Enregistrée à l’été 2021, cette nouvelle réalisation de la soprano lettone Marina Rebeka convainc par l’ampleur, l’assurance et l’agilité de l’instrument, ce dans des emplois qui nécessitent autant de finesse que d’intensité, ce sur toute la tessiture, des aigus étincelants aux graves lugubres, incantatoires.
Autant de qualités qui enrichissent son soprano autant suave et expressif que charnu et clair. Sa raucité souligne ses aptitudes à la caractérisation tragique, qui ainsi captivent dans les emplois purement véristes signés ici Boito (Margarita prisonnière, désespérée), Cilea (Adriana enivrée), Giordano (Maddalena di Coigny), Leoncavallo (Nedda) ou le dernier Catalani (La Wally)… même profondeur amoureuse chez Tchaikovski (Lisa).
Somptueux medium velouté,
aigus clairs et tranchants, agilité coloratoure
d’un vrai soprano dramatique …
MARINA REBEKA en diva vériste
Ainsi s’affirme d’emblée, l’ampleur tragique de son medium large et profond dès Cio Cio San (Butterfly), ses éclairs aigus et tranchants – encore assombri par l’air de Marguerite du Mefistefele de Boito (L’altra notte) où la couleur hallucinée exprime l’effroi de l’héroïne (Margherita) saisie par la terreur des images qui l’obsèdent…
Marina sait éclaircir son chant, le rendre même printanier, dans l’ivresse – amoureuse et d’une voluptueuse noblesse d’Adriana Lecouvreur de Cilea (superbe prière de la cantatrice actrice dans son air humble « Ecco…Io son l’umile ancella »…) : à l’ampleur de son medium souverain velouté, la soprano éblouit ici littéralement par la couleur et la longueur de son filés somptueusement tissés ; une intelligence rare dans l’élocution du texte dramatique : maîtrise sans appui de chaque messa di voce / des smorzandos / diminuendos d’un contrôle et d’un fini superlatif, qui distingue la cantatrice perfectionniste qui soigne aussi chaque détail.
Sa Lisa (Tchaikovski) est juste, sombre et tragique, ardente et sacrificielle. A la fois fraîche et nocturne
Plus fluide et séducteur, l’air de la Rondine (« Chi il bel sogno di Doretta ») semble danser ; il s’inscrit très haut dans une ivresse éperdue, celle d’une âme totalement saisie par l’amour : les aigus charnus, métalliques mais justement expressifs affirment un tempérament de vrai soprano dramatique ici enivré.
Puccinienne, la Rebeka s’affirme avec la même précision ; pour « Visse d’arte » de Tosca, elle concentre la sincérité de la cantatrice alors martyrisée par l’infâme et l’infecte Scarpia ; La Rebeka a tout pour réussir sur scène : l’endurance, l’intensité, les aigus éclatants, le medium large, cuivré, texturé qui donnent l’assise, la couleur d’un timbre riche et rond, essentiellement tragique.
Proche du texte, au souffle maîtrisé d’une diseuse proche du théâtre le plus incandescent, sa « Mamma morta » (Maddalena de Coigny chez Giordano) crépite, et se convulse par un chant à la fois sobre et lugubre, âme dévoilée, ciselée comme une braise éclatante, irisée, captivante : beau tempérament vériste dont la ligne qui semble infinie, subjugue dans les passages harmoniques successifs. Agilité, brio, candeur printanière : l’air de Nedda (Pagliacci : « Qual fiamma… Stridono lassù ») de Leoncavallo fait surgir une jeune amoureuse dont la diversité des couleurs envoûte, y compris l’orchestre, instrumentalement détaillé, complice.
Et pour finir, refermant un récital généreux dont les défis exigerait une belle endurance lors d’un véritable concert publique, voici Rusalka, son grand air à la lune : d’une volupté scintillante , le chant se fait à la fois éclatant et somptueusement sensuel qui fait surgir l’aspiration de la nymphe prisonnière dont le seule désir est de devenir mortelle et humaine, et d’aimer.
Sa Wally saisit tout autant par l’expressionnisme juste du chant, son ampleur là encore saisissante dont la couleur renforce le caractère halluciné voire fantastique de l’air. Programme généreux et plus que convaincant. L’engagement de l’actrice, la puissance nuancée de la voix, la justesse des couleurs font de ce récital une éloquente et totale réussite. La confirmation d’un tempérament captivant. CLIC de CLASSIQUENEWS automne 2023.
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CRITIQUE CD événement. MARINA REBEKA : Essence ( 1 cd Prima classics) – Wroclaw Opera Orchestra / Marco Boemi, direction – enregistré en août 2021 (Pologne). CLIC de CLASSIQUENEWS automne 2023
Plus d’infos sur le site de l’éditeur Prima classics : https://primaclassic.com/marina-rebeka-essence/