DVD. Rameau, maître à danser : Daphnis et Eglé, La naissance d’Osiris (William Christie, Les Arts Florissants, 1 dvd Alpha). Pour l’année Rameau 2014, son plus fervent et convaincant champion, William Christie et ses Arts Florissants, surprennent là où nous ne les attendions pas : ni tragédie lyrique ni grand ballet mais deux pièces intimistes, des opéras miniatures dont le charme et la légèreté nous sont astucieusement restitués par un » Bill » plus inspiré que jamais. Les deux actes de ballet sont même astucieusement reliés l’un à l’autre en une totalité musicale, dramatique, dansante d’une belle cohérence. Ce dvd réalisé à Caen en juin dernier (2014), confirme les impressions vécues sur le vif et dont témoigne aussi notre compte-rendu complet rédigé au moment de la création de la production événement : LIRE Rameau, maître à danser par William Christie et Les Arts Florissants, nouvelle production pour l’année Rameau 2014. Pour faire simple et court, Bill renoue avec la réussite de son enregistrement récent, Le jardin de Monsieur Rameau : même école de la grâce collective, même orchestre ciselé, taillé et assoupli au diapason de la tendresse la plus allusive… Au XVIIIè, la France de Louis XV sait s’alanguir des délices tendres et sensuels de divertissements délicieusement aimables. C’est évidemment le cas de ces deux actes de ballet : Daphnis et Eglé puis La naissance d’Osiris-, dont Rameau revivifie la tension dramatique grâce au seul génie de sa musique que Bill divin interprète dans ce répertoire, rétablit dans son raffinement tendre le plus enchanteur. En musicien savant et lettré respectant la tradition de la cour de France, le compositeur ajoute le ballet, c’est à dire cette » belle danse » que la chorégraphe complice, Françoise Denieau aborde avec une verve rafraîchissante au diapason d’une mise en scène subtile et très précise (signée de l’ex chanteuse Sophie Daneman) dans l’esprit d’une troupe de comédiens dont le jeu collectif apporte une cohérence imprévue entre les deux divertissements.
Rameau enchanté
Pour illustrer notre enthousiasme, ne prenons que l’exemple du premier ballet : le plus enchanteur à notre avis : Daphnis et Églé. Les pas des danseurs se mêlent astucieusement au mouvement des acteurs chanteurs plutôt à l’aise sur la scène du Manège de la Guérinière spécialement aménagé pour l’occasion. Le principe est séduisant : il rappelle que sous Louis XV nombre de spectacles ne disposaient pas d’un théâtre en dur mais étaient accueillis dans le théâtre du Manège de la Grande écurie à Versailles : un esprit « tréteaux et troupe de comédiens » que le regard et la conception de Sophie Daneman ont su magnifiquement exploiter dans la réalisation de ce spectacle nouveau signé Les Arts Flo.
La délicatesse des sentiments abordés, – amitié / amour -, s’accorde au raffinement de l’orchestre. Tout y est aimable entre les bergers radieux et souriants, Eglé et Daphné jusqu’à la scène du temple où le ministre des autels exprime le courroux des dieux en un éclair et un tonnerre opportuns, superbe coup de théâtre faisant rupture avec l’harmonie idyllique qui avait cours depuis le début : ces deux bergers là ne s’aiment pas comme des amis, ils s’aiment d’un amour véritable. Révélés à eux-mêmes, Daphnis et Eglé peuvent enfin s’exprimer librement non sans avoir auparavant dit leur désarroi. Sincères, justes, d’une pudeur continûment préservée, les interprètes joignent leur élégance tendre au chant de l’orchestre enchanteur dont le pastoralisme final affirme son indéniable tendresse. Il revient à William Christie d’exprimer pas à pas ce glissement poétique, de l’amitié à l’amour, en une direction vive et mesurée, fine et délicate, mais souple et vive, en autant de nuances suavement réalisées : l’aveu de Daphnis troublé comme Églé, tous deux démasqués par Cupidon lui-même est un grand moment de pureté émotionnelle. Plus de masques ni d’identité feinte alors, mais le jaillissement saisissant d’un sentiment pur qui passe évidement par chant, la musique puis la danse, idéalement accordés.
Le raffinement et l’élégance du chef, le soutien des instrumentistes tout en accents murmurés et finement nerveux qui découlent de sa direction souple et onctueuse, l’accord des danseurs, le chant fin et subtile des deux protagonistes (Elodie Fonnard et Reinoud van Mechelen : deux lauréats du Jardin des Voix et depuis lors associés aux grands projets de la famille des Arts Flo), l’unité scrupuleuse de la mise en scène composent le plus tendre tableau ramélien : une pastorale à la Boucher, aux vives couleurs d’un Frago, auxquelles le chef subtil esthète, ajoute aussi en facétieux connaisseur, des touches plus nuancées et palpitantes – vaporeuses -, … à la façon de Watteau (musette conclusive).
C’est dire combien le Rameau des Arts florissants sait scintiller et charmer par cet équilibre constant entre la vie et l’élégance. L’enchaînement dernier est un festival de séquences d’un exquise intelligence : l’ air » Oiseaux, chantez » entonné par Daphnis amoureux qui rappelle ce sentiment enivré de la nature que sait affirmer Rameau jusque dans ses plus grandes tragédies (Rossignols amoureux d’Hippolyte et Aricie de 1733), synthétise la perfection d’un art savant qui sous la direction de Bill, sait pourtant nous toucher par son infinie tendresse. L’orchestre regorge de teintes amoureuses et enivrées : une prouesse dont William Christie est décidément le seul à détenir le secret. La pantomime amoureuse espiègle et suave, qui prolonge le solo de Daphnis ajoute encore à la totale réussite de l’ensemble. On n’en attendait pas moins des Arts Flo en cette année Rameau 2014 : sur le mode léger, badin, le geste est touchant, la sensibilité des Arts Flo, délicieusement bouleversante. Superbe apport du plus grand ramélien actuel. Courrez voir et écoutez ce Rameau enchanteur parmi les dates et les lieux de la tournée de cet automne (dont les 21 et 22 novembre à la Cité de la musique à Paris)…
Tournée de Rameau, maître à danser
Daphnis et Eglé, la Naisance d’Osiris
Philharmonie de Luxembourg
le mardi 4 novembre 2014 à 20h
Théâtre Bolchoï de Moscou
les jeudi 6 et vendredi 7 novembre 2014 à 19h
Opéra de Dijon
le vendredi 14 novembre 2014 à 20h
Barbican Centre de Londres
le mardi 18 novembre 2014 à 19h30
Cité de la musique à Paris
les vendredi 21 et samedi 22 novembre 2014 à 20h