
Le prochain programme intitulé « Le mythe de Pandore » (les 8 et 9 février 2025) marque un nouveau jalon dans le parcours artistique de l’Orchestre : création d’une commande faite aux compositeur Julien Joubert (et qui donne son titre au concert), grande cohésion du programme qui associe poétiquement Liszt, Wagner et aussi la partition contemporaine de Camille Pépin (« Les eaux célestes »)… les enjeux en sont multiples ; faire progresser encore les instrumentistes de l’Orchestre dans la confrontation d’œuvres et d’écritures diverses, et toujours exprimer ce qui est au cœur de chaque partition, le dévoilement des forces psychiques entre tension, réflexion, résolution. L’Orchestre ne serait-il pas in fine le grand révélateur des passions humaines ? La travail de Marius Stieghorst en souligne l’apport.
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CLASSIQUENEWS : A propos du concert « Pandore », pouvez-vous nous préciser comment la partition de Julien Joubert aborde le mythe de Pandore et les enjeux musicaux de sa réalisation ? Marius Stieghorst : La partition de Julien Joubert propose une approche originale du mythe de Pandore en intégrant un narrateur qui dialogue avec son enfant. Le texte, écrit par Hugo Zermati, est à la fois poétique et philosophique. Il ne s’agit pas seulement de raconter l’histoire, mais aussi de la revisiter à travers une discussion sur des thèmes universels comme l’espoir, les maux ou encore l’impact de ce récit sur notre quotidien. Cette double lecture, à la fois mythologique et contemporaine, donne une profondeur supplémentaire à l’œuvre et permet au public de s’immerger dans le sujet tout en s’interrogeant sur sa résonance actuelle.
Sur le plan musical, Julien Joubert a composé pour un grand orchestre, et dans cet esprit il a collaboré pour l’orchestration avec son frère Clément, exploitant pleinement toute la palette sonore qu’offre l’orchestre, notamment à travers l’utilisation de nombreux instruments percussifs. Ces choix enrichissent considérablement la texture de l’oeuvre et renforcent son caractère dramatique. L’orchestre devient presque un personnage à part entière, illustrant tour à tour les moments de tension, de réflexion ou d’émotion.
Un des défis majeurs de cette œuvre réside dans l’interaction avec le comédien. La musique et le texte doivent s’entrelacer avec justesse pour soutenir la narration sans la dominer, tout en maintenant une intensité émotionnelle constante. Cette collaboration entre musiciens et narrateur, portée par la force de l’écriture d’Hugo Zermati et Julien Joubert, constitue une expérience artistique complète, où réflexion et émerveillement se conjuguent harmonieusement.
CLASSIQUENEWS : Pourquoi avoir aussi choisi la partition de Camille Pépin dans ce programme ? Quelle est votre regard sur son écriture ? Qu’apporte-t-elle ?
Marius Stiegorst : Les eaux célestes de Camille Pépin ouvre le programme en écho au Brasier magique de Wagner, qui le clôt. Ce choix tisse un dialogue entre deux éléments essentiels de notre existence : l’eau et le feu. Ces pôles opposés symbolisent un cycle universel – début et fin, transformation et dissolution – qui reflète profondément la condition humaine.
Dans Les eaux célestes, Camille Pépin déploie une véritable fresque sonore où l’eau, sous toutes ses métamorphoses, prend vie : des nuages impalpables à la condensation, des gouttes légères jusqu’aux jeux de lumière qui forment un arc-en-ciel. Ce que je trouve fascinant dans cette partition, c’est la manière dont chaque cellule musicale évolue avec une subtilité incroyable, se transformant presque imperceptiblement d’un état à l’autre. Son écriture, d’une finesse remarquable, traduit ces transitions fluides et insaisissables avec une grande maîtrise de la densité orchestrale. Au fil de l’œuvre, la richesse des textures et des volumes s’intensifie, jusqu’à ce final grandiose où l’arc-en-ciel se déploie dans toute sa splendeur. Ce dernier accord majestueux en la majeur est un moment suspendu, presque intemporel, qui éclaire tout ce qui a précédé d’une lumière éclatante.
Pour moi, cette œuvre apporte une modernité poétique au programme. Elle ouvre une réflexion sensible et profondément émouvante sur la transformation, la lumière et le cycle de la vie, tout en entrant en résonance avec les pièces qui la suivent.
CLASSIQUENEWS : Quelle est votre lecture du Prométhée de Liszt ?
Marius Stiegorst : Prométhée de Liszt est un poème symphonique relativement court mais d’une richesse incroyable. Il condense toute la force dramatique de l’histoire de ce héros mythologique, traversant ses moments de colère, de douleur et de souffrance, tout en illustrant sa persévérance face à un destin incertain, jusqu’à sa rédemption.
Ce qui me frappe dans cette œuvre, c’est la manière dont Liszt utilise des leitmotivs, des motifs conducteurs, pour tisser le fil narratif tout au long de la partition. Chaque étape du récit de Prométhée s’incarne dans ces motifs récurrents. Harmoniquement, on retrouve une parenté avec Wagner, notamment à travers l’usage d’accords de dominantes diminuées et de chromatisme qui enrichit l’expression dramatique. Cette écriture produit une musique pleine de contrastes, où se mêlent tension et résolution.
Le thème principal, majestueux et obstiné, incarne la détermination farouche de Prométhée. On traverse ensuite des récitatifs orchestraux et une fugue qui évoque la persévérance face à l’adversité. Enfin, une mélodie céleste vient clore l’œuvre, proclamant une vie libérée et apaisée. C’est un moment où l’espoir triomphe, une vision d’harmonie retrouvée.
Dans notre interprétation, nous voulons aller au bout de ces contrastes musicaux. Ils reflètent les déchirements intérieurs de Prométhée, mais aussi sa grandeur. Nous cherchons à faire ressortir toute la tension dramatique, mais aussi la lumière et la sérénité. C’est une œuvre qui, malgré sa brièveté, contient une profondeur universelle et intemporelle.
Crédit photo © Orchestre Symphonique d’Orléans
CLASSIQUENEWS : Pourquoi avoir choisi les 2 extraits symphoniques de La Walkyrie ? Quel est le lien entre l’Orchestre Symphonique d’Orléans et Wagner, et plus généralement, entre l’Orchestre et l’opéra ?
Marius Stiegorst : C’est une première pour moi de diriger Wagner avec l’Orchestre Symphonique d’Orléans depuis l’annulation du concert de 2022 où nous devions jouer le prélude de l’acte III des Maîtres chanteurs, je suis d’autant plus ravi et curieux de découvrir comment l’orchestre va s’approprier cette écriture si particulière.
L’univers symphonique de Wagner est absolument unique : il exige des traits d’une virtuosité et d’une rapidité impressionnantes dans les cordes, des accords majestueux et puissants dans les cuivres, mais aussi une capacité à donner vie à une trame musicale où chaque motif, chaque thème conducteur raconte une part essentielle de l’histoire.
Quant aux extraits choisis, ils sont emblématiques. La fin de La Walkyrie est d’une intensité dramatique saisissante : Wotan, dans un geste à la fois terrible et rempli d’amour, condamne sa fille Brünnhilde à un sommeil éternel et dresse autour d’elle un cercle de feu. Ce feu protecteur trouve un écho fascinant avec Prométhée, qui, lui, vole la flamme aux dieux pour l’offrir aux humains. On y retrouve cette idée de sacrifice, de transmission et de pouvoir symbolique du feu.
En ce qui concerne le lien entre l’orchestre et Wagner, ou plus généralement l’opéra, je dirais que l’OSO a toujours eu une affinité particulière avec le répertoire lyrique. Wagner représente une extension naturelle de cette tradition. Sa musique, même dans les passages purement instrumentaux, est profondément théâtrale : chaque note porte un sens narratif et émotionnel. Jouer ces extraits symphoniques, c’est plonger dans un opéra sans paroles, où l’orchestre devient le narrateur principal. C’est une expérience à la fois exigeante et profondément exaltante.
Propos recueillis en janvier 2025
Photos crédit © Orchestre Symphonique d’Orléans
agenda
Concert « PANDORE » par l’Orchestre Symphonique d’Orléans, Marius STIEGHORST : LIRE ici notre présentation du concert PANDORE les 8 et 9 février 2025 : https://www.classiquenews.com/orchestre-symphonique-dorleans-le-mythe-de-pandore-les-8-et-9-fev-2025-camille-pepin-julien-joubert-liszt-wagner-marius-stieghorst-direction/
