Dans le sillon des grands concertos romantiques, dont ceux des russes Tchaikovsky et Rachmaninov, le compositeur français Yves Levêque construit un remarquable Concerto pour piano (baptisé « Ariana« ) où la puissance rivalise avec la tendresse, la martialité avec l’expression d’un pudeur suspendue (qui réalise la grâce inspirée du mouvement central, « adagio sostenuto»). L’écriture soigne tout autant l’orchestration et les nombreuses parties dévolues à tous les pupitres, dans un esprit d’équilibre concertant. La pièce créée en novembre 2023 affirme un tempérament sûr, celle d’un architecte et d’un conteur enchanté auquel la pianiste Caroline Fauchet, créatrice de l’œuvre et qui l’interprète partout dans le monde, apporte une sensibilité articulée, claire et détaillée.
________________________________
CLASSIQUENEWS : Vous citez les romantiques russes parmi vos [nombreuses] sources d’inspiration… Comment Tchaïkovski ou Rachmaninoff vous ont ils aiguillé dans la fabrication du Concerto ?
YVES LEVÊQUE : En premier lieu, le concerto n°1 pour piano de Tchaïkovsky fut la première oeuvre du maître qui m’a touché. Je devais avoir 9-10 ans. L’ouverture avait frappé mon imagination par son lyrisme spectaculaire et majestueux. Bien après, en écoutant l’oeuvre dans sa totalité, j’étais fasciné par la qualité des thèmes, les dialogues entre le piano et les instruments, le lyrisme des mélodies, l’orchestration généreuse, pleine de contrastes où l’alternance entre le grandiloquent, le subtil et le délicat se marient à merveille! Le chef d’oeuvre! Quant à Rachmaninoff, grand admirateur de Tchaïkovsky, il est le maître incontesté des grandes thèmes larges et envoûtants que l’on retrouve dans chacun de ses concertos. Ses orchestrations, fournies et assurées donnent la belle part aux cordes et j’aime cela! Je voulais remercier ce géant musical de m’avoir livré autant d’émotions à l’écoute de sa musique!
CLASSIQUENEWS : Quelle est la construction du Concerto (à travers les 3 mouvements) ? Et son orchestration ? (choisir ici 2 exemples idéalement);
YVES LEVÊQUE : Pour le 1er mouvement, je voulais écrire une ouverture pleine d’énergie, mémorisable, un thème rythmé joué par un piano volontaire et coloré qui enchaînerait le puissant avec le sensible, bien assis sur les cordes dans les graves afin de donner la sensation d’une dramaturgie. S’enchaîne un instant de partage où l’orchestre et le piano se fondent littéralement pour ensuite laisser la place à une thématique toute en intensité. Je voulais une mélodie inondée de lyrisme. (Exemple: de 1mn 11 à 1’21) Soudain tant de portes se sont ouvertes qu’au fil de l’écriture, le 1er mouvement est né sous la forme d’un Allegro molto moderato!
La mélodie qui touche au coeur, c’était l’objectif principal pour le 2ème mouvement! Un adagio. L’amorce est laissée aux cordes où elles s’offrent dans la plénitude de leurs médiums-graves! Puis elles laissent la place au thème joué par un piano tout en délicatesse qui en vient à dialoguer avec les pupitres de l’orchestre.
J’ai voulu apporter aussi un côté plus souriant, plus facétieux avant de laisser l’orchestre s’envoler vers une explosion de joie pour enfin laisser la place au piano solitaire. Mon Everest fut le 3ème mouvement! Un Allegro Scherzando. Essayer d’être inventif! Offrir un cortège de couleurs multiples en s’essayant à toutes formes d’expression dans l’énergie, le rythme, la sensualité, l’émotion, la majesté, la sensibilité, en essayant d’être le plus clair possible dans l’écriture. (Exemple: de 7’16 à 8’31). Je me suis jeté dans l’inconnu! J’ai pris des risques!
CLASSIQUENEWS : Il résulte une œuvre forte et cohérente. Comment avez vous conçu la relation piano / orchestre ? Confrontation, dialogue,… Quels choix s’est précisé selon les 3 mouvements ?
YVES LEVÊQUE : Merci pour votre sentiment sur la pièce.
Dès le premier mouvement, je voulais qu’il y eut un échange permanent entre le piano et l’orchestre. Faire exister réellement tous les pupitres afin qu’ils puissent prendre une vraie place dans l’oreille de l’auditeur.
Ce partage, on le retrouve tout au long du concerto.
Exemple, l’introduction du 2nd mouvement laisse la place aux cordes pendant près d’1mn45 entrecoupée de petites cadences à la harpe et à la flûte. Tout est dialogue et complémentarité. Les rebonds sont donnés ou par l’un ou par l’autre. Il n’y a jamais de confrontation. Je voulais que tous les musiciens de l’orchestre prennent du plaisir à jouer de leur instrument.
CLASSIQUENEWS : Avec la pianiste Caroline Fauchet, comment s’est déroulé le travail ? Avez vous modifié / adapté certains passages pour elle et dans quel but ?
YVES LEVÊQUE : Caroline fut enthousiaste dès le jour où je lui ai présenté la pièce! J’aime à raconter qu’en écoutant la maquette du second mouvement, deux larmes ont coulé le long de ses joues! Cela m’a foudroyé d’émotion!
Très rapidement, elle s’est mise à travailler la partie piano du premier mouvement et me faisait part de ses avancées au téléphone. J’étais éberlué de la vitesse à laquelle elle surmontait tous les obstacles et surtout dans la finesse de son interprétation!
Je ne me rappelle pas avoir changé un seul passage dans le concerto pour le mettre à sa mesure. Elle suivait toutes mes indications à la note près. La voir jouer mon oeuvre fut mon premier rêve éveillé!
CLASSIQUENEWS : Comment s’inscrit ce concerto vis à vis de vos œuvres précédentes ? Prolonge-t-il votre travail, ouvre-t-il de nouvelles portes ?
YVES LEVEQUE : Ce concerto est l’oeuvre d’un autodidacte. Elle s’inscrit comme l’oeuvre d’une vie qui, de loin, dépasse dans sa durée et dans sa créativité tout ce que j’ai composé jusqu’ici! Toute ma vie musicale d’avant m’a préparé à cette écriture. Une nouvelle page de ma vie de musicien s’est tournée. Je ne compte pas m’arrêter en si bon chemin! Mes projets sont multiples.
CLASSIQUENEWS : Quels souvenirs gardez-vous des séances de travail et de la création parisienne en novembre 2023?
YVES LEVÊQUE : J’avais présenté la partition l’année précédente à un jeune chef d’orchestre, Marc-Antoine Novel, qui dirige des ensembles de musique de chambre dans le cadre du Festival « Musique aux Mines ». Il a été séduit! Je l’avais invité à l’enregistrement du concerto avec l’Orchestre Colonne afin qu’il prenne ses marques. Nous avons monté ensemble le côté musical de la création parisienne à l’Église St Merry. Nous avons rassemblé une petite formation symphonique de 30 musiciens. Les deux jours de répétition furent un régal ! Le concert fut donné devant une assistance comble et enthousiaste!
CLASSIQUENEWS : Vous avez obtenu à ce jour 9 prix internationaux en présentant ce Concerto. Qu’est ce qui selon vous a séduit les jurys respectifs ? Quels sont les termes qui reviennent souvent de la part de vos collègues ou des professionnels ayant participé à la remise des prix ?
YVES LEVÊQUE : Les jury ont aimé l’écriture qui, selon eux est à la fois agréable, sophistiquée, très changeante.
Les termes principaux qui reviennent sont:
richesse et profondeur du langage musical, clarté dans l’écriture, souvent envoûtante… ; passion, sensibilité, puissance, générosité, tendresse, émotion.
NDLR : à ce jour, le Concerto « Ariana » d’une durée de 32 minutes a raflé plusieurs prix prestigieux aux concours internationaux, dont les « World Classical Music Awards », le « World Grand Prix Music Contest », la « Royale Music Compétition », la « Royal Sound Music Compétition » et la « Franz Schubert International Music Compétition ».
CLASSIQUENEWS : Pourquoi avoir choisi César Franck en complément du Concerto ? Quel est votre regard sur Prélude, choral et Fugue ?
YVES LEVÊQUE : J’avoue que le choix judicieux de César Franck fut celui de Caroline. J’étais présent dans le studio lorsqu’elle a enregistré la pièce et j’ai été impressionné par la qualité de justesse de l’interprétation. Tout de suite, je me suis dit que c’était parfait dans la continuité du concerto!
Propos recueillis en janvier 2024
Enregistrement en première mondiale du Concert « Ariana » d’Yves Levêque avec Caroline Fauchet (piano) et les instrumentistes de l’Orchestre Colonne © Yves Levêque (Paris, sessions de novembre 2023)
Plus d’infos sur le site d’Yves Levêque : https://yves-leveque.com/
TEASER VIDÉO Concerto pour piano « Ariana » d’Yves Levêque :
CD événement « CLIC de CLASSIQUENEWS »
______________________________________
LIRE aussi notre présentation du CD événement : « ARIANA ». Yves Levêque : Concerto pour piano et orchestre : « Ariana » – César Franck : Prélude, choral et fugue. Caroline Fauchet, piano – Orchestre Colonne. Yves Levêque, direction (1 cd Indésens Calliope records)
LIRE aussi notre critique du cd ARIANA, Concerto pour piano d’Yves Levêque (1 cd Indésens) : https://www.classiquenews.com/critique-cd-evenement-yves-leveque-concerto-pour-piano-et-orchestre-ariana-cesar-franck-prelude-choral-et-fugue-caroline-fauchet-piano-orchestre-colonne-yves-leve/
entretien
ENTRETIEN avec CAROLINE FAUCHET, pianiste, à propos du cd « Ariana » (Concerto pour piano d’Yves Levêque, couplé avec Prélude, choral et fugue de César Franck)
CLASSIQUENEWS : Quel est votre conception de la partition à travers les 3 mouvements (en terme d’ambiances / de caractères, de défis techniques) ?
CAROLINE FAUCHET : C’est un concerto de conception classique, en trois mouvements aux caractères contrastés, alliant puissance et sensibilité. La technique employée est exigeante et peut être apparentée à celle des grands concertos romantiques (Schumann, Tchaïkovski, Rachmaninov ou encore Ravel). Le défi est justement de ne pas faire sentir les difficultés pianistiques. Rendre l’œuvre sensible et musicale, sans tomber dans le pathos est parfois plus difficile qu’une déferlante de notes.
CLASSIQUENEWS : Y a t il un passage que vous aimez particulièrement et pourquoi ?
CAROLINE FAUCHET : Ils sont nombreux et il est difficile de choisir ! Par ordre chronologique, je pense en particulier à la partie centrale du premier mouvement. Le piano et le cor se fondent l’espace d’un instant pour laisser place à une partie solo de piano très expressive. Toute la beauté et l’intensité de ce passage réside sur quelques notes, des respirations, l’écoute des valeurs longues, où le piano peut exprimer différentes palettes de couleurs et nuances délicates.
J’aime également le passage qui suit la cadence du 3 -ème mouvement. Dans cette dernière, Yves Levêque mêle avec beaucoup de subtilité, puissance et délicatesse. L’orchestre relance le dialogue sur un ostinato et sur une pédale de Do soulignant le rythme implacable de la main droite du piano. Cela nécessite une parfaite cohésion avec l’orchestre dont le piano est le conducteur.
CLASSIQUENEWS : Comment s’est passé le travail avec le compositeur ? les séances de répétitions pour sa création et pour chaque nouvelle exécution ? L’entente avec Yves a été immédiate.
CAROLINE FAUCHET : Le jour où j’ai fait la connaissance d’Yves Levêque, j’ai senti que je pouvais apporter toute mon expérience de musicienne à ce projet et que nous formerions une très bonne équipe. Nous nous sommes immédiatement entendus car nous nous comprenions musicalement.
Lors de notre rencontre, avant même d’écouter les premières notes et à la lecture de la partition, le concerto a résonné en moi. J’ai su que cela serait une grande œuvre. L’écoute du deuxième mouvement m’a littéralement ému aux larmes.
Les séances de travail se sont parfaitement déroulées. Ayant l’habitude de créer de nouvelles œuvres et de travailler avec des compositeurs, je me suis sentie parfaitement à l’aise.
J’ai dû apprendre à travailler encore plus vite et sur bande son. Chose que je n’avais jamais faite auparavant. Cela m’a permis de connaître l’orchestration, les tempi et les intentions musicales du compositeur.
J’ai mis pendant quelques semaines mon travail d’auteur entre parenthèse pour me consacrer pleinement au Concerto ; je remercie d’ailleurs encore mon éditeur d’avoir su patienter.
CLASSIQUENEWS : Comment définir le style et l’écriture d’Yves Levêque ?
CAROLINE FAUCHET : Pour reprendre ses termes, c’est un style néo post-romantique, s’inscrivant dans le prolongement des grands compositeurs tels Tchaïkovski ou encore Rachmaninov.
Il crée une rupture avec les œuvres de la fin du 20 -ème siècle, début 21 -ème où souvent les compositeurs ont cherché un langage musical tellement abstrait et hermétique que celui-ci est très souvent entré en conflit avec le public.
Pour résumer, Yves Levêque est un compositeur profondément humain, habité de mille émotions qu’il sait partager et transmettre à ses auditeurs.
CLASSIQUENEWS : Une anecdote, un souvenir à propos de la création ou lors des concerts où vous jouiez la partition ?
CAROLINE FAUCHET : Je repense toujours avec tendresse et émotion à certains moments que nous avons vécu. L’émotion du compositeur lorsque sa musique lui est délivrée lors de la toute première répétition. En tant qu’interprète, c’est vraiment une émotion très intense de vivre la naissance d’une musique et la jouer en présence du compositeur.
Il y a eu également ces deux jours d’enregistrement Salle Colonne avec son orchestre. Un peu intimidée au début par l’immense Steinway qu’adore jouer Lang Lang, si magnifiquement préparé par mon ami Bastien Herbin, j’ai été frappée par la précision de ce clavier. Le son sortait tel que je l’entendais avant de le produire sur l’instrument. Le piano et moi ne faisions qu’un. Parmi tous les pianos sur lesquels j’ai pu jouer dans ma carrière, ce dernier reste pour moi le plus marquant.
Caroline Fauchet © DR
CLASSIQUENEWS : Quel est votre regard sur Prélude,Choral et Fugue de César Franck ? En quoi les deux oeuvres dialoguent-elles ? Les avez-vous déjà jouées ainsi ensemble en concert ?
CAROLINE FAUCHET : J’ai une relation très intime avec cette œuvre. Je l’ai travaillé lorsque j’avais 15 ans, avec mon père Bernard Fauchet, qui lui même avait enregistré cette pièce au même âge. Mon jeu a bien sur évolué et la compréhension de l’œuvre de Franck tout autant.
Le prélude, choral et fugue est une immense prière.
Douloureuse, dans le prélude avec un chant fortifié par des arpèges animés.
Recueillie, dans le choral qui doit être joué dans un esprit d’humilité, où le cœur s’abandonne à la prière.
Fulgurante dans la fugue dont la progression conduit l’interprète vers la lumière avec sa dernière partie où les trois thèmes (du prélude, du choral et de la fugue) sont superposés.
C’est une œuvre d’essence religieuse ; le concerto Ariana est d’essence profondément humaine. Les deux se complètent à merveille et je suis animée de la même ferveur en jouant l’une comme l’autre. Elles représentent d’une certaine façon ma personnalité: exaltée et romantique; tout en étant à la fois recueillie et méditative. Je n’ai pas encore joué ces deux pièces lors d’un même concert, mais au regard de l’engouement que suscite ces deux œuvres, cela devrait se réaliser bientôt.
Propos recueillis en janvier 2024