lundi 7 octobre 2024

DVD. Borodine : Prince Igor (Ildar Abdrazakov, Tcherniakov, 2014)

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prince igor borodine metrropolitan opera new york dvd deutsche grammophon noseda tcherniakovDVD. Borodine : Prince Igor (Ildar Abdrazakov, Tcherniakov, 2014). Créé au Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg le 4 novembre 1890, Prince Igor illustre le rêve impérialiste russe et offre aux patriotes une idôle à la fois puissante et autodéterminée mais aussi (surtout) humaine. C’est d’ailleurs, la figure de l’époux aimant, de l’homme qui doute et qui se laisse déborder par la culpabilité (défait, il est prisonnier du Khân), plutôt que le guerrier porté par un indéfectible espoir de grandeur, qui captive du début à la fin. Inspiré d’une chronique historique d’après l’histoire russe datée de la fin du XIIIè, l’épopée d’Igor contre les Polovtsiens (hordes  tatares nomades terrassant les chrétiens russes de l’Est) exalte l’héroïsme d’un guerrier tenace que les épreuves renforcent : d’un chevalier battu et prisonnier, Igor devient grâce à son retour miraculeux parmi les siens, une figure politique de la reconstruction. Exalté, Borodine, grâce à son orchestre impétueux, énergique, s’intéresse aux chocs et aux épreuves qui œuvrent à produire le héros idéal : ses doutes et ses visions aussi qui en font un être à part, un visionnaire et peut-être un guide pour rebâtir l’avenir de la Russie non encore unifiée, comme le laisse présager la fin de l’opéra (le dernier acte raconte le retour d’Igor dans sa cité et sa nouvelle stature de bâtisseur). La ville de Poutivle détruite par les tatares trouvera-t-elle en Igor, qui s’est lui-même libéré, un nouveau champion pour renaître de ses cendres ?

Unknown-1CLIC D'OR macaron 200Présentée en mars 2014 et diffusée en direct au cinéma, la production signée Dmitri Tcherniakov (sa première new yorkaise) convainc à moitié. Visuellement les projections vidéos véritables amplifications par l’image des sauts temporels réalisés par l’orchestre gênent considérablement la continuité du spectacle. Trop de vidéo tue l’opéra. Ou alors il aurait fallu soigner la réalisation visuelle et faire de cette captation une œuvre cinématographique comme le laissaient supposer les images et affiches d’un marketing esthétiquement alléchant mais dans la réalité déformant (Igor en héros sublime, gisant dans le champs de fleurs…). Les épisodes s’enchaînent mal et la compréhension des situations en patît. Ainsi après le prologue et le départ pour la guerre, quand l’orchestre évoque la défaite d’Igor et les morts accumulés, paraît ce sublime champs de coquelicots rouges, avec tour à tour les deux airs du soldat et de son épouse qui se languissent… On croit alors assister à un oratorio célébrant l’amour que ne connaîtront plus les guerriers d’Igor sacrifiés sur le champs de bataille… Or dans le déroulement de l’opéra, il s’agit de la première scène d’amour entre le fils d’Igor, Vladimir (prisonnier des Tatares comme lui) et la fille du Khan, qui sont tombés amoureux. Confusion ou superposition volontaire ? La vision des fleurs maculées est géniale en soi, forte et poétique, mais restant à la vue générale trop longtemps et de façon statique, s’effondre dramatiquement; heureusement que les plaisirs orientaux que Khan évoque à Igor, l’invitant à demeurer à sa cour et à vivre comme lui, réalisent un autre tableau fort parmi les fleurs : Igor assiste comme Parsifal au milieu des filles en fleur, à un ballet (orgiaque : les fameuses danses polovtsiennes) composées de figures dénudées célébrant le Khân, apôtre d’un éden lascif et suave qui s’offre à son prisonnier très estimé.

A l’acte III ici réalisé nouveau problème qui gène la compréhension des épisodes dans leur succession : alors que l’acte dernier s’ouvre sur les ruines fumantes de la cité de Poutivle, après l’attaque des Tatares et du Kahn Gzak, la fille du Khan paraît en chemisette pour retenir Vladimir le fils d’Igor prêt à s’enfuir avec son père pour la Russie. Comment Igor, son fils et la jeune femme peuvent-ils surgir des décombres urbaines en un lieu qu’Igor s’apprête à rejoindre ? Pour le reste, l’ultime scène met en lumière la transe du prince vaincu qui s’est échappé et qui peu à peu reprend une stature de guide et de rebâptisseur face au peuple détruit. Borodine développe un acte de fierté nationale : quand Igor suscite l’esprit des princes russes victorieux, lui qui a fait périr son armée dans le Kayala, le prince reprend l’étoffe du héros, du père, du guide que la nation attend toujours. Ici, Igor malgré son échec prépare déjà la reconstruction : il permettra peut-être la résistance et la victoire finale sur les Tatares.

UnknownVocalement la distribution s’appuie essentiellement sur le physique d’acteur et la voix très sûre du baryton basse Ildar Abdrazakov dans le rôle-titre : rien à dire sur son chant mûr et racé, viril et fin même si plus de délire parfois, l’ombre d’une panique franchement exprimée se fassent attendre. A part le soprano aigre et trop tendu parfois à la limite de la justesse de Oksana Dyka (Yaroslavna), aucun des autres chanteurs ne déméritent ; tous assurent crânement la tension continue d’un drame qui exalte surtout, à travers de nombreux tableaux collectifs, le destin personnel d’un véritable héros. Dans la fosse, Gianandrea Noseda relève tous les défis d’une partition qui oscille constamment entre les profondeurs sombres et souterraines d’Igor, dévoré par ses démons intérieurs ou portés par son rêve de gloire russe, et les tableaux collectifs, guerriers d’Igor partant au combat, transes polovtsiennes, folie collective des habitants de Poutivle… l’exercice est délicat, le résultat plutôt réussi. Au final, malgré nos réserves sur la compréhension réelle de Tcherniakov, de l’opéra de Borodine, et ses distorsions vidéos et théâtrales, le spectacle reste spectaculaire mais proche d’une vision intimiste et psychologique du héros Igor. De surcroît chef et metteur en scène offrent une partition nettoyée, complète : malgré les nombreuses réécritures par Rimsky et Galzounov, l’œuvre de Borodine qui a laissé un opéra inabouti dans son orchestration finale, paraît exhaustive en un tout désormais cohérent. C’est donc une parfaite entrée, propice à mieux connaître un opéra pilier du répertoire romantique russe. CLIC de classiquenews.

514-fitandcrop-405x320Borodine : Prince Igor. Ildar Abdrazakov (Prince Igor Svyatoslavich), Oksana Dyka (Yaroslavna), Anita Rachvelishvili (Konchakovna, la fille du Khân), Sergey Semishkur (Vladimir Igorevich), Mikhail Petrenko (Prince Galitsky), Štefan Kocán (Khân Konchak)… The Metropolitan Opera orchestra, chorus and ballet. Gianandrea Noseda, direction. Dmitri Tcherniakov, mise en scène. 2 DVD Deutsche Grammophon 0440 073 5146 8. Enregistré en mars 2014.

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