ENTRETIEN avec MARINA REBEKA à propos de son nouvel album « Essence » : soit la quintessence de l’art vocal dont elle est seule à incarner l’excellence, de Bellini à Puccini. L’étendue de la tessiture, sa virtuosité aiguë, le spectre expressif qui va de Bellini à Puccini, soit du belcanto au vérisme, sans omettre le répertoire français rappellent l’étoile Callas… Grand soprano coloratoure, agile autant que dramatique, la cantatrice lettone est aujourd’hui au sommet de ses possibilités, révélées, incarnées par une quarantaine de personnages qu’elle chante sur scène avec passion, agilité, nuances. Pourtant, les projets à venir sont nombreux encore, et la palette des héroïnes lyriques, riche de défis et conquêtes à venir… Quels sont les rôles qui l’ont marqué à ce jour, quels sont ceux qu’elle aimerait chanter sur scène ? Comment évolue sa voix et comment s’est déroulé l’enregistrement d’Essence ? Marina Rebeka éclaire son travail de cantatrice à travers un enregistrement superlatif.
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CLASSIQUENEWS : Que représente pour vous ce programme ESSENCE à ce moment de votre carrière ?
MARINA REBEKA : Le nom de cet album dit tout – fondamentalement, c’est l’essence du répertoire de soprano le plus connu que je peux jouer en ce moment, et que je vais jouer à l’avenir.
D’une certaine façon, l’album me rappelle la manière dont je me suis familiarisé avec l’opéra – mes premiers albums CD les plus aimés, quand j’avais 13 ans, étaient des compilations des meilleures arias de soprano par plusieurs cantatrices parmi les plus étonnantes alors : Montserrat Caballe, Maria Callas, Joan Sutherland, Kiri Te Kanawa, Renata Tebaldi et Beverly Sills. Donc, pour moi aujourd’hui, c’est une grande responsabilité et un grand honneur de présenter un projet aussi significatif, en gardant également à l’esprit que je serai inévitablement comparé à mes plus grands collègues.
CLASSIQUENEWS : Quels sont ceux que vus avez déjà chantés sur scène ?
MARINA REBEKA : J’ai chanté : « Madama Butterfly », Mimi et Musetta de Puccini dans « La Bohème ». Au moment où je vous réponds, je réalise que ce programme est surtout un aperçu des rôles qui m’attirent : Tosca, Lisa, Mefistofele, Rusalka, La Wally, La Rondine, Adriana Lecouvreur sont des rôles passionnants et exigeants !
« J’ai déjà refusé Tosca, 7 fois… »
CLASSIQUENEWS : Justement quels sont ceux que vous aimeriez incarner demain sur scène ?
MARINA REBEKA : Je commencerais par La Rondine et Rusalka. Ces deux-là cadreraient parfaitement avec mes capacités techniques actuelles. Tosca et Adriana sont deux personnages qui incarnent une diva de l’opéra. Qui est-elle ? Une humble servante qui met les paroles de Dieu dans l’esprit des gens ou une femme ambitieuse, sûre d’elle-même ? Les deux sont vraies, passionnées, jalouses et toutes les deux sont de grandes amoureuses.
J’ai déjà refusé Tosca 7 fois, malgré la demande de grandes maisons lyriques. Pourquoi? Je suppose que je veux être complètement mature et prête à l’incarner. Je suis sûrement capable de chanter ce rôle maintenant, mais je sens que j’ai besoin de plus de défis techniques et de jeu pour développer mon art avant d’affronter Tosca.
J’adorerais chanter Lisa dans « La Dame de Pique » de Tchaikovsky, un personnage à la fois charmant et bouleversant. Une personne qui comprend pleinement son cœur, qui est prête à admettre qu’elle aime un Allemand même si elle est fiancée à un autre homme.
CLASSIQUENEWS : Comment évolue votre voix ? Vers quels types de rôles ?
MARINA REBEKA : Je dirais que je suis un grand soprano lyrique avec coloratura, une spécificié que je compte garder longtemps. En ce moment mon répertoire concerne principalement Verdi (Otello, Simon Boccanegra, Aida, Don Carlo, Trovatore, Due Foscari, Battaglia di Legnano, Ernani Giovanna d’Arco, I Vespri siciliani, etc…) ; dans le registre dramatique et bel canto, il concerne les Reines de Donizetti (Borgia), les héroïnes de Bellini (Norma) ; celles de Rossini (Guillaume Tell, Armida, Semiramide, Ermione) ; j’ajoute aussi plusieurs autres rôles qui me sont chers : Tchaïkovski (Eugeny Onéguine), Dvorak (Rusalka), Leoncavallo (Pagliacci), Weber (Freischütz). Quant à Puccini, je n’ai affronté que quelques personnages, laissant le reste de son art « pour le désert ».
En ce moment, mon répertoire couvre 40 rôles principaux ; il est possible de les retrouver sur mon site Web. Je crois profondément que chaque nouveau rôle vous enrichit en tant que personne et en tant que chanteur. Il est donc essentiel pour le développement artistique d’étudier continuellement de nouveaux répertoires (opéra, musique symphonique et musique de chambre). Je suis très heureuse et chanceuse de pouvoir relever de nouveaux défis.
CLASSIQUENEWS : Avez-vous developpé une sorte de partenariat avec certaines scènes ou theâtres ? Pour quels projets ?
MARINA REBEKA : J’ai beaucoup travaillé à l’Opéra de Vienne ; j’adore la ville ; le Théâtre lui-même et les gens qui y travaillent, le public. Je me sens très lié à cette maison. Le second lieu est certainement Paris. C’est une ville éternelle de culture, de style et de beauté intemporelle. J’y ai réalisé plusieurs projets et je développe une relation forte avec le TCE et le Palazetto Bru Zane avec qui nous avons enregistré La Vestale. J’adore travailler en France.
Probablement Vienne et Paris sont deux villes dans lesquelles j’aimerais vivre dans le futur.
Une autre maison spéciale pour moi est La Scala à Milan qui a une histoire impressionnante et un public très caractéristique qui manifeste son exigence : tout ce que vous chantez y est analysé mot par mot, comparé aux documents historiques et même critiqué publiquement pendant la performance. Bien sûr, cela met une certaine pression sur l’interprète, mais une fois que le public se lève comme après, par exemple, mon récital – je sais que j’ai été profondément comprise, écoutée et honnêtement appréciée. Non pas qu’à Paris ou à Vienne je ne l’étais pas, mais les Italiens à La Scala (soi-disant les fameux « loggionisti », ces mordus d’opéra qui ne laissent rien passé si un chanteur n’est pas à la hauteur de leurs attentes) sont très difficiles à satisfaire. Néanmoins, Milan en tant que ville ne m’inspire pas. Mon cœur se trouve à Vienne, Paris, Rome et, sûrement, en Espagne où j’ai déménagé dernièrement.
CLASSIQUENEWS : Une anecdote sur cet enregistrement Essence, un souvenir particulier ?
MARINA REBEKA : Oh, il y en a quelques-uns. Au début de l’enregistrement, j’ai réalisé qu’il y avait plus d’instruments que nécessaire dans la partition. Ces instruments supplémentaires étaient… des chaises grinçantes ! Nous nous sommes donc arrêtés et l’incroyable équipe de l’opéra de Wroclaw a examiné chaque chaise de l’orchestre en y mettant de l’huile, en sautant dessus et en contrôlant que cela ne faisait aucun bruit… Comme vous le savez, les musiciens bougent lorsqu’ils jouent passionnément.
Le soin à réparer tout cela fut très professionnel ; il a montré l’implication de tous pour réaliser ce projet.
Aussi, au départ il y avait deux de mes collègues qui devaient porter cette aventure discographique, mais ils ont dû annuler leur participation et au dernier moment, j’ai enregistré seule. Ma plus grande gratitude va à mon ami et baryton, l’incroyable Mariusz Kwieczen, qui était intendant de l’Opéra de Wroclaw à ce moment-là : il a cru dans le projet et a soutenu cet enregistrement. Le résultat s’offre à vous aujourd’hui.
Propos recueillis en novembre 2023
CD « Essence » / notre critique :
LIRE aussi notre critique du cd La VESTALE de Spontini avec Marina Rebeka : https://www.classiquenews.com/critique-cd-evenement-spontini-la-vestale-version-originelle-1807-rebeka-extremo-christoyanis-2-cd-palazzetto-b-zane-coll-opera-francais-juin-2022/
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