vendredi 25 avril 2025

CRITIQUE, opéra. PARIS, Théâtre des Champs-Elysées, le 26 mars 2024. LULLY : Atys (version de concert). Les Ambassadeurs-La Grande Ecurie / Alexis Kossenko (direction).

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Fruit de nombreuses années de recherches musicologiques, la nouvelle version d’Atys (1676) de Jean-Baptiste Lully proposée par le Centre de musique baroque de Versailles nous plonge au plus près de ce que les premiers auditeurs ont pu entendre à la création, à Saint-Germain-en-Laye. Après les projets consacrés à Zoroastre de Rameau (voir le compte-rendu du disque, puis Le Carnaval du Parnasse de Mondonvillec’est là le troisième jalon du passionnant partenariat initié entre les équipes de Benoît Dratwicki et du chef Alexis Kossenko.

 

 

Les célébrations du tricentenaire de la mort de Jean-Baptiste Lully en 1987 ont permis la redécouverte d’Atys (1676), l’une de ses tragédies lyriques les plus remarquables, du fait de personnages dotés d’une consistance psychologique plus poussée par rapport aux précédents livrets. Fort de son expérience initiale dans la composition de ballets, puis de sa collaboration avec Molière dans les années 1660, Lully est alors au fait de ses moyens et de son influence auprès de Louis XIV. Le livret élaboré avec Philippe Quinault se permet ainsi de nombreuses allusions, à peine voilées, au goût insatiable du Roi pour la gent féminine : on peut reconnaître plusieurs clins d’œil à son adresse dans la proximité de sa personnalité avec la déesse Cybèle, qui s’émerveille de son amour pour un être inférieur à son rang, ou s’emporte dans l’ivresse absolutiste de son intransigeance vengeresse, avant de céder aux remords en fin d’ouvrage. Devoir et grandeur d’âme irriguent cette partition en forme de récit d’apprentissage, à destination d’un monarque qui cherche à s’identifier à plusieurs dieux grecs ou païens, en une sorte de filiation naturelle.

On retrouve tout l’art déclamatoire de Lully dans l’épanouissement de récitatifs sans ostentation, à mi-chemin entre théâtre et chant, où la prononciation est au service de l’expressivité textuelle. En accompagnement des récitatifs, la basse continue a été étoffée pour se rapprocher des sources historiques, qui mentionnent deux basses de viole, deux basses de violon, deux théorbes et un clavecin – tous en polyphonie, mais sans effets d’ornementation (à l’instar de l’épure recherchée en matière vocale, dans cette nouvelle version). On se délecte de sonorités inédites dans ce répertoire, particulièrement au niveau des timbres des théorbes, dont la subtilité ressort davantage dans ce contexte « chambriste ». Une autre particularité vient de l’intervention sur scène des vents (dont certains ont été reconstruits à partir d’originaux conservés au musée de la musique, comme la basse de cromorne), qui outre les qualités acoustiques en matière de spatialisation sonore, permet de faire ressortir les scènes au niveau visuel : un détail d’autant plus appréciable pour cette version de concert, surtout en comparaison des deux concerts précédents, donnés à Avignon et Tourcoing avec les mêmes interprètes (à quelques exceptions près), qui ont bénéficié d’une mise en scène minimaliste, avec l’apport de danseurs.

Pour coordonner ce projet aussi ambitieux que minutieux, il fallait un artisan de la trempe d’Alexis Kossenko dans la fosse (surélevée pour l’occasion), pour faire vivre chaque détail d’une vitalité sans esbroufe, au plus près des intentions dramatiques du livret. La clarté des plans sonores et le goût pour des textures diaphanes aux cordes donnent une hauteur de vue tout en contraste avec les passages aux vents, évidemment plus colorés. Le plateau vocal réuni autour du chef est probablement l’un des meilleurs dont on puisse rêver ici, dominé par l’expérimenté Mathias Vidal (Atys), à l’articulation haute en couleurs : bien qu’un peu trop sonore par rapport à ses comparses dans ses premières interventions, Vidal donne beaucoup de chair à son personnage, particulièrement dans l’emphase tragique de son sacrifice final. A ses côtés, Véronique Gens (Cybèle) impressionne une nouvelle fois dans la souplesse aérienne de ses phrasés, d’un naturel confondant, de même que Tassis Christoyannis (Célénus), à la diction millimétrée au service du texte. D’une fraicheur de timbre rayonnante, Gwendoline Blondeel s’impose en Sangaride à force d’investissement théâtral et d’aisance technique. Tous les seconds rôles se montrent également à la hauteur de l’événement, à l’instar des très solides David Witczak et Adrien Fournaison, sans parler des choeurs engagés, répartis entre Les Pages et les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles.

 

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CRITIQUE, opéra. PARIS, Théâtre des Champs-Elysées, le 26 mars 2024. LULLY : Atys. Mathias Vidal (Atys), Véronique Gens (Cybèle), Gwendoline Blondeel (Sangaride), Tassis Christoyannis (Célénus), Hasnaa Bennani (Doris), Virginie Thomas (Flore, Une divinité de fontaine), Eléonore Pancrazi (Melpomène, Mélisse), David Witczak (Le Temps, Un Songe funeste, Le Fleuve Sangar), Antonin Rondepierre (Un Zéphyr, Morphée, Un Grand Dieu de fleuve), Adrien Fournaison (Idas, Phobétor), Carlos Porto (Le Sommeil, Un Grand Dieu de fleuve), Marine Lafdal‑Franc (Iris, Une Divinité de fontaine), François-Olivier Jean (Phantase). Les Pages et les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles, Fabien Armengaud (chef de choeur), Les Ambassadeurs – La Grande Ecurie, Alexis Kossenko (direction musicale). A l’affiche du Théâtre des Champs-Elysées, le 26 mars 2024. Photo : Anne-Elise Grosbois / Centre de musique baroque de Versailles.

 

VIDEO : Ouverture d’Atys de J.B. Lully par Alexis Kossenko et son ensemble Les Ambassadeurs-La Grande Ecurie

 

 

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