Plus jamais donné en version scénique en France depuis 1913, l’Armide (1777) de Gluck fait son grand retour à l’Opéra-Comique avec un spectacle très réussi, vivement applaudi par un public enthousiaste en fin de représentation. Alors qu’aucun anniversaire ne concerne le chevalier Gluck cette année, les grandes maisons d’opéra semblent s’être données le mot pour le célébrer en grande pompe, tout particulièrement sa féconde et dernière période en France : outre ses plus célèbres ouvrages (Orfeo au Théâtre des Champs-Elysées et Iphigénie en Tauride à Rouen), on a ainsi pu avoir la chance d’entendre les rarissimes Iphigénie en Aulide (toujours au TCE), puis Echo et Narcisse (à Versailles). Place cette fois à la toute aussi peu jouée Armide, dont on se souvient des tentatives de Marc Minkowski pour la remettre au gout du jour, grâce à l’un de ses plus beaux disques en 1999, puis à l’occasion de concerts en 2016, à Paris et Bordeaux.
D’abord essentiellement visuel, le spectacle réglé par Lilo Baur (dont les plus anciens se souviennent de son travail sur Lakmé en 2014, déjà à l’Opéra-Comique) gagne peu à peu en profondeur après l’entracte : la Suissesse imagine un univers dépouillé de tout artifice, si ce n’est un immense arbre au centre de la scène, plusieurs fois revisité pour symboliser les états d’âme des protagonistes. Dans sa forme décharnée, l’arbre évoque la raideur et la sécheresse émotionnelle d’Armida, toute occupée à se mentir à elle-même par sa quête d’un impossible amour, tandis que la vitalité reprend ses droits dans les scènes païennes avec un choeur grimé comme autant de bourgeons virevoltants. A l’instar du contexte de lutte entre croisés et musulmans, Lilo Baur choisit d’évacuer le merveilleux pour faire de l’héroïne une femme qui souffre, la Haine n’étant dans ce parti-pris qu’une évocation de ses tourments intérieurs. Ce travail tout en sobriété repose en grande partie sur une direction d’acteur millimétrée, donnant une présence soutenue aux pantomimes des trois danseurs, de même que l’excellent choeur, très sollicité tout du long. Des soutiens décisifs pour accompagner Armida dans son apprentissage initiatique de l’acceptation de l’incertitude amoureuse et du refus des artifices extérieurs comme la magie, au profit d’un retour à l’état de nature et à la simplicité.
La réussite de la soirée doit aussi au plateau vocal réuni, très bien distribué jusqu’au moindre second rôle, sans parler du rôle-titre confié à une superlative Véronique Gens. Si le souvenir des représentations d’Alceste de Gluck, à Garnier en 2015, pouvait faire craindre une projection insuffisante, la soprano française évacue ces réserves en épousant d’emblée un rôle qui semble avoir été écrit pour elle : la tessiture centrale de sa voix est constamment sollicitée, avec quelques rares incursions dans les extrêmes, lui permettant de nous régaler de son timbre velouté et de son émission articulée avec souplesse, toujours au service du sens. Si on peut regretter un manque d’éclat et de noirceur lorsque Gens revêt trop timidement les atours de la magicienne au I, la tragédienne impressionne en dernière partie pour figurer la femme brisée face à son amant intraitable. Face à elle, on retrouve un autre nom bien connu du grand public en la personne de Ian Bostridge, qui nous régale de son art grâce à ses phrasés d’une éloquente noblesse. Malgré ces qualités, le ténor anglais ne peut toutefois faire oublier un timbre fatigué, quelques rudesses dans le suraigu arraché, ainsi qu’une difficulté à maitriser sa puissance dans les piani (surtout dans les duos avec Gens, déséquilibrés sur ce point).
Impressionnante dans l’un des rôles les plus marquants de l’ouvrage, Anaïk Morel donne à sa Haine une jeunesse vocale rayonnante, surtout dans l’aigu, mêlant à sa prestation des regards hallucinés, tandis qu’Edwin Crossley-Mercer compose un solide Hidraot, aux graves mordants. On aime aussi le duo épatant entre Philippe Estèphe et Enguerrand de Hys, qui donne au IV une vérité saisissante par son engagement, rarement atteinte. Toujours aussi à l’aise dans l’articulation, Florie Valiquette s’impose dans ses différents rôles sur sa partenaire raffinée Apolline Rai-Westphal Phénice, encore un peu trop tendre dans la projection. Comme on pouvait s’y attendre, Christophe Rousset fait quant à lui crépiter son orchestre dès l’ouverture, donnant un relief impressionnant à sa battue, de la raideur volontaire des passages verticaux d’allure martiale aux déflagrations nerveuses des cordes déchainées par endroit. De quoi se régaler de l’instinct dramatique direct et immédiat de Gluck, très affuté dans ces passages, et ce malgré quelques longueurs ici et là (au I surtout).
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CRITIQUE, opéra. PARIS, Opéra-Comique, le 5 nov 2022. Gluck : Armide. Véronique Gens (Armide), Ian Bostridge (Renaud), Anaïk Morel (La Haine), Edwin Crossley-Mercer (Hidraot), Enguerrand de Hys (Artémidore, Le Chevalier danois), Philippe Estèphe (Aronte, Ubalde), Florie Valiquette (Sidonie, Mélisse, Bergère), Apolline Rai-Westphal Phénice (Lucinde, Plaisir, Naïade), Les Eléments, Les Talens Lyriques, Christophe Rousset / (direction musicale) / Lilo Baur (mise en scène). A l’affiche de l’Opéra-Comique jusqu’au 15 novembre 2022. Photo : S. Brion
Précédent programme élu CLIC de CLASSIQUENEWS :
ARTE. Vendredi 15 août 2014, 20h50. Verdi : Le Trouvère. Anna Netrebko. Salzbourg, août 2014 : voici assurément l’un des événements lyriques du festival autrichien créé en 1922 par le trio légendaire Strauss / Hoffmannsthal / Reinhardt. C’est qu’aux côtés des Mozart, Beethoven, Strauss, les grands Verdi n’y sont pas si fréquents. Créé à Rome en 1853, d’après El Trovador de Gutiérrez, 1836), Le Trouvère de Verdi saisit par sa fièvre dramatique, une cohérence et une caractérisation musicale indiscutable malgré la complexité romanesque de l’intrigue. L’action se déroule en Espagne, dans la Saragosse du XVème, où le conte de Luna est éconduit par la dame d’honneur de la princesse de Navarre, Leonora dont il est éperdument amoureux : la jeune femme lui préfère le troubadour Manrico. Dans le camps gitan, Azucena, la mère de Manrico, est obsédée par l’image de sa mère jetée dans les flammes d’un bûcher, et de son jeune frère, également consommé par le feu. Manrico décide de fuir avec Leonora. Mais il revient défier Luna car sa mère est condamnée à périr sur le bûcher elle aussi. Emprisonné par Luna avec sa mère, Manrico maudit Leonora qui semble s’être finalement donnée au Conte : elle a feint et s’est versée le poison pour faire libérer son aimé. En vain, Luna comprenant qu’il n’aura jamais celle qu’il aime (à présent morte), ordonne l’exécution par les flammes de Manrico. Au comble de l’horreur, Azucena lui avoue qu’il vient de tuer son propre frère : leur mère avait échanger les enfants sur le bûcher. De sorte que l’opéra s’achève sur la vengeance d’Azucena (elle a enfin vengé la mort de sa mère par Luna) et le sacrifice des deux amants (Leonora et Manrico). La mezzo apparemment démunie a manipulée le baryton jaloux, vengeur… aveuglé par sa haine. EN LIRE +
Arte, ce soir,
Programme retransmis ensuite sur France Musique. Verdi : Le Trouvère. Anna Netrebko. Le 31 août 2014, 20h.