jeudi 28 mars 2024

ENTRETIEN avec KAROL BEFFA, à propos du cd « Talisman »

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beffa karol talisman cd klarthe records critique review cd critique classiquenews annonce CLIC classiquenewsENTRETIEN avec Karol Beffa, compositeur. L’éditeur Klarthe records dédie un nouvel album (intitulé « Talisman ») aux mondes poétiques du compositeurs KAROL BEFFA, peintre et alchimiste de climats d’un rare souffle suggestif. En format orchestral ou chambriste, les 5 pièces récentes constituent ainsi une nouvelle anthologie majeure ; elles témoignent d’une sensibilité à part. Entre « Clouds » et « Clocks », onirisme et fureur, le compositeur dévoile certains secrets de fabrication, particulièrement inspiré par les poètes et les écrivains dont Borges… Aujourd’hui, Karol Beffa réfléchit à ce qui pourrait être un prochain opéra, et il compose pour l’horizon 2021, un « Tombeau » pour chœur et orchestre, afin de célébrer le 200 ème anniversaire de la mort de Napoléon. Explications, éclaircissements à propos de l’envoûtement qui naît à l’écoute du programme « Talisman » …

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Comment choisissez vous les textes que vous mettez en musique ? Dans le cas par exemple des Ruines circulaires ou du Bateau ivre ? Qu’est-ce qui vous inspire particulièrement dans ces deux textes ? Leur forme, leur sujet ?

Il arrive que je n’aie pas le choix et que le texte soit imposé pour des raisons liées à la commande. Ainsi des quatre contes musicaux dont j’ai écrit la musique : L’Œil du Loup (texte de Daniel Pennac), L’Esprit de l’érable rouge (texte de Minh Tran Huy), Le Roi qui n’aimait pas la musique (texte de Mathieu Laine), Le Roman d’Ernest et Célestine (texte de Daniel Pennac). Dans le cas du Roman d’Ernest et Célestine, France Culture désirait produire une fiction radiophonique qui serait tirée d’une œuvre de Pennac, et j’ai suggéré à la productrice Blandine Masson Le Roman d’Ernest et Célestine, un long texte que Daniel a écrit à partir de la série d’albums Ernest et Célestine de Gabrielle Vincent. Autre exemple : il y a quelques années, j’ai été contacté par une dame qui voulait me commander un cycle de mélodies sur des poèmes d’une poétesse chinoise du XIIe siècle, dans leur traduction anglaise. Elle voulait que le cycle soit créé par un contre-ténor de sa connaissance, un Chinois vivant à Londres. Pour Fragments of China, j’ai donc retenu quatre poèmes de Li Qingzhao qui racontent tout un cycle amoureux, à l’image des quatre saisons : rencontre, premiers émois, amour réciproque, désamour et abandon. D’autres fois, les contraintes liées à la commande sont moins rigoureuses mais existent tout de même : « Je n’ai plus que les os… », pour chœur mixte (ou pour quatre voix solistes) sur un Sonnet de Ronsard, m’a été commandé en 2015 par Eric Rouchaud qui voulait que l’œuvre soit donnée dans le cadre d’un concert mettant en valeur la France des siècles passés.
Dans les cas que je viens de citer, il est question de mettre en musique un texte, qu’il s’agisse de vers (par exemple dans le cas d’une mélodie ou d’une pièce chorale) ou de prose (par exemple dans le cas de contes musicaux). En d’autres circonstances, j’ai pu être stimulé par le pouvoir évocateur de certaines de mes lectures, ou plus simplement j’ai été attiré par un titre, qui agit alors comme un déclencheur. Lorsque Akiko Suwanai m’a commandé mon deuxième concerto pour violon, en 2014, le fait que sa création devait avoir lieu à Yokohama m’a incité à aller fouiller dans ma mémoire du côté du Japon. Le roman de Kazuo Ishuguro, An Artist of the Floating World, m’avait beaucoup marqué lorsque je l’avais lu quand j’avais 16 ans. Je m’en suis inspiré, de  loin en loin, pour l’écriture de ce concerto que j’ai intitulé A Floating World… Je ne doutais pas à ce moment-là que, deux ans plus tard, Kazuo Ishuguro obtiendrait le Prix Nobel de littérature…

Pour ce qui est des Ruines circulaires, pour orchestre bois par deux, il faut savoir que je suis un fan absolu du poète et écrivain argentin Jorge Luis Borges, qui est par ailleurs un passionné de mathématiques, un maître du nonsense et de l’illusion. Comme ce géant, je ressens une attirance forte pour le rêve, l’absurde, la spéculation intellectuelle et la logique. Plongé très jeune dans son œuvre foisonnante, j’ai été tout particulièrement sensible à la nouvelle Les Ruines circulaires. Superbement écrite, c’est un condensé des obsessions de Borges : le labyrinthe, le double, les mises en abyme, le vertige de l’infini. Il se peut que Borges m’influence aussi sur un plan esthétique, en ce sens que j’essaie de trouver un analogue musical à son style précis, incisif, tranchant comme un scalpel. Et sa fascination pour les illusions m’a certainement encouragé à en rechercher des équivalents dans le domaine des sons. Pour Les Ruines circulaires, j’ai imaginé des tuilages d’objets musicaux en transformation permanente. Ailleurs, je cherche un substitut sonore aux spirales, ou encore je m’efforce de suggérer la sensation d’un vertige par des montées infinies vers l’aigu ou des descentes infinies vers le grave.
Quant au Bateau ivre, c’est un poème que j’ai découvert dans ma prime adolescence et qui m’a fasciné, sans que je sois rebuté par l’hermétisme de certains de ses vers. Notez que Les Ruines circulaires comme Le Bateau ivre sont des titres somptueux et puissamment évocateurs. Dans notre Anagramme à quatre mains. Une histoire vagabonde des musiciens et de leurs œuvres, mon ami Jacques Perry-Salkow, un génie de la langue et des contraintes, a d’ailleurs trouvé plusieurs très belles anagrammes pour Le Bateau ivre, dont celle-ci : « Beauté virale ».

 
 

 

Y a-t-il des pièces dont vous aimeriez encore faire évoluer la forme (orchestration, développement, durée…) ?

C’est plutôt rare. Et comme vous pouvez vous en doutez, même si un compositeur le voulait, son éditeur aurait sans doute tendance à l’en dissuader pour des raisons pratiques. Si l’œuvre lui a été commandée comme imposé d’un concours, la partition, une fois imprimée, est achetée par les candidats et il est difficile de lui faire subir quelque modification que ce soit. Quand il s’agit de musique pour orchestre, je livre à l’éditeur une partition que j’estime fin prête, et qu’il envoie telle quelle à l’imprimeur. Lors des répétitions puis de la première, les musiciens jouent ce qui est écrit sur cette partition. Pendant ces répétitions, il m’arrive de demander quelques modifications. Elles sont notées par les musiciens sur leur partition et ils en tiendront compte lors de l’exécution de l’œuvre. J’incorpore ces changements dans le fichier numérique de ma partition et je l’envoie à l’éditeur pour qu’il en fasse tirer une seconde impression, définitive, qui inclura les modifications. Entre l’édition de la partition pour les répétitions et l’édition définitive, les variations ne portent que sur des détails de nuance ou d’indication de tempo. De toute façon, j’essaie d’avoir des partitions avec notations de nuance, de tempo ou de caractère les plus précises possible pour que les musiciens ne soient pas dans l’incertitude pendant la répétition.
Ce qui peut se produire, en revanche, c’est qu’une fois conçue, couchée sur le papier et créée, je m’aperçoive que je préférerais qu’une pièce soit publiée avec d’autres au sein d’un recueil. En 2004, j’ai écrit pour piano Voyelles (encore Rimbaud !). En 2010 une Toccata, et en 2011 un Prélude, les deux également pour piano. Comme ces trois pièces pouvaient à bon droit être considérées comme des Etudes (à chaque fois, je me suis posé un problème compositionnel que j’ai essayé de traiter sous ses différentes facettes), j’ai ultérieurement décidé d’intégrer ces trois pièces dans mon deuxième cahier d’Etudes, Six Nouvelles Etudes. Elles sont finalement devenues les Etudes 11, 12 et 9, respectivement.

 
 

 

On a l’impression que les cinq pièces composant votre CD Talisman se succédaient les unes en un enchaînement quasi parfait… Est-ce volontaire ? 

Je crois que c’est pure coïncidence ! Nous nous sommes d’abord entendus, mon ami clarinettiste Julien Chabod (du label Klarthe) et moi, pour imaginer un programme de CD qui inclut seulement des pièces enregistrées par Radio France, que celles-ci elles relèvent de la musique de chambre ou de l’orchestre. Une fois la sélection effectuée, il nous a semblé judicieux de débuter et de clore le CD par une pièce symphonique. Les Ruines circulaires figurent donc en première position, Le Bateau ivre en dernière. J’ai par ailleurs estimé bienvenu d’avoir une pièce motorique en position centrale : Destroy, qui s’inspire des musiques actuelles (funk, pop, techno…). Ne restaient plus que les deux autres pièces de musique de chambre : Talisman et Tenebrae. Et Talisman étant construite en quatre mouvements, il m’a semblé préférable de la faire figurer en deuxième position.

 
 

 

Une fascination pour le sombre, l’anxiété, l’inquiétude souterraine est perceptible dans les climats que vous développez. Est-ce l’une des clés de votre écriture ?

A mes débuts de compositeur, je pratiquais volontiers les atmosphères à la sensualité alanguie, l’onirisme, les mystères et les brumes… Sans pour autant renier mes premières amours, m’est venue, vers 2005, l’envie de me lancer dans l’exploration d’un univers plus accidenté, plus tumultueux, « de bruit et de fureur». Bref, sans renoncer à mes tendances apolliniennes, de tenter l’aventure du dionysiaque. Dans les deux cas, qu’il s’agisse de clouds (une musique faite de couleurs, d’harmonies, de textures, qui privilégie le contemplatif) ou de clocks (une musique faite de pulsation, de rythme, de dynamisme, qui privilégie l’énergie), les climats sont effectivement assez sombres.
Les titres de mes pièces s’en ressentent d’ailleurs : Les Ombres qui passent, pour violon, alto ou violoncelle et piano ; Cortège des ombres, pour clarinette, alto (ou violon, ou violoncelle) et piano ; Les Ombres errantes, pour clarinette, cor et piano (que Julien Chabod, Pierre Rémondière et Julien Gernay viennent d’enregistrer pour Klarthe). Mais aussi Éloge de l’ombre, pour harpe, ou Paysages d’ombres, pour flûte, alto et harpe. A tel point que mon éditeur m’a demandé, à moitié sérieusement, si je pourrais désormais éviter de mettre « ombres » dans mes intitulés… Mais d’autres titres vont dans le même sens : Tenebrae, pour flûte, violon, alto et violoncelle ; Dark, concertino pour piano et orchestre à cordes ; Paradise Lost, pour violoncelle et orchestre… Cette prédilection pour le crépusculaire, les demi-teintes, les atmosphères de tombée du jour viennent certainement du fait que je suis d’un naturel angoissé. Et notamment que je suis hanté par l’idée de la mort, la mienne ou celle de mes proches.

 
 

 

Y a-t-il d’autres œuvres pour orchestre sur lesquelles vous travaillez actuellement ?

Je viens de terminer la musique du Roman d’Ernest et Célestine, pour « orchestre Mozart » et récitant (ou récitants), cette fiction radiophonique de France Culture qu’a commandée Radio France. Comme toujours chez Pennac, le texte est subtil et se prête à plusieurs niveaux de lecture, selon les âges des auditeurs. En raison de la pandémie due au Covid-19, Radio France ne sait pas encore si l’œuvre pourra être enregistrée, comme prévu, en juin prochain, avec l’Orchestre philharmonique de Radio France. Plusieurs orchestres (dont l’Orchestre de Cannes et son directeur musical Benjamin Lévy) semblent eux aussi être intéressés par l’œuvre, ce qui me réjouit.
Dans le cadre de ma future résidence auprès du Musée de l’Armée, en avril-juin 2021, je dois écrire, pour le 200e anniversaire de la mort de Napoléon, un Tombeau pour chœur et orchestre. Il sera donné par l’Orchestre de la Garde républicaine et le Chœur de Paris Sciences et Lettres en mai 2021. Et enfin, pour sa 20e édition programmée en février 2021, le concours Piano Campus m’a commandé l’œuvre imposée pour les finalistes : un bref concerto pour piano qu’ils joueront avec le Concerto en sol de Ravel : un voisinage forcément intimidant, d’autant que Ravel est l’un des compositeurs que j’admire le plus.
J’ai par ailleurs un projet d’opéra, dont j’espère vivement qu’il pourra se réaliser. Il faut pour cela que l’œuvre puisse bénéficier d’une commande, et il faut aussi réunir les conditions d’une captation et d’une reprise. Plusieurs maisons d’opéra sont intéressées, mais il est encore un peu tôt pour en parler. Tragédie ou opéra-bouffe, drame ou opérette, opéra de chambre ou très grande forme… ce ne sont certainement pas les idées de livrets qui manquent.

 
 

 

Propos recueillis en avril 2020

 
 
 
 

 
 
CD

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LIRE aussi notre critique complète du cd KAROL BEFFA Talisman, paru début mai 2020 chez l’éditeur KLARTHE records :
https://www.classiquenews.com/cd-evenement-critique-talisman-oeuvres-de-karol-beffa-1-cd-klarthe-records/

beffa karol talisman cd klarthe records critique review cd critique classiquenews annonce CLIC classiquenewsCD événement, critique. TALISMAN : œuvres de Karol Beffa (1 cd Klarthe records) – C’est une manière d’anthologie délectable, car ce remarquable programme démontre l’étendue des capacités compositionnelles du Français (d’origine polonaise) Karol Beffa. On y relève dans le mode tonal assumé et réjouissant, les affinités électives qui nourrissent un parcours créatif singulier et personnel : Bartok, Ravel et son homologue en Pologne Karol Szymanowski et Lutoslawski. Mais aussi Berg, Dutilleux, Ligeti… Chez Beffa, la matière sonore s’illumine de l’intérieur, déroulant une somptueuse opportunité pour les instruments de briller dans la profondeur, jamais dans l’artifice… Ce ne sont pas les pièces réunies dans ce programme qui nous contrediront, tant la sensibilité poétique de Karol Beffa conduit l’orchestre à explorer toujours plus loin le caractère et l’atmosphère de climats inédits. On y décèle pour notre part le goût de la texture orchestrale apte à suggérer et caractériser, cette même fascination du sombre et du grave qui fait aussi l’inspiration majeure de Philippe Hersant. CLIC de CLASSIQUENEWS printemps 2020
https://www.classiquenews.com/cd-evenement-critique-talisman-oeuvres-de-karol-beffa-1-cd-klarthe-records/

 
 

 
 
 

 

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