissante (Médée, Alcina, Didon…) qui s’abîme dans la pulsion destructrice et se tue sur le cadavre de Pyrrhus.


Folie et suicide d’Hermione

Un peu en retrait l’Andromaque de Karine Deshayes, la veuve d’Hector reste dans un voile sombre qui affecte la clarté de son articulation; mais la musicalité de la tragédienne restitue aux scènes d’imploration avec le choeur (début du III: sur la tombe d’Hector avant ses préparatifs pour les Noces avec Pyrrhus), la tendresse digne du personnage.
Les hommes sont corrects sans plus: étrangers à la projection palpitante du texte, ils nous privent de ce mordant vocal intelligible qui porte et réalise la construction tragique. Peu de nuances pour le Pyrrhus raide et monolithique du ténor Sébastien Guèze qui bien qu’articulé, a tendance à surjouer. Egale tenue pour l’Oreste passionné du baryton Tassis Christoyannis qui nous gratifie d’une belle prestation finale avec le choeur. Saluons justement les choristes pour leur constance: véritable personnage permanent, la voix collective apporte l’ampleur de la fresque, l’espace de l’arène grecque, le souffle du drame.

Comme à Bruxelles et à Paris, les instrumentistes du Concert Spirituel se montrent souples et articulés. L’enregistrement réalise logiquement les apports des concerts qui l’ont précédé. Le coffret est d’autant plus recommandable que, fidèle à sa vocation scientifique, Le Centre de musique romantique française Palazzetto Bru Zane à Venise, coproducteur de cette résurrection mémorable apporte sa contribution substantielle sous la forme du livre qui accompagne les 2 cd: en plus du synopsis et du livret intégral, 5 chapitres complémentaires et très documentés éclaircissent plusieurs sujets importants liés à la révélation moderne d’Andromaque: aperçu biographique et stylistique d’André Ernest Modeste Grétry (1741-1813), « Andromaque en son temps: l’époque des révolutions », Evolution de l’opéra depuis sa source racinienne, caractères propres à l’ouvrage de 1780 (« la galanterie dans l’arène« )… près de 50 pages de contributions pertinentes sur l’auteur et son oeuvre atypique. Outre l’apport du témoignage musical, la réalisation éditoriale est exemplaire.

André Ernest Modeste Grétry (1741-1813): Andromaque, tragédie lyrique. Paris, 1780
. Karine Deshayes (Andromaque), Maria Riccarda Wesseling (Hermione), Sébastien Guèze (Pyrrhus), Tassis Christoyannis (Oreste)… Choeur et orchestre du Concert Spirituel, Les Chantres du CMBV. Hervé Niquet, direction. 2 cd Glossa. Sortie annoncée le 22 avril 2010.


Tournée

La production est reprise en version scénique (Georges Lavaudant, mise en scène) au prochain festival radio France et Montpellier les 12 et 13 juillet 2010 (Opéra de Montpellier). Autres dates: 23-28 avril 2010 à Schwetzingen (Allemagne), puis Nuremberg, le 20 juillet 2010 (Allemange). Un dvd est déjà annoncé dans la foulée des représentations avec décors et jeu d’acteurs. A suivre…

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