samedi 20 avril 2024

ENTRETIEN avec Victoria Shereshevskaya, à propos de son nouvel album « Variations secrètes »… (1 cd Klarthe records)

A lire aussi

ENTRETIEN avec Victoria Shereshevskaya, à propos de son nouvel album « Variations secrètes »… A partir des textes du poète indien Rabindranah Tagore et de la musique d‘Ippolitov-Ivanov, la mezzo-soprano Victoria Shereshevskaya a conçu un programme personnel d’autant plus inédit qu’il est élaboré pour 3 voix ; il comprend aussi plusieurs pièces contemporaines dont typique de l’humour odessite, « Cosmos d’Odessa » de l’Ukrainien Youli Galperine… ou les 5 mélodies de Lucas Debargue …autant de pièces choisies, ciselées pour la formation spécifique requise, un Trio pour violon, piano et voix. La volonté d’intimité et de chambrisme colore ce programme en tous points atypique et original qui comprend aussi des perles signées Cheminade, Saint-Saëns ou Chostakovitch. Présentation, explication quant au choix des œuvres. 

 

 

 

 

__________________________________________________________

 

 

CLASSIQUENEWS : Comment avez vous choisi les pièces, en particulier les textes ? Quels en sont les thèmes ?

Victoria Shereshevskaya : Avant tout, je dirai que le choix est guidé par une rencontre avec une œuvre. Lorsque j’ai découvert le merveilleux cycle de Ippolitov-Ivanov sur les textes de Rabindranah Tagore (poète indien), j’ai tout de suite adoré cette musique, son « mélodisme » sa simplicité, sa variété, quelque chose de très naturel et humain et la magnifique combinaison des trois instruments. Il était évident pour moi de le proposer à Alexandra et à Rémi qui ont aussi été très touchés par cette musique. Puis, j’ai commencé à étoffer le programme autour de ce cycle. J’ai donc commencé à chercher d’autres pièces pour cette formation rarement rencontrée. L’importance pour moi était aussi bien entendu les musiciens avec qui je voulais partager la musique, ainsi qu’un répertoire de chambre beau et original avec voix. De ces deux éléments est né le programme qui a évolué avec le temps. 

En 2018, invitée par Bruno Fraitag pour un concert à la Synagogue Copernic, j’ai proposé un programme avec cette formation de trio avec violon et piano. Cala tombait bien, c’était les 110 ans de la naissance de David Oistrach ; Bruno a souhaité que le concert soit un hommage à Oistrach ainsi qu’à la ville d’Odessa où il était né. Dans leur série de concerts à Copernic, ils aiment faire découvrir des compositeurs plus ou moins connus, ainsi que des créations. Aimant travailler avec les compositeurs actuels, j’ai tout de suite pesner à mon ami, le formidable et très fin compositeur Youli Galperine (qui nous a malheureusement quitté en 2019) né en Ukraine qui a étudié et vécu à Moscou et qui connaît bien Odessa afin qu’il nous écrive une œuvre sur cette thématique. L’œuvre particulièrement théâtrale « Cosmos d’Odessa » a donc vu le jour ainsi. C’est une pièce très particulière qu’on aime beaucoup et qu’on s’amuse toujours beaucoup à jouer. Elle est extrêmement touchante, vivante, pleine de verve et reflète vraiment à travers différentes atmosphères, le quotidien de la vie des odessites avec ses moments mélancoliques, nostalgiques, évocateurs, contrastés avec des moments de véritable chamailleries dans les jeunes couples. C’est une pièce qui a par ailleurs une part autobiographique car le voyage commence par l’évocation de la rencontre de ses parents sur une plage d’Odessa et se termine dans le Val d’Oise où il vivant depuis près de 30 ans. Ce qui est est assez frappant à souligner en particulier dans le contexte actuel, est que dans cette pièce pièce, Youli Galperine me fait chanter en 4 langues : russe, ukrainien, une phrase en yiddish et sur le nom des notes, langue universelle qui réconcilie et réunit. Ce qui montre bien ce foisonnement et mélange des langues et de culture qui ont toujours fait partie de la vie à Odessa. 

 

Victoria Shereshevskaya © Lyodoh Kaneko

 

 

Il me fait également raconter deux blagues très typiques du légendaire humour odessite russo-ukrainien juif avec son unique accent très reconnaissable. D’ailleurs, pour la petite anecdote, pendant la première blague, qui se raconte sur la musique, Alexandra était toujours morte de rire et devait se retourner, se cacher pour éviter de me regarder et jouer en même temps sans éclater de rire ! 

Nous avions donc déjà ces deux beaux cycles pour cette formation et le reste du programme de ce concert a été un mélange de duos voix-piano, violon-piano ainsi que violon voix. En effet, nous y avions inclus un petit cycle de Darius Milhaud pour voix-violon et « Nous étions ensemble » ainsi que « La tempête » extraits du cycle monumental de Chostakovich que nous enregistrons intégralement sur ce disque. Puis, lorsque nous avons été invités à nous produire dans la salle Zaryadye à Moscou en novembre 2019, on s’est dit qu’un programme franco-russe serait approprié. J’ai recommencé à chercher dans le répertoire pour ce trio avec voix et j’ai découvert grâce à mon amie Danièle Enoch, présidente des éditions Enoch une petite perle de Cécile Chaminade « Menuet » ainsi que « Violons dans le soir » de Saint-Saëns, véritable scène lyrique, où le violon joue un rôle considérable. Par ailleurs, dans l’idée d’un équilibre avec la pièce de Youli Galperine et aussi la volonté de contribuer au répertoire de cette merveilleuse formation, on s’est dit que cela serait formidable d’avoir une création française. J’ai donc demandé à Lucas Debargue dont je connaissais la sonate pour violoncelle et piano ainsi que le «Quatuor symphonique » pièces que j’ai beaucoup aimé (je savais d’ailleurs qu’il venait juste de composer quelques mélodies sur Baudelaire qu’il m’avait fait écouter et qui m’ont beaucoup plu) s’il pouvait composer pour nous trois et pour le concert à Moscou quelque chose pour cette formation de trio. Il a été ravi par l’idée car justement il commençait à composer pour la voix et a voulu rester dans Baudelaire. Il nous a donc composé ce beau cycle de cinq mélodies qui ont été crées à Moscou et que nous avons eu grand plaisir à enregistrer et nous sommes ravis d’avoir pu initier des nouvelles œuvres pour cette belle formation. Il a d’ailleurs dédié ce cycle à Youli Galperine, après sa disparition, qu’il connaissait également.

Concernant le cycle sur des poèmes d’Alexandre Blok de Chostakovitch, il nous a semblé complètement logique de compléter les œuvres de la formation trio par ce cycle tout à fait unique par sa force et sa beauté mais également par l’importance donnée à chaque instrumentiste. Nous avions également déjà intégré aux précédents concerts des extrais de ce cycle ; donc cela tombait sous le sens de l’enregistrer en entier, surtout qu’il est peu joué en France. Chaque pièce fait aussi référence à un genre différent, on y trouve un menuet, une passacaille, des romances lyriques. Difficile de montrer mieux que dans ce cycle, la véritable notion de musique de chambre avec la voix, qui est bien sûr la clé de voûte de cet enregistrement. Et pour « relâcher » un peu la tension après ce cycle si puissant émotionnellement, nous avons décidé de terminer ce programme par un petit « dolce » de Luigi Denza, compositeur oublié mais très célèbre de son temps par ce trio « Si vous l’aviez compris », charmante petite romance sentimentale sous forme de valse.

 

 

 

CLASSIQUENEWS : Comment se marient les timbres divers (instruments / voix) du Trio ainsi composé ? 

Victoria Shereshevskaya : Comme je le disais plus haut, l’idée est née avant tout de l’amour pour une œuvre et aussi de mon attachement à la musique de chambre. Cela est certainement dû à ma formation de pianiste et ma riche expérience de musique de chambre en tant que pianiste d’abord, notamment en formation violoncelle piano, mais je chante depuis l’âge de 6 ans! Au départ le mariage entre le violon est la voix de femme peut sembler étonnant mais cela fonctionne très bien, surtout avec une voix de mezzo. Depuis la nuit des temps, le violon a toujours représenté, exprimé et chanté l’amour et la voix c’est l’instrument le plus naturel, le plus humain et je dirai le plus bel instrument pour moi bien sûr! Il y a évidemment la notion de la longueur du son entre l’archet et la voix et avant tout la question de la respiration qui n’est pas chose évidente pour tous les instrumentistes mais comme disait Alexandra, le travail avec le chanteur oblige à travailler sur la respiration et sur une construction de la phrase plus naturelle et qui part du texte. Puis il y a le vibrato, la vibration au sens propre et figuré, cet élément quasi intime surtout dans la musique de chambre entre la vibration de la voix, du violon et du piano car ces interactions se font souvent de manière d’abord évidemment très réfléchie et travaillée puis de manière invisible, impalpable, jusqu’à ce que toutes les cordes, au sens propre et figuré se mettent à vibrer à l’unisson. Vibration pour moi fait aussi référence à la vibration de l’âme, l’âme de chaque instrument (il y a bien « l’âme » du violon) qui va toucher l’âme de chaque être humain.

J’ai aussi toujours aimé privilégier des formations un assez inhabituelles mais qui se marient magnifiquement avec la voix. De la même façon, j’avais formé par exemple un trio voix harpe et violoncelle, avec Manon Louis à la harpe et Sébastien Hurtaud au violoncelle. Depuis toujours, l’image du chanteur accompagné par un luth est présente partout et le violoncelle, instrument certainement le plus proche de la voix humaine (surtout celle de mezzo et baryton), le mélange est également sublime. D’autre part, le violoncelle est l’instrument avec lequel j’ai le plus joué en tant que pianiste, ce n’est certainement pas un hasard.

 

 

 

CLASSIQUENEWS : Dans les transcriptions réalisées, sur quels éléments avez vous été vigilants ?

Victoria Shereshevskaya : Il n’y a aucune transcription dans ce programme ce qui en fait justement la richesse et la découverte de ce répertoire de musique de chambre que l’on entend peu, hormis les deux créations écrites pour nous qui sont évidemment une découverte pour le public. Mais je pense, j’espère, que d’autres œuvres seront une révélation également, notamment le cycle d’Ippolitov-Ivanonv qui est une première française. Cela permet de constater que pas seulement moi, mais également des grands compositeurs sont tombés amoureux du mélange de ces trois timbres!

 

 

 

CLASSIQUENEWS : Y-a-t-il une manière de voyage ou de construction dramatique dans votre programme  (à partir des textes, leur enchaînement)?

Victoria Shereshevskaya : Le voyage dans ce répertoire franco-russe se fait à travers les différentes atmosphères et les textes, éloignés mais proches en même temps, comme le dit très justement François Le Roux, par leur universalisme de pensée. La vie/la mort, l’espoir/le désespoir, l’amour/la haine, la joie/la tristesse, etc. La parole y a évidemment une importance cruciale.  Le cycle d’Ippolitov-Ivanov et Tagore représente finalement l’essentiel de la vie, d’une manière très simple, très naturelle, ce sont quatre miniatures,dasn une forme assez populaire. Il s’agit de la naissance de l’amour, du bien que l’on ressent à être aimé, de la peur de la séparation et la passion et amertume de la perte dans la dernière. Ces sentiments sont tellement universels, la vie finalement parle toujours de la même chose, à travers le talent et le génie de chaque compositeur et poète. Je dirai que le point culminant en est « Musique » dernière pièce du cycle de Chostakovich qui nous amène dans un voyage tellement profond et philosophique sur le sens de la vie, la musique et l’équilibre que nous cherchons en permanence entre le terrestre et le céleste, la notion de l’éternel…

 

 

CLASSIQUENEWS : Pourquoi avoir intitulé le cd « Variations secrètes » ? Quel/s en est/sont le/s secret/s ?

Victoria Shereshevskaya : Nous avons hésité avec « signes secrets » en référence au titre d’une des romances de Chostakovich mais la notion de « variations » m’a semblé plus appropriée par rapport au voyage que nous évoquions plus haut et au répertoire en même temps proche et éloigné, ainsi que la « déclinaison » du cycle à géométrie variable de Chostakovich. « Secrètes » en référence principalement aux découvertes des pièces du répertoire de ce programme, aussi bien les création que le reste du programme peu entendu et enregistré. Mais aussi à une part de mystère toujours présente, du mystère de la vie de manière générale et peut être au jardin secret de chaque compositeur à travers chaque œuvre que le public pourra entendre sur cet enregistrement.

 

 

CLASSIQUENEWS : Une anecdote sur l’enregistrement ? Un épisode qui vous a marqué pendant les sessions de l’enregistrement ? 

Victoria Shereshevskaya : L’anecdote de la blague dans « Cosmos d’Odessa » que je racontais plus haut qui était drôle car il a fallu recommencer quelques fois pour ne pas entendre Alexandra éclater de rire !  Une petite chose que me fait plaisir aussi, en 2020 j’ai eu la belle occasion de chanter le cycle d’Ippolitov-Ivanov dans la Grande salle du conservatoire Tchaïkovski de Moscou sur l’invitation de Maxime Vengerov et Valery Vorona qui dirige l’institut supérieur Ippolitov-Ivanov et lors de cette soirée, j’ai reçu un « diplôme de promotion de la musique de Ippolitov-Ivanov en Europe » ! D’autre part en 2017, Daniele Enoch avait fait le déplacement à l’un de mes concerts à Moscou où j’avais chanté des mélodies de Chaminade et elle m’a dit qu’elle serai ravie que je sois l’ambassadrice de la musique de Chaminade en Russie! 

Je suis donc fière et heureuse d’avoir réussi à réunir ces deux compositeurs sur le même enregistrement et avoir ainsi un peu accompli ma double mission! Et globalement, un petit mot sur la très belle atmosphère entre nous trois et nous quatre avec Yan Levionnois (violoncelle) pour le cycle de Chostakovich qui a régné dans la préparation et la réalisation de cet enregistrement. Puis aussi la sensibilité et l’attention de chacun des musiciens à la voix, à la respiration et au texte, ce qui était un bonheur et une très belle richesse de travail et d’échanges humains et artistiques.

 

 

Propos recueillis en janvier 2023

 

 

 

 

 

AGENDA

____________________________________________________________

Concert exceptionnel KLARTHE  
Mardi 24 Janvier 2023 à 20h30
PARIS, Salle Cortot
78 rue Cardinet 75017 Paris

 

BILLETTERIE / RÉSERVATIONS :
Tarifs : Tarif normal: 25€ / Tarif réduit : 15€
Réservation en ligne ici : https://www.billetweb.fr/concert-klarthe-records
Réservation par téléphone : 07 81 99 54 92
Billetterie sur place 30 minutes avant le début du concert. Règlements espèces et CB.

 

LIRE notre présentation du CONCERT KLARTHE / mardi 24 janvier 2023

- Sponsorisé -
- Sponsorisé -
Derniers articles

CRITIQUE, concert. LILLE, Nouveau Siècle, le 18 avril 2024. SIBELIUS : symphonie n°7 [1924] – BEETHOVEN : « GRAND CONCERTO » pour piano n°5 « L’Empereur » [1809]....

SUITE & FIN DU CYCLE SIBELIUS... La 7ème est un aboutissement pour Sibelius pour lequel l'acte de composition est...
- Espace publicitaire -spot_img

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img