Chef d’oeuvre de son auteur, Peter Grimes (1945) fait son retour à l’Opéra de Paris, un peu plus de 20 après la création du spectacle réglé par Graham Vick en 2001 (repris en 2004). La nouvelle production imaginée par sa compatriote Deborah Warner prend place cette fois à Garnier, après avoir été étrennée à Madrid et Londres dès 2021. Alors que Vick avait transposée l’action pendant les années socialement bouillonnantes de l’ère Thatcher, Warner préfère rappeler combien cette histoire pourrait très bien se dérouler de nos jours, en une région victime de la désindustrialisation et du chômage.
La pauvreté qui ronge les interprètes de Peter Grimes est en effet indissociable de la compréhension de l’ouvrage, de même que l’esprit de clocher étriqué, propre à n’importe quelle micro-société auto-centrée, telle qu’un petit village de pêcheurs. D’emblée, la scénographie insiste sur les conditions de vie miséreuses (boutiques fermées et baraquements de fortune) : c’est principalement la direction d’acteur, très dynamique, qui soutient l’action tout du long, à l’instar de la scène du bar où s’affrontent tous les ego réunis, alors que la tempête gronde au dehors.
Après l’entracte, alors que les adultes profitent de la nuit pour tomber les masques de l’hypocrisie, le regard social de Warner se tourne vers la jeunesse désoeuvrée, occupée à tromper l’ennui en entraînant le village dans une vendetta déchainée contre une poupée grandeur nature, à l’effigie de Grimes. Tout en alternant admirablement ce type de scènes avec celles plus dépouillées qui figurent l’isolement progressif de Grimes, Warner suggère peu à peu la folie du rôle-titre dès le début, avec le fantôme du moussaillon mort qui rôde dans les airs autour de lui.
Deborah Warner met en scène Peter Grimes
Un travail réaliste et cohérent
Autour de ce travail réaliste et très cohérent, le plateau vocal réuni se montre de bien belle tenue, dominé par le Peter Grimes de grande classe d’Allan Clayton, d’une expressivité poisseuse dans ses plaintes solitaires, mais volontiers plus solaire dans ses réparties poétiques et énigmatiques, à même de monter le groupe contre lui. A ses côtés, Maria Bengstsson (Ellen Orford) gagnerait sans doute à davantage de projection, mais emporte l’adhésion par son chant admirable d’homogénéité sur toute la tessiture, toujours au service de la compréhension du texte. On ne saurait trouver meilleur maître en la matière en la personne de Simon Keenlyside (Balstrode), toujours aussi impressionnant de justesse dramatique avec sa technique sans faille et un timbre encore séduisant. Outre les lumineuses et espiègles nièces interprétées par Anna-Sophie Neher et Ilanah Lobel-Torres, on aime la truculence généreuse de Rosie Aldridge (Mrs Sedley), là où Catherine Wyn-Rogers (Auntie) manque de gouaille en comparaison. Tous les autres seconds rôles se montrent à un niveau superlatif, particulièrement le très en voix révérend de James Gilchrist. Très sollicité, le choeur de l’Opéra national de Paris relève le défi sur la durée, autant en termes d’impact vocal dans les nombreuses parties homophones, que de brio rythmique.
On est plus ambivalent, en revanche, concernant la direction d’Alexander Soddy, qui souffle le chaud et le froid en ralentissant les tempi à l’excès dans certains passages très déliés, à la limite du maniérisme. Son geste legato manque de relief en première partie, mais trouve une expressivité plus naturelle après l’entracte, lorsqu’il fouille la partition pour en extraire les traits les plus morbides. Au moment des saluts, le Britannique est ostensiblement applaudi par l’Orchestre national de l’Opéra de Paris, qui montre là son goût pour les lectures volontiers analytiques, une nouvelle fois. Malgré ces réserves, il faut courir applaudir cette production pour (re)découvrir la musique envoûtante de Britten, de même que son livret original et poignant.
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CRITIQUE, opéra. PARIS, Palais Garnier – le 26 janv 2023. BRITTEN : Peter Grimes. Avec Allan Clayton (Peter Grimes), Maria Bengstsson (Ellen Orford), Simon Keenlyside (Balstrode), Catherine Wyn-Rogers (Auntie), Anna-Sophie Neher, Ilanah Lobel-Torres (Nièces), John Graham-Hall (Bob Boles), Clive Bayley (Swallow), Rosie Aldridge (Mrs Sedley), James Gilchrist (Rev. Horace Adams), Jacques Imbrailo (Ned Keene), Stephen Richardson (Hobson), Chœur de l’Opéra national de Paris, Ching-Lien Wu (chef de chœur), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Alexander Soddy, direction / mise en scène, Deborah Warner. A l’affiche de l’Opéra national de Paris jusqu’au 24 février 2023. Photo : …
Photo © Javier del Real / Teatro Real de Madrid
Durée : 3h25 (dont 2 entractes). Diffusion sur France Musique, le 25 février à 20h.