jeudi 18 avril 2024

Dossier. Le luth en France au XVIIème

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devisee pinel luth miguel yisrael les rois de versailles louis XIIIVersailles avant Versailles : la retraite de Louis le juste…  A l’occasion de la sortie de son dernier cd (intitulé « les rois de Versailles »), le luthiste Miguel Yisrael, élève virtuose d’Hopi (Hopkinson Smith) dédie son nouveau programme aux maîtres du luth à l’époque de Louis XIII et de Louis XIV, Germain Pinel et Robert de Visée. Outre la résurrection de Suites inédites, l’instrumentiste ajoute aussi un éclairage singulier et d’autant plus saisissant sur l’époque où le luth fut estimé tel le roi des instruments, ou l’instrument des rois, réservé à l’intimité de la Couronne, celle du Roi évidemment et de ses proches (famille, ministres, favoris…)… Dans cette évocation spécifique, le luth, Versailles composent une équation emblématique du goût de Louis XIII, souverain raffiné et solitaire, dont la faveur pour la musique fut aussi importante que celle de son fils, et davantage encore tourné vers le raffinement tendre et noble, porté par la maîtrise du luth… C’est Henri IV qui fait aimer Versailles au jeune dauphin, futur Louis XIII : à 6 ans, le garçon accomplit sa première chasse : le souvenir en sera indélébile. Versailles sera son domaine privé, intime même : inaccessible à sa mère, à son épouse. Ainsi le pavillon de chasse qu’il édifie en 1623. Auquel succède en 1631, le château brique et pierre qui est le cœur du palais de son fils Louis XIV. Mais quel est donc le secret de Versailles ? Contre toute attente et à rebours des célébrations fastueuses qui ont cours à présent, l’idée d’un temple de l’intimité, du repli entre hommes, est le vrai message de ce disque enchanteur et totalement visionnaire. Outre le répertoire défendu, qui se soucie du luth aujourd’hui ? Louis XIII de son vivant le considérait comme le lieu de sa retraite, où ni Marie de Médicis ni Anne d’Autriche, la mère et l’épouse, ne furent acceptées pour y coucher. Emblème de son tempérament solitaire voire saturnien, le luth retient l’intérêt du roi, incarne même au plus près son goût le plus personnel. Excellent luthiste, offrant pour ses intimes des concerts privés, Louis XIII n’autorisait pas les femmes, trop bavardes, trop inattentives… il y invite d’excellents joueurs de luths tels M. de Mortemar et M. de Schomberg.

 

Louis XIIIVersailles avant Louis XIV : le goût de Louis XIII Souvent malade, Louis XIII avoue sa résignation et son usure dans l’exercice du pouvoir : il appelle de ses voeux l’aptitude de son jeune fils à lui succéder au plus vite, afin de retrouver son cher Versailles, retraite espérée, attendue, chère à son coeur pour le repos de son esprit, pour l’équilibre et la santé de son corps éprouvé : «  … et je me retirerai à Versailles avec quatre de vos Pères, pour m’entretenir avec eux des choses divines et pour ne plus penser de tout qu’aux affaires de mon âme et de mon salut ». Louis XIII n’eut-il comme baume au coeur que son cher luth ?  Le roi des instrument règne de facto à la cour de France dès Henri IV. Le médecin chargé de la santé du jeune Louis XIII précise la place de l’instrument auprès du souverain : premier « jouet » qui lui est offert (en 1604, pour ses 3 ans!), le luth est le centre de toutes les attentions. Le petit Louis qui s’endort aux sons de la voix de son valet Florent Hindret qui joue du luth évidemment pour s’accompagner, montre à sa mère la Reine régente l’avancement de ses progrès. Marie de Médicis, joueuse de luth elle aussi, embauche Robert Ballard, son maître en la matière. A ce dernier se joint le père de Ninon de l’Enclos, Henri de L’Enclos, autre professeur de luth pour la Reine mère. Nombre de musiciens compositeurs tous joueurs de luth assurent le fonds sonore de l’éducation du prince, futur Louis XIII. Ainsi, Jean Mesnager et René Saman comme Gaultier de Lyon (dit aussi le vieux Gaultier ) paraissent dans les témoignages de l’époque.

 

 

 

 

Le luth à la cour de France…

luth_1652En 1615, Louis XIII épouse l’espagnole Anne d’Autriche : les deux ados âgés de 14 ans pendant leur nuit de noces, se manquent, ratent une union pourtant espérée. Le roi délaisse vite son épouse et préfère de toute évidence la compagnie virile. Anne d’Autriche prolonge en France, au cours de ses déplacements du Louvre à Fontainebleau ou au Château de Saint-Germain-en-Laye, les us de la cour ibérique où règnent les guitaristes.  A la mort de Louis XIII (1643), le dauphin futur Louis XIV n’a que 4 ans : à 8 ans, miraculé à la suite d’une variole aiguë, le jeune Louis reçoit ses premières leçons de… luth grâces aux soins de Germain Pinel. Le musicien enseignera ainsi au souverain jusqu’à ses 18 ans.  10 années d’un apprentissage fastidieux et formateur. Ce lien qui le rattache au souvenir de son père, se concrétise aussi pour l’amour de Versailles dont il fera sa résidence royale et le palais le plus fastueux de l’Europe baroque.

Pour parfaire l’éducation et les qualités de la reine Anne d’Autriche (qui ne jouait que la guitare), Ennemond Gaultier est nommé pour lui enseigner le luth. Puis les Bataille, Gabriel père et fils, sont maîtres de musique auprès de la Reine Anne d’Autriche quand le jeune luthiste Pierre de Nyert, remarqué par Louis XIII, devient son valet de la garde robe, puis celui qui lui chanta au luth des motets de dévotion sur son lit de mort.

 

luth_1653Le luth, instrument aristocratique. Miroir des coutumes royales, les cercles aristocratiques adoptent tout autant le luth dont la maîtrise est l’insigne d’une haute éducation et d’un raffinement prestigieux. Lettrés, intellectuels, bourgeois aisés partagent cette affection qui flattent leur statut et renforce leur dignité : Richelieu comme Louis XIII se délasse en écoutant son musicien favori, Michel Lambert, chanter des mélodies de sa composition en s’accompagnant au luth. Dans les salons parisiens, Mme de Rambouillet, Mlle de Scudéry, Mme de la Sablière ou la belle Mme Scarron – futur Madame de Maintenon, seconde épouse de Louis XIV-, cultivent elles aussi le goût du luth. Les Précieuses – épinglées dans leurs travers par Molière entre autres, favorisent jeux et joutes poétiques, divertissements musicaux où poésie et luth sont étroitement associés. Ninon de L’enclos et Mademoiselle Paulet gagnent une notoriété enviable. Charles Mouton, compositeur à la mode, assure l’éclat des soirées chez les Scarron.

Le luth s’impose comme instrument soliste, dévoilant son éloquence secrète et fascinante dans une série de Suite de danses qui lui sont spécifiquement réservées.  C’est Germain PInel qui écrit alors les Suites les plus abouties, d’une rêveuse austérité. A l’époque, le modèle le plus estimé vient de Bologne et porte la signature du luthier Laux Maler (c’est un fac similé de ce type que joue aujourd’hui Miguel Yisrael).

 

1730, la fin du luth en France… Réservé à la délectation intime, dans le cercle restreint de quelques initiés et amateurs, le luth, roi des instruments et instrument des rois, perd peu à peu son prestige et son rayonnement à mesure que l’essor des concerts, et la représentation théâtralisée fixée par Lousi XIV à Versailles, se déploient. Emblème de l’intimité, le luth ne se prête guère à la démonstration fastueuse et spectaculaire du pouvoir tel qu’il s’est développé dans le Versailles du Roi-Soleil (même si ce dernier continue de le goûter dans l’intimité réservée de ses salons privés – certes le Roi-Soleil préférera ensuite la guitare).

artemisia-gentileschi-joueuse-de-luth-autoportrait-luthDe fait, l’instrument polyphonique se retire peu à peu à mesure que l’orchestre et l’opéra de Lully s’imposent sur la scène lyrique et officielle.  A mesure aussi que le clavecin, autre instrument à cordes pincées se distingue alors dans le goût des nouvelles classes dirigeantes, suivant le modèle de Versailles.  A l’époque de Louis XIII, la musique est un exercice privé ; avec Louis XIV, elle est l’élément central de la propagande royale. Quand Rameau s’affirme à l’opéra avec son premier opus Hippolyte et Aricie (1733) au début des années 1730, le luth est devenu hors d’âge, un art du passé. Son jeu se perpétua cependant grâce aux Huguenots français qui l’avait cultivé ; contraint à l’exil dans les pays germaniques du nord, ils développèrent bientôt une école particulière que l’Autriche sut aussi féconder jusqu’au plein XVIIIème : c’est le sujet du cd  « Austria, 1676 », publié par Miguel Yisrael en 2012 qui y révélait ainsi une prodigieuse école du luth autrichienne, dont les compositeurs sont Wolff Jacob Lauffensteiner (1676-1754), Johann Georg Weichenberger (1676-1740).

CD. Les Rois de Versailles. Miguel Yisrael, luth baroque. Robert de Visée, Germain Pinel  (1 cd Brilliants classics). Parution : décembre 2014

lluth XVII 582 les cinq sens Abraham-Bosse-The-Five-Senses-Hearing

 

Abraham Bosse : allégorie des 5 sens : l’ouïe (DR)

Le luth au XVIIème : Roi des instruments, instrument des Rois

 

Portrait d’un luthiste français par Jean de Reyn, vers 1640

 

 

 

Approfondir

 

LIRE notre critique du cd Austria 1676 par Miguel Yisrael

LIRE notre entretien avec Miguel Yisrael à propos du cd Austria 1676

LIRE notre grand entretien avec Miguel Yisrael à propos du luth baroque réalisé en 2010

LIRE notre grand entretien avec Miguel Yisrael à propos du luth baroque en France au XVIIème, à l’occasion de la parution du cd Les Rois de Versailles (décembre 2014), réalisé en novembre 2014

 

 

 

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