La production qu’affichait le Met de New York en septembre 2013 restait prometteuse avec dans le rôle de Tatiana, -la jeune femme écartée par l’ours cynique et désabusé Onéguine, l’incandescente diva austrorusse Anna Netrebko. Velours ample et voluptueux, sur les traces de Mirella Freni, la soprano a tout pour emporter le caractère conçu par Tchaïkovski entre amertume, solitude, dignité. De la jeune femme ivre et tendre, amoureuse : celle de la lettre, à l’épouse mariée par devoir et dignité, la cantatrice incarne toutes les nuances d’une féminité complète, ardente et palpitante. On se souvient que les premières représentations pour l’ouverture de la saison 13-14 avaient été marquées par les manifestations antiPoutine du groupe Queer Nation, pour fustiger les mesures antigay du président russe dont sont proches Gergiev et la soprano vedette.
Le spectacle a été créé en 2011 en Grande-Bretagne et met en avant une lecture très classique de l’opéra dans ses costumes et décors XIXème qu’aucun regard décalé ne vient perturber. Pour autant, malgré son classicisme de mise, parfois banal, le dispositif permet de se concentrer sur les chanteurs, tous parfaitement investis pour faire monter le baromètre. la cohérence du plateau, sur le plan vocal assure la réussite globale du spectacle : Netrebko affiche une sensualité radieuse, celle d’une amoureuse sincère, loyale, encore pleine de fraîcheur à l’acte I. Puis, la femme mariée déploie un large ambitus avec toujours les couleurs et le velours d’un timbre somptueux. Mais plus que l’érotisme du timbre féminin, c’est la justesse de l’intonation entre sincérité et passion qui trouble le plus.
D’autant que l’Onéguine du baryton Mariusz Kwiecien, soigne lui aussi l’élégance chambriste du chant, éclairant les blessures secrètes qui fondent son personnage solitaire, secret, d’une pudeur philantropique maladive. Parfois étrangement glacial, parfois d’une tendresse farouche. Eclatant, parfois trop claironnant, c’est à dire pas assez nuancé, Piotr Beczala attire néanmoins et légitimement, tous les regards sur son Lenski, intense, stylé, déchirant. Pour autant, nous avons encore en tête l’envoûtante fusion du couple Fleming/Hvorostovsky dans la mise en scène de Carsen, production précédente, sommet théâtral depuis 1997. Pas sûr que celle-ci ne la fasse oublier : la vision scénique et drammaturgique n’est pas aussi raffinée et mordante que celle de Carsen. Différemment à la production scénique originelle, le film vidéo en plans rapprochés soignés sait compenser le manque de sentiments parfois exposés par une mise en scène trop classique. Autant dire que ce dvd mérite le meilleur accueil, en dépit de nos infimes réserves : la passion destructrice s’accomplit ici, dans le pur respect de la lyre tchaïkovskienne.
Tchaikovsky: Eugene Oneguine. Mariusz Kwiecien (Onegin), Anna Netrebko (Tatyana), Piotr Beczala (Lensky), Oksana Volkova (Olga), Alexei Tanovitski (Gremin). Metropolitan Opera Orchestra, Chorus and Ballet, Valery Gergiev, direction. Deborah Warner, mise en scène. 2 dvd 073 5114 Deutsche Grammophon.