vendredi 21 mars 2025

ENTRETIEN avec Stéphane FUGET, fondateur et directeur artistique des Épopées. Genèse des Épopées, premiers accomplissements, Grands Motets de Lully, opéras de Monteverdi… Cycles de la Nouvelle saison 2024 – 2025.

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

En l’espace de quelques années, Les Épopées créées en 2018, sont devenu un acteur majeur du paysage baroque en France et dans le monde (jusqu’en Chine !). Cette fulgurante ascension est portée par une sensibilité pour la recherche, l’excellence enseignée auprès des jeunes musiciens, et aussi la suprême liberté de l’improvisation, autant de valeurs que le fondateur, chef et claveciniste, Stéphane Fuget ne cesse de cultiver, partager, transmettre… Lully, Monteverdi, Haendel sont les premières bornes d’une approche généreuse, engagée des répertoires qu’inspirent toujours le plaisir, le partage et un questionnement continu. Le geste de Stéphane Fuget ouvre de nouveaux horizons interprétatifs dont témoignent les prochains projets dans salles et festivals avec lesquels il a tissé des liens, mais aussi le Festival et l’Académie d’été qu’il a fondés dans l’Yonne…

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                      Crédit photo © William Beaucardet

 

Classiquenews : qu’est-ce qui fait aujourd’hui la singularité de votre ensemble Les Épopées ? A la fois son répertoire, sa sonorité propre, son fonctionnement… Et pourquoi le nom “Les Épopées” ?

Stéphane Fuget : Nous sommes maintenant à la troisième ou quatrième génération de baroqueux, de musiciens “historiquement informés”. On pourrait croire qu’il suffirait de jouer en suivant les indications d’un professeur dans un conservatoire, d’un “maître”. Mais l’esprit “musique ancienne” est de continuer à chercher, d’interroger les partitions, les modes de jeu, la facture instrumentale, etc. Le nom des Épopées est venu de cette idée qu’il fallait continuer de questionner le geste interprétatif, avançant ainsi vers des mondes nouveaux. Je crois que le propre même d’une “épopée” est de se dire : on part pour une aventure, on interroge les choses et puis on avance tous ensemble sur ce chemin.

Concrètement, les spécificités des Épopées sont d’un côté un travail original sur l’ornementation qui vient faire miroiter la musique comme le soleil dans la Galerie des glaces de Versailles ou à travers les vitraux d’une église, et de l’autre sur le rapport parlé /chanté dans l’opéra venant ainsi libérer l’émotion du texte rendu plus proche de nous. Ce que je n’avais absolument pas prévu au départ, c’est que ça deviendrait une véritable épopée, non pas musicale mais une épopée… de vie. Je m’explique… On a créé l’ensemble en 2018, et en 2020 est arrivé le Covid, puis la crise économique actuelle. C’est vraiment devenu une épopée ! (rires)

Pour en revenir à votre question, une des spécificités des Épopées, c’est le mélange de jeunes artistes et d’artistes confirmés de renommée internationale. Je rencontre les jeunes dans des formations que je fais dans différents stages ou master classes, mais aussi au Conservatoire de Paris (CRR) ou j’enseigne depuis treize ans. J’y ai une classe d’opéra baroque dans laquelle nous faisons en moyenne deux à trois opéras par an ; cela permet de repérer des artistes avec qui on a envie de travailler, et qui ont aussi pris l’habitude de travailler avec moi.

Pour moi, le conservatoire est un lieu de recherche continuelle, une sorte de laboratoire. Les Épopées sont comme une version à un niveau professionnel de cette recherche. Quand on est comme nous sur un geste très singulier, il faut travailler avec des musiciens qui soient ouverts à cette nouveauté, et prendre le temps, productions après productions, d’approfondir ce geste, de le questionner ensemble, de s’habituer à le questionner ensemble, d’y répondre ensemble, d’en faire une interprétation collective. C’est ainsi qu’on crée une matière sonore et interprétative commune propre, unique, reconnaissable.

 

Classiquenews : Comment et pourquoi vous vous êtes associés à l’Opéra Royal de Versailles, notamment pour un cycle des Grands Motets de Lully dont le quatrième et dernier disque est paru au printemps dernier chez le Label Château de Versailles Spectacles et L‘Orfeo de Monteverdi en juin ?

Stéphane Fuget : En 2018, nous avons donné au festival des Riches Heures de La Réole, le Dies Irae et le Te Deum de Lully. Or, Laurent Brunner, directeur de Château de Versailles Spectacles, cherche constamment des chefs et des ensembles qu’il puisse inviter à Versailles. Après le concert de La Réole, auquel il n’a pas assisté mais dont il a vu un extrait vidéo, il m’a proposé de faire l’intégrale des Grands Motets de Lully. J’ai bien évidemment accepté avec joie. Laurent sait prendre des risques avec de jeunes ensembles : il l’a fait avec nous, comme il l’a fait avec beaucoup d’autres… On a enregistré le premier volume en juillet 2020, en pleine période de Covid, donc sans public, mais avec la présence des caméras d’Arte. C’est ça qui a fait connaître les Épopées. Presque personne à cette période-là ne faisait déjà ce genre de choses, et ça nous a donné une visibilité phénoménale immédiatement. Je serais presque tenté de dire que le Covid aura été une “chance” pour nous.

Nous avons également enregistré à Versailles les trois opéras de Monteverdi, des Airs de cour de Charpentier, et l’Alceste de Lully qui va paraître en début d’année prochaine. Il y a deux autres lieux qui nous ont accompagnés très vite depuis le départ. Le Festival de Beaune tout d’abord. Quand j’ai créé les Épopées, Anne Blanchard et Kader Assissi, qui dirigeaient le festival, m’ont tout de suite invité. Nous y avons donné les trois opéras de Monteverdi de 2021 à 2023, et cet été Alcina de Haendel. Et puis l’Académie Bach d’Arques-la-Bataille, où Jean-Paul Combet nous a invité pour des stages et des concerts chaque année, autour des airs de cours et des Madrigaux italiens.

 

Crédit photo © William Beaucardet

 

Classiquenews : Mais vous savez aussi parfois sortir de la musique baroque ?

Stéphane Fuget : Bien sûr ! Par exemple un programme autour de “L’amour et la vie d’une femme” de Schumann et l’Ariane à Naxos de Haydn – dans lesquels les héroïnes parlent à la première personne. On donne également un programme piano et chant pour les enfants, “En sortant de l’école” ; avec des compositeurs comme Kosma, Ravel, Debussy, Poulenc, ou bien encore des programmes de romances du début du XIXème siècle… Et quelquefois, nous faisons des incursions dans la musique contemporaine. On travaille en particulier avec le compositeur Jean-Pierre Seyvos, tout simplement parce qu’il travaille en création partagée, avec des consignes, faisant évoluer l’œuvre ensemble par nos interactions, improvisant en permanence, sans jamais écrire une note.

Cela rejoint quelque chose qui me fascinait quand j’étais adolescent : la liberté d’improvisation qu’avaient les pianistes au XIXe siècle, et qui a été beaucoup perdue durant la deuxième moitié du XXe siècle. J’aimais improviser “alla” Liszt des paraphrases sur des opéras. C’est cette liberté que j’ai retrouvée au clavecin, et qui constitue évidemment une très grande partie de l’interprétation de la musique baroque : improviser la basse continue, rajouter des ornements, ne jamais jouer deux fois la même chose. Voilà une chose que j’aime beaucoup !

 

Classiquenews : Depuis la révolution baroque, il y a 50 ans, comment, selon vous, a évolué l’approche « historiquement informée » ? Quel est votre regard sur le sujet et comment aborder le répertoire baroque aujourd’hui ?

Stéphane Fuget : La question centrale est celle du va-et-vient entre transmission et recherche. Il y a eu d’abord ceux qui ont cherché, puisqu’il fallait retrouver ce qui avait été perdu – instruments, modes de jeux, etc. Maintenant, ayant recréé une sorte de tradition nouvelle, on reçoit un enseignement qui transmet un savoir-faire. Mais en même temps, il faut continuer à questionner les pratiques des époques passées. Le champ des possibles est immense. On est en perpétuelle redécouverte de sources qui remettent en cause des choses qu’on pensait vraies et qui ne l’étaient peut-être pas… Autant de champs de recherche : tenue des instruments à cordes, épaisseur des cordes en boyaux, facture des vents, taille des anches, connaissance des instrumentations en redécouvrant les parties séparées de l’époque, questionnement de ce fameux parlé/chanté, place et quantité des ornements, etc.

 

Classiquenews : Vous avez fondé une Académie et un festival qui ont lieu l’été dans l’Yonne, vers Sens, où vous vivez… Pouvez-vous nous en parler ?

Stéphane Fuget  : L’Académie et le Festival sont nés conjointement en 2021, dès que ça a été possible, après la période du Covid. Nous venons de connaître notre 4ème édition cet été. Pendant 10 jours, nous enseignons (Claire Lefilliâtre et moi-même le chant, Odile Edouard le violon, Christophe Coin le violoncelle et la basse de viole, Nicolas Bucher la musique de chambre, Gudrun Skamletz la danse baroque). Et tous les soirs, nous allons tous, professeurs et stagiaires, aux concerts du festival. C’est assez extraordinaire comme les concerts nourrissent les cours ! Chaque concert est dans un lieu différent, mettant en valeur le patrimoine magnifique de notre région, et la rencontre avec ses différents habitants. Là aussi on tisse des liens et on tend des passerelles entre public, stagiaires, et artistes. Pas de thème particulier pour notre festival, mais on y retrouve toujours un concert par un jeune ensemble, un concert de ma classe d’opéra du CRR, un programme stylistiquement cross-over, un récital… et on finit toujours par un bal tous ensemble ! C’est plutôt sympa, vous ne trouvez pas ? (rires)

 

Classiquenews : Quels sont vos projets pour cet automne 2024 ?

Stéphane Fuget : Nous sommes très heureux de tourner en concert à Dortmund et Versailles, notre Orfeo de Monteverdi, avec une distribution magnifique : Julian Prégardien en Orfeo, si sensible et humain, Isabelle Druet, Claire Lefilliâtre, Cyril Auvity, Luigi De Donato, Gwendoline Blondeel, Paul Figuier... Et puis nous allons pour la première fois en Chine pour six concerts et une masterclass, à Shenzhen, Shanghai et Jingdezhen, en petite formation orchestrale (7 musiciens) et trois chanteuses. C’est un magnifique projet autour de Haendel et Bach. Puis la saison continuera l’année prochaine (2025) avec des opéras en concert. Une fabuleuse Alcina de Haendel à Versailles avec notamment Lisette Oropesa, Gaëlle Arquez et Teresa Iervolino dans les principaux rôles ! Une Médée de Charpentier à Singapour ! Puis une Morte d’Orfeo de Stefano Landi enregistrée et donnée en concert également à Versailles, avec Juan Sancho dans le rôle-titre. Et à Sens, dans l’Yonne, un énorme projet de musique espagnole autour de l’année 1600, avec plus d’une centaine de participants … Bref, l’aventure continue !

 

Propos recueillis par Emmanuel Andrieu en septembre 2024

 

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Crédit photo © Orianne Pascal

 

 

Approfondir : Lire notre critique de « Alcina » de Haendel par Stéphane Fuget / Les Epopées au Festival de Beaune en juillet 2024  :

 

CRITIQUE, festival. BEAUNE, 42ème Festival International d’Opéra Baroque et Romantique (Cour des Hospices), le 19 juillet 2024. HAENDEL : Alcina. A. M. Labin, A. Bré, F. Hasler, S. Marino… Les Epopées / Stéphane Fuget.

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