Génie français du symphonisme romantique
Le premier mouvement de la n°1, cite la frénésie beethovénienne, tumulte héroïque et sang neuf prêts à bondir; Jacques Mercier comprend tout à fait ce feu rythmique au centre de l’oeuvre, sachant toujours rebondir et accentuer avec une élégance et beaucoup de fluidité, le déroulement des épisodes et l’exposition des thèmes. Même activité finement gérée, en véritable transe chorégraphique même pour un Scherzo aux couleurs très subtilement énoncées. Sur instruments modernes, le chef sait moduler, et préserver surtout la transparence et l’équilibre fabuleux entre les bois et les cordes. L’accomplissement du mouvement lent (en 3è position) apaise d’autant plus l’éruption quasi flamboyante de l’énergie des deux premiers que les musiciens savent exprimer la sérénité suspendue et profonde de cet Andante con moto… lyrisme et pudeur font la réussite du mouvement plus introspectif et aussi solennel que Berlioz admira tant.
Cette subtilité exigée et essentielle chez Gouvy permet encore à la trépidation du dernier mouvement (si proche et de Mendelssohn et de Schumann: avec crescendo des cordes et noble fanfare de cuivres) d’imposer le génie symphonique de Gouvy: versatile, articulée et fluide d’un épisode à l’autre, la direction du chef déploie d’indiscutable arguments; notamment dans l’irruption du maestoso surgissant quelques mesures avant la fin et enrichissant encore le flot irrépressible de l’Allegro con brio. Quelle écriture raffinée et surprenante. Gouvy ne fait pas qu’appliquer les schémas prévisibles du plan sonate: il outrepasse aussi les règles pour nourrir constamment flux et tension.
La 2è tout en étant elle aussi beethovénienne, saisissante par cette structure admirablement charpentée déploie un tissu orchestral d’une égale finesse, réussissant même cette activité organique constante, plus française que germanique, où la versatilité et le changement constant des accentuations créée un matériau qui se révèle par la transparence et la clarté (solo de clarinette); en poète de climats diversifiés, changeants d’une mesure à l’autre, Gouvy se révèle ici d’une supérieure inspiration; saluons l’atmosphère onirique que se dégage du rêve du mouvement lent Andante con moto, d’un ample et souple extension progressive, des cordes seules vers un raffinement instrumental de plus en plus épanoui, aux teintes inédites (hautbois et alto dominants peu à peu); la science d’orchestrateur s’y révèle par scintillement fugitif permettant de préciser en Gouvy, la figure du symphoniste recréateur, digne pair des grands germaniques, au moment où Reber ou Onslow développent eux aussi leurs travaux symphoniques; Une telle ciselure instrumentale se prolonge encore dans la 3è où pour la première fois, avant Berlioz, Gouvy emploie une harpe dans l’essor d’une symphonie.
Le final est magnifiquement conduit, entre bravoure et éclat, dans la lumière, selon la leçon de Mendelssohn.
Voici deux Symphonies magistrales, puissamment originales qui situent Gouvy tel un symphoniste majeur à l’époque romantique. L’histoire de la Symphonie française est encore à écrire: Onslow, Gouvy, Joncières… surgissent dans tout l’éclat de leur écriture si injustement méconnue. Voilà qui aux côtés des Beethoven, Mendelssohn et Schumann devrait pourtant produire de superbes accomplissement au concert. Le disque est une totale réussite: il est révélateur de ce symphonisme à la française qui commence enfin à se dévoiler d’une façon irréfutable. L’Institut Gouvy rejoint ainsi le Palazzetto Bru Zane Centre de musique romantique française à Venise (auquel nous devons une magistrale restitution de la Symphonie romantique de Victorin Joncière, datée de 1876, recréée pendant son Festival Du Second Empire à la IIIè République, en avril 2011). Magistrale révélation. Reste à présent à rêver d’un festival symphonique et romantique où les oeuvres de Gouvy serait jouées sur instruments d’époque, style Orchestre des Champs Elysées, Les Siècles. Les justes proportions sonores, l’éclat originel des timbres en seraient encore mieux restitués.
Théodore Gouvy (1819-1898). Symphonies n°1 et n°2. Deutsche Radio Philharmonie Saarbrücken Kaiserlautern. Jacques Mercier, direction. Lire aussi notre critique et présentation de la Symphonie n°6 (couplée avec la Sinfonietta) également publié par CPO; d‘Iphigénie en Tauride (2 cd CPO).