Reprise d’une production aixoise de cet été, “Picture a day like this”, le quatrième opus lyrique de Georges Benjamin fascine toujours autant. Encore une réussite exemplaire !
Après le flamboyant Lessons in Love and Violence sur le destin tragique d’Edward II d’après Marlowe, George Benjamin et son fidèle dramaturge Martin Crimp reviennent vers la forme brève de l’opéra en un acte qu’ils avaient éprouvé avec leur premier opéra Into the Little Hill. Commande du Festival d’Aix-en-Provence, cette fable ordinaire mâtinée de merveilleux fascine par sa rigoureuse linéarité dramatique. Et comme toujours, texte et musique frémissent à l’unisson, retrouvant l’idéal du genre à sa création. Sur une scène dépouillée, entourée de miroirs, une femme pleure la mort de son enfant – évoquée par les sonorités délicates de la harpe – qui ne pourra revenir à la vie que si elle rencontre, dans l’espace d’une seule journée (l’unité de temps de la tragédie classique) une personne heureuse qui voudra bien lui donner un bouton de sa veste. Elle fera successivement la rencontre d’un couple amoureux, d’une compositrice bipolaire flanquée de son assistant, d’un artisan, d’un collectionneur ; tous se révèleront, à la fin, malheureux, malgré les apparences trompeuses. La dernière encontre achève le conte dans la plus complète ambiguïté quant à l’issue du drame, puisque la jeune mère rencontre une femme, Zabelle, sorte de miroir inversé de l’héroïne, qui se dit heureuse précisément parce qu’elle n’existe pas. Une création virtuelle qui est aussi une allégorie de la création littéraire. Au cours de ces tableaux successifs, la Femme ne rencontre donc que l’apparence du bonheur, derrière laquelle se cachent en réalité la jalousie, l’aliénation, la vanité et la solitude, constituant autant de péripéties du drame, alors que la jeune femme, au terme d’un véritable parcours initiatique, découvre dans sa main le fameux bouton du salut.
Crédit photographique © Stefan Brion
Le décor imaginé par Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma, responsables également de la mise en scène, des lumières et de la dramaturgie, évoque la traversée du miroir, idée reprise d’Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll ; trois murs aux portes réfléchissantes et pivotantes qui laissent apparaître quelques rares éléments de décor : un lit pour le couple d’amants, une cage de verre pour l’Artisan, un tapis roulant pour la compositrice avant que n’apparaisse l’élément le plus spectaculaire du drame, le jardin paradisiaque de Zabelle, fait de plantes en croissance et de concrétions de minéraux, superbement imaginé par le vidéaste Hicham Berrada, qui permet de multiplier les effets de miroirs et les perspectives et devient à son tour une allégorie de la création artistique.
Dans le rôle principal, la mezzo Marianne Crebassa – pour qui le rôle a été écrit – impressionne de bout en bout par son timbre chaud, sombre et rond, et magnifiquement projeté, en particulier dans les dernières pages de la partition, vocalement plus exigeantes. Anna Prohaska campe une Zabelle sans faille, dont la voix de soprano est censée apporter une réponse au questionnement de la Femme, dans une idéale complémentarité vocale et dramaturgique. Les autres chanteurs, tous excellents, interprètent deux rôles. Beate Mordal incarne tour à tour et magistralement l’Amante puis la Compositrice, dans les deux cas, dans un rapport distancé des plus efficaces à l’égard de la Femme. Amant, puis assistant de la Compositrice, Cameron Shahbazi prête son timbre flûté de contre-ténor pour exprimer l’insolence éclatante de sa jeunesse dans le premier rôle, et l’insolence tout court pour le second. Enfin, remarquable Artisan puis Collectionneur, le baryton John Brancy révèle à la fois ses dons exceptionnels d’acteur et une voix d’une étincelante puissance.
À la tête de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, aux effectifs réduits mais d’une densité et d’une précision de métronome, le compositeur dirige une partition luxuriante qui mêle harpe, célesta, cuivres, bois et cloche, et envoûte le spectateur dès les premières notes qui l’installe dans une atmosphère mystérieuse qui ira crescendo. Avec Picture a Day like this, Benjamin et Crimp signent un nouveau chef-d’œuvre.
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CRITIQUE, opéra. PARIS, Opéra-Comique, le 25 octobre 2024. G. BENJAMIN : Picture a day like this. M. Crebassa, A. Prohaska, J. Brancy… Christine Soma / Georges Benjamin.
VIDÉO : TEASER de « Picture a day like this » de G. Benjamin l’Opéra-Comique (oct 2024)