vendredi 4 octobre 2024

ENTRETIEN avec Nicholas McRoberts à propos de sa nouvelle partition ADAGIO pour cordes

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Compositeur d’origine australienne, installé en France depuis deux décennies, Nicholas McRoberts explique la genèse d’Adagio for strings, nouvelle partition pour orchestre de cordes, conçu pendant la pandémie ; un hymne profond et grave qui est aussi gorgé d’espérance et de souffle cathartique. De quoi cristalliser les épreuves vécues, éprouvées, parfois douloureuses, puis tourner la page avec le sentiment d’une grande et profonde sérénité. Compositeur engagé et humaniste, Nicholas McRoberts, auteur fécond dans le genre symphonique et lyrique (entre autres), précise ses sources d’inspiration, les compositeurs qu’il admire, la réception souvent heurtée de ses partitions néoclassiques, et donc cataloguées par certains d’« inaudibles ». Entretien pour classiquenews.

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CLASSIQUENEWS : Comment s’est déroulée la commande de cette nouvelle œuvre Adagio ?

NICHOLAS McROBERTS : La cheffe Friederike Kienle qui connaissait mon travail, souhaitait une nouvelle partition, en particulier un morceau pour l’orchestre de chambre, orchestre à cordes seules, le Nürtinger Chamber Orchestra dont elle est la directrice musicale, pour un programme initial qui comportait aussi la Sérénade pour cordes de Tchaikovsky. J’ai toujours aimé les défis. N’écrire que pour les cordes est une contrainte stimulante pour le compositeur ; il s’agit d’écrire de façon épurée, sans fioritures ; de toucher la profondeur et la simplicité ; d’aller à l’essentiel, de privilégier une écriture sobre et directe, dans le style de l’Adagio de Barber, ou dans l‘esprit de l’Adagietto de la 5ème de Mahler…

 

 

CLASSIQUENEWS : Comment est structurée la partition, quelle durée, quelles en sont les sources d’inspiration ?

NICHOLAS McROBERTS : Sous ma direction, l’Adagio dure 9 mn ; il en va différemment sous la direction d’autres chefs. A chacun de trouver et défendre le bon tempo. Dans l’Adagio, j’ai soigné la structure, le déroulement dramatique, même si je n’écris jamais de musique à programme. C’est l’architecture qui me préoccupe de façon générale. Il y a d’abord le premier motif, développé, déroulé avec ses inversions successives, clairement exposé par les premiers violons ; puis se déploie le 2è motif, plus « slave », plus triste aussi ; ensuite s’affirment les longues tenues aux altos et aux violoncelles, entre le sol et le la, qui apportent comme un sentiment d’apaisement, avec ses harmonies descendantes qui fusionnent les mélodies précédentes. La dernière séquence affirme un entrain motivique qui cite à nouveau le motif 1. Elle suit le schéma da capo, comme une récapitulation. Je reste fidèle au plan de la sonate classique. J’aime les formes classiques, leur équilibre et leurs proportions néo-grecques.

Les sources d’inspiration sont multiples. Adagio est le résultat de mes écoutes d’Elgar, de Barber, d’Albinoni, mais aussi du 2è mouvement de la 7ème de Beethoven, comme des interludes marins de Peter Grimes de Britten. Je souhaitais retrouver le sentiment très intense que produisent certains passages musicaux entre effroi, sanglot, mais aussi beauté. Ce que j’éprouve aussi dans les Symphonies n°5 et 6 de Tchaikovsky – c’est une recherche que j’ai mené en octobre dernier quand j’ai achevé ma 3ème Symphonie « Pathétique ». Y dominent les sentiments mêlés de souffrance et de transcendance.
La fin de la pièce est traversée par l’idée de la tristesse, de la mort ; tout est imbriqué : la vie et l‘espérance ; la finitude et l’effacement. Je suis préoccupé par ces sujets ; mon épouse est oncologue ; nous parlons souvent des questions qu’induit l’idée de mourir ; comment aborder la fragilité et la maladie… Je ne délivre pas de réponse, et préfère demeurer dans le questionnement. Je pense ici à la question posée par Beethoven dans le 2è mouvement de sa 7ème Symphonie déjà citée, dans la question que pose la modulation confiée à la clarinette. J’aime l’idée de rester dans une interrogation.

 

 

CLASSIQUENEWS : Comment expliquez-vous son impact et sa séduction envoûtante sur les auditeurs ?

La partition a été conçue pendant le confinement ; elle est le produit de cette période difficile ; où la frustration a succédé au sentiment d’effroi lié à l’enfermement imposé. L’inquiétude et l’envie de se libérer ont succédé à la sidération… Adagio recueille et concentre cette charge émotionnelle qui reste liée au confinement. Il s’agit d’exprimer la puissance de ce que chacun a vécu et éprouvé, mais aussi la force cathartique et libératrice que permet la musique.

 

 

CLASSIQUENEWS : Comment s’est passé le travail avec le The Janaček Philharmonic pour l’enregistrement ? Pourquoi cet orchestre ?

NICHOLAS McROBERTS : Avec le Janacek Philharmonic, nous avons déjà travaillé ensemble avant d’enregistrer l’Adagio en mars 2021. Nous avons enregistré plusieurs extraits de mon premier opéra « Lyon » (2016) qui est une adaptation du mythe de Barbe Bleue. Avec les musiciens du Janacek Philharmonic, nous avons aussi joué La mer de Debussy et nombre de compositeurs slaves. L’orchestre déploie des couleurs somptueuses. Quand nous avons enregistré Adagio, c’était la première fois que les instrumentistes se retrouvaient ainsi, encore masqués ; les 50 instrumentistes n’avaient pas joué ensemble depuis septembre 2020. L’enregistrement contient aussi ce sentiment lourd émotionnellement, à la fois tragique et plein d’espoir. Car s’y entend le plaisir de se retrouver. Les musiciens étaient familiarisés à mon écriture: nous avions déjà enregistré mon Concerto pour violon (à paraître prochainement). J’aime retrouver avec eux, cette couleur à la fois sombre et transparente ; cette sonorité spécifique des orchestres d’Europe centrale qui possède une mémoire classique, avec mille et une nuances aux cordes.

 

 

CLASSIQUENEWS : Une anecdote pendant l’enregistrement ?

NICHOLAS McROBERTS : Je me souviens des mots du régisseur à l’écoute d’Adagio : « que c’est triste, mais que c’est beau ! ». Il y a aussi les remerciements du chef des altos qui m’a dit combien il m’était reconnaissant d’avoir soigné la partie d’altos à l’égal de celle des violons I. Il est vrai que la partition exige beaucoup des altos ; leur partie est majeure, aussi « intéressante » à jouer que celle des violoncelles et des violons I. C’est vrai que j’ai été soucieux d’articuler chaque partie des cordes ; en particulier les lignes médianes, les voix 2 et 3 du contrepoint. Il m’apparaît important d’imaginer être à la place des instrumentistes et de mesurer le plaisir qu’ils peuvent ressentir à jouer ma musique.

CLASSIQUENEWS : Qu’apporte le mixage par l’ingénieur Darrell Thorp ?

NICHOLAS McROBERTS : Le mixage réalisé à Los Angeles par Darrel Thorp apporte beaucoup à la sonorité finale de l’Adagio. Darrel a remporté 10 grammy ; il a surtout travaillé pour la musique actuelle, dans le milieu pop rock principalement (avec Radiohead, entre autres). Il a la passion du beau son ; aussi, travailler l’enregistrement que nous avons réalisé avec le Janacek Philharmonic était une belle occasion d’aborder la musique classique. Je ne voulais pas de son « contemporain » ou « sirupeux » ; le résultat a été immédiatement satisfaisant ; la sonorité que Darell a façonnée est chaude et équilibrée ; elle est même constamment détaillée car on perçoit parfaitement les voix intérieures (ainsi les attaques des violons II,…). Le son final est comme je l’avais rêvé : détaillé, riche, clair, transparent.

 

 

CLASSIQUENEWS : Des partitions déjà écrites, quelle est celle qui vous tient le plus à cœur ?

NICHOLAS McROBERTS : Je reste surtout fasciné par l’orchestre de Prokofiev. On l’a surtout tenu dans l’ombre de Chostakovitch… Pourtant, écoutez son ballet Cendrillon : il y déploie des couleurs d’orchestration, inouïes ; Prokofiev soigne tout : mélodies, harmonies, la profondeur et la clarté, dans un subtilité étonnante.

 

 

CLASSIQUENEWS : Abordons votre activité comme auteur lyrique. Parlez-nous de « Diesque » ? et de l’interdiction dont elle a été l’objet ? Et votre opéra « Lyon » (présenté en vain à Bastille en 2001, et créé à Ruse, en Bulgarie, en 2016). De quoi parle-t-il ?

NICHOLAS McROBERTS : J’ai compris avec ma pièce instrumentale « Diesque », combien il existe une très forte opposition au style musical qui est le mien : le néoclassicisme. La contestation vient surtout des milieux de la musique contemporaine. L’opposition se concrétise par la déprogrammation des œuvres et la volonté d’empêcher les œuvres d’être créées puis jouées. En France, l’ombre de Boulez est encore tenace ; en ce sens comparé au milieu américain par exemple, où il y a une grande liberté de styles, une dictature esthétique perdure, défendue et relayée par les institutions.

« Lyon » s’inspire du mythe de Barbe-Bleue, d’après le livret d’Angela Carter qui y développe des thèmes clairement féministes. La dimension du conte de fée est présente mais je souhaitais une action qui se démarque et de Perrault et de Bartok. C’est un drame riche en émotions, une tragédie sur le thème du sacrifice. Dans « Lyon », la femme (Lili) est maîtresse de son destin : elle choisit Barbe-Bleue au détriment de l’homme plus gentil (rôle pour ténor). C’est une approche personnelle qui réécrit le rôle de l’épouse ; c’est elle qui tue Barbe-Bleue, comme une Carmen inversée. Mon troisième opéra, « Merlin », aborde la légende arthurienne. J’écris actuellement le livret avec mon père qui est écrivain. Le magicien y apparaît comme un homme qui doute, commet des erreurs; tout cela par orgueil ; c’est un être faible. Il devient la victime de celle à laquelle il apprend tout : Morgane. L’ouvrage est encore en cours d’élaboration.

 

 

CLASSIQUENEWS : Comparée à l’Australie, que vous a apporté votre installation en France ?

NICHOLAS McROBERTS : Je vis en France depuis 20 ans à présent. Avec le recul, et comparé à l’Australie, je peux dire que j’ai appris ici à travailler avec les autres. Je mesure combien il est essentiel de pouvoir collaborer avec d’autres artistes, interprètes, musiciens, chefs et compositeurs. Il est difficile de travailler seul, isolé. Pour de grands projets, la coopération s’avère d’autant plus nécessaire, qu’elle est stimulante.

 

 

CLASSIQUENEWS : De quelle façon vous sentez-vous comme un compositeur engagé ?

NICHOLAS McROBERTS : Je suis pour que la musique soit politiquement engagée. L’art doit activement collaborer à faire évoluer la société. J’ai participé au projet éducatif Demos ; notre projet « Opéra Montmartre » permet de sensibiliser les jeunes apprentis en lycée technique et aux étudiants aux Beaux-Arts, aux métiers de l’opéra. A travers la production d’un spectacle, nous favorisons la transmission, l’accessibilité des arts vivants, la démocratisation de l’opéra. A Paris, pour la rentrée 2023, nous avons programmé La Traviata.

 

Propos recueillis en avril 2023

 

 

 

 

 

 

 

 

APPROFONDIR
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LIRE notre annonce ADAGIO FOR STRINGS de Nicholas McROBERTS
https://www.classiquenews.com/annonce-evenement-adagio-for-strings-de-nicholas-mcroberts-un-hymne-cathartique-bouleversant-concu-pendant-la-pandemie/

Sur les traces de Barber (et son extraordinaire Adagio pour cordes), le compositeur australien Nicholas Mc Roberts, qui vit à Paris, a composé son propre Adagio, répondant ainsi à une commande qui lui a passé la cheffe d’orchestre Friederike Kienle, directrice musicale du Nürtinger Chamber Orchestra; au départ, il s’agissait d’écrire une nouvelle partition pour cordes seules, pour un programme où l’œuvre commandée était couplée à la Sérénade pour cordes de Tchaikovsky. Le compositeur contemporain qui a l’habitude des grandes formes orchestrales…

 

 

 

 

 

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VISITEZ le site de Nicholas McROBERTS / PLUS D’INFOS sur ADAGIO FOR STRINGS by Nicholas McROBERTS :
https://nmcroberts.com/

 

Et aussi : https://nicholasmcroberts.hearnow.com,  https://verisimal.com/adagio.php

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