jeudi 28 mars 2024

GRAND ENTRETIEN d’Alain Juppé pour CLASSIQUENEWS. La Culture, un enjeu national et même européen

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GRAND ENTRETIEN avec Alain Juppé pour CLASSIQUENEWS. La Culture, un enjeu national et même européenLes Grands entretiens de « politicS », le magazine politique de classiquenews…  Quelle politique culturelle pour la France par Alain Juppé?

 

 

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La Culture, un enjeu national et européen

La Culture est au coeur du projet politique d’Alain Juppé. Le Maire de Bordeaux présente et commente quelques uns des points clés de son programme pour la culture en France et en Europe : nouveau plan Patrimoine, renforcement de l’enseignement culturel à l’Ecole, nouvelles lois pour le mécénat, coopération renforcée entre les Etats européens, parce que demain l’Europe doit reprendre la parole sur le plan culturel pour restaurer son identité et favoriser sa cohésion…. Visiblement le lecteur de Montaigne et de Proust est inspiré par la question culturelle et il s’en explique pour classiquenews.

 

Dans le cadre de la Primaire à Droite, classiquenews poursuit son grand tour auprès des candidats en lice. Cette semaine, tribune est offerte à l’actuel Maire de Bordeaux, capitale économique et surtout culturelle du grand Sud Ouest français. Quelle culture demain en France ? Quels missions et enjeux des projets à réaliser sur le plan national ? Quelles réformes d’urgence à accomplir ?… Autant de questions auxquelles Alain Juppé a accepté de répondre et qui résonnent comme son programme culturel. Grand entretien piloté par notre correspondant politique Julien Vallet.  Coordination pour classiquenews : Pedro Octavio Diaz, directeur de la rédaction politique de classiquenews. Retrouvez tous les points phares du programme pour la culture d’Alain Juppé, dans son discours sur la culture présenté au Forum d’Avignon (Bordeaux, mars 2016).

 

 

 

PREMIERE PARTIE

 

Quelles valeurs, selon vous, la culture doit-elle préserver et transmettre ?
La culture est pour moi un espace de liberté, de création, d’imagination personnelle, mais elle est aussi ce que nous avons reçu en partage et qui nous unit. C’est, je pense, la définition qu’aurait pu en donner un Montaigne. Ce que doit préserver et transmettre la culture, c’est donc cette capacité et cette envie  – sans cesse renouvelée  – de penser, de rêver, de ressentir des émotions, et au besoin de s’insurger. Dans une société où il est assez tentant de céder au « prêt à penser », les œuvres de l’esprit doivent plus que jamais être des aiguiseurs de conscience. Elles jouent un rôle fondamental dans la construction du jugement libre qui est au fondement de la citoyenneté, mais aussi de la sensibilité sans laquelle notre monde serait déshumanisé. C’est en cela qu’il existe un lien fort, qui mérite, à mon sens, d’être encore resserré, entre la culture et l’éducation.

En quoi la culture peut-elle avoir un rôle sociétal ?
Depuis plusieurs années, nous faisons face à un climat de défiance généralisée dans lequel de multiples fractures érodent l’unité de notre pays. Nous regardons peu à peu disparaître notre capacité à nous projeter et à espérer ensemble. Or, je suis intimement convaincu que nous ne parviendrons pas à combler ce manque de sens, à redonner corps à notre destin collectif sans replacer la culture au cœur de notre projet de société. Nous avons besoin d’un nouvel élan partagé qui, pour réussir, ne pourra, loin de là, être seulement économique. Je crois à la culture comme antidote au désenchantement et à la fragmentation de notre société. L’année, aussi terrible qu’éprouvante, que nous venons de traverser nous a montré combien la culture était source de réconfort individuel et collectif mais également puissant ferment de rassemblement, de résistance face à la barbarie et d’espoir.

Un exemple concret d’une politique culturelle exemplaire pour vous ?
Les exemples sont nombreux et je crois que, dans ce climat de dénigrement permanent, il faut le dire et être fiers de ces belles réussites. Si je suis contraint de n’en choisir qu’un exemple, je retiendrais peut-être la politique de soutien au cinéma. Même si des améliorations sont toujours possibles, la France, dans un partenariat exemplaire entre les professionnels et les pouvoirs publics, a su se doter, avec le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), d’d’une institution remarquable, qui a permis de développer des instruments variés de soutien, de l’écriture à l’exploitation, en passant par la production et la distribution des films. Alors que les productions nationales ont quasi disparu chez certains de nos grands voisins, notre pays dispose d’une industrie cinématographique d’une vitalité exceptionnelle. Notre cinéma est une référence dans le monde entier. Nous disposons de formations reconnues pour leur sérieux, d’un maillage territorial de salles dense et d’équipements de bonne qualité. Notre pays est aujourd’hui le deuxième exportateur de cinéma, derrière les États-Unis. Nous avons également su inventer mais surtout préserver et renouveler des évènements internationalement reconnus : je pense à Cannes. Exemplaire par l’étendue du public auquel elle s’adresse, cette politique a su promouvoir l’exigence et la diversité des œuvres, sans exclure et sans ériger des barrières esthétiques infranchissables entre les spectateurs.

 

Y a-t-il un projet culturel, un type d’événement culturel qui n’existe pas encore auquel vous pensez et que vous aimeriez demain défendre ?
Je crois que la culture a beaucoup souffert depuis plusieurs décennies d’une course effrénée à l’évènementiel, à une certaine surenchère médiatique plutôt qu’à la valorisation de l’existant ou à la promotion des actions de fond, moins immédiatement visibles La politique culturelle que j’entends proposer sera ambitieuse mais pas capricieuse ni superficielle. Si vous me demandez si je compte me lancer dans un nouveau grand chantier culturel  à la manière des années 80, je vous réponds que la France dispose déjà de superbes équipements. Souvent construits sans en anticiper le coût de fonctionnement et de maintenance ; ce sont eux qui aujourd’hui, dans un contexte budgétaire contraint, doivent être soutenus en priorité afin d’en assurer la transmission aux générations futures.
Si une initiative nouvelle doit aujourd’hui être prise, elle devra, à mon sens, être européenne, car l’Union, en proie à une grave crise d’identité, a besoin de montrer qu’elle défend la culture. Ma première initiative en la matière sera de réunir les grands créateurs européens pour réfléchir avec eux à la définition et au lancement d’un « Erasmus culturel ». La France, qui a toujours mené ces combats dans le passé, a vocation à prendre la tête d’une coalition pour rappeler qu’il existe une « Culture de l’Europe » et faire émerger une « Europe de la culture ». Un « agenda culturel européen » devrait prendre de nouvelles initiatives, grâce à une relation franco-allemande renforcée, en matière de création, d’échanges et de formation, de valorisation du patrimoine européen. La chaîne Arte nous donne en la matière un magnifique exemple de ce qu’une coopération européenne peut offrir de meilleur.

DEUXIEME PARTIE

 

Y a-t-il une politique culturelle de gauche et une politique culturelle de droite selon vous ?
Faut-il être de droite pour aimer Chateaubriand ou Céline, faut-il être de gauche pour aimer Zola ou Rimbaud ? La vraie culture ignore le sectarisme politique. Pour autant, il existe des nuances ou même des oppositions. Ainsi la droite est-elle portée à manifester un plus grand souci du patrimoine, tandis que la gauche met davantage l’accent sur la démocratisation de la culture ou le multiculturalisme. Pour moi, j’entends dépasser ces clivages : une politique culturelle réussie est une politique qui veut toucher le plus grand nombre tout en visant au plus haut et en s’adaptant aux enjeux de notre temps. Une politique culturelle intelligente au XXIème siècle doit être une politique capable de fédérer les énergies entre un État stratège, des collectivités territoriales dynamiques, et l’initiative privée que, loin de redouter, nous devons au contraire mobiliser en faveur de ce bien commun qu’est la culture. À ce titre, je souhaite mettre en place un acte II du mécénat et de l’initiative privée afin de renforcer la législation de 2003, mise en œuvre à l’initiative de Jacques Chirac et Jean-Jacques Aillagon, reconnue comme l’une des meilleures au monde et d’en accentuer les effets d’entraînement.

 

Quelles sont vos propositions pour la politique culturelle en France ?
Avant tout, il me semble important que la politique culturelle de la France retrouve un sens et un cap afin de rompre avec cinq années de discours convenus et de lois fourre-tout. Je ne pourrai pas dans le cadre de cette interview développer l’ensemble des mes propositions pour la culture. Je renvoie donc vos lecteurs intéressés à la brochure que nous venons de publier dans ce domaine. Comme je l’ai dit publiquement lors du forum d’Avignon qui s’est tenu à Bordeaux, je veux mettre la culture au cœur de mon projet politique national et européen. Outre la remise à niveau du budget du ministère de la culture, mon programme s’articule autour de trois enjeux essentiels : un enjeu de transmission et de partage ; un enjeu de création et un enjeu de rayonnement.
En matière de transmission et de partage, je veux, dans le cadre de ma priorité à l’éducation, placer l’éducation artistique et culturelle (EAC) au centre de mon projet. En dépit des grandes proclamations, les progrès réalisés ces dernières années restent insuffisants. Il faut aller au-delà de quelques expériences ponctuelles proposées aux élèves. Je souhaite que l’histoire des arts soit mieux intégrée dans les cours d’arts plastiques au collège et dans les programmes d’histoire au lycée. Il faut pour cela engager un plan de formation des enseignants en matière d’EAC, associé à la création d’un CAPES et d’une agrégation d’histoire des arts. Il est également important d’accompagner les établissements scolaires, qui se verront confier l’organisation de la dotation horaire globale des enseignements, afin qu’ils disposent d’outils pour mieux assurer la présence de l’éducation artistique et culturelle à l’école et dans le champ des activités périscolaires. Je souhaite également favoriser les échanges et les partenariats avec les orchestres, les formations musicales, les lieux de théâtre dans toute leur diversité afin que les artistes interviennent au sein des établissements scolaires. Bien entendu, cette politique s’inscrit dans ma vision globale de l’éducation qu’elle vise à compléter et à enrichir : la culture que devraient partager tous les jeunes Français, dans mon projet pour l’Ecole, c’est bien sûr aussi la familiarité avec les grands textes de notre littérature, la connaissance des grands moments de notre histoire et de notre géographie, l’ouverture aux sciences et à leurs questionnements les plus actuels
En matière de création, il me semble primordial de faire contribuer les acteurs transnationaux de l’Internet au financement de la production des contenus culturels et à la modernisation des réseaux numériques, en fiscalisant d’abord leurs activités en France. Je souhaite également renforcer et moderniser les dispositifs d’insertion professionnelle grâce à un meilleur partenariat entre les structures existantes, les écoles de formation et les entreprises culturelles. J’entends aussi soutenir l’entrepreneuriat culturel, en créant par exemple un outil consacré à l’amorçage des entreprises du secteur destiné à financer des projets ou produits culturels innovants.
Enfin, en matière de rayonnement, nous devons conforter l’attractivité culturelle dont jouit notre pays. Pour cela, je propose, entre autres, de construire un partenariat stratégique pour la promotion de la langue française associant acteurs publics et privés (notamment du secteur audiovisuel et des télécommunications), ainsi qu’une politique audiovisuelle extérieure française adaptée à la forte demande de programmes français en Afrique. Il nous faudra aussi poursuivre nos combats historiques au service d’une Europe de la création et de la diversité : la défense du droit d’auteur aujourd’hui menacé ; la lutte contre le piratage et la contrefaçon ; l’harmonisation de la fiscalité sur les biens culturels et la presse et la sauvegarde de notre diversité dans les accords commerciaux internationaux et dans la négociation du TAFTA.
Ce ne sont là que quelques pistes parmi les propositions que je souhaite mettre en œuvre pour redonner un nouvel élan à notre politique culturelle.

 

Quels sont les domaines qui doivent être impérativement réformés ?
Je ne citerai qu’un exemple ici. Depuis 2012, les moyens consacrés à la politique du patrimoine ont supporté l’essentiel des baisses de crédit du ministère de la Culture. Ce domaine a dû faire face à des à-coups dévastateurs pour les chantiers comme pour les entreprises. Or, notre patrimoine est non seulement un enjeu de civilisation mais également un formidable levier de croissance pour notre économie. Il me semble indispensable d’engager un Plan Patrimoine sur dix ans, qui comprendra une remise à niveau des crédits dédiés aux monuments historiques, un partenariat renouvelé avec les propriétaires privés et les collectivités territoriales ainsi qu’un important volet de formation de main-d’œuvre spécialisée dans le bâtiment et la restauration afin d’encourager la création d’emplois dans ces métiers de tradition.
Parallèlement, nous organiserons dans chaque région des assises régionales du patrimoine, associant tous les acteurs publics et privés concernés, afin de mieux articuler politique du patrimoine, politique de l’urbanisme et politique de la ville et mettre ainsi en œuvre un développement véritablement durable.
Enfin, nous veillerons à ce que la Fondation du patrimoine dispose effectivement des ressources qui lui sont affectées (fraction du produit des successions laissées en déshérence) afin d’augmenter le nombre de projets de restauration du patrimoine local.

TROISIEME PARTIE

 

Vous avez proposé en 2009 avec Michel Rocard la numérisation massive du « patrimoine culturel français ». Qu’en reste-t-il aujourd’hui ?
Je reste intimement persuadé que le numérique est une chance sans précédent de transmission et de partage de notre culture, comme le prouve par exemple le succès de Gallica, avec ses 3,5 millions de documents et d’œuvres en ligne issus de la BnF et de 270 autres bibliothèques françaises. Les potentialités offertes par le numérique restent cependant insuffisamment exploitées en France. C’est pourquoi je propose un programme de numérisation massive et de référencement méthodique de notre patrimoine culturel dans le cadre du Programme d’investissements d’avenir. Parallèlement, la France devra être à l’initiative de la création de champions numériques culturels qui ne pourront exister qu’au niveau européen (développement de plateformes françaises et européennes). Or, il n’y a aujourd’hui aucune stratégie européenne organisée et offensive en la matière, coordonnant effort public et initiative privée et capitalisant sur les succès, notamment français comme Deezer et Dailymotion.
Bordeaux est une ville laboratoire dans le domaine des industries créatives et des arts numériques. En témoigne la vitalité de la récente « Semaine digitale », qui a croisé des univers artistiques singuliers (mapping, installations sonores, concerts, expositions) avec le monde des entreprises digitales. Pour ce qui relève de la numérisation patrimoniale, je citerai volontiers l’exemple des « Essais » de Montaigne dont l’édition originale a fait l’objet d’un traitement numérique, rendant accessible sa lecture au plus grand nombre, autour de l’exposition « Montaigne superstar » organisée par le réseau des bibliothèques et des médiathèques de Bordeaux à l’automne prochain.

 

Comment expliquer l’échec de Bordeaux à devenir capitale européenne de la culture, à l’inverse de Lille ou de Marseille ?
Les critères de sélection des capitales européennes de la culture ont considérablement évolué après Lille 2004. Aujourd’hui, de nombreuses villes se portent candidates, lors des années désignées pour leur pays (toujours croisées avec un pays nouvellement entré dans l’Union). A l’époque de la candidature pour 2013, le jury s’était clairement exprimé sur le fait que Marseille semblait en avoir plus « besoin » que Bordeaux puisque présentant un moindre degré de structuration du réseau culturel. La dimension méditerranéenne du projet porté par Marseille a certainement joué également, dans un contexte où le frémissement des printemps arabes commençait à se faire sentir. Pour autant, le travail de préparation déployé à Bordeaux au moment de la candidature a porté ses fruits et a permis d’identifier de nouveaux projets, tels la Cité du Vin qui vient d’ouvrir.
Sur le fond, je me demande si, comme le suggèrent certains, le concept ne devrait pas évoluer. Pourquoi ne pas désigner chaque année une capitale nationale de la culture, comme le fait déjà l’Italie ?

 

Les différents jumelages de Bordeaux avec d’autres grandes villes (Munich, Québec, Cracovie, etc.) remplissent-ils une fonction culturelle ?
Bordeaux entretient un rapport actif sur le plan culturel avec un certain nombre de ses villes jumelles. Je citerai ainsi le projet Bordeaux-Los Angeles, qui a fédéré nos établissements culturels, Musée des Beaux Arts, CAPC etc. et qui a permis l’accueil d’artistes en résidence croisée entre les deux villes en 2013. Un jumelage très vivant est également en place avec la Ville de Fukuoka au Japon avec laquelle nous sommes en train de construire un programme autour de la musique contemporaine et de l’enseignement musical, qui devrait déboucher sur l’organisation d’un concours international de composition.

 

Le festival d’art contemporain Evento présente un bilan en demi-teinte, il a même connu une fréquentation en baisse en 2011 pour la deuxième édition. Comment expliquer ces mauvais résultats ? Y aura-t-il une troisième édition d’Evento ?

Evento a été une étape qui avait justement  pour objet de créer une dynamique sur notre territoire et d’être la partie émergée d’un travail poursuivi à l’année. Le coût d’une manifestation de ce type reste élevé. Il était peu compatible avec les contraintes budgétaires auxquelles il faut faire face aujourd’hui. Néanmoins, les résultats artistiques et les propositions se révèlent au fil des années pertinents et en parfaite harmonie avec le territoire : Anri Sala à la Salle des Fêtes du Grand Parc en 2009 ou Jeanne van Hesswijk à la Halle des Douves en 2011 ont contribué au renouveau de chacun de ces quartiers et ont préfiguré ces équipements aujourd’hui rénovés ou en cours de rénovation. En ce sens, l’apport d’Evento ne se mesure pas seulement en termes de fréquentation mais aussi à la ré-interprétation de notre territoire et à la rencontre artistique. La passerelle de Tadasho Kawamata reste ainsi dans tous les esprits, évoquant déjà l’ensemble des ponts qui vont rapprocher les deux rives de la Garonne. Aujourd’hui l’enjeu n’est pas de faire ou non un troisième Evento mais de faire vivre le territoire.
Outre la préservation du budget culturel de Bordeaux, j’ai souhaité que la Ville imagine une saison culturelle autour du thème « Paysages », qui verra le jour entre le 25 juin et le 25 octobre 2017, à l’occasion de l’arrivée de la LGV sur le territoire de Bordeaux et de sa métropole. C’est un exemple atypique et créatif de fédération d’acteurs culturels, dans tous les champs disciplinaires, rassemblés autour d’un thème partagé, celui des « Paysages ». Ainsi, expositions, installations dans l’espace public, balades sonores, concerts, lectures, spectacles, objets culturels circulants composeront un vaste programme invitant le public à la découverte culturelle du territoire.

 

En tant que maire de Bordeaux depuis 1995, quelle est votre plus grande réussite ? Votre plus grand regret s’il y en a un ?
Sans aucun doute la métamorphose des quais de la Garonne et leur réappropriation par les Bordelais. Ce défi a changé le visage de la ville. Il  a rendu sa fierté à ses habitants. Je dis souvent que c’est notre Guggenheim à nous, tant ce succès impressionne et attire les visiteurs du monde entier. Plus récemment c’est l’ouverture de la Cité du Vin -produit de haute culture s’il en est et à tous les sens du terme ! – qui va marquer les esprits et renforcer la dynamique dont bénéficie notre ville. Il n’y a pas de regret car je n’ai pas encore épuisé mes rêves, en particulier celui d’un grand musée des beaux-arts, reliant les deux ailes du musée actuel. Nous n’avons pas encore trouvé le montage idéal et de nombreux autres projets sont en cours (notamment la rénovation du Museum, la construction d’une nouvelle médiathèque à Caudéran, la rénovation de la salle des fêtes du Grand Parc, etc.). Mais cela viendra sans doute un jour prochain.

 

Vous êtes parfois accusé de prôner une conception élitiste de la culture en favorisant par exemple le Grand Théâtre avec 20 millions d’euros de subventions, au détriment du Centre d’art plastique contemporain (CAPC). Que répondez-vous à ces critiques ?
D’abord, il ne s’agit pas de 20 millions d’euros. La Régie personnalisée de l’Opéra de Bordeaux (qui regroupe 2 salles, l’Auditorium et le Grand Théâtre, pour 3 forces artistiques, l’orchestre, le chœur et le ballet) reçoit une subvention d’environ 15 millions d’euros de la Ville de Bordeaux (un peu plus de 16 M€ en intégrant les transferts de charges). Ensuite, nous avons sur notre territoire un de 5 opéras nationaux français qui emploie donc plus de 450 personnes et son budget reste dans la moyenne des opéras de même taille gérant qui plus est deux grandes salles.
Ensuite, l’Opéra de Bordeaux fait partie de l’ADN culturel de notre Ville comme le CAPC, mais aussi comme les musiques actuelles. Bordeaux est une ville « Rock », qui a vu naître Noir Désir et aujourd’hui Odezenne ou la BD. Les efforts restent importants pour tous les établissements culturels qui participent au rayonnement de la Ville de Bordeaux. Nous poursuivons également toute une politique orientée vers le soutien à la création, vers des champs artistiques spécifiques comme le Street Art, dont nous lançons une première grande saison dès cet été. Au total, la subvention à notre Opéra ne représente que 20 % du budget culturel de la ville.

 

Quelle vision de la culture portez-vous sur le long terme à Bordeaux ?
Depuis deux ans, la Ville de Bordeaux s’attache à mettre en œuvre les 3 nouvelles orientations culturelles, débattues et partagées par le Conseil Municipal : « Donner l’envie de Culture à tous », « Favoriser la création et l’innovation », « La Culture facteur d’attractivité et de rayonnement ». Cette ambition, si elle s’appuie sur les artistes, est destinée à tous les bordelais, et peut-être davantage encore à ceux qui s’en sentent éloignés. La tâche est immense, particulièrement dans un contexte financier incertain.
Les grandes villes sont les premiers financeurs de la Culture en France. Comme elle s’y était engagée, la Ville développe ses ressources propres (notamment grâce aux nouveaux tarifs de location des espaces culturels), le mécénat et le financement participatif (avec la reconduction et le développement du Ticket Mécène).
C’est notamment du dialogue entre l’impulsion politique et la totale liberté de création laissée aux acteurs que naît la politique culturelle. La Ville s’attache à généraliser des réflexes devenus indispensables, pour elle-même et pour les opérateurs de son territoire, afin de continuer à faire mieux, avec parfois moins ou autant : mutualisations, partenariats, changement d’échelle territoriale et décloisonnement en sont les maîtres-mots.

Est-ce que Bordeaux a été pour vous un laboratoire pour la politique culturelle au niveau national ?
Un Maire est un élu de proximité, apprécié de nos concitoyens. Il dispose de nombreux leviers pour agir. Dans le domaine culturel, je me suis toujours attaché à faire vivre la culture, 365 jours par an, en donnant une forte priorité à l’éducation artistique et culturelle. La Ville s’est dotée d’un fonds d’aide à la création artistique qui est passé de 150 000 € en 2013 à 650 000 € en 2016 pour soutenir toutes les formes d’art.
J’ai récemment lancé un plan en faveur de l’équité culturelle pour agir, à mon niveau, à la suite des cruels évènements qui ont endeuillé le France en 2015. 17 actions qui nous permettront de renforcer nos actions culturelles dans les quartiers. Ne l’oublions jamais : la culture est une réponse essentielle en ces temps troublés.
Enfin, depuis 1995, j’ai souhaité donné une priorité forte à la lecture publique : Bordeaux dispose d’un remarquable réseau de 10 bibliothèques de quartier, premier maillage culturel de la ville. Mais aussi au Patrimoine : Bordeaux est la ville de France qui dispose du plus grand nombre de monuments classés ou inscrits au titre des monuments historiques après Paris.
Ces axes sont bien sûr des politiques que je défendrai demain au niveau national, comme je l’ai rappelé lors de mon discours d’ouverture du Forum d’Avignon à Bordeaux.

 

Vous avez reçu le soutien de Christine Albanel, elle-même ancienne ministre de la Culture et membre de la famille chiraquienne, pour la primaire de 2016. Est-ce que ce type de soutien compte pour vous ?
Je connais Christine Albanel depuis longtemps. Non seulement c’est une amie, de longue date mais c’est aussi une personnalité dont j’apprécie la vaste culture, la finesse des analyses et l’acuité du regard sur le temps et sur le monde. Elle dispose d’une solide expérience acquise dans la sphère publique et aujourd’hui dans l’entreprise. C’est une chance de l’avoir à mes côtés.

 

Pourquoi parlez-vous si peu finalement des livres que vous avez lus et des films que vous avez vus, à l’inverse d’un Nicolas Sarkozy par exemple ?
Dans le Temps retrouvé, Marcel Proust dit que l’art véritable s’accomplit dans le silence. Il en va de même de la pratique… Plus sérieusement, dans un monde politique très corseté, je m’accorde encore une petite liberté, celle de soustraire à tout impératif médiatique mes choix culturels, mes coup-de cœur et parfois aussi… mes irritations. Je vous rassure, ils sont nombreux. Et il m’arrive quand même parfois, non seulement d’écrire et de publier, mais aussi d’exprimer mes passions. J’ai ainsi beaucoup apprécié tout récemment Britannicus à la Comédie-Française, belle réflexion sur le pouvoir, ses enjeux et ses tensions.

 

Propos recueillis par notre correspondant Julien Vallet en juin 2016

 

RÉSUMÉ

PREMIERE PARTIE. Adepte du jugement libre pour une culture réhumanisée, Alain Jupé défend la culture comme idéal pour s’insurger contre le prêt à penser ou la pensée unique… Réconcilier culture et éducation, transmettre les valeurs fondamentales, encourager la capacité à se projeter ensemble, restaurer l’unité et la cohésion national à l’heure où tout les menace… La politique en faveur du cinéma restent exemplaires en France, et si demain l’Europe devait se redéfinir, elle aurait grand intérêt à le faire sur le plan culturel : fonder le concept d’un « Erasmus culturel » serait intéressant quand le modèle de la chaîne culturelle ARTE reste elle aussi une preuve éloquente de ce que peut produire la coopération entre les nations.
DEUXIEME PARTIE. Plus concrètement, Alain Juppé entend réfléchir à un acte II de la politique du mécénat pour faire évoluer encore la loi 2003 ; si la Culture est bien au centre de son programme national et européen, il s’agit de développer pratiquement les projets en faveur de l’éducation, la création et le rayonnement de la culture française partout dans le monde. Un nouveau plan patrimoine sur 10 ans doit aussi être lancer
TROISIEME PARTIE. Bilan sur la numérisation du patrimoine culturel lancé avec Michel Rocard en 2009… En souhaitant faire de Bordeaux, une capitale internationale des industries créatives et des arts numériques, Alain Juppé entend développer considérablement le numérique sur le plan culturel car c’est un media de transmission au potentiel exceptionnel. Quels sont à Bordeaux les chantiers porteurs d’enseignement et d’avenir ? Jumelage avec des villes étrangères, bilan sur Evento, place de l’Opéra dans le budget municipal, orientations stratégiques culturelles pour Bordeaux dans les années futures…

 

 

VISITEZ le site officiel d’Alain Jupé : www.alainjuppe2017.com

 

 

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