Au sein de sa riche programmation qui inclut plus de 300 levers de rideau par saison (entre le Grand-Théâtre et l’Auditorium), l’Opéra de Bordeaux invite régulièrement de grandes phalanges symphoniques internationales, comme c’était le cas ce lundi 17 avril, avec la venue du Chamber Orchestra of Europe (COE) – qui commençait en terre bordelaise, une tournée qui les amènera ensuite vers les Philharmonies de Hambourg et Berlin, ou encore le Festspielhaus de Bregenz. Désormais en résidence au Palais Esterhazy à Eisenstadt (depuis 2022), l’orchestre est composé d’une soixantaine de membres qui poursuivent parallèlement leur propre carrière musicale comme chefs de pupitre au sein de divers orchestres nationaux, membres d’éminents groupes de musique de chambre ou encore professeurs de musique. L’identité du COE a été façonnée par ses partenariats artistiques avec les plus grands chefs et solistes, dont les plus célèbres restent les regrettés Claudio Abbado, Nikolaus Harnoncourt – ; ses instrumentistes ont aujourd’hui la chance de collaborer étroitement avec Yannick Nézet-Séguin et Sir András Schiff, tous deux membres honoraires de l’Orchestre. Cette fois, c’est avec le directeur musical du Festival de Glyndebourne, Robin Ticciati, qu’ils exécutent une nouvelle tournée européenne, aux côtés de la violoniste germano-géorgienne Lisa Batiashvili.
Le magnifique Concerto pour violon de Beethoven débute la soirée – dans un auditorium bien clairsemé au vu du prestige de la formation et de la qualité du programme, d’autant que la violoniste avait le courage de casser la routine en offrant la rare et très expressive cadence d’Alfred Schnittke (datant de 1977), dont elle fait ici briller les moindres détails de l’écriture, en compagnie du timbalier, avec des citations de Bach, Berg, Bartók ou encore Chostakovitch. De son côté, le COE se montre apte à faire ressortir au premier plan la plasticité de la ligne mélodique et à convaincre par la transparence des textures comme par la diversité des couleurs. En bis, elle offre l’étonnante transcription (par Stephan Koncz) d’une mélodie populaire roumaine, la « Ciocârlia », suscitant les vivats nourris du public.
En seconde partie, plusieurs courtes pièces symphoniques sont au menu, dont deux Musiques de scène pour Egmont, également issus de la main de Ludwig van Beethoven. Le chef britannique se montre très à l’aise dans cette pièce dramatique, ne décevant à aucun moment notre attente. Servi par un tapis de cordes idéalement dense, Ticciati traduit le drame beethovénien à l’aide d’une assise grave qu’on croirait issue d’outre-Rhin plus que d’outre-Manche, avec des cordes âpres aux attaques franches. Dans la « Scène d’amour » extraite de Roméo et Juliette de Berlioz, l’orchestre distille le plus parfait lyrisme avec des chatoyances qui ne manquent pas de faire leur effet sur l’auditoire, quand après s’être fait rutilante, la musique s’achève pianissimo dans un accord de cordes joué pizzicato. Plus rare, la quatrième et dernière pièce de Jörg Widmann (né en 1973), intitulée Liebeslied pour huit instruments, et créée à Freiburg en 2010. Ce « chant d’amour » ne recourt donc pas à la voix et repose sur un petit ensemble instrumental (trois vents, trois cordes, une percussion et un piano). Mais c’est un amour bien sombre et angoissé que la pièce distille, et l’on aura été moins séduit par cette œuvre qui détonnait par ailleurs radicalement au milieu des autres…
______________________________
CRITIQUE, concert. BORDEAUX, Auditorium, le 17 avril 2023. BEETHOVEN, WIDMANN, BERLIOZ. Chamber Orchestra of Europe / Lisa Batiashvili / Robin Ticciati. Photo (c) Emmanuel Andrieu
VIDEO : Lisa Batiashvili joue le Concerto pour violon de Beethoven (avec l’Orchestre Philharmonique d’Israël / Zubin Mehta) :