vendredi 29 mars 2024

CRITIQUE CD événement. BORIS TISHCHENKO : Quatuors n°1 et 5, Quintette avec piano – Quatuor Tchalik (1 cd Alkonost classic)

A lire aussi

 

 

Révélation totale. A la frontière de l’audible, comme un lutin facétieux sur le bord d’un volcan, Tishchenko semble absorber toute menace en une distanciation amusée d’une poésie infinie (Quatuors n°1 et 5) ; c’est une grimace heureuse qui finit par apaiser et reconstruire. Surgit une conscience affûtée, comme chauffée а blanc, dévoilant ses failles, brisures, cicatrices, mais portée par une indéfectible volonté de dépassement ; ici se joue une lutte viscérale proche d’un Chostakovitch ou d’un Miaskovsky (dont il partage l’esprit de résistance). Dans les méandres et replis d’un labyrinthe intime, jaillissent des joyaux crépitants, d’une activité saisissante dont les instrumentistes cisèlent chaque accent. La concentration des musiciens éclaire une exigence formelle qui rappelle l’ampleur et l’architecture de Beethoven : ni concession ni complaisance formelle mais l’articulation des gouffres invisibles qui étreignent l’âme jusqu’au craquage. Remarquablement inspirés, les 4 instrumentistes du Quatuor Tchalik signent ici l’un de leurs meilleurs albums ; et c’est en plus de la sidération face à une écriture visionnaire, la musicalité exquise des interprètes qui savent rendre chantantes et raffinées, les arêtes vives de l’angoisse.

 

Le Quatuor n°5 de l’opus 90 de 1984 est en cela édifiant, entre rigueur et fantaisie, âpreté quasi mystique et légèreté voire insouciance de façade… car toute envolée onirique ne cache en rien la pertinence active d’une conscience acérée de la terreur contemporaine, ourdie dans l’ombre. En somme Tishchenko se place à égalité avec la musique âpre et parodique de Chostakovitch qui fut son professeur : même poésie rentrée, même conscience de la terreur soviétique. Mais davantage que son aîné, Tishchenko semble avoir trouvé le moyen de s’en échapper… par la création musicale et sa faculté à absorber le barbare et l’innommable pour en produire un chant jaillissant, lumineux.  L’Allegretto est d’une sourde urgence intérieure, riche en crépitements ténus puis submergé par une panique délirante à peine contrôlée ; dans chaque séquence la fluidité et les phrasés comme tournés vers l’intérieur, opérant un ralenti rétrospectif, sont admirablement réalisés ; … musique feutrée, aux éclairs fulgurants, entre pudeur et convulsions. Les Tchalik en donnent une lecture de référence. 

 

 

La musique de chambre de Boris Tishchenko
par le Quatuor Tchalik

Tristesse lumineuse, crépitements électriques

 

L’infinie tristesse, le saisissement viscéral, la brûlure d’une clairvoyance qui a démasqué l’horreur sont ici d’une lumineuse activité ; chaque geste du Quatuor Tchalik, aboutissement d’un travail ciselé, rend parfaitement justice à une écriture absolument géniale dans ses enchevêtrements troubles … la texture du dernier Allegro con moto, énoncé, tissé comme une course nocturne, mais étouffée, comme marchant sur des oeufs. Les Tchalik expriment tout d’une musique expressionniste, hallucinée, à la fois cauchemardesque et onirique, dont la poésie pure, magicienne, refoule le sentiment de terreur en certitude auto proclamée ; ce cheminement à la fois terrassé et enivré, fait jaillir au coeur de l’angoisse, de formidables échappées oniriques, revendiquant l’oubli et l’insouciance. La maîtrise des climats contrastés enchaînés, le chant funambulesque du violoncelle, du premier violon sont au diapason d’une hypersensibilité musicale de premier plan. Côté interprètes, la précision et la synchronicité filigranée de chaque instrumentiste offre une clarté pointilliste à ce vaste paysage désenchanté dont la pensée est restée malgré tout, viscéralement libre. Et les hoquets mordants, surtout la fin tissée sur le fil de chaque corde, jusqu’à la rupture, se résolvent en une danse et un jeu d’équilibre d’une poésie captivante. « Tristesse lumineuse », chant secret,… la qualité émotionnelle transmise par un collectif réglé comme une somptueuse mécanique produit une sonorité et un geste superlatif.

Même absolue pertinence pour le Quintette avec piano (1985) qui recueille les fruits comme l’acuité du Tishchenko symphoniste : l’ampleur de la structure et ce souffle profond, chantant que les instrumentistes ont en partage renouvellent totalement le genre du Quintette. Synthétique, cumulant les références à ses prédécesseurs, Tishchenko propose ici dans un crescendo délirant, comme le tombeau de l’histoire musicale ; la conscience historique qu’il en a, nourrit tout un monde sonore d’une richesse vertigineuse ; de la tempête culminant à mi temps, surgit la lente atténuation, détente où brillent la danse et l’espoir des harmonies consonantes et des accords majeurs, heureuse proclamation finale. On sait gré aux Tchalik de garder coûte que coûte l’élégance d’un son d’une finesse absolue, à chaque mesure, y compris dans les délires paniques et les forte assénés ; la vague qui déferle ensuite, dense et transparente fait surgir au violon ce chant d’espérance sur la voile d’un piano aérien avant que la dernière phrase exprime une ultime éblouissement à l’esthétisme sidérant. La construction de ce chef d’oeuvre (conçu comme un unique Allegro molto de 15mn), est éblouissante. Et sa réalisation ici, magique. 

Distinguons aussi l’inventivité du visuel de couverture et toute l’identité graphique du cd qui semble rendre hommage au concert de salon, le dernier, donné pour le compositeur 3 mois avant sa mort le 28 sept 2010 par le Fine Arts Quartet (et qui comprenait entre autres le fabuleux Quatuor °5).

 

 

 

 

 

________________________________________

CRITIQUE CD événement. BORIS TISHCHENKO : Quatuors 1 et 5, Quintette avec piano – Quatuor Tchalik (1 cd Alkonost classic) enregistré en fév 2022 – CLIC de CLASSIQUENEWS – Note : 5 / 5

LIRE aussi notre ANNONCE préalable : https://www.classiquenews.com/annonce-cd-evenement-boris-tishchenko-quatuors-n1-et-5-quintette-avec-piano-quatuor-tchalik-1-cd-alkonost-fev-2022/

Pour acheter écouter le cd TISHCHENKO : Musica da camera, la musique de chambre de Boris Tishchenko par le Quatuor Tchalik : https://absil.one/boristishchenko.owe

PLUS D’INFOS : https://www.quatuortchalik.com/

 

 

Photo grand format : © Steve Murez 

 

________________________________________

- Sponsorisé -
- Sponsorisé -
Derniers articles

CRITIQUE, opéra. PARIS, Théâtre des Champs-Elysées, le 26 mars 2024. LULLY : Atys (version de concert). Les Ambassadeurs-La Grande Ecurie / Alexis Kossenko (direction).

Fruit de nombreuses années de recherches musicologiques, la nouvelle version d’Atys (1676) de Jean-Baptiste Lully proposée par le Centre...
- Espace publicitaire -spot_img

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img