vendredi 29 mars 2024

ENTRETIEN avec OLIVIER SPILMONT, à propos de son 2è CD Cantates de JS BACH : «  Anti-melancholicus » chez Paraty

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Passeur, défricheur et poète avant tout, Olivier Spilmont délivre son BACH, à travers un cheminement intime, spirituel, fraternel qui de l’abandon, passe par le désespoir, avant de s’accomplir dans l’espérance et l’apaisement. Il faut la tension pour la liberté. Il faut l’ombre pour que jaillissent la lumière et l’étoile d’une aube salvatrice. Dans son nouvel album intitulé « Anti-melancholicus », plus inspiré que jamais, Olivier Spilmont nous régale littéralement en images claires et poétiques qui insuffle aux interprétations des cantates, une vérité inédite, faisant imploser fatalité et abandon… Le claveciniste fait jaillir la nécessité intérieure, l’urgence du sens qui soutient chaque cantate, entendue comme un édifice spirituel. Enjeux, itinéraire, options musicales, le fondateur d’ALIA MENS explique les partis pris d’une réussite totale.

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CLASSIQUENEWS : Pourquoi avoir choisi ce titre ?

OLIVIER SPILMONT : J’ai choisi ce titre à plusieurs titres ; en premier lieu, « Anti-melancholicus » est le titre d’un ouvrage que Bach a noté sur la page de garde du cahier d’Anna Magdalena, très certainement pour s’en souvenir et l’acquérir. Cette pensée qui consiste à combattre la mélancolie, qui pour Luther est le « bain du diable », éclaire celle que Bach a mise en musique dans ces trois cantates et plus largement dans l’ensemble de son œuvre. Il ne s’agit pas de nier cette mélancolie mais de la regarder en face pour mieux la faire fuir.
D’autre part, ce titre « Anti melancholicus » ,(je pourrais même dire cette invitation) me semble résonner avec une force particulière dans les temps de crises successives que nous traversons.

 

CLASSIQUENEWS : En quoi le choix des 3 cantates choisies donne t il une cohérence au programme ?

OLIVIER SPILMONT : Ces trois cantates proposent un cheminement. Bach pense le monde à travers ses créations.Sa musique pense. Il nous propose sa voie de sortie. Bien sûr sa pensée est religieuse, luthérienne. Mais elle peut être lue également d’une manière symbolique et parler à notre humanité
plus largement.
Le choix de ces trois cantates offre un parcours qui, pour le dire de manière très synthétique, débute avec un constat : la solitude et la détresse. Aus der Tiefen rufe ich, herr, zu dir ( BWV 131) s’ouvre avec l’énonciation d’un sentiment universel, l’abandon. Puis arrive l’incroyable cantate BWV 13, « Meine Seufzer, meine Tränen », qui nous mène très loin dans le désespoir et l’errance de la lamentation. « Il faut que le noir s’accentue pour que la première étoile apparaisse » nous dit Christian Bobin. Et cette étoile arrive, comme le premier matin du monde, avec la miraculeuse BWV 106, qui à elle seule retrace tout le chemin parcouru pour s’évanouir dans la fugue finale, totalement libérée de toute ombre.

 

De l’abandon à la détresse,
de l’errance à la révélation salvatrice…
Jean-Sébastien Bach
pense chaque note

 

CLASSIQUENEWS : Ce nouveau programme prolonge-t-il votre précédent cd ? de quelle façon ?

OLIVIER SPILMONT : Comme pour le précédent album, « La cité céleste », le chiffre 3 est présent, comme dans toute l’œuvre de Bach. Une dramaturgie sous tend le parcours, ce qui est, me semble-t- il, est la façon correcte d’assembler des cantates sans prendre le risque qu’elles s’entre-tuent. Il est difficile de sortir ces œuvres de leur contexte, lié à une saisonnalité liturgique ou un événement, qui porte en eux une symbolique.
Il faut donc veiller à raconter quelque chose qui ait du sens et ne pas oublier que c’est précisément ce sens qui a fait naître l’œuvre et son urgence. On peut actuellement, avec tout ce que l’on connaît, se perdre dans une historicité et passer à côté de ce qui me semble essentiel : quelle a été l’impulsion, le questionnement intérieur qui ont fait naître ces œuvres?
Beaucoup d’œuvres dans l’histoire de la musique semblent répondre à des nécessités extérieures parfois superficielles (des commandes, un besoin de notoriété…). Ces cantates semblent, elles, être au centre du laboratoire intérieur de Bach, tant musical que spirituel.
Bien-sûr, elles lui étaient aussi commandées. Mais, il semble avoir dépassé toutes ces contingences pour nous livrer un corpus d’une qualité extraordinaire.

 

 

CLASSIQUENEWS : Concevez-vous un rôle particulier dévolu aux instruments ? Entre autres, les flûtes à bec évoquent-elles un symbolisme particulier ?

OLIVIER SPILMONT : Bach était un coloriste de génie.Il possédait le don d’imprimer une teinte particulière à chacune de ses constructions et de ses idées pour souligner un état d’esprit, une signification, une ambiance.
Sa curiosité l’amenait aussi à utiliser des instruments à peine sortis de l’imagination des facteurs.
L’utilisation du hautbois da caccia est un magnifique exemple de ce goût et de cette audace. Il est le premier à mentionner et intégrer cet instrument dans ce qu’on pourrait nommer l’orchestre.
La couleur grainée et la tessiture de cet instrument sont déchirantes. Dans la Passion selon Saint Jean, lorsque nous apprenons que Jésus est mort, Bach utilise le hautbois da caccia pour nous plonger dans le sentiment de vide, de perte et d’incrédulité.
Son utilisation dans le Cantate BWV 13 relève du même ordre.
La flûte à bec, quant à elle, est souvent associée à la manifestation de la mort dans son acceptation souvent accompagnée d’une certaine tendresse. Mais, comme pour le hautbois (l’autre instrument des bergers qui symbolisent l’âme du fidèle), le plus fréquemment requis dans les cantates, Bach ne se restreint pas dans l’éventail des affects à sa disposition pour tel ou tel instruments.

 

 

CLASSIQUENEWS : A travers les 3 cantates ainsi réalisées, quelle type de ferveur ou de sentiment religieux peut se préciser entre inquiétude et sérénité ?

OLIVIER SPILMONT : On pourrait dire que Bach, dans ces cantates, trace le parcours d’un chemin initiatique qui oscille entre le combat et l’acceptation. Toute la palette des sentiments humains y figurent, de l’abandon le plus abyssal à l’exultation.

 

 

CLASSIQUENEWS : Une anecdote au cours de l’enregistrement ? le lieu, un imprévu, une découverte, etc…

OLIVIER SPILMONT : Je me souviens particulièrement d’un moment d’enregistrement de la cantate BWV 106, celui où la basse vient nous dire : »Aujourd’hui tu seras au paradis avec moi » ( Heute wirst du mit mir, in Paradies sein »).
Au milieu de ce numéro, Bach semble avoir réussi à mettre en scène la disparition physique du corps, au moment où les deux violes de gambes s’évanouissent à la fin du choral d’alto, le laissant seul sur le mot « stille » ( le silence, ou encore tranquille).
Je me souviens avoir pu m’extraire de l’enregistrement et regarder les visages de mes amis et collègues.
Tout le monde irradiait d’une présence silencieuse extrêmement forte. A la fin de cette séance, chacun était convaincu d’avoir vécu quelque chose.

 

 

CLASSIQUENEWS : Votre compréhension des Cantates de Bach a-t-elle évolué depuis votre premier cd Paraty et pendant ce second programme ?

OLIVIER SPILMONT : Cette musique est suffisamment riche pour nous accompagner toute notre vie. Alors sa compréhension suit de près notre parcours, ce qui nous constitue, et ce que nous continuons d’apprendre à son contact. En un mot, ce que nous réserve la vie nourrit naturellement la compréhension de ces chefs d’œuvres.

 

Propos recueillis en mars 2023

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CD événement / CLIC de CLASSIQUENEWS mars 2023 :

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Enregistré en sept 2021 à Montreuil-sur-Mer, voici le 2è volet des Cantates de JS Bach par l’ensemble Alia Mens sous la direction de son créateur le claveciniste Olivier Spilmont.  Classiquenews avait souligné en son temps la remarquable réalisation du 1er volet, également édité par Paraty, «  La Cité Céleste » où les musiciens n’accomplissaient pas qu’une énième prière collective, exprimant les vertiges et les doutes du croyant. Ils réalisaient aussi une somptueuse traversée spirituelle, admirablement construite dans le choix même des cantates.

Même programme, juste et pertinent, qui relève ici d’une honnêteté intellectuelle et musicale ; laquelle prend sa source dans le livre théologique que JS Bach possédait, intitulé « Anti-melancholicus », claire célébration de l’orthodoxie luthérienne, si chère au cœur du fidèle Bach. LIRE notre critique complète du cd Anti-melancholicus / Alia Mens / Olivier Spilmont (Paraty)

 

 

 

 

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